Les Relations entre la France et l'Algérie depuis les Accords d'Evian.
Par William ZARTMAN.

Professeur à l'Université de Caroline du Sud, William ZARTMAN est l'auteur de plusieurs études sur l'Afrique du Nord (The Sahara bridge or barrier Problems ot new power Government and politics in Africa North of the Sahara). Il a paru intéressant à la Revue française de science politique, de faire connaître à ses lecteurs, cet article d'un des universitaires américains qui connaissent le mieux les problèmes du Maghreb.

Les accords d'Evian, signés le 19 mars 1962 (le 18 mars ndlr) entre les représentants de la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne, ont mis fin à une guerre de sept ans et demi et établi des obligations mutuelles qui devaient régir les rapports entre les deux pays après l'indépendance (*). Ces obligations et ces rapports se situaient à deux niveaux 1. La coopération entre les deux communautés (musulmane et non musulmane) qui coexistaient en Algérie, imposait des obligations principalement à l'Algérie. La coopération entre les deux Etats mettait les engagements les plus importants à la charge de la France. A l'époque de la signature des accords, sur les onze millions d'habitants de l'Algérie, il y avait encore près d'un million de non musulmans. Mais à la fin de l'année le total des Européens était tombé à environ 150 000 ; deux ans plus tard il descendait au dessous de 100 000. L'équilibre par conséquent était détruit : la coopération entre communautés n'était plus possible à l'échelle envisagée ; seule subsistait la possibilité d'une coopération entre Etats.

Le paradoxe apparent que constitue le maintien des relations franco-algériennes malgré le déséquilibre qui les caractérise au cours de la période de trente mois postérieure à Evian, fournit un exemple utile pour l'analyse à la fois : 1e des relations diplomatiques entre une nation développée et une nation en voie de développement ; et 2e des décisions en matière de politique étrangère dans un pays sous-développé. Cet article examinera les éléments constitutifs des obligations de la France et de l'Algérie pendant la première année, puis leur interaction au cours de la période suivante. La seconde partie sera consacrée à une discussion plus théorique des atouts et des faiblesses des deux parties dans la perspective de négociations et la tactique qu'elles adoptent en conséquence, dans une tentative pour appliquer certaines des leçons de la stratégie des conflits à une situation concrète.

Suivant les termes des accords Evian la France promettait à l'Algérie le droit à l'indépendance et consentait à lui accorder son assistance technique et culturelle et son aide financière à retirer ses forces militaires et à assumer tout ou partie de la charge indemnisation des colons pour les terres et non pour les propriétés commerciales confisquées par l'Algérie dans le cadre une réforme agraire 2. D'autres déclarations établissaient les grandes lignes de la coopération bilatérale et les conditions de la passassion des pouvoirs. La séparation des Trésors français et algériens n'intervint pas avant le 12 novembre 1962 et les négociations au niveau ministériel ne commencèrent finalement qu'à la mi-janvier 1963 entre les ministres des Finances Valéry Giscard Estaing et M Ahmed Francis. Le point de départ des négociations financières était l'obligation pour la France de maintenir pendant trois ans l'aide au niveau antérieur à l'indépendance 3. Une ordonnance de 1959 avait établi cette aide à 1 milliard de nouveaux francs par an mais dans les dernières années avant l'indépendance, l'Algérie avait également reçu 500 à 800 millions de francs supplémentaires de sources non comprises dans le budget 0.C.R.S. (Caisse des Dépôts financement direct). L'intérêt de Algérie tel que l'exprimait le ministre des Affaires étrangères M Mohammed Khemisti puis M.A Francis, résidait dans une interprétation libérale du "niveau antérieur à l'indépendance" et dans des assurances d'une aide à long terme au-delà de la limite des trois ans, afin de pouvoir entreprendre une planification rationnelle Mais l'instabilité de la politique algérienne offrait peu de chances à ce dernier espoir et le vote par Assemblée nationale française de tout juste un milliard de francs pour les crédits de développement en 1963 allait à l'encontre de la première requête

Le 21 janvier 1963, une déclaration commune confirmait le chiffre de 1 milliard 50 millions pour l'aide directe en 1963. Une autre aide correspondant à l'ancienne assistance non budgétaire serait également mise la disposition de l'Algérie ; ainsi la construction d'habitations bon marché H.L.M. prévue par le plan de Constantine serait continuée (180 millions de francs) un Fonds de consolidation du crédit serait créé afin de garantir les crédits bancaires privés (100 millions), une contribution serait faite au Fonds de solidarité agricole (5 millions) et un second prêt de trésorerie serait disponible pour l'année 1963 (250 millions) 4. Cette aide supplémentaire de 535 millions de francs en prêts qui allait bien au-delà du don de 1 milliard 50 millions soutenait favorablement la comparaison avec l'appui financier antérieur à l'indépendance et reflétait l'esprit aussi bien que la lettre des obligations d'Evian

Suivit bientôt une période de difficultés. En mars des mesures furent prises en Algérie qui ébranlèrent la confiance de la France dans les capacités gouvernementales du Bureau politique et dans ses intentions - qu'il avait lui-même mises en doute de manière répétée dans ses déclarations publiques - de respecter les obligations d'Evian. Ces problèmes sont discutés plus loin de manière plus détaillée ; toutefois ils eurent pour conséquence immédiate d'enterrer plusieurs tentatives pour étendre la coopération bilatérale et notamment un projet prévoyant l'instruction d'un petit nombre d'officiers de l'armée algérienne en France. Une conséquence plus générale fut de remettre en question l'ensemble du programme de coopération. De fait, si l'Algérie se mettait à parler de réviser les accords d'Evian et à continuer de les modifier unilatéralement par ses actions, la France était-elle encore liée par ses obligations ?

La réaction de Paris fut calme comparée à l'indignation publique. Plutôt que de remettre en question les accords d'Evian le Comité des affaires algériennes décida le 5 avril de les appliquer avec encore plus de rigueur tout en évitant de paraître songer à des représailles et de donner prise à des accusations de néo-colonialisme. Puisque Ben Bella avait mis en question les clauses militaires des accords, Paris conformément aux décisions d'une réunion antérieure du Comité le 8 février, annonçait une légère accélération de l'évacuation des forces militaires sous prétexte que l'exode avait rendu inutile la présence un grand nombre de troupes françaises.

Presque un mois après la réunion du comité, le ministre des Affaires algérienne M Jean de Broglie rendait visite à M Ben Bella afin de remettre la coopération sur les rails par une manœuvre délicate consistant à alléger le convoi et à en modifier la route. M de Broglie donna à M Ben Bella l'assurance que ni la France ni le principe de la coopération ne s'opposaient au socialisme algérien, déclaration qui était importante pour l'Algérie Toutefois, il rappelait que la France était obligée de rembourser aux colons la valeur des terres confisquées et il retournait cette obligation contre l'Algérie en soustrayant le paiement des indemnités du montant de l'aide promise. La somme qui restait était divisée en deux parties égales ; sur la première 100 millions de francs étaient débloqués chaque trimestre en tant qu'aide "libre" versée directement à l'anémique Trésor algérien tandis que les 400 millions restants étaient mis à la disposition de celui-ci sous la forme d'aide "liée" 5. Dans cette situation les seules négociations possibles portaient sur la somme à laquelle les Algériens renonçaient et que M Ben Bella réduisit de 250 millions de francs à 200 millions. M Ben Bella était prêt à renoncer à 200 millions pour en garder 800 millions et M de Broglie fit comprendre clairement que la révision d'une seule des clauses Evian entraînerait nécessairement la révision de l'ensemble des accords. En outre la date d'évacuation des bases militaires françaises qui n'étaient pas nommément désignées était avancée de juin 1965 à la fin de 1964.

