Au mois de mai 2008, le " monde diplomatique " publiait un article de Pierre Daum au texte explicite : " Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie ".
A la lecture on en vient à se demander pourquoi la communauté européenne à quitté un pays qui lui ouvrait grand les bras. Il semble donc que ses membres aient été victime d'une hallucination collective, liée à un " sentiment " d'insécurité et à leur ressentiment de devoir renoncer à leurs " privilèges ". C'est donc leur racisme viscéral qui les a incités à quitter leur terre natale.
Cet article est contredit entre autres, par le livre de Jean Jacques Jordi paru en 2011.
Les affirmations du journaliste sont fondées sur quelques témoignages de Pieds-Noirs " progressistes " qui clament leur bonheur d'être restés.
C'est un festival de lieux communs, d'approximations, d'omissions contrôlées, et de contre vérités.
Je pourrai reprendre phrase par phrase ce reportage et offrir un contrepoint basé sur mon expérience personnelle et celle de ma famille, ainsi que sur des dizaines de témoignages vécus par mes proches.
Je préfère reproduire à la suite, l'analyse brillante et précise du cinéaste Jean Pierre Lledo qui lui aussi est resté en Algérie après l'indépendance et qui sait donc également de quoi il parle.

Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie

Depuis quarante-cinq ans, les rapatriés ont toujours soutenu l'idée qu'ils avaient été " obligés " de quitter l'Algérie au moment de l'indépendance en 1962, car, menacés physiquement par les " Arabes ", ils n'auraient pas eu d'autre choix. Pourtant, à la fin de la guerre, deux cent mille pieds-noirs ont décidé de demeurer dans le nouvel Etat. Témoignages de personnes qui y vivent encore aujourd'hui.

Alger, janvier 2008. Pour trouver la maison où habite Cécile Serra, il vaut mieux ne pas se fier aux numéros désordonnés de la rue. En revanche, demandez à n'importe quel voisin : " Mme Serra ? C'est facile, c'est la maison avec les orangers et la vieille voiture ! " Cécile Serra reçoit chaque visiteur avec une hospitalité enjouée. Dans son jardin magnifiquement entretenu par M. Mesaour, son voisin, trône la carcasse rouillée d'une Simca Aronde modèle 1961. " Ah ! On en a fait des balades dans cette voiture avec mon mari ! Tous les week-ends, on partait à la pêche avec un groupe d'amis ; il y avait M. Gabrière et M. Cripo, avec leur femme. Jusqu'en 1981. Puis mon mari a commencé à être fatigué. Mais du bon temps, on en a eu ! "

A écouter les récits de cette délicieuse dame de 90 ans à l'esprit vif et plein d'humour, on aurait presque l'impression que la " révolution " de 1962 n'a guère changé le cours de son existence de modeste couturière du quartier du Golf, à Alger. " Et pourquoi voulez-vous que ça ait changé quelque chose ? vous apostrophe-t-elle avec brusquerie. J'étais bien avec tout le monde. Les Algériens, si vous les respectez, ils vous respectent. Moi, j'ai jamais tutoyé mon marchand de légumes. Et aujourd'hui encore, je ne le tutoie pas. "

La grand-mère maternelle de Cécile Serra est née à Cherchell, en 1858. Son père, tailleur de pierre, a déménagé à Alger dans les années 1920. " Il a fait construire cette petite maison en 1929 et, depuis, je n'en suis jamais partie. " Comment se fait-il qu'elle n'ait pas quitté l'Algérie en 1962 ? " Mais pourquoi serais-je partie ? Ici, c'est notre pays. Tout est beau. Il y a le soleil, la mer, les gens. Pas une seconde je n'ai regretté d'être restée. " Son mari, Valère Serra, était tourneur dans une entreprise pied-noire (1). " Pendant la guerre, il se déplaçait souvent pour vendre des produits. Il disait à nos voisins [arabes] : "Je vous laisse ma femme et mon fils !" Et il ne nous est jamais rien arrivé. Sauf quand y a eu l'OAS [Organisation armée secrète] (2). La vérité, c'est que c'est eux qui ont mis la pagaille ! Mais "La valise ou le cercueil", c'est pas vrai. Ma belle-sœur, par exemple, elle est partie parce qu'elle avait peur. Mais je peux vous affirmer que personne ne l'a jamais menacée. "

En 1962, les ateliers où travaillait Valère ont été liquidés, et il a pris sa retraite. Cécile a continué sa couture. " En 1964, avec l'Aronde, on est partis faire un tour en France. Pour voir, au cas où... A chaque fois qu'on rencontrait des pieds-noirs, qu'est-ce qu'on n'entendait pas ! "Comment ! Vous êtes toujours là-bas ! Vous allez vivre avec ces gens-là !" Alors on s'est dépêchés de rentrer chez nous. "

Cécile Serra fait partie des deux cent mille pieds-noirs qui n'ont pas quitté l'Algérie en 1962 (3). Etonnant ? Non, tout à fait logique. Comme le souligne Benjamin Stora, un des meilleurs historiens de l'Algérie, " depuis qu'ils sont rentrés en France, les rapatriés ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu'ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu'ils avaient donc nécessairement tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité (4) ".

Jean-Bernard Vialin avait 12 ans en 1962. Originaire de Ouled Fayet, petite commune proche d'Alger, son père était technicien dans une entreprise de traitement de métaux et sa mère institutrice. Ancien pilote de ligne à Air Algérie, il nous reçoit sur son bateau, amarré dans le ravissant port de Sidi Fredj (ex-Sidi-Ferruch), à l'ouest d'Alger. " Mes parents appartenaient à ceux qu'on appelait les libéraux. Ni engagés dans le FLN [Front de libération nationale] ni du côté des partisans jusqu'au-boutistes de l'Algérie française. Juste des gens, malheureusement très minoritaires, qui refusaient d'accepter le statut réservé aux "musulmans" et les injustices incroyables qui en résultaient. On s'imagine mal aujourd'hui à quel point le racisme régnait en Algérie. A Ouled Fayet, tous les Européens habitaient les maisons en dur du centre-ville, et les "musulmans" pataugeaient dans des gourbis, en périphérie. " Des habitations précaires faites de murs en roseau plantés dans le sol et tenus entre eux par des bouts de ficelle, sur lesquels reposaient quelques tôles ondulées en guise de toiture. " Ce n'était pas l'Afrique du Sud, mais presque. "

En janvier 1962, une image s'est gravée dans les yeux du jeune garçon. " C'était à El-Biar [un quartier des hauteurs d'Alger]. Deux Français buvaient l'anisette à une terrasse de café. Un Algérien passe. L'un des deux se lève, sort un pistolet, abat le malheureux, et revient finir son verre avec son copain, tandis que l'homme se vide de son sang dans le caniveau. Après ça, que ces mecs aient eu peur de rester après l'indépendance, je veux bien le croire... " Pour ses parents, en revanche, " il n'a pas été question une seconde de partir. C'était la continuité. Ils avaient toujours désiré une vraie égalité entre tout le monde, ils étaient contents de pouvoir la vivre ".