L'Algérie avait pris elle aussi, certains engagements Evian. Elle souscrivait sans réserves à la "Déclaration des droits de l'homme" ; elle fonderait ses institutions sur les principes démocratiques et l'égalité politique entre les citoyens renforcerait les garanties existantes accordées aux citoyens français et respecterait les droits de propriété dans les limites du droit d'expropriation et d'une "indemnité équitable préalablement fixée" 6. Une association de sauvegarde et une Cour des garanties seraient créées. A la République française l'Algérie ne laissait qu'un petit nombre d'installations militaires ; un bail de quinze ans sur le complexe de Mers-el-Kebir, l'usage pour cinq ans de trois installations atomiques 7 et de cinq aérodromes 8. Enfin l'Algérie souscrivait certaines obligations en ce qui concerne les fonctionnaires français, les conseillers techniques et les compagnies pétrolières du Sahara

A première vue, le jugement porté sur ces obligations doit concilier les exigences de la justice et celles de la réalité. Aucune de ces obligations n'était exorbitante ; cependant certaines allaient manifestement au-delà du pouvoir de l'Etat et d'autres se trouvaient en contradiction avec les buts politiques de l'Algérie proclamés antérieurement. En ce cas la solution juridique est claire ; le traité devait avoir la priorité, même dans une situation révolutionnaire. D'autres obligations couvraient les actes des personnes : toutefois pendant les cinq mois qui suivirent Evian, il n'y eut pas de gouvernement algérien effectif pour faire appliquer le traité. On peut aisément écarter un certain nombre de ses violations telles que la dispersion immédiate de A.L.N. au lieu de son regroupement : c'était époque de Organisation Armée Secrète (O.A.S.) et la France avait elle aussi ses citoyens incontrôlables qui refusaient de se considérer comme liés par les accords d'Evian. En fait, s'il y a un signe encourageant pendant toute la période de l'indépendance, c'est le retour rapide des relations normales et même à certaines occasions amicales entre l'armée française et les unités de A.L.N.-A.N.P. 9

Quatre incidents marquent la période incertaine qui précéda la visite symbolique de M Khemisti en novembre pour ouvrir les négociations. Le premier fut la prise par les militaires de la station de radio Alger au mois octobre qui eut pour résultat l'arrêt de la coopération en ce domaine pendant une année entière. Un autre fut le nombre croissant de Français qui disparurent sans qu'on ait jamais pu les retrouver ; ce chiffre devait dépasser 3000 au milieu de année 1963. Un troisième problème concernait les harkis tenus au secret en Algérie en violation directe et parfaitement évitable des obligations contractées à Evian. Le quatrième incident - saisie des biens ruraux - avait plus d'importance.
Par une ironie de histoire, les bases juridiques des expropriations rurales furent jetées sous l'Exécutif provisoire : il s'agit d'une ordonnance qui prévoyait une protection juridique des propriétaires absents dont les terres avaient été reprises par les fellahs de la région (en général ceux-là mêmes qui avaient travaillé auparavant comme main-doeuvre salariée du colon) 10. Après l'installation au pouvoir du Bureau politique trois nouveaux décrets modifièrent la situation juridique ; l'administration des biens pouvait être confiée à un groupe aussi bien qu'à un "directeur-administrateur" 11, des comités de gestion étaient créés pour les biens saisis, même en cas de retour du propriétaire 12 et toute transaction juridique était interdite touchant les biens saisis 13. A strictement parler, les biens n'étaient pas expropriés, mais l'appropriation ne se bornait pas non plus au simple usufruit ; la saisie sommaire impliquait à la fois l'aliénation de l'usufruit et l'appropriation de tous les attributs normaux de la propriété - vente location héritage - hormis la seule fiction juridique de la propriété. Bien qu'à l'origine, le mouvement paysan n'ait concerné que les terres rendues vacantes par l'exode, il ne écoula guère de temps avant que les propriétaires ne fussent purement et simplement expulsés des terres qu'ils occupaient encore. Le préfet prenait part à l'opération afin de lui donner un caractère légal, mais son autorisation était fréquemment antidatée, en général insuffisante et les descriptions qu'elle donnait, étaient souvent inexactes 14. A la mi-mars 1963, la moitié des deux millions hectares qui appartenaient aux Européens représentant les biens de 8408 propriétaires (sur 17 991) était passée dans les mains de comités de gestion.

La vague de saisies sommaires était le fait d'une jacquerie paysanne, acte révolutionnaire par excellence, qui caractérise l'ère de l'Algérie indépendante dans son ensemble 15. Toutefois, il n'est pas certain qu'elle se serait produite sans le fait même qui fut à l'origine du bouleversement social qu'a connu l'Algérie : l'exode des Européens. Celui-ci entraîna une décapitation de la société, condition préalable de toutes les mesures révolutionnaires qui ensuivirent ainsi que la destruction de l'équilibre des relations franco-algériennes. La première mesure concernant les saisies sommaires avait pour but d'en limiter et non d'en légaliser les conséquences illégales. Par la suite ce fut la jacquerie qui créa le droit et le Bureau politique ne fît qu'entériner un état de fait. On a interprété ce qui s'est passé comme relevant du titre des accords Evian sur la "réforme agraire" ; mais en fait, il n'y eut pas de réforme organisée. Le principe de la réforme agraire avait été proclamé par le Conseil national de la révolution algérienne (C.N.R.A à Tripoli en juin 1962 16 ; elle fut mise en pratique par les paysans eux-mêmes, sous une direction politique rudimentaire à l'échelon inférieur ; elle fut légalisée par le gouvernement et entra de ce fait dans le domaine des affaires étrangères. Dans toute l'opération il n'y eut guère de décision prise ou de politique prévue par l'élite dirigeante

Ce ne fut pas avant mars 1963 que le gouvernement passa à l'action organisée sous l'effet d'un ensemble de facteurs qui s'influençaient réciproquement. Du côté algérien, l'idée de coopération se heurtait à un désenchantement croissant, renforcé par une série d'incidents mineurs, mais qui créaient justement l'atmosphère permettant ces incidents. L'un de ceux-ci fut l'adoption du Code de la nationalité, qui sans violer formellement la lettre des obligations Evian, était en contradiction avec son esprit.17
Un second incident concernait les tentatives légales pour régler les saisies sommaires. Dès janvier lors de sa première visite à M Ben Bella, M de Broglie avait essayé d'éclaircir la notion de "biens vacants" et d'obtenir des garanties contre le phénomène "vacance par éviction". A plusieurs occasions depuis Janvier, les négociateurs français essayèrent d'intéresser les Algériens à un plan de rachat des terres de colonisation, comme il avait été prévu à Evian, mais aucune réponse ne vint jamais ni aucun programme de réforme agraire.

Le troisième incident concernait les premiers essais atomiques français depuis l'indépendance qui eurent lieu le 19 mars. Le lendemain et à nouveau le 16 avril après consultation du gouvernement, M Ben Bella réclama la révision des clauses militaires des accords d'Evian. Sa déclaration fut immédiatement approuvée par l'Assemblée, mais avec une certaine sobriété de manière à ne pas provoquer une réaction populaire contre les Français qui se trouvaient en Algérie. En même temps, sans attendre un vote de Assemblée, le bureau du Premier ministre publiait un décret qui définissait la notion de "biens vacants" et limitait les possibilités de recours légal contre ses abus 18. Etaient déclarés vacants à titre définitif, sans possibilité action judiciaire, tous les biens antérieurement saisis, vacants ou non selon les définitions juridiques antérieures : le statut de la propriété n'était toujours pas précisé puisque le décret ne transférait que "l'administration" aux comités de gestion. Toute ferme qui cessait ses activités normales après la publication du décret, était également déclarée vacante, mais avec la possibilité de faire appel. Peu de temps après, M Ben Bella plaça également un certain nombre de fermes sous la direction d'un "comité de gestion provisoire... en tant que mesure conservatoire et dans l'intérêt supérieur de l'ordre public" en se fondant sur des lois et des décrets français remontant à 1938 19.

La seconde visite de M Jean de Broglie à Alger au début du mois de mai amena une promesse de nouvelles négociations financières, mais ne fit rien pour modifier le cours des saisies sommaires ; si tant est qu'elle eût un résultat, ce fut de permettre grâce à la déclaration que socialisme et coopération n'étaient pas incompatibles, de couronner l'édifice de lois qui légalisait les saisies sommaires. Après les décrets de mars, de nouveaux cas de saisies de fermes et établissements commerciaux furent portés devant la justice, principalement à Alger. Cinq affaires plaidées devant la Cour civile d'Alger reçurent un accueil favorable Le 14 mai, un nouveau décret supprimait ce dernier recours en justice 20. Etait autorisée la saisie sommaire de tous les biens ruraux ou urbains dont la propriété était susceptible de troubler l'ordre public ou la paix sociale et le seul recours possible devait s'exercer devant une hiérarchie de commissions décidant souverainement, devant lesquelles aucun argument juridique était admis. Sur ces entrefaites, le principal magistrat d'Alger qui était Français, fut remplacé par un Algérien ce qui fit désormais disparaître le problème posé par l'existence d'un pouvoir judiciaire indépendant 21. En date du 20 mai 1963, 130000 hectares supplémentaires de terres de culture appartenant à 295 propriétaires avaient été saisis et 877 000 hectares - moins de la moitié du total antérieur à l'indépendance- restaient entre les mains de leurs 9288 propriétaires. Jusqu'en mars, époque où les petits tout comme les grands propriétaires abandonnèrent leurs terres et où les grandes propriétés furent saisies, la superficie moyenne des biens "vacants" était de 117 hectares ; entre mars et mai, les grandes propriétés, d'une superficie moyenne de 442 hectares, furent "liquidées" ; les fermes restantes avaient en moyenne seulement 94 hectares et à l'époque, des assurances répétées de M Ben Bella indiquaient que les petits fermiers européens ou musulmans n'avaient rien craindre, au moins ce moment-là.

Si l'on examine le bilan des obligations et de la coopération du côté algérien, on voit nettement que la politique intérieure prime la politique étrangère. Dans son fameux discours du 4 avril, M Ben Bella a clairement posé le problème de la politique et des obligations de l'Algérie quand il déclaré : "Lorsqu'on s' arme de textes contre nous, nous nous armons de la morale socialiste de notre pays. Eh ! bien si nous violons les accords Evian par cette décision, tant pis pour les accords Evian !"

Pour l'Algérie, la coopération entre communautés était une affaire intérieure du ressort de sa propre souveraineté. Il n'y avait qu'en France qu'on pouvait plus aisément séparer politique intérieure et politique étrangère ; en Algérie au contraire les relations extérieures ne constituaient qu'une annexe des affaires intérieures.

Les dernières négociations financières commencèrent à Paris le 27 mai 1963. Algérie-Presse-Service fit preuve d'une méconnaissance certaine de la situation lorsqu'elle écrivit ce propos : "Toute idée de marchandage est très nettement exclue 22. En fait la France était prête à négocier ses obligations en matière d'aide contre le respect par l'Algérie de ses propres obligations dans autres domaines. Trois jours d'entretiens préliminaires s'achevèrent sur une déception pour la délégation algérienne. Lorsque le Comité des affaires algériennes du 30 mai maintint sa position sur la distribution de l'aide telle qu'elle avait été prévue dans le communiqué du 3 mai entre M Ben Bella et M de Broglie. Après une suspension de près de deux semaines, une délégation algérienne plus importante conduite par le ministre des Finances M Francis, le ministre de la Jeunesse et du Tourisme M Abdelaziz Bouteflika et le ministre du Travail M Bechir Boumaza revint à Paris. Le problème essentiel était posé par l'état du Trésor algérien : pour le premier semestre de l'année, les impôts étaient de 30 % inférieurs aux prévisions, avec un déficit mensuel de 100 à 150 millions de francs. La France était sensible à ce problème, particulièrement en l'absence de toute possibilité de remédier à court terme à une situation financière qui ne pouvait que s'aggraver, mais préférait la solution des prêts de trésorerie remboursables en théorie, plutôt que d'accroître l'aide de développement directe qui ne pourrait fournir les fonds nécessaires aux dépenses de fonctionnement.

Mais bientôt, l'équilibre des intérêts entrait à nouveau en jeu. Un décret de routine, promulgué le 13 juillet par M Ben Bella, prévoyait qu'il serait exigé de tous les étrangers quittant l'Algérie, la preuve qu'ils avaient payé leurs impôts. La mesure de nature essentiellement fiscale, eut des répercussions politiques immédiates. Elle était manifestement contraire aux accords d'Evian, comme la France le fit remarquer, elle portait atteinte la libre circulation entre l'Algérie et la France et était discriminatoire en matière impôts 23. Le registre des impôts pour 1962 et les années antérieures avait été détruit par l'O.A.S. et certains Français manifestaient leur amertume de devoir des arriérés d'impôts après avoir déjà "fait don" de leurs biens qui avaient été saisis. La France menaça de considérer les impôts perçus pour la période antérieure à l'indépendance, comme devant lui revenir à elle et non à l'Algérie et la conclusion des négociations financières fut nouveau retardée d'une semaine. En fin de compte le décret fut révoqué en fait sans l'être dans les textes. Il fut décidé que l'Algérie accepterait une déclaration sur l'honneur délivrée par l'ambassade de France ou les services français compétents, selon laquelle l'intéressé avait payé ses impôts.

D'autres problèmes furent réglés au cours de ces négociations. L'Algérie consentait à réaffirmer les dispositions des accords d'Evian prévoyant une cour internationale d'arbitrage pour les conflits pétroliers 24. Bien qu'elle eût souhaité qu'un organisme national décidât des questions relevant de sa souveraineté territoriale, l'Algérie reconnaissait ses dettes envers la France en ce qui concerne les prêts d'assistance financière ; c'était là un problème plus diplomatique qu'économique, puisqu'il est douteux que l'Algérie veuille ou même puisse rembourser tout l'argent qu'elle doit 25. Les colons recevaient l'assurance qu'ils seraient autorisés à moissonner et vendre leur récolte de 1963 et les citadins qu'ils pourraient s'en aller l'été en vacances, sans risquer de perdre leurs appartements déclarés "vacants".

De autre côté, avec un mépris non cartésien pour la symétrie, la France rejetait la tentative de M Ben Bella pour jouer l'atout diplomatique précieux dont il disposait en offrant de relâcher 1200 harkis en échange des huit Français emprisonnés pour aide au F.L.N avant l'indépendance. La France écarta cette offre qualifiée par elle de "marchandage" alors que M Ben Bella y voyait lui-même un "chantage". Formulée au cours des négociations au lieu de l'être dans un discours public, elle aurait pu réussir. Seule carte disponible dont Algérie pût faire usage, elle fut jouée de manière brutale et agressive La France elle aussi avait une carte, mais elle la joua en douceur et surtout sans blesser la susceptibilité des Algériens ; elle remporta toutes les levées : c'était l'aide financière. L'accord final du 26 juin 1963 reprenait le chiffre de 800 millions de francs pour l'aide de développement. Les 50 millions déjà payés seraient considérés par l'Algérie comme aide "libre", mais la France paierait non seule ment les 150 millions qu'elle devait pour le reste du premier trimestre et la totalité du second, mais elle débloquerait également à l'avance les 100 millions du troisième trimestre. En ce qui concerne l'aide "liée", 150 millions sur 400 seraient débloqués immédiatement (juin), 50 millions sur le prêt de trésorerie de 250 millions négocié en janvier seraient aussi mis la disposition de l'Algérie.