En septembre 1962, ses deux mille Européens ont déserté Ouled Fayet, sauf les Vialin. Les petites maisons coloniales se sont retrouvées rapidement occupées par les Algériens des gourbis alentour - " ce qui est tout à fait naturel ", précise l'ancien pilote. Sa mère rouvre seule l'école du village. Dès 1965, la famille acquiert la nationalité algérienne. " Et finalement, je me sens algérien avant tout. A Air Algérie, ma carrière s'est déroulée dans des conditions parfaitement normales ; on m'a toujours admis comme étant d'une autre origine, mais sans faire pour autant la moindre différence. "

André Bouhana, lui non plus, n'a jamais craint de demeurer là. " J'ai grandi à Ville Nouvelle, un des quartiers musulmans d'Oran. Je parlais l'espagnol, comme mes parents, mais aussi l'arabe dialectal, puisque tous mes copains étaient arabes. Ce n'est pas comme les Européens qui habitaient le centre-ville. Donc, au moment de l'indépendance, pourquoi j'aurais eu peur ? " Aujourd'hui, à 70 ans, Bouhana habite dans une misérable maison à Cap Caxine, à l'ouest d'Alger. Entouré de nombreux chiens et chats, il survit grâce aux 200 euros de l'allocation-vieillesse que dispense le consulat français à une quarantaine de vieux pieds-noirs sans ressources. " Mais, surtout, j'ai des amis algériens, des anciens voisins, qui vivent en France, et qui m'envoient un peu d'argent. " Et sa famille rapatriée ? " Vous rigolez ! Pas un euro ! Ils ne me parlent plus. Ils ne m'ont jamais pardonné de ne pas avoir quitté l'Algérie. "

Et puis, il y a Félix Colozzi, 77 ans, communiste, engagé dans le maquis aux côtés du FLN, prisonnier six ans dans les geôles françaises (dont la terrible prison de Lambèse, près de Batna), devenu ingénieur économiste dans des entreprises d'Etat. Et André Lopez, 78 ans, le dernier pied-noir de Sig (anciennement Saint-Denis-du-Sig), à cinquante kilomètres d'Oran, qui a repris l'entreprise d'olives créée par son grand-père, et qui y produit à présent des champignons en conserve. Et le père Denis Gonzalez, 76 ans, à l'intelligence toujours très vive, " vrai pied-noir depuis plusieurs générations ", qui, dans le sillage de Mgr Duval, le célèbre évêque d'Alger honni par l'OAS, a choisi de " rester au service du peuple algérien ".

Et même Prosper Chetrit, 78 ans, le dernier juif d'Oran depuis la mort de sa mère, qui rappelle que " trois mille juifs sont demeurés à Oran après 1962 ", et que, " pour eux, la situation n'a commencé à se détériorer qu'à partir de 1971, quand les autorités ont confisqué la synagogue pour la transformer en mosquée, et que le dernier rabbin est parti. Mais moi, précise-t-il, tout le monde sait que je suis juif, et tout le monde m'estime ".

" On a eu ce qu'on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s'occupe que de l'avenir "

Il était donc possible d'être français et de continuer à vivre dans l'Algérie indépendante ? " Bien sûr ! ", s'exclame Germaine Ripoll, 82 ans, qui tient toujours avec son fils le petit restaurant que ses parents ont ouvert en 1932, à Arzew, près d'Oran. " Et je vais même vous dire une chose : pour nous, la situation n'a guère bougé. Le seul vrai changement, c'est quand on a dû fermer l'entrepôt de vin, en 1966, lorsque la vente d'alcool est devenue interdite. Mais ça ne m'a jamais empêchée de servir du vin à mes clients. "

Au fur et à mesure de ces entretiens avec des pieds-noirs, ou " Algériens d'origine européenne ", comme certains préfèrent se nommer, une nouvelle image apparaît, iconoclaste par rapport à celle qui est véhiculée en France. L'inquiétude des Européens était-elle toujours justifiée ? La question demeure difficile à trancher, sauf dans le cas des harkis (5). Certes, les déclarations de certains leaders nationalistes ont pu paraître inquiétantes. En premier lieu, la proclamation du 1er novembre 1954, qui affirme la volonté du FLN d'ériger une Algérie démocratique " dans le cadre des principes islamiques ". Toutefois, la plupart des pieds-noirs de France semblent avoir complètement oublié que durant cette guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s'adresser à eux afin de les rassurer. " Moi, je les lisais avec délectation ", se souvient très bien Jean-Paul Grangaud, petit-fils d'instituteurs protestants arrivés en Kabylie au XIXe siècle et qui est devenu, après l'indépendance, professeur de pédiatrie à l'hôpital Mustapha d'Alger, puis conseiller du ministre de la santé. Dans le plus célèbre de ces appels, lancé de Tunis, siège du gouvernement provisoire, le 17 février 1960 aux " Européens d'Algérie ", on peut lire : " L'Algérie est le patrimoine de tous (...). Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s'ils se refusent à reconnaître en vous des supercitoyens, par contre, ils sont prêts à vous considérer comme d'authentiques Algériens. L'Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n'est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. " La seule déception qu'ont pu ressentir ceux qui ne sont pas partis est liée à l'obtention de la nationalité algérienne (1 Ndlr ), puisqu'ils furent obligés de la demander, alors qu'elle devenait automatique pour les Algériens musulmans. Mais c'était en 1963, donc bien après le grand départ des pieds-noirs.

En ce qui concerne leurs biens, les Européens qui sont restés n'ont que rarement été inquiétés. " Personne ne s'est jamais avisé de venir nous déloger de notre villa ! ", s'exclame Guy Bonifacio, oranais depuis trois générations, à l'unisson de toutes les personnes rencontrées. Quant au décret de nationalisation des terres, promulgué en 1963 par le nouvel Etat socialiste, il n'a concerné que les très gros domaines, les petites parcelles laissées vacantes, et éventuellement les terres des Français qui, bien que demeurés sur place, ont refusé de prendre la nationalité algérienne. Vieille Oranaise pourtant toujours très remontée contre les Algériens, Jeanine Degand est formelle : " J'ai un oncle qui possédait une trentaine d'hectares du côté de Boutlélis. En 1963, les Algériens lui ont dit : "Ou tu te fais algérien, et tu gardes ta ferme ; ou tu refuses, et on te la prend." Il avait sa fierté, il a refusé, et on la lui a prise. C'est sûr que, s'il avait adopté la nationalité, il l'aurait toujours. "

Il n'a non plus jamais été suffisamment souligné avec quelle rapidité la paix complète est revenue en Algérie. " Je suis arrivé dans le pays à l'été 1963, raconte Jean-Robert Henri, historien à la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme, à Aix-en-Provence. Avec ma vieille voiture, j'ai traversé le pays d'est en ouest, dormant dans les coins les plus reculés. Non seulement, avec ma tête de Français, il ne m'est rien arrivé, mais à aucun moment je n'ai ressenti le moindre regard d'hostilité. J'ai rencontré des pieds-noirs isolés dans leur ferme qui n'éprouvaient aucune peur. " " C'est vrai que, dès août 1962, plus un seul coup de feu n'a été tiré en Algérie, affirme F. S. (6), l'un des historiens algériens les plus reconnus de cette période.
C'est comme si, le lendemain de l'indépendance, les Algériens s'étaient dit : "On a eu ce qu'on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s'occupe que de l'avenir." " Marie-France Grangaud confirme : " Nous n'avons jamais ressenti le moindre esprit de revanche, alors que presque chaque famille avait été touchée. Au contraire, les Algériens nous témoignaient une véritable reconnaissance, comme s'ils nous disaient : "Merci de rester pour nous aider" ! "

Finalement, on en vient à se demander pourquoi tant de " Français d'Algérie " ont décidé de quitter un pays auquel ils étaient aussi charnellement attachés. Lorsqu'on leur pose cette question, en France, ils évoquent presque toujours la peur, alimentée par le climat de violence générale qui régnait en Algérie dans les derniers mois de la guerre - avec, mis en exergue, trois faits dramatiques de 1962 : la fusillade de la rue d'Isly, le 26 mars à Alger ; le massacre du 5 juillet à Oran ; et les enlèvements d'Européens (lire " Trois événements traumatisants ").