150 millions de francs seraient également consacrés au paiement direct du "personnel de la coopération". L'assistance du gouvernement français était passée d'environ 80 000 fonctionnaires au moment de l'indépendance, à 20 700 fonctionnaires (y compris 15 200 professeurs) en juillet 1963, mais ceux-ci se trouvaient souvent à des postes-clés dans le domaine technique et administratif 26. Pendant la période intérimaire de trois ans, cet aspect de la coopération s'est révélé aussi indispensable que l'aide financière française au fonctionnement effectif minimum du gouvernement. En attendant que se soit écoulé le temps nécessaire pour qu'on puisse négocier un "programme normal d'assistance technique", la France a accordé son aide de trois manières : fonctionnement direct, envoi de conseillers et formation de remplaçants, formation directe. Les deux parties souhaitaient voir la coopération technique mettre surtout l'accent sur ce troisième type d'aide aux dépens du premier.

Les difficultés d'ordre général étaient abord financières ; pendant la première année de l'indépendance le paiement des professeurs se faisait très irrégulièrement : les autres fonctionnaires étaient cependant plus favorisés. Pour ceux d'entre eux que des motifs économiques avaient attirés en Algérie, la hausse du coût de la vie présentait également un problème malgré certaines exemptions impôts accordées par le gouvernement algérien en 1964. Lorsque les retards dans le paiement des traitements s'atténuèrent, d'autres difficultés de nature moins tangible - essentiellement des problèmes psychologiques d'adaptation à l'Algérie nouvelle - prirent une importance croissante. Ainsi pour le début de l'année scolaire 1964-1965, le nombre de professeurs sur lequel on peut compter est tombé à la moitié du chiffre de 1963, alors que les besoins de l'Algérie restent aussi grands que jamais. Ces difficultés ont affaibli le poste "assistance technique" dans le décompte des atouts français au cours des négociations avec l'Algérie et par là même ont diminué dans l'esprit public, l'importance d'un programme d'aide qu'on imaginait volontiers aussi vaste que l'ensemble des programmes français d'assistance technique et culturelle dans le reste du monde.

Un autre élément des relations franco-algériennes représentait un renversement de la situation envisagée à Evian. Au lieu que ce soit l'Algérie qui retienne un million d'otages français, c'était la France qui gardait un demi-million de réfugiés économiques algériens (ceux-ci venant encore ajouter au débit de l'Algérie dans le bilan des négociations). Mais l'Algérie voyait dans l'émigration surtout un débouché pour les chômeurs non qualifiés, alors que la France ne désirait que des ouvriers qualifiés ou semi qualifiés. Le nouvel exode constituait une mauvaise publicité pour le socialisme algérien et bien qu'il donnât aux ouvriers algériens du travail et une formation jusqu'à ce que l'économie algérienne pût les réabsorber, il se trouva qu'un certain nombre d'ouvriers qualifiés - on a cité le chiffre de 10 % - 27, projetèrent de rester en France et réclamèrent la citoyenneté française. Les seuls articles des accords d'Evian qui se référaient à la migration des travailleurs, garantissaient la liberté de circulation et l'égalité des droits 28.

Une discussion préliminaire du problème eut lieu au niveau ministériel en décembre 1962, mais on laissa la question en suspens jusqu'à ce qu'un afflux net de 70 000 travailleurs en deux ans, rendît urgentes les négociations. Cet accroissement soudain entraîna de nouveaux problèmes de santé et de logement. Lorsque la France essaya d'imposer des contrôles médicaux, on cria aussitôt à la "discrimination". Un décret algérien du 5 juin 1963 restreignit l'émigration en exigeant un certificat de chômage de l'Office national algérien du travail, mais les négociations de juin 1963 n'aboutirent à un accord que sur un petit nombre de détails techniques, y compris un examen médical en Algérie. Ce ne fut pas avant janvier de l'année suivante que le ministre des Affaires sociales, M Mohammed Segh Nekkache, sonda les dirigeants français à propos de nouvelles conversations. En mars l'ambassadeur Algérie protesta officiellement contre les articles "alarmistes" de la presse française au sujet du nouvel exode et de la poussée de crimes qui l'accompagnait Les Algériens étaient prêts à négocier. Le 10 avril un protocole était signé - qui devait entrer partiellement en vigueur deux semaines plus tard et pour l'autre partie à dater du 1er juillet - créant une inspection médicale franco-algérienne en Algérie, prévoyant une notification trimestrielle par la France de ses besoins en main-doeuvre immigrée, réglementant le voyage des autres catégories d'Algériens en France et accordant aux Algériens une plus grande facilité d'accès aux centres français de formation professionnelle. Les deux parties prirent soin de souligner qu'il n'était pas porté atteinte à la liberté de circulation bien que l'immigration de la main-d'oeuvre soit tombée de 40 % pendant le premier mois qui suivit l'accord.

Les campagnes de septembre pour l'adoption de la Constitution et la Présidence en Algérie s'accompagnèrent d'une vague de promesses quant à des "décisions spectaculaires en matière de socialisation" et d'"abolition de tous les privilèges sociaux en Algérie". En particulier M Ben Bella déclara qu'il "prendrait l'été prochain (1964) les terres de tous les colons et bourgeois" et M Bouteflika compara le socialisme algérien au "déferlement du torrent dans la vallée". Les 17 et 18 septembre l'Algérie nationalisa les trois derniers Journaux indépendants, dont le tirage avait jusque-là toujours dépassé celui des organes du parti. Puis le 1er octobre dans un meeting populaire destiné soutenir le gouvernement contre les dissidents kabyles, Ben Bella déclara : "A partir de cette seconde, plus un hectare dans cette terre d'Algérie n'appartiendra à un colon". La réaction de l'opinion française fut vigoureuse et bien que le gouvernement ait à nouveau agi avec une lenteur délibérée, tous les éléments qui conditionnent les relations franco-algériennes entrèrent une nouvelle fois en jeu.
La France soutint que les saisies violaient les clauses d'Evian qui excluaient toute discrimination et saisie arbitraire, garantissaient les droits de propriété, une compensation préalable et la liberté d'expression et qu'à nouveau, en contradiction avec Evian les journaux étaient frappés pour des opinions exprimées avant l'indépendance. L'Algérie admit ce dernier point mais donna comme argument, que l'exode avait fait disparaître la nécessité de garder les grands journaux entre les mains des Français et que la coopération devait être subordonnée aux "intérêts de l'Algérie" et à la "moralité révolutionnaire". Les nouvelles garanties constitutionnelles quant à la liberté d'expression, dont la France s'était également réclamée concernaient des problèmes intérieurs selon les Algériens et ne pouvaient légitimement servir de base à des protestations d'un pays étranger Mais le problème s'effaça très vite devant celui de la coopération considérée dans son ensemble, car toute mesure de représailles ou toute demande de réexamen, risquait de bouleverser l'équilibre délicat des relations franco-algériennes. La seule arme dont la France disposait encore était son aide : comme elle l'avait déjà fait en des occasions antérieures, la France s'abstint de nouveaux versements - en l'occurrence des 100 millions d'aide "libre" pour le dernier trimestre de 1963 - et diminua légèrement le montant de l'aide prévue pour 1964 qui fut ramené d'un milliard à 950 millions. De nouvelles négociations entre MM Boumaza et de Broglie à la fin octobre, aboutirent à un accord sur une formule qui permettait à l'avenir une certaine souplesse : l'aide financière était considérée à la fois comme le prix des concessions de l'Algérie à la France (bases pétrole privilèges commerciaux etc.) et comme fonds d'indemnisation pour les saisies.

Malgré cette formule, les relations franco-algériennes entrèrent dans une nouvelle période de malaise vers la fin de l'année, en partie à cause de la poursuite des saisies sommaires qui orientaient maintenant, de plus en plus, vers la nationalisation des biens immobiliers dans les villes et des établissements industriels. Des commissions mixtes nommées pour régler le détail des problèmes ne parvinrent pas à des accords satisfaisants. A la fin de février 1964 M de Broglie fit son troisième voyage à Alger pour relancer la coopération, mais ne revint qu'avec des concessions sur quelques points de détails. L'Algérie devait payer 10 millions de francs d'indemnités pour les petites fermes nationalisées en 1963 ; le principe d'un organisme chargé de gérer les appartements occupés par des squatters, que la France avait proposé au début de 1963, était accepté ; les promesses garantissant les droits de propriété étaient réitérées avec des assurances que la vague de saisies touchait à sa fin et qu'à l'avenir il n'y aurait de nationalisations après examen et négociations avec les propriétaires ; cette dernière condition ne fut toutefois pas respectée, lorsque les industries de conserves alimentaires restantes, furent nationalisées le mois suivant dans une tentative de M Ben Bella pour rallier des partisans juste la veille du congrès du F.L.N. Il semblait plutôt que si la coopération devait être caractérisée par une compréhension nouvelle, celle-ci ne pourrait venir que d'une réunion à l'échelon supérieur

Des tentatives antérieures pour faire venir le général de Gaulle à Alger, avaient échoué et le moment d'une visite officielle de M Ben Bella n'était pas encore venu. Toutefois le 13 mars, au retour d'une visite de M Ben Bella en Yougoslavie, une "escale technique" fournit aux deux chefs Etat occasion de se rencontrer officieusement au château de Champs, en présence de MM de Broglie, Bouteflika et des ambassadeurs des deux pays.
Coïncidence voulue ou accidentelle, la date tombait à quelques jours du second anniversaire d'Evian et à un mois du congrès F.L.N. Conformément à la nature officieuse de la rencontre, aucun accord ne fut signé et le communiqué final indique simplement qu'il fut discuté de la coopération et de la situation internationale. Toutefois la juxtaposition des deux sujets, montrait clairement que dans la perspective du général de Gaulle, le contexte international des relations franco-algériennes importait autant que leurs détails et le ton optimiste des paroles de M Ben Bella après la rencontre, montrait qu'il était favorablement impressionné par la politique internationale de son hôte, aussi bien que par sa compréhension du problème algérien. La vision que les deux parties avaient de ces deux éléments était ainsi résumée par un Algérien dans un parallèle frappant : "C'est la grande chance de la France de prouver il est possible de réussir avec Algérie ce que les Etats-Unis n'ont pas su faire Cuba" 29

Le seul détail discuté à Champs et le dernier problème spécifique de la coopération, concerne le pétrole saharien 30. Comme M Boumasa à indiqué à de nombreuses reprises, le pétrole est pour l'Algérie le moyen de se libérer des subsides français. Le problème consiste à s'emparer du maximum de pétrole et de redevances sans bouleverser le reste de la coopération à laquelle l'Algérie accorde encore une certaine utilité. Des bruits de nationalisation des compagnies pétrolières 31, peut-être encouragés à titre de ballons d'essai, suscitèrent une réaction vigoureuse France et furent désavoués comme il convient Alger. Il apparut que Algérie visait à englober l'industrie pétrolière par un double mouvement dont les deux temps respectaient la lettre des accords d'Evian 32 : accroissement graduel des redevances et participation algérienne accrue dans les nouveaux contrats et les nouvelles entreprises. Le premier test eut lieu en janvier 1964, les négociations se trouvant dans une impasse depuis juin : l'Algérie annonça qu'elle construirait un troisième pipeline jusqu'à la Méditerranée (Hassi Messaoud-Arzew) par l'intermédiaire de sa propre Société nationale de transports des hydrocarbures. Trois mois plus tard, la suite des offres concurrentes de compagnies allemandes, américaines et françaises, le contrat de construction du pipe-line était accordé à une firme britannique, un quart des frais de construction provenant d'un prêt de Koweit, un autre quart de la Banque arabe de développement et le reste d'Angleterre. En mars, un accord était signé avec la compagnie italienne E.N.I, pour la construction d'une raffinerie à Arzew qui devait concurrencer la raffinerie achevée au même moment à Maison-Carrée et qui avait été dans une large mesure, financée par la France. Ainsi l'Algérie cherchait à affaiblir l'emprise française sur ses ressources pétrolières, tout en renforçant son propre contrôle sur la production, les exportations nécessaires à l'obtention de devises fortes, la consommation intérieure destinée à l'industrialisation et les redevances (probablement dans cet ordre de priorité). Aussi restait-il de nombreux points à discuter au cours de futures négociations dont le premier stade s'ouvrit en juin

De cet examen historique des obligations mutuelles, on peut dégager une analyse plus vaste des relations post-coloniales. La position de principe de la France est fondée sur sa promesse d'aider l'Algérie par l'assistance financière et les capacités techniques qu'on peut raisonnablement attendre d'elle. Sa position tactique est de garder sa liberté d'action par des négociations annuelles jusqu'à ce qu'il se crée une situation stable, de fournir son aide de manière éviter de la part de l'Algérie, des réactions extrêmes antagonisme et de ressentiment, d'inciter à l'ordre sur le plan économique 33 et utiliser cette aide de manière à négocier des concessions limitées. Ces concessions ne touchent aux obligations contractées par l'Algérie et non à la politique intérieure algérienne : une fois le fait bien reconnu, en mai 1963 les négociations peuvent suivre un cours plus calme, au niveau diplomatique, bien que la nature du processus décisionnel en Algérie ait eu pour conséquence d'exposer davantage la situation diplomatique aux troubles intérieurs.

La France dispose de cinq atouts à la table de négociations. Le plus important est l'aide financière non pas illimitée, mais disponible au moins au niveau antérieur de l'indépendance. Le second réside dans les moyens techniques, professeurs y compris, réunis pour maintenir vivante la mission civilisatrice de la France à l'ère post-coloniale. Le troisième est la masse des travailleurs algériens émigrés, qui malgré les problèmes qu'ils posent à la France, représentent surtout un fardeau diplomatique pour l'Algérie. Le quatrième est la relation de réciprocité entre les deux pays : les richesses françaises et les besoins algériens mettent l'Algérie en position de demandeur et la France en position d'offreur. Un tel déséquilibre ne constitue pas seulement un avantage pour l'un et une faiblesse pour l'autre ; mal présenté il peut susciter plus de ressentiment que de gratitude 34. Aussi la France se trouve-t-elle dans la nécessité de négocier avec habileté tactique et retenue de manière à garder l'avantage

Finalement, comme pour la Tunisie et le Maroc, l'habitude pousse à maintenir les liens entre la France et l'Algérie. C'est particulièrement vrai des relations économiques et si l'expérience du Maroc et de la Tunisie reste valable, on peut attendre que les relations commerciales soient inchangées pendant la première période de l'indépendance 35. Dans le domaine des relations culturelles "l'habitude française" entre en conflit avec l'arabisme que proclame le régime. Mais pour reprendre l'exemple de la Tunisie et du Maroc, il est bien évident qu'il y a des obstacles matériels à l'arabisation (livres, professeurs, vocabulaire) et une incompatibilité entre arabisation et universalisation de l'enseignement (répartition de maigres ressources entre les deux types d'enseignement), qui s'opposeront au fonctionnement même d'un système d'éducation bilingue avant la seconde décennie de l'indépendance. Mais il y a aussi le fait que, contrairement aux expériences marocaine et tunisienne, il y a plus de "plaie vive" entre les deux pays, comme la guerre d'Algérie en avait représenté une dans les relations des voisins de l'Algérie avec la France. Mers-el-Kébir est le Bizerte de l'Algérie, mais un calendrier d'évacuation est déjà établi, même si l'on remet en cause l'existence de la base comme on le fera sans aucun doute avant l'expiration du bail de quinze ans. Toutes les troupes françaises à l'exception des 10 000 hommes qui occupent les bases nommément désignées, ont déjà été retirées un an avant la date fixée à Evian. Il n'est à prévoir aucun incident comparable à l'enlèvement de M Ben Bella en 1956 qui avait causé la rupture des relations auparavant amicales entre la France et le Maroc Les essais atomiques ont pris fin.