" Le déchaînement de violence, fin 1961 - début 1962, venait essentiellement de l'OAS, rectifie André Bouhana. A cause de l'OAS, un fossé de haine a été creusé entre Arabes et Européens, qui n'aurait pas existé sinon. " Et tous d'insister plutôt sur l'extrême modération avec laquelle le FLN a répondu aux assassinats de l'OAS. " A Arzew, se souvient Germaine Ripoll, l'OAS était présente, mais les Algériens n'ont jamais menacé aucun Français. " Quant aux enlèvements (deux mille deux cents Européens disparus entre 1954 et 1962, sur une population d'un million), un certain nombre d'entre eux étaient " ciblés ". " Dans mon village, affirme Jean-Bernard Vialin, seuls les activistes de l'OAS ont été enlevés. "

" Les Européens ont eu très peur, analyse Stora. Mais peur de quoi ? Peur surtout des représailles aveugles, d'autant que les pieds-noirs savaient, et savent toujours, que le rapport entre leurs morts et ceux des Algériens était d'au moins un pour dix (7) ! Quand l'OAS est venue, un grand nombre d'entre eux l'a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l'OAS. Pourtant, une grande majorité d'Algériens n'a pas manifesté d'esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens. "

" Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés "

Mais, si la raison véritable de cet exode massif n'était pas le risque encouru pour leur vie et leurs biens, qu'y a-t-il eu d'autre ? Chez Jean-Bernard Vialin, la réponse fuse : " La grande majorité des pieds-noirs a quitté l'Algérie non parce qu'elle était directement menacée, mais parce qu'elle ne supportait pas la perspective de vivre à égalité avec les Algériens ! " Marie-France Grangaud, fille de la bourgeoisie protestante algéroise (d'avant 1962), devenue ensuite directrice de la section sociale à l'Office national algérien des statistiques, tient des propos plus modérés, mais qui vont dans le même sens : " Peut-être que l'idée d'être commandés par des Arabes faisait peur à ces pieds-noirs. Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés. Et puis, surtout, nous n'avions aucun rapport normal avec les musulmans. Ils étaient là, autour de nous, mais en tant que simple décor. Ce sentiment de supériorité était une évidence. Au fond, c'est ça la colonisation. Moi-même, j'ai dû faire des efforts pour me débarrasser de ce regard... "

Entre 1992 et 1993, la chercheuse Hélène Bracco a parcouru l'Algérie à la recherche de pieds-noirs encore vivants. Elle a recueilli une soixantaine de témoignages, dont elle a fait un livre, L'Autre Face : " Européens " en Algérie indépendante (8). Pour cette chercheuse, " la vraie raison du départ vers la France se trouve dans leur incapacité à effectuer une réversion mentale. Les Européens d'Algérie, quels qu'ils soient, même ceux situés au plus bas de l'échelle sociale, se sentaient supérieurs aux plus élevés des musulmans. Pour rester, il fallait être capable, du jour au lendemain, de partager toutes choses avec des gens qu'ils avaient l'habitude de commander ou de mépriser ".

La réalité offre des cas parfois surprenants. Certains des pieds-noirs rencontrés en Algérie tiennent encore des propos colonialistes et racistes. S'ils sont encore là, c'est autant pour protéger leurs biens (appartements, immeubles, entreprises) que parce que " l'Algérie, c'est [leur] pays ".
Conséquence logique de ces différences de mentalité : la plupart des pieds-noirs demeurés au sud de la Méditerranée n'ont que très peu de contacts avec ceux de France. " En 1979, à la naissance de ma fille, dont la mère est algérienne, je suis allé en France, se souvient Jean-Bernard Vialin. Dans ma propre famille, on m'a lancé : "Quoi ! Tu vas nous obliger à bercer une petite Arabe ? " " Lorsqu'il est en France, Guy Bonifacio évite de rencontrer certains rapatriés : " Ils nous considèrent comme des collabos, constate-t-il avec un soupir. Combien de fois ai-je entendu : " Comment tu peux vivre avec ces gens-là, ce sont des sauvages ! " " Néanmoins, Marie-France Grangaud amorce un sourire : " Depuis quelques années, de nombreux pieds-noirs reviennent en Algérie sur les traces de leur passé. L'été dernier, l'un d'eux, que je connaissais, m'a dit en repartant : "Si j'avais su, je serais peut-être resté." "
Aurel Dessinateur. Pierre Daum Journaliste.
www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870

(1) L'origine de l'expression " pieds-noirs " continue d'être l'objet de nombreuses hypothèses. Apparu très tardivement - quasiment au moment du rapatriement des Français d'Algérie -, ce mot désigne les Européens (y compris les juifs naturalisés par le décret Crémieux en 1870) nés en Algérie avant 1962. Par extension, certains l'utilisent en parlant des Français nés en Tunisie et au Maroc avant l'indépendance de ces deux pays.
(2) Apparue en 1961, l'Organisation armée secrète (OAS) regroupait les partisans de l'Algérie française les plus extrémistes. Posant des bombes et assassinant en pleine rue des musulmans et des Français modérés, l'OAS a joui du soutien d'une majorité de pieds-noirs.
(3) Cf. Bruno Etienne, Les Problèmes juridiques des minorités européennes au Maghreb, Editions du CNRS, Paris, 1968, p. 236 et suivantes.
(4) On trouve un nouvel exemple de cette vision mythifiée de l'histoire dans le long documentaire de Gilles Perez, Les Pieds-Noirs. Histoire d'une blessure, diffusé sur France 3 en novembre 2006, et largement rediffusé par la suite.
(5) Plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers, d'entre eux ont été massacrés sans pitié au moment de l'indépendance. Lire à ce sujet le tout récent ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, L'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2008. Lire également " Le hurlement des torturés ", Le Monde diplomatique, août 1992.
(6) Parce qu'il occupe de hautes responsabilités au ministère de la culture, cet homme nous a demandé de masquer son identité.
(7) Sur la guerre d'Algérie, chaque chiffre fait l'objet d'importants débats. Pour avoir un ordre de grandeur, on peut cependant avancer, côté français : quinze mille soldats morts au combat (plus neuf mille par accident !), deux mille huit cents civils tués et deux mille deux cents disparus. Côté algérien : cent cinquante mille combattants tués par l'armée française (et plusieurs dizaines de milliers de victimes de purges internes), environ soixante mille civils morts, plus de treize mille civils disparus, entre quarante mille et cent vingt mille harkis tués, et un million de paysans déplacés. Cf. Guy Pervillé, " La guerre d'Algérie : combien de morts ? ", dans Mohammed Harbi et Benjamin Stora (sous la dir. de), La Guerre d'Algérie, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 477 et suivantes.
(8) Paris-Méditerranée, Paris, 1999.

Point de vue de Jean-Pierre Lledo sur le " reportage " de Pierre Daum

Un énigmatique et faux " reportage "

Chercher les raisons du départ des PN, chez les PN qui sont…… restés, apparait d'emblée comme une curieuse démarche ! Comme il nous dit qu'il n'en resterait que 300, et qu'on suppose qu'il n'a pu tous les consulter, c'est à partir d'une dizaine ou d'une vingtaine de témoignages que P.D s'autorise à un diagnostic définitif, sans nuance. Il est vrai qu'il se met sous l'autorité de 2 historiens, qualifiés l'un comme " un des meilleurs historiens de l'Algérie ", B. Stora, et l'autre comme " un des historiens algériens les plus reconnus de cette période "… mais qui a demandé à ne pas se faire….. connaitre.

P.D s'est-il aperçu qu'exclure des historiens qui même s'ils ne sont pas des " professeurs d'université ", même s'ils ne sont pas aussi " reconnus " ou " meilleurs ", n'en ont pas moins étudié le sujet, rendait suspect son " reportage " ?
S'est-il seulement aperçu qu'il se portait lui-même le coup de grâce, en ne désignant que par ses initiales un historien " reconnu " ? Si " un des historiens les plus reconnus ", ne peut se faire connaître afin d'assumer publiquement une appréciation qui pourtant ne bouscule en rien l'histoire officielle, bien qu'appartenant à la majorité d'origine arabo-musulmane, quoi en déduire pour les simples citoyens d'origine non-musulmane, dits " européens ", 300 nous dit-il, qui vivent au sein d'une population de plus de 30 millions de musulmans, dans un pays où la Constitution, le Président de la République, et la Nationalité ont une assise religieuse ?