Mais pourquoi la France a-t-elle consenti à poursuivre la coopération ? Après exode des Européens, la France n'avait plus les mêmes raisons qu'auparavant d'aider une Algérie hostile. L'hypothèse selon laquelle il n'y avait pas de véritable raison en dehors de la force d'inertie, ou de l'attitude correspondant à "l'habitude française" en Algérie, mérite sans aucun doute qu'on s'y arrête.
Cet élément existe : l'homme auquel on a coupé une jambe continue à gratter le membre disparu. Mais dans les déclarations et les actes de la France on discerne aussi la présence d'autres éléments.

Une de ces raisons est l'obligation morale à laquelle la France s'est sentie tenue envers son ancienne colonie. Quel que soit le régime en Algérie, le gouvernement français a estimé qu'il avait le devoir de soutenir ce pays et un grand nombre d'Algériens concilient un nationalisme légitime et une affection pour la France qui doit leur être rendue. Il y a aussi dans cette attitude, le sentiment que la France à déjà tant fait en Algérie qu'il est trop tard pour se dégager. On s'est référé non seulement au plan de Constantine ou, de manière plus générale, à l'infrastructure moderne de l'Algérie, mais aussi la mission civilisatrice, aux investissements dans le domaine de l'enseignement et aux liens culturels

Le troisième facteur qui entre en jeu et l'étape suivante de l'argumentation sont qu'en dehors de toute obligation morale et politique, l'Algérie représente pour la Weltpolitik de la France, une occasion qui ne le cède en importance qu'à la force de frappe. L'Algérie constitue une ouverture vers le monde socialiste ; selon les paroles du général de Gaulle, que les représentants français en Algérie ont répétées fréquemment : "Il n'y a encore jamais eu de coopération aussi importante entre un pays capitaliste et un pays socialiste" 36. Cette politique a de nombreuses ramifications. En aidant massivement l'Algérie tout comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Maroc et la Tunisie, la France a parié sur les deux (ou sur plusieurs) tableaux idéologiques en Afrique. En gardant l'Algérie dans sa zone d'influence, le général de Gaulle contredit les arguments des partisans de l'Empire, qui tenaient la France pour impuissante sans ses colonies, tout en bâtissant une coopération de "troisième force" entre les non-alignés et son Europe indépendante. En outre, lorsqu'on entend les fonctionnaires français en Algérie (de toutes nuances politiques), on a très souvent l'impression qu'il s'agit de "l'expérience noble", du "pari du siècle", une alliance entre le nouveau dynamisme français et des forces de progrès du monde en voie de développement. Pari bien placé pourrait-on ajouter, puisque l'infrastructure laissée en Algérie, en fait un des pays les plus développés parmi les sous-développés.

Un quatrième élément dans les obligations que la France impose découle des trois précédents ; la France n'a pu ni voulu tenter avec l'Algérie, une "expérience guinéenne". D'une part, elle devait tenir compte de sa réputation internationale ; si la coopération échouait par sa faute, toute l'affaire algérienne se solderait par une défaite totale, tandis que le succès de la coopération pouvait fournir un nouveau modèle pour les relations post-coloniales et effacer l'impression défavorable qu'avait laissée la politique algérienne de la République précédente. D'autre part, ce n'était pas l'intérêt réaliste de la France de traiter l'Algérie comme elle avait traité la Guinée. L'enjeu était plus important, la démonstration avait déjà été faite en Guinée et cette fois-ci une politique semblable se serait fatalement retournée contre la France

Enfin, la France s'est aussi sentie engagée envers M Ben Bella en partie parce qu'il était le nouveau dirigeant du pays et en partie parce qu'il représentait le meilleur rempart contre une autre solution. L'A.L.N offrait une perspective peu souhaitable et de manière logique, on a toujours eu le sentiment qu'il n'y avait pas de meilleur choix que M Ben Bella pour la maintenir dans les limites d'une coopération loyale. Quant à M Ferhat Abbas, il a été accusé indirectement par Ben Bella, de "contacts à l'étranger". En dehors d'un chaos pire, il n'y a pas en fait d'autre solution que la présence de M Ben Bella à la tête de Algérie

A cette série d'arguments, il faut ajouter un certain nombre d'autres facteurs qu'on cite trop souvent comme les seules raisons de l'engagement français envers l'Algérie. Les emplacements pour les expériences nucléaires ont représenté très certainement un des intérêts français, mais au mieux un intérêt à court terme.
La France a, au contraire, un réel intérêt à y renoncer, car les essais atomiques au Sahara ont provoqué de l'amertume non seulement en Algérie, mais aussi dans le reste du Maghreb et de l'Afrique occidentale. Le pétrole du Sahara est important pour la politique gaulliste d'indépendance et pour les intérêts des milieux d'affaires et de l'industrie française. Mais sur un marché saturé, la garantie d'avoir en France des débouchés pour le pétrole est plus importante encore pour l'Algérie. Dans le budget de développement pour 1963, 250 millions de francs venaient des redevances pétrolières et on en attend 320 millions pour 1964, même au taux actuel de 50 % d'impôts sur les bénéfices. Toutefois les Algériens pourraient provoquer un incident égal en importance à celui que créeraient des essais atomiques français, si les installations pétrolières du Sahara devaient être nationalisées. La mesure est inscrite au programme de Tripoli comme l'échelon final du programme socialiste et le "déferlement du torrent dans la vallée" balaye la plupart des échelons antérieurs.
Dernier intérêt français en Algérie, la population européenne garde son importance mais avec l'exode il a perdu son caractère de priorité. La réaction officielle française aux réformes algériennes touchant les colons et les citadins a été lente et mûrement pesée dans une large mesure, afin d'éviter de déclencher une riposte violente ou inconsidérée de la part des Algériens ; toutefois la lenteur des réactions françaises suffit à écarter l'idée que l'existence de la population non musulmane constitue le motif essentiel de la coopération.

L'autre colonne du bilan diplomatique ne fait dans la plupart des cas, que refléter les atouts et les faiblesses de la France. La position de principe de l'Algérie a été d'accepter l'aide afin de poursuivre son programme socialiste. Bien qu'elle s'en soit aperçue moins nettement, elle était aussi engagée envers la France en raison la fois de "l'habitude française" dont inconsciemment il lui était difficile de se débarrasser et de son sentiment que la coopération avec le général de Gaulle était plus facile qu'avec n'importe qui d'autre si tant est, qu'en fait il y eût d'autres possibilités que celle offerte par la France 37. Contrebalançant ce vague engagement il y a l'idée refoulée mais prête surgir dès qu'on gratte la surface, que l'argent et les capacités techniques peuvent toujours venir d'ailleurs. Dans les calculs de la négociation, la France été considérée comme le partenaire le plus souhaitable que pour autant elle ne s'immisçait pas plus dans les affaires intérieures de l'Algérie qu'on ne pouvait le craindre d'autres pays. Aucune des deux parties n'a jamais considéré la coopération comme incompatible avec une certaine diversification des liens extérieurs de l'Algérie. Ainsi l'engagement de l'Algérie envers la France est plus souple que celui de la France envers l'Algérie.