1 - Thèse et Argumentation de P.D

Il s'appuie sur les propos de B. Stora : " Depuis qu'ils sont rentrés en France (sic !), les rapatriés (resic) ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu'ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu'ils avaient tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité. "
L'historien n'en est pas moins catégorique : l'OAS a " commis des exactions " contre les Algériens musulmans et poursuit-il " les Européens, dont un grand nombre de PN ont plébiscité l'OAS, ont eu très peur des représailles… Une peur d'autant plus ravageuse qu' " une grande majorité d'Algériens n'a pas manifesté d'esprit de vengeance mais un grand étonnement au moment du départ des Européens "…

Mais la peur, même si elle est irrationnelle, peut du moins avoir eu quelques fondements objectifs. Aussi, P.D s'empresse-t-il de parer à l'objection : le départ des PN, n'est pas imputable à une fin de guerre, ni même à un après-guerre difficiles. Cette fois, c'est l'historien algérien, celui qui a demandé l'anonymat, qui nous l'assure : " il ne s'est plus tiré un seul coup de feu après le mois d'Août 62 ! "

Alors diantre, s'il est difficile d'imaginer 800 000 personnes cédant à un délire collectif de persécution, abandonnant tout en quelques mois, semaines, jours, heures des fois, de quoi s'est-il agi ? Le diagnostic pouvant paraître délicat, voir même quelque peu délictueux, P.D s'est une nouvelle fois courageusement placé sous le contrôle d'une autre autorité scientifique, la " chercheuse " Hélène Branco cette fois.
" Ces gens, dit-elle, avaient l'habitude de commander et de mépriser ". Tel une sorte d'Organisme Génétiquement Modifié par le racisme, l'homoPied-Noirus était donc, insiste-t-elle, " incapable de toute réversion mentale " !!!

Que Branco et Daum fraient avec des visions que je n'ose même pas qualifier, n'est en fait que l'affaire du Monde Diplo. Mais que la Ligue des Droits de l'Homme fournisse aujourd'hui une tribune à une telle idéologie, voilà qui en devient inquiétant.
Assuré d'une caution scientifique, on l'a vu exemplaire, P.D va pouvoir à présent appeler à la barre les témoins, mais jamais pour s'enquérir auprès d'eux si l'insécurité aurait eu quelque fondement objectif. Cette question, somme toute mineure, il préfère la botter tout simplement dans la touche de 2 encadrés.

2 - Deux encadrés " informatifs ".

Là sont relégués les chiffres, comme s'ils n'avaient rien à voir avec les raisons du départ. " Trois événements traumatisants " est le 1er encadré. Sont appelés ainsi :

" - la manifestation à Alger du 26 Mars 62 où périssent plus d'une soixantaine de civils Européens désarmés, de sexes et âges divers (et non "46"). Mais après avoir dit qu'un coup de feu est tiré les soldats, insinuant que ce qui suit n'est que légitime défense, P.D s'empresse de préciser que c'est l'armée française qui tire. " Soulignons, dit-il, que les Algériens n'y furent pour rien, et que les manifestants étaient tous sympathisants OAS ".
Pourquoi ce " soulignons " ? ! Sinon pour justifier ou amoindrir le fait qu'on ait tiré sur des civils et des enfants ? Selon cette logique, faudrait-il donc aussi accepter que l'armée française ait tiré sur d'autres manifestants de Déc 60, des femmes et des enfants également, dans différentes villes d'Algérie, sous prétexte qu'ils seraient des sympathisants FLN ? Drôle de logique pour un invité de la LDH !
" - Les massacres de non-musulmans à Oran le 5 juillet 62, qui ont fait au moins 300 morts en quelques heures, événement sous le choc duquel sont toujours les Oranais, est, pour P.D, le second événement traumatisant.
" Un coup de feu, récidive-t-il, est tiré sur la foule qui fête l'indépendance. Pendant 5h, une chasse à l'Européen est organisée par des éléments incontrôlés de l'ALN. ". Comment P.D sait-il que ce sont des " éléments incontrôlés de l'ALN " ?! Et si c'était le cas, comment auraient-ils pu " s'organiser " comme il l'écrit ? Une organisation n'induit-elle pas une tête, des ordonnateurs, des relais, et des exécutants ? Un événement qui se produit simultanément dans plusieurs endroits, peut-il être anarchique, " incontrôlé " ?

Et si P.D n'avait pas négligé, bizarrement, le seul historien qui ait précisément écrit sur cet événement, Jean Monneret, il aurait pu lire à la page 274, de son premier livre " La phase finale de la guerre d'Algérie " le récit du lieutenant musulman de l'armée française Khellif fait à France Culture, obligeant (avec sa 4ème Compagnie du30e BPC) le nouveau Préfet, sur les escaliers de la Préfecture, à intervenir au près du chef FLN pour faire libérer " la colonne par trois ou quatre de femmes, d'enfants, de vieillards pieds-noirs, des centaines qui étaient gardés par la valeur d'une section du FLN et qu'on s'apprêtait à embarquer pour une destination inconnue " .

Enfin la moindre des malhonnêtetés du journaliste n'est-elle pas, lorsque pour minimiser la portée de cet événement, il rapporte le nombre de victimes à celui de la population totale d'Oran (400 000 ha) ! Alors que s'agissant d'une chasse au faciès, elle ne concernait que la population qui restait encore à Oran, soit tout au plus 50 000 Européens, et il est vrai aussi quelques musulmans qui avaient le " look espagnol ", comme dirait Tchi Tchi, mon personnage…

- Enfin 3ème et dernier " événement traumatisant ":
les Européens sont victimes d'enlèvements. 3700, durant le printemps 62, et sur l'ensemble du territoire, nous dit P.D. Quand, selon un témoignage au débat avec Harbi autour de mon film, un spectateur tint a témoigner que, Relizane, sa ville, se vida de ses habitants européens, après l'enlèvement de 6 personnes durant le mois de Mai, on peut imaginer l'effet que put avoir l'enlèvement de 3700 personnes sur l'ensemble du territoire algérien! Car l'exode concerna bien toute l'Algérie, et non pas les seules villes où se manifesta l'OAS ! D'ailleurs quand il affirme que ces enlèvements " plus ou moins ciblés " n'étaient qu'une " réponse aux assassinats aveugles perpétrés par l'OAS ", P.D ne remarque même pas qu'il se contredit, puisqu'une ligne après, il signale que " de 1954 à 1961, (il y en eut) quelques centaines ", c.a.d à une époque où l'OAS n'existe pas.

Les violences dont la population non-musulmane fut la cible se résumeraient-ils à ces seuls " 3 événements traumatisants " de fin de guerre ? P.D ne va pas jusque-là. On ne le prendra pas si facilement en défaut de déontologie. Le terrorisme contre les civils non-musulmans commis depuis le 1er Nov 54, et les massacres d'Août 55 ? Il en parle…… dans une note de 3 petites lignes, écrite en caractères minuscules, au bas d'un " reportage " qui occupe 2 pages centrales de l'Hebdo !
Et alors que compte tenu du parti pris annoncé d'emblée - démentir l'explication de l'exode par l'insécurité - on se serait attendu à ce que la question du terrorisme contre les civils soit examinée avec soin, P.D se débarrasse de l'objection essentielle en 3 petites lignes en caractères minuscules d'une note de fin de page !!!

Et pourquoi pas l'inverse ? !

Le " reportage " en petites notes, au bas des pages, et dans le corps même du texte, des chiffres pour illustrer chacune des étapes de la démonstration ? Par exemple :

- L'ALN s'en prend exclusivement à l'armée française et " partiellement " (selon notre meilleur historien) aux civils non-musulmans. La preuve : 5000 civils furent tués contre 10 000 soldats français tués au combat, soit faut-il le souligner, 2 fois moins.
- L'ALN sait faire la différence entre la population indigène, nos frères, complices et dociles Juifs, ayant acceptés le statut de dhimmis " (2 Ndlr ), depuis l'arrivée des Musulmans, et ces populations nouvellement arrivées, plein de morgue, dont la dénomination trahit mieux qu'une longue démonstration la richissime et scandaleuse origine de privilégiés : Pieds-Noirs ! La preuve par le dernier tome " Juifs d'Algérie, les trois exils ", des œuvres incomplètes de notre historien de référence, page 139 :
" Dans les premiers mois de l'année 56, les agressions se multiplient, le samedi de préférence : contre le rabbin de Batna, en mai 56 ; contre les cafés juifs de Constantine, et en Juin 56, contre la synagogue d'Orléansville qui est incendiée. En Novembre de la même année, une bombe placée dans la maison d'Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, le tue ainsi que plusieurs membres de sa famille. ".
Ces preuves d'amour des premiers mois de l'année 56 sont suffisamment éloquentes pour que nous n'en rajoutions pas.