La position tactique de l'Algérie est juste l'opposé de celle de la France. En un sens ç'a a été un refus de la tactique : rien n'aurait pu davantage contribuer à la rupture, que les nationalisations et les saisies, les feuilles impôt et les déclarations provocantes. On peut voir dans une très large mesure, une manifestation du besoin désespéré qu'éprouve un pays nouvellement indépendant d'affirmer une indépendance fragile ; pour le reste, cette attitude relève de l'incapacité propre à l'Algérie d'apercevoir le lien entre politique intérieure et politique étrangère.

Toutefois d'autres tactiques apparaissent. L'une d'elles a consisté dans la contrainte par défaut. "Lorsqu'une personne ou un pays n'est plus en mesure de se garder ou d'éviter des dommages réciproques, l'autre partie intéressée n'a pas d'autre solution que d' en assumer le prix ou la responsabilité 38". Les intérêts mentionnés plus haut, ont rendu la France sensible à cette tactique. Une seconde tactique a son origine dans ce qu'on pourrait appeler des "réparations coloniales", qu'exprime assez bien le refus des considérations tactiques dont on a déjà parlé, mais qui correspond aussi aux idées françaises de Noblesse oblige ou obligation morale. "Cette aide doit être la consécration d'une double prise de conscience, prise de conscience par les colonisés que cela leur est dû et par les puissances capitalistes qu'effectivement elles doivent payer. Nous sommes puissants de notre bon droit et de la justesse de nos positions", a écrit Frantz Fanon 39. L'attitude qui consiste à voir dans l'aide, des "réparations coloniales", sert en réalité d'antidote inconscient (ou subconscient) à tout sentiment éventuel de gratitude et diminue l'effet psychologique de l'aide française en Algérie et par conséquent l'efficacité de cette aide en tant que moyen pour la France de contrôler les événements en Algérie. Cette attitude a été, en fait, poussée si loin par M Boumaza, qu'elle en est venue à ressembler à une sorte de "cartiérisme à rebours" ; à plusieurs occasions, le ministre de l'Economie nationale a minimisé l'importance de l'aide française, ses effets sur l'économie algérienne et le fait même que son maintien était souhaitable du point de vue politique et économique 40. Une troisième règle tactique et qui pourrait bientôt disparaître, est la règle de souplesse : "n'allez jamais si loin que vous ne puissiez pousser plus avant". En ce sens M Ahmed Ben Bella s'est quand même montré conscient du rapport étroit qui existe entre politique intérieure et politique étrangère ; toutes ses réactions se sont produites au niveau de la politique intérieure, hors de portée légale de la puissance française. Sa réaction à propos des essais atomiques, est tout à fait typique : "s'il y a une autre explosion nucléaire au Sahara, je serai contre mais je ne ferai pas la guerre à ce sujet. Elle signifiera l'accélération de notre socialisme et nous mettrons la main sur les privilèges restants".

Une dernière tactique et qui pour d'autres raisons s'est accordée aussi avec le point de vue français, dérive du sentiment qu'avait l'Algérie d'être une ancienne colonie privilégiée et par conséquent de n'avoir rien à gagner de négociations communes avec les autres pays du Maghreb 41. Cette attitude, illustre de manière tout fait remarquable, la puissance d'un nationalisme étroit devant d'autres idées-forces, telles que le panmaghrébisme ou l'unité africaine. Les incompatibilités idéologiques qui vident l'unité maghrébine de toute substance ont servi à renforcer ce sentiment mais en l'occurrence, elles n'en ont pas été la source. L'Algérie s'est montrée incapable de concevoir que si sur un certain nombre de points particuliers elle est en mesure d'obtenir de la France un traitement plus favorable que ses deux voisins, si les trois pays devaient négocier en bloc, ils pourraient tous trois améliorer leur position. La France a été la dernière à lutter contre ce préjugé et la première en tirer parti. Néanmoins les relations franco-algériennes n'ont pas été sans avoir leurs répercussions sur les relations de la France avec le Maroc et la Tunisie, dont certaines ne manquent pas d'être singulières. La France n'aurait jamais été "forcée" de suspendre brusquement son aide à la Tunisie si la Tunisie n'avait pas été "forcée" par l'exemple algérien, de nationaliser brusquement les terres de colonisation qui restaient chez elle.

Etant donné cette situation, qu'est-ce qui a déterminé l'attitude de l'Algérie à l'égard des accords d'Evian après l'indépendance ? L'élément essentiel bien que négatif, a été la révolution socialiste sur la base du programme de Tripoli. Aussi longtemps que la coopération a fourni des subsides pour le socialisme et n'a pas entravé ses progrès, les relations franco-algériennes sont restées du domaine des affaires étrangères ; autrement, les questions intérieures ont prédominé. La relation normale entre droit interne et traités internationaux selon le droit international de Occident, est ici inversée. Lorsque les relations franco-algériennes relèvent des affaires étrangères, deux principes fondamentaux du droit international entrent dans la discussion. D'une part, l'Algérie avait souscrit des obligations formelles régies par le principe Pacta sunt servanda ; et même ne pourrait-on pas soutenir que le rapport existant entre ces obligations et l'accession de l'Algérie à l'indépendance sans toutefois que celle-ci ait été accordée sous condition, confère à ces obligations une "force contraignante encore supérieure" à celle d'un traité normal ? D'autre part, comme on l'a déjà vu dans l'analyse précédente, l'exode a détruit un des deux éléments de l'équilibre diplomatique ; n'était-ce pas sur le plan juridique, l'occasion d'invoquer la clause Rebus sic stantibus 42 ? Comme on pouvait s'y attendre la position algérienne a été beaucoup plus proche du second principe que du premier ; de manière plus surprenante elle n'a pas été en cela très éloignée de la position française.

Les deux parties souhaitent voir la coopération se poursuivre et les deux parties ont bénéficié de l'exode des Européens. D'un côté les obligations algériennes ont été réduites, la fragilité de l'équilibre de la coopération atténuée et la coopération recevait sa première impulsion concrète. De l'autre côté, les otages français ont été mis en sécurité (??!! ndlr), la pression qui tenait la France à un strict respect de ses obligations est relâchée ; de la sorte les perspectives de négociation se sont améliorées et la coopération est orientée vers un niveau moins complexe de relations d'Etat à Etat.
Grâce à l'argument Rébus sic stantibus les deux parties se sont gardées de se lancer dans une réorganisation longue, coûteuse et forcément décevante dans de nouveaux accords d'Evian 43. En 1965 de nouvelles négociations sont prévues à l'expiration de la période de transition de trois ans qui met fin à la coopération sur les bases jetées à Evian. On essayera de confirmer et de renouveler les accords concernant les personnes (Algériens en France, conseillers techniques non musulmans en Algérie, tout en réduisant la part de l'aide financière et en augmentant celle de l'assistance technique. L'union douanière et la nécessité de garder le nouveau dinar algérien dans la zone franc, constitueront probablement des raisons aussi pressantes que les motifs politiques pour maintenir une certaine aide financière. Une évacuation anticipée des bases, y compris des emplacements des essais atomiques, renforcera la position de la France dans la négociation. Dès lors, le problème sera d'obtenir la bonne volonté de l'Algérie au moindre prix et pour la durée la plus longue possible. Du côté algérien, les perspectives de négociation seront beaucoup plus fluides et les décisions auront tendance à être prises à la manière inconsciemment empirique des années précédentes, sur la base de considérations de politique intérieure. Il y a peu de chances que l'on constate une reprise importante de l'économie algérienne et d'assez graves risques que la crise aggrave ; il n'y aura plus de terres à nationaliser et guère plus de biens immobiliers dans les villes ; la production pétrolière sera soumise à des contrôles plus étroits de la part du gouvernement.