- Malgré les sentiments inamicaux, et c'est peu dire, de la population coloniale vis-à-vis des colonisés, l'ALN choisit ses cibles essentielles parmi les très très très riches colons. La preuve: contrairement aux exagérations médisantes il y eut moins de 90 instituteurs assassinés durant toute la guerre, enseignant la plupart dans des quartiers pauvres et régions rurales isolées à dominante musulmane.
- Malgré donc l'agressivité des populations colonisatrices judéo-chrétiennes durant 132 ans, et le million et demi de martyrs musulmans, il suffit que soit enfin conquis le droit légitime à disposer de soi, pour que plus " un seul coup de feu ne soit tiré à partir du mois d'Août " (dixit l'historien des Nouvelles Annales de l'Histoire algérienne dont, pour ne pas écorcher la modestie, nous respecterons la volonté de ne paraitre que sous des initiales). L'événement traumatisant d'Oran confirme totalement nos propos, puisque, faut-il le rappeler, Juillet vient avant Août.
- Malgré un exode certes massif dû à l'affolement amplement justifié des centaines de milliers de petits-blancs qui ayant des tonnes de choses à se reprocher, furent bien heureux de n'être autorisés à prendre que 2 valises, on peut être étonné de la magnanimité des nouvelles autorités qui firent tout pour que le quart de Pieds Noirs ayant décidé de rester se soient pas obligés de se convertir à la nouvelle citoyenneté. La preuve: le nouveau Code de la Nationalité précisait bien que seuls les musulmans étaient concernés.
- Et les 30 000 Pieds Noirs toujours là, encore une année après, sont la preuve vivante, faut-il insister, qu'ils ne furent nullement concernés par les quelques dizaines d'enlèvements de l'année 62-63 qui ne concernèrent que les autres 170 000 Pieds-Noirs, toujours alourdis par les tonnes de choses à se reprocher dont leurs 800 000 congénères partis dans la précipitation et limités par la contrainte des 2 valises, furent bien heureux de se délester. Mais on est toujours rattrapés par l'Histoire !

Trêve de plaisanterie et revenons à la réalité………… du 2ème encadré : " Combien sont-ils ? ".

Alors qu'en exergue, nous avions appris, en très grosses lettres, que : " 200 000 PN avaient décidé de demeurer dans le nouvel Etat ", le lecteur doit là aussi sortir du corps du reportage, pour apprendre dans cet encadré, qu'il n'en resterait aujourd'hui plus que………… 300 !

Pour quelles raisons sont quand même partis " 200 000 personnes qui avaient décidé de rester ", qui n'avaient pas " plébiscité l'OAS ", et qui de surcroît faisant montre d'une étonnante psycho-flexibilité, avaient même réussi leur " réversion mentale " ? La spécialité du journaliste primé, étant apparemment d'esquiver les objections majeures, on ne le saura jamais. Ou presque. Car l'objection de l'insécurité est à nouveau pulvérisée. Même les intégristes islamistes, durant " la décennie noire ", n'ont pas touché un seul cheveu des P.N. " Aucun Européen n'a été tué ", a-t-il le front d'affirmer !

Pourquoi ce nouveau mensonge, alors que tout Alger a pleuré celui qui fut un de ses meilleurs libraires, Vincent, chrétien d'origine espagnole, parlant parfaitement arabe, assassiné en plein centre ville, Rue Didouche Mourad, ex-Michelet ?
Puis quelques jours après, dans la même rue, quasiment en face, l'oculiste juif tunisien d'en face, Raymond Louzoum, bien connu car ayant joué dans presque tous les films algériens, et à qui on ne voulut jamais accorder la nationalité algérienne, alors qu'il avait opté pour l'Algérie juste après l'indépendance !
Puis quelques mois après, le Juif algérien de la grande famille des BelaIch d'El Biar, assassiné au Square Port Saïd, ex Bresson… Puis la Pied-Noire qui travaillait au Consulat français d'Alger pour payer des soins à son enfant. Tous assassinés à Alger. Comment, Père Denis Gonzales, lui aurait caché l'assassinat à Oran de l'Evêque pied-noir Pierre Claverie, victime d'une bombe qui explose chez lui dès son retour de voyage ?
Ceci seulement, pour les gens connus… Car, il y eut aussi des anonymes assassinés sans publicité, comme je viens de l'apprendre récemment par quelqu'un qui fut son élève et que l'article de P.D a révolté : Lucien Marelle professeur de mathématiques à l'Ecole Normale d'Oran, assassiné en 1995 à plus de 80 ans, dans sa maison, à Aïn El Turk près d'Oran.

Avec un tel mensonge, P.D qu'a-t-il cherché ? Sinon à invalider une nouvelle fois l'argument d'insécurité pour les P-N, aujourd'hui comme hier durant cette nouvelle et terrible guerre qui a déjà fait plus de 200 000 morts (selon le Président Bouteflika).
Quoi qu'il en soit, si sur des événements encore proches, ce " journaliste " s'autorise de tels écarts avec la vérité, on peut imaginer ce qu'il croit pouvoir se permettre pour des périodes plus éloignées… ?

3 - Les Témoins.

Familiarisés avec les pratiques déontologiques du journaliste, peut-on imaginer que les témoins soient autre chose qu'un tremplin vers la fameuse thèse de P.D - Stora - Branco : Tout allait très bien. Juste un homopiednoirus psycho-rigide, raciste, atavique comme il respire… ?
Invités à se confier sans le filet des initiales, quelle autre alternative avaient-ils d'ailleurs : abonder dans le sens souhaité ou se taire ?
Familier du contexte historique, des lieux évoqués, et même d'une partie des témoins, je n'ai il est vrai pas eu à faire beaucoup d'efforts pour exercer mon sens critique.

Premiers témoins à la barre : le couple Serra.
Il confirme la 1ère partie de la thèse. La pagaille, c'est l'OAS : " La valise ou le cercueil, c'est pas vrai ! ". Que ce slogan fût celui non de l'OAS, mais du 1er parti nationaliste algérien, le PPA, dès les années 40, ni Serra, ni P.D ne doivent le savoir. Et les conseillers en histoire n'ont pas informé ce dernier.

Le second témoin, Vialin plante le décor :
" On s'imagine mal à quel point le racisme régnait en Algérie… Les Européens habitaient en dur, et les Musulmans pataugeaient dans les gourbis. " Bref, " ce n'était pas l'Afrique du Sud mais presque…". P.D aurait-il déjà oublié que dans les mêmes années, à deux pas de l'Arc de Triomphe, c'était pareil… pour les Musulmans du bidonville de Nanterre ?
Et comment surtout explique-t-il que dans le pays de l'apartheid absolu, les racistes aient été capables de " réversion mentale ", alors que là où c'était " presque ", ils ne le furent pas ? Pour être logique avec lui-même, P.D n'aurait-il pas dû écrire que l'Algérie c'était encore " pire " que l'apartheid et non pas " presque "!

Pire apartheid donc oblige, n'importe quel PN peut se trimballer son p'tit colt et quand ça lui chante, abattre son sale Arabe. " L'image (du meurtre) s'est gravée dans les yeux du jeune garçon " nous dit P.D. " Dans les yeux " ou " dans la mémoire…collective " ? Car Vialin ne donnant de la scène aucun détail qui puisse nous convaincre qu'il en a bien été un témoin oculaire, comment ne pas penser au fameux verre d'eau qu'un colon aurait refusé à un soldat, fait divers sans doute vrai une fois, mais que beaucoup de soldats ont par la suite repris à leur compte…
Qu'importe, l'essentiel, c'est que ceux qui, comme ses parents, " désiraient la vraie égalité " sont restés en Algérie. Et que " finalement il se sente algérien, avant tout ". P.D ne nous dira naturellement pas pourquoi les 199 700 PN qui depuis sont aussi partis, n'ont pu " finalement " se sentir algérien… A moins qu'eux aussi n'aient été rattrapés " finalement " par le racisme congénital de l'homopiednoirus…

Le 3ème, André Bouahana, lui, " a grandi en Ville Nouvelle " un quartier musulman d'Oran, et parlait l'arabe. Ce témoin aurait-il pris P.D en défaut ? Non, rappelez-vous, " ce n'était pas l'apartheid, mais presque "… Cet enfant du peuple - oui ça existe et P.D a dû quand même être drôlement secoué d'en rencontrer - marque sa différence de classe et il a raison : " Ce n'est pas comme ces Européens qui habitaient le centre-ville…. Donc a l'indépendance, pourquoi j'aurais eu peur ? ". P.D, ne nous dit pas si tous ceux qui sont partis habitaient " le centre ville "…
Il ne nous dit pas non plus si ce témoin est resté en Ville Nouvelle jusqu'à la fin. Ce qui serait étonnant. Car les Européens même favorables à l'indépendance durent quitter les quartiers à dominante musulmane, sur l'incitation même de leurs amis. Il faut savoir par ex, que les voitures piégées qui explosent dans ce quartier, en Février 62 je crois, si elles ont bien été revendiquées par l'OAS, n'ont pu y être acheminées que par des Arabes, ce quartier étant interdit à tout Européen. Pour échapper à un " tueur isolé " ou au lynchage assuré, comment Bouhana aurait-il pu se déplacer autrement qu'encadré dans le moindre des déplacements par une escouade de musulmans armés ? Ignorant sans doute que Ville Nouvelle fut le QG de l'Etat major FLN-ALN, après les Accords d'Evian, ce genre de question ne vient même pas à l'esprit de P.D. Par contre, n'ignorant pas la réalité des massacres d'Européens, le 5 Juillet 62, pourquoi, se trouvant en face d'un témoin privilégié, le journaliste a-t-il refoulé sa curiosité ? A moins que, l'ayant au contraire satisfaite, il n'ait estimé qu'elle illustrait mal sa thèse de départ…

Car, pour vous donner un exemple entre dix de ce qui se passa dans ce quartier, voici les propos qu'un ami m'a fait il y a quelques mois. Compte tenu de ses fonctions, je ne peux en donner le nom, même pas les initiales, ce que P.D, comprendra aisément. Son récit autobiographique, celui d'un jeune qui grandit en Ville Nouvelle, venant d'être publié en Algérie, et s'achevant précisément le Jour de l'Indépendance, fait silence sur les massacres du 5 Juillet 62. Comme je lui en demande la raison, il m'avoue n'avoir pu parler des 2 terribles scènes de lynchage dont il fut le témoin ce jour-là. Puis après un silence, il me raconte un autre fait, plus facile à dire, mais me prévient-il, révoltant…
Ce jour-là donc, le 5 Juillet 62, en Ville Nouvelle, il se trouve sur une terrasse où des jeunes démontent, nettoient, huilent et remontent des armes. Un jeune arrive et prend une arme de poing. On lui dit qu'elle est rouillée. Il la démonte, l'huile, le remonte et sort. Notre témoin, de la terrasse, le voit alors se diriger vers un Européen et le tuer à bout portant. Quelques minutes après, il revient et peut fièrement déclarer : " Voilà, vous avez vu, elle n'était pas rouillée. ".

Félix Collosi.
Il se trouve que je le connais. Et si Daum a fait avec les autres ce qu'il fait avec lui, on aura idée de sa pratique du journalisme ! Dans un petit paragraphe de 5 lignes, il y n'y a pas moins qu' 1 mensonge et 2 silences.
F.C n'a jamais été dans les maquis mais dans les groupes armés communistes de la ville d'Alger, avec Iveton. Dans les maquis du FLN, de nombreux communistes furent assassinés, dont Georges Raffini, rédacteur à Alger Républicain qui se battit en Espagne contre Franco, aux côtés des Républicains.
F.C, a bien été en prison, mais même dans ce lieu propice à la fraternité, certains nationalistes prenaient plaisir, au moment des prières et notamment durant la période du ramadhan, à lui faire sentir ses handicaps d'Européen d'origine catholique et pire, non-croyant…
F.C a bien été ingénieur d'Etat dans les entreprises " nationales ", mais à son retour d'études faites à l'étranger, et en représailles à son opposition au coup d'Etat de 1965, au sein de l'UNEA, on lui retira la nationalité algérienne. Et depuis, malgré ses multiples demandes, elle ne lui a jamais été restituée.
F.C. s'est-il auto-censuré ? Ou est-ce Daum qui l'a censuré ?

Père Denis Gonzales.
Daum l'ayant crédité d'une " toujours très vive intelligence ", on s'étonne qu'il ne lui ait accordé que 4 lignes, exactement 4 lignes ! Et qu'il ait manqué l'occasion de l'interroger sur une actualité qui fait la Une des journaux algériens et français la situation des Chrétiens en Algérie : du meurtre de Père Jacquier poignardé en plein jour dans une rue centrale d'Alger en 1976, aux 19 Mères et Pères chrétiens assassinés par le GIA, jusqu'au harcèlement que subissent aujourd'hui les Chrétiens, essentiellement d'origine berbéro-arabe. Le dernier en date étant cette jeune femme de Tiaret, Habiba K. contre laquelle le procureur vient de requérir la peine de trois ans de prison ferme pour avoir pratiqué " sans autorisation … un culte non musulman " !
Que le Père D.G ne puisse en parler publiquement, qui ne le comprendrait ? Par contre, et alors même que pour la 1ère fois des centaines d'intellectuels algériens ont dénoncé par pétition cet état de fait, le silence du journaliste est plus que coupable. Scandaleux !
Il est vrai, qu'en parler aurait mis à mal la thèse de son article… Et quand ne pouvant certes passer sous silence l'assassinat des 7 moines de Tibhérine (toujours en bas de page, dans une note en caractères minuscules comme vous l'avez déjà deviné), P.D. s'empresse aussitôt de préciser qu'il n'y eut aucun PN assassiné, que veut-il prouver ? Que les chrétiens PN, auraient eux bénéficié d'un traitement de faveur ? ! P.D est-il à ce point mal informé, ou plutôt a-t-il eu pour mission de désinformer ?

Prosper Chetrit.
Avec lui, au moins, on sait que la situation par rapport aux Juifs, s'est détériorée à Oran moins de 10 ans après l'indépendance, lorsqu'on a transformé la synagogue en mosquée.
Mais pourquoi P.D s'est-il arrêté en plein élan en se gardant de fouiller cette piste de la " détérioration " à l'endroit des Juifs ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la disparition de toutes les synagogues d'Algérie (celle de Constantine ayant été elle complètement rasée, et transformée en … parking) ?
Pourtant, pour parler des Juifs, P.D. n'avait que l'embarras du choix : 2 mois avant la sortie de son papier, en Février 2008, dans un quotidien arabophone Ech Chourouq, la Ministre de la Culture n'annonçait-elle pas une collaboration avec l'Espagne pour … déjudaïser la musique andalouse… ?
Justement, pourquoi n'a-t-il pas cru utile de rappeler, même avec une note en bas de page, que l'assassinat en Juin 61 du chanteur constantinois Raymond Leyris précipita le départ de milliers de Juifs de toutes les autres villes d'Algérie ? Et si notre " meilleur historien ", constantinois de surcroit, mais très discret sur l'exode de sa famille, ne pouvait lui dire que le FLN signa cet attentat, pourquoi n'a-t-il pas cité tout simplement cet avocat algérois connu, à qui en Oct 2005 le Quotidien d'Oran offrit 2 pages entières pour justifier cet assassinat, sans recevoir, depuis, le moindre démenti du FLN historique ou du FLN actuel ?
Si P.D s'intéresse tellement aux P-N et aux Juifs engagés dans la lutte pour l'indépendance, pourquoi n'a-t-il pas évoqué ce que l'on fit de la mémoire de Ghenassia, ce communiste juif, infirmier dans l'ALN, sous les ordres du Cdt Azzedine, qui préféra mourir plutôt qu'abandonner ses blessés ? S'il l'avait voulu, P.D. n'aurait-il pu facilement apprendre que la " Rue Ghenassia ", ainsi baptisée à Ténès, fut, quelques années seulement après l'indépendance, débaptisée en… " Rue de la Palestine " ? ! !

Mais on l'aura compris, le journaliste veille à être en phase avec sa démonstration plutôt qu'avec la réalité, avec les déclarations d'intention plutôt qu'avec leur mise en pratique.
" La plupart des PN de France semblent avoir complètement oublié que durant la guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s'adresser afin de les rassurer ", écrit-il. Et de citer preuve à l'appui l'Appel du GPRA du 17 Fev 1960 " Aux Européens d'Algérie " :
" L'Algérie est le patrimoine de tous… Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s'ils se refusent a reconnaître en vous des supercitoyens, par contre ils sont prêts à vous considérer comme d'authentiques Algériens. L'Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n'est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. ".
Qui aurait résisté à une telle prose ? Et on comprend que son témoin suivant, JP Grangaud, à l'époque, ait bu ces mots comme du petit lait, " avec délectation " comme il le dit.

Mais si ce témoin l'ignore, pourquoi P.D. n'a-t-il pas cité cette archive, que l'historien algérien Mohamed Harbi, bizarrement absent de son article, a révélé depuis plus de 20 ans, et où l'un des grands chefs du FLN-GPRA, Ben Tobbal harcelé par des militants furieux contre ce texte, les rassure à 3 reprises en leur répétant :
" c'est purement tactique !". Ajoutant même la 3ème fois pour les radoucir : " Il n'est pas question qu'après l'indépendance, il y ait des Juifs et des Européens, dans le gouvernement ". Ces propos n'ont pas été des propos isolés. Ils ont été confirmés longtemps après l'indépendance :
" Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. ", Réda Malek (négociateur des " Accords d'Evian " - Le Seuil, 1990)
" En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d'Européens, nous avions prévenu le danger d'une Algérie bicéphale ", Ben Khedda, qui fut Président du GPRA (" La fin de la guerre d'Algérie ", Casbah Ed. 1998)

Et effectivement le FLN qui dirigea le pays comme parti unique jusqu'en 1989, tint parole : il n'y eut jamais aucun non-musulman au gouvernement. Les éminents Professeurs de Médecine Jean-Paul Grangaud ou Pierre Chaulet ne furent jamais ministres. Pourtant ce dernier, collaborateur du Service information du GPRA à Tunis, fut membre de la direction du FLN pendant près de 30 ans.
JP Grangaud est certes depuis quelques années " conseiller du ministre ". Mais P.D se garde bien de dire que cette nomination est advenue pour l'extraire de l'hôpital d'Aïn Taya où les intégristes le menaçaient de mort. Sans doute, parce que ça contredit sa thèse que les PN auraient été épargnés par le terrorisme islamiste.
Comment d'ailleurs, P.D, après avoir cité l'Appel du GPRA : " L'Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n'est pas une fiction. ", peut-il qualifier de simple " déception ", un Code de la Nationalité adopté en 1963 qui en est la négation totale, puisque pour être " Algérien " automatiquement, il faut être musulman ? !!!

Comment, loin de s'en offusquer, cherche-t-il encore à en minimiser la conséquence (" c'était après le grand départ des P-N ") ? !!! Ce Code ne fut-il pas à l'origine du départ de la quasi-totalité des P-N qui s'étant engagés dans la lutte pour l'indépendance et avaient passé de nombreuses années en prison, en subirent violemment l'humiliation quand ce ne fut pas la double humiliation de se la voir refuser après l'avoir demandé ? ! Du départ aussi de ces milliers de petits entrepreneurs ou petits exploitants de moins de 10 ha, qui devenaient donc subitement des " étrangers ", et dont on pouvait donc s'emparer des biens, dits par la loi " biens vacants ", et ce faut-il le préciser en violation des Accords d'Evian signés 7 mois plus tôt ? Ne fut-il pas surtout un message clair aux centaines de milliers d'Européens partis dans la panique : " ne revenez pas ! " ?

Il va de soi, pareilles vétilles ne sauraient dévier P.D de la course vers sa découverte épistémologique décisive, rappelons-le : le racisme congénital de l'homopiednoirus. Mais avant d'en arriver là, il lui faut encore écarter la dernière objection possible : l'insécurité post-indépendance. Ce dont il s'acquitte grâce notamment à " l'un des historiens les plus reconnus ", celui qui derrière le masque de ses initiales affirme : " Dès Août 1962, plus un seul coup de feu n'a été tiré en Algérie ".

Quand l'on sait que c'est précisément durant ce mois d'Août que l'armée dite des frontières fit sa première grosse bataille… en écrasant les maquisards de la willaya 4, au prix d'un millier de morts au moins, dit-on, j'aimerais croire que P.D a tout simplement mal compris ou mal retranscrit. Car " des coups de feu ", il y en eut encore, quelques mois plus tard avec le maquis kabyle d'Aït Ahmed, réduit de la même manière. Ce dernier épisode concerna au moins un Juif : Hadjadj, le boulanger d'Azzefoun. Devenu Maire après l'indépendance, après avoir ravitaillé en pain l'ALN, durant toute la guerre, il continua à faire pareil avec les résistants du FFS d'Aït Ahmed. Ce qui lui valut la prison. Libéré, il quitta l'Algérie. Comme son frère communiste, Georges, qui en 1957, dans les mains des paras, fut le compagnon d'infortune de Maurice Audin.

Les propos de Mme Grangaud, sont par contre plus réalistes " Nous n'avons jamais senti le moindre esprit de revanche alors que presque chaque famille avait été touchée… ". La propagande nationaliste a en effet tellement identifié la population non-musulmane, appelée jusqu'à aujourd'hui " population coloniale ", au système colonial lui-même avec ses forces de répression, que l'on peut comprendre son étonnement. Or, le fait est là, hier comme aujourd'hui, la grande majorité de la population n'a pas suivi cette propagande et tous les PN qui reviennent en Algérie, de plus en plus nombreux, sont magnifiquement accueillis.
Vétille encore, P.D, pressé de nous épater, mijote son meilleur coup pour la fin qui approche… Sauf que comme dans les mauvais policiers, le lecteur a tout compris depuis le début.

4 - Suspense

La devinette de P.D est donc la suivante. Suivez bien.
Si les P.N et les Juifs, n'ont été sérieusement menacés ni avant l'indépendance ni après, ni pour leurs biens, ni pour leurs personnes. Si donc, les 800 000 personnes qui sont parties n'ont fait que céder à une grosse peur, de quelle nature était cette peur ?
Il n'y a plus que 2 concurrents-témoins en lice.

Mme Grangaud, qui évoque " le sentiment de supériorité " de son propre milieu familial, dont elle a eu, nous dit-elle, du mal à se défaire ?
Et la chercheuse Hélène Bracco, qui en récoltant une soixantaine de témoignages de P-N demeurés, est arrivée à diagnostiquer pour l'ensemble des 800 000 partis un symptôme de psycho-rigidité irréversible et ce tient à nous le préciser P.D, après " avoir entre 92 et 93, parcouru l'Algérie à la recherche de pieds-noirs… encore vivants ".
" Des témoignages de Pieds Noirs encore vivants ", vous avez bien lu. Ce nouveau lapsus résume somme toute assez bien la philosophie du journaliste : un bon PN, est un PN mort, ou en passe de l'être. Ce qu'avec son dessin principal d'illustration - une vieille dame tout rabougrie - le dessinateur Aurel a parfaitement pigé. Les deux ont bien retenu la leçon du Maître :
" Abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé " écrivait en 1960, l'existentialiste Jean-Paul Sartre (préface aux " Damnés de la terre" de Frantz Fanon. 1960.)

La Voix du Maître empêche toujours certains d'entendre le bon sens de l'anthropologue française et ancienne déportée des camps nazis, Germaine Tillon (sort auquel, on le sait, échappa le Maître ):
" Que le colonialisme soit essentiellement un type de relation anormale, viciée, oppressive …. de tout cela j'en suis convaincue depuis longtemps… Mais c'est la relation qu'il faut redresser et non pas le cou des gens qu'il faut tordre… " (" A propos du vrai et du juste " Seuil).
Ou le bon sens de Camus (qui fut aussi un résistant anti-nazi, qualité qui, on le sait aussi, manqua au Maître) :
" Une grande, une éclatante réparation doit être faite, selon moi, au peuple arabe. Mais par la France tout entière et non avec le sang des Français d'Algérie " (" La bonne conscience ", l'Express, 21 Oct 55).

Mais revenons à nos deux concurrentes. Qui remportera le gros lot ? Tic-tac de l'horloge pied-noire… Les derniers…
Mme Grangaud est facilement disqualifiée, car pour expliquer l'exode, " le sentiment de supériorité d'une fille de la bourgeoisie algéroise ", ne peut pas être un argument solide.
P.D ne s'est pas aperçu de la contradiction, mais quelques instants plus tôt, André Bouhana, l'enfant du peuple, qui " habitait avec les Musulmans, avait des copains arabes et parlait avec eux l'espagnol et l'arabe ", nous avait déjà expliqué qu'il était l'opposé de ceux " du Centre-ville ". Et comme nous savons que l'écrasante majorité des P-N et des Juifs n'habitaient pas les beaux quartiers
La Palme d'Or revient donc à la " chercheuse ". Triomphe sans gloire, car le journaliste pour arriver à ses tristes fins utilise deux procédés assez méprisables.
Il écarte soigneusement tous ceux qui, chercheurs ou pas, professeur des universités ou pas, ont honnêtement fait leur travail. Et pour ne citer que deux d'entre eux, Jeannine Verdès-Leroux, " Les Français d'Algérie de 1830 à nos jours ". (Paris, Fayard, 2001), qui nous donne 17O entretiens de PN répartis sur tout le territoire français, et Jean-Jacques Viala " Pieds-Noirs en Algérie après l'Indépendance ". (Paris, L'harmattan, 2001) qui interroge une vingtaine d'agriculteurs, médecins et membres de quelques autres professions, qui avaient choisi de vivre dans l'Algérie indépendante et durent partir progressivement, sous la pression des lois foncières de 1963 (nationalisation), ou suite à des brimades aussi violentes que diverses.

Et d'autre part, dans un pays où un Ministre peut sans la moindre sanction, se permettre publiquement des propos anti-sémites, où les Chrétiens, même ceux qui appartiennent à la majorité ethnique berbéro-arabe, sont quotidiennement harcelés, le journaliste jette dans l'arène des témoins dont certains sont quasi mutiques. Ces témoins d'origine juive et chrétienne, n'étant " même pas une minorité, à peine quelques particules ", comme le dit le peintre algérien Martinez dans un de mes films, peuvent-ils dire ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils pensent, et non pas seulement ce qu'ils peuvent dire ?
Lorsque l'on n'est qu'un " dhimmi " la parole publique peut-elle échapper au Syndrôme de Stockolm ?
De quelle validité même peut se prévaloir une enquête qui ne se pose même pas ce genre de questions ?

A contrario, ce qui ne peut être qualifié que de faux reportage comment n'appellerait-il pas une autre série de questions ?

Pourquoi subitement, Pierre Daum et le Monde Diplomatique s'intéressent-ils tant à l'exode des Pieds-Noirs ?
Qu'est ce qui dans l'actualité aurait bien pu le provoquer ?
Pourquoi subitement éprouvent-ils le besoin de voler au secours de l'Etat algérien en reprenant l'argumentaire d'une histoire officielle de façon si grossière que l'exercice ressemblerait presque, comme dirait l'autre, à une commande… diplomatique ?

Entre un film interdit en Algérie (3 Ndlr) depuis le mois de Juin 2007 pour avoir laissé des Algériens d'origine berbéro-musulmane répondre précisément à la question du débat organisé ce 26 Mai 2008 à Paris * : " de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? ", et ce faux reportage, quel lien ?

L'étrange silence du journaliste à l'endroit d'un film qu'il réclama pourtant avec insistance en Novembre dernier, et visionna 3 mois avant la sortie française, n'est-il pas une stricte invitation à n'en voir naturellement aucun, car comme on l'écrit en tête de générique des films : toute relation avec des événements récents et réels……

Et dans ce silence n'y a-t-il pas en définitive toutes les réponses aux questions précédentes ?

* La Ligue des droits de l'Homme, la section de Paris des Amis du Monde diplomatique et l'association Coup de soleil organisent le lundi 26 mai 2008, à l'Hôtel de Ville de Paris, une conférence-débat animée par Georges Morin, président de Coup de soleil, avec Pierre Daum, Jean-Pierre Lledo, Mohammed Harbi, Gilles Manceron et Benjamin Stora,sur le thème : " Algérie 1962 : de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? "

NDLR :
1. Dés 1963, en effet, la citoyenneté algérienne est fondée sur la filiation Religieuse ; Hedi Challabi a montré ce transport du statut musulman dans la définition de la citoyenneté/nationalité algérienne. Ce que n'envisageaient pas les Accords d'Evian.
Le vote du Code de la Nationalité, le 12 mars 1963, démontre que les Français demeurés en Algérie sont enfermés dans une impasse ethnique. Le Code définit deux catégories d'Algériens. Les Algériens à part entière sont ceux qui peuvent attester de deux ancêtres musulmans algériens. Ils transmettront naturellement à leurs enfants leur nationalité. Quant aux étrangers qui demandent à devenir algériens au titre des Accords d'Evian, ou au titre de l'aide à la Révolution algérienne, leurs enfants seront tenus de demander leur nationalité deux ans avant leur majorité ; ceux de leurs enfants qui se plieront à cette formalité n'obtiendront jamais de réponse.
Les lenteurs de l'administration et les réticences politiques, expliquent que les premières demandes n'aient abouti qu'en juillet I963.
16 Français seulement avaient reçu la nationalité algérienne au ler octobre 1963, dont 8 Français d'Algérie. Aussi les décrets d'octobre 1963 portant nationalisation des terres étrangères touchent-ils la quasi totalité des biens fonciers français en Algérie.
A peine plus de 500 Français ont acquis la nationalité algérienne au 3I juillet 1965, dont moins de 200 nés en Algérie. Sur le total, 60% sont des Françaises épouses d'Algériens. A cette date, on ne compte plus en Algérie qu'environ 90 000 Français. dont plus du tiers sont des coopérants, ou des employés des services consulaires et assimilés. Le nombre des Français d'Algérie peut-être estimée à 50 ou 60000 ".
Trente ans plus tard, ils ne sont plus que quelques milliers, compte non-tenu des Algériens binationaux résidant en Algérie.
René Gallissot " Les Accords d'Évian: en conjoncture et en longue durée " - Paru en 05/1997, Page 105

2. Un dhimmi (habituellement traduit en français par " allié " ou " protégé ") est, selon le droit musulman, un non-musulman ayant conclu, avec les musulmans, un traité de reddition (dhimma) déterminant ses droits et devoirs.
Le terme dhimmi s'applique essentiellement aux " gens du livre " (Ahl al-kitâb), qui, dans le champ de la gouvernance islamique, moyennant l'acquittement d'un impôt de capitation (jizya), d'un impôt foncier (kharâj), d'une certaine incapacité juridique et du respect de certaines règles édictées dans un "pacte " conclu avec les autorités, se voient accorder une liberté de culte restreinte, une dispense de certaines obligations que les musulmans sont tenus de faire (comme l'aumône obligatoire zakât ou servir dans l'armée) ainsi que la garantie de sécurité pour leur personne et pour leurs biens.
En échange, certaines contraintes sont imposées, comme l'interdiction de construire de nouveaux lieux de culte ou l'interdiction du prosélytisme. C'est donc un pacte social inégalitaire. L'ensemble de ces règles théoriques sera mis en œuvre de façon plus ou moins stricte ou brutale selon les périodes et les lieux.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dhimmi

3. " Algérie, histoires à ne pas dire " - Réalisé par Jean-Pierre Lledo - Sortie le 27 février 2008
Synopsis et détails :

En 1962, au moment de l'Indépendance, alors que les communautés minoritaires juives et européennes quittent l'Algérie, quatre personnes d'origine musulmanes, en quête de vérité sur leur propre vie, reviennent sur les sept dernières années de la guerre et de la colonisation française, de 1955 à 1962. Entre haines et fraternités, ils nous font (re)visiter les mythes fondateurs de l'Algérie nouvelle. Mais arriveront-ils au bout de leurs propres légendes ?
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=133459.html

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Mis en ligne le 07 janvier 2012

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