Il apparaît de ce bilan des atouts des faiblesses et des tactiques adoptées, que la France négocie en fait avec elle-même en présence d'une Algérie relativement impuissante. La seule contribution de l'Algérie aux négociations, résulte de ses besoins. La France est présente en Algérie grâce à la coopération, parce qu'elle se sent obligée d'y être pour des raisons politiques et morales, plutôt que pour un quelconque quid pro quo que Algérie puisse lui offrir : la partie se joue pour un enjeu auquel seule la France contribue et qu'elle ne pourra jamais gagner. Le seul gain possible pour elle dans le meilleur des cas, est que son partenaire s'engage à continuer de jouer. Pour en revenir au vocabulaire politique, au cours de ce processus, l'Algérie a pris très peu de décisions de politique étrangère. Ses décisions touchant les relations franco algériennes ont toutes porté sur des problèmes de politique intérieure ; les décisions de politique étrangère ont été prises par la France. Lorsque M Ben Bella déclarait en septembre 1963 : "Nous voulons que la coopération franco-algérienne s'établisse sur un pied égalité", il indiquait qu'il ne considérait plus les relations entre communautés comme relevant du domaine de la coopération, tout en oubliant que les deux pays n'étaient pas de force égale sur le plan diplomatique et que la coopération ne tenait pas une place analogue dans leurs préoccupations (politique intérieure ou politique étrangère) et leurs décisions finales.

Août 1964

Zartman I. William. Les relations entre la France et l'Algérie depuis les accords d'Évian. In: Revue française de science politique, 14e année, n°6, 1964. pp. 1087-1113. doi : 10.3406/rfsp.1964.403473
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1964_num_14_6_403473

Notes :
(*) Nous nous permettons de signaler à nos lecteurs, la publication récente d'une étude de Jean-Claude DOUENCE sur La mise en place des institutions algériennes, Paris, Fondation nationale des sciences politiques 1964 p 76 (Centre étude des relations internationales Etudes maghrébines n° 2)
1. L'expression a été utilisée pour la première fois par Jean LACOUTURE " La coopération franco-algérienne est-elle possible ? " Revue de Paris, avril 1963. Elle a été finalement reprise par M de Broglie dans son discours du 23 septembre 1963, Le Monde 24 sept 1963. Conformément à l'usage courant, le terme de " coopération " ou de " coopération bilatérale " sera utilisé ici comme synonyme de " relations franco-algériennes ".
2. Déclaration générale : in François PERROUX l'Algérie de demain, Paris P.U.F. 1962, p. 244. (On s'y réfère par la suite sous le titre de Tiers-Monde série de publications où elle a paru.
3. Déclaration générale III. Tiers-Monde p 244
4. N.B Les statistiques monétaires françaises de cet article sont foutes données en "nouveaux francs". A l'époque de la séparation des trésoreries l'Algérie avait à son crédit 100 millions de francs et 200 millions supplémentaires lui avaient été accordés pendant la visite de M Khemisti. Sur cette somme, restaient 150 millions pour commencer l'année 1963. Toutefois, d'autres sources normales de revenus et en particulier l'impôt, étaient à des degrés divers, en voie de disparition. A l'intérieur de la zone franc, l'Algérie disposait également d'un crédit en dollars de 375 millions de francs. Entre novembre 1962 et juin 1963, il y avait en Algérie un excédent de 700 millions de francs provenant des mandats postaux entre les deux pays. New York Times 9 juin 1963
5. 50 millions de francs avaient déjà été versés en application de l'accord précédent
6. Déclaration générale II. Déclaration de garanties Tiers-Monde pp 242-250. L'expression juridique normale utilise le mot "juste" et non "équitable". Le terme fut modifié sur l'insistance des Algériens à Evian probablement désireux de protester contre la "justice" qui avait à l'origine procédé l'acquisition des terres par les colons.
7. Reggane, In kker et Colomb-Béchar-Hammaguir.
8. Colomb-Béchar, Reggane, In Amguel, Bône et Boufarik.
9. Durant les trente mois qui suivirent Evian, les incidents se soldèrent par la mort d'une demi-douzaine de soldats seulement. Un an après le cessez le-feu il y avait eu au moins un match de football amical entre des équipes de l'armée française et algérienne.
10. L'ordonnance du 24 août définissait les terres vacantes comme les biens vacants depuis plus de deux mois, placait ces terres sous la protection du préfet et rendait au propriétaire ses titres effectifs s'il reprenait possession de ses terres dans le délai d'un mois
11. Décret du 23 septembre.
12. Décret du 22 octobre.
13. Décret du 23 octobre.
14. L'autorisation consiste en général, en une feuille polycopiée qu'on devra remplir. Dans de très nombreux cas il n'y avait aucune autorisation écrite au moment de la saisie et aucune notification n'en était faite au propriétaire, sinon par une déclaration verbale du représentant du comité
15 On peut objecter à cela que la vague de saisies sommaires n'était pas assez violente pour justifier le terme de jacquerie. Mais l'absence générale de violence vint du fait que le colon n'offrait pas de résistance et que le gouvernement algérien soutint et légitima les saisies et non pas de la nature fondamentalement non violente du mouvement paysan en soi.
16. FRONT DE LIBERATION NATIONALE. Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire. Alger al-Chaab 1962.
17. La France comme l'Algérie soutinrent que le Code était conforme aux accords, le ministre algérien de la Justice ajoutant en effet que s'il ne l'était pas, la France avait déjà violé les accords en matière de nationalité par une ordonnance du 22 juillet 1962 qui conférait aux Algériens non musulmans la double nationalité refusée à Evian par le G.P.R.A.
18. La relation entre les essais atomiques et les décrets de mars n'a pas été établie de manière certaine. Le décret avait été préparé par Mohammed Harbi du Bureau d'Animation Socialiste qui relève des services du président bien avant sa publication. Selon toute probabilité il aurait été publié de toute manière, mais il semble bien aussi que sa publication le 22 mars était en rapport direct avec l'incident des expériences nucléaires. Le décret parut le 22 mars mais il était daté du 18 mars ; plus tard il fut adopté comme loi par l'Assemblée nationale algérienne.
19. Loi du 11 juillet 1938 sur organisation du pays en temps de guerre ; décret du 17 mars 1956 sur les mesures exceptionnelles en vue de rétablir l'ordre : décrets de février et mars 1961 sur l'autorité civile et militaire en Algérie ; instruction de Exécutif provisoire en date du 13 juillet 1962 sur la prolongation de la législation antérieure. Le cas célèbre qui fut à l'origine de ce décret était celui de La Trappe le domaine d'Henri Borgeaud près d'Alger. Les décrets des 22 et 28 mars réorganisaient également les comités de gestion. On trouvera les textes de ces trois décrets de mars dans Confluent § (32-33) pp 567-579.
20. Décret du 9 mai 1963.
21. Auparavant un cas semblable avait été plaidé devant la Cour civile d'Orléansville où le juge algérien avait déclaré les saisies sommaires compatibles avec l'esprit du socialisme révolutionnaire. Il n'y eut pas autre cas à Orléansville.
22. Le Monde 26 mai 1963.
23. Cf. Déclaration des garanties I (2) II (11-12) Tiers-Monde pp 245-248.
24. Déclaration sur le Sahara IV Tiers-Monde p 256.
25. Un tiers des 450 millions de francs en prêts de trésorerie pour 1962 et 1963 avait été remboursé à la mi-février 1964.
26. Une ordonnance du 30 mai 1963 stipule que seul le personnel ayant des compétences sans équivalents en Algérie peut rester en poste.
27. Le Monde 18 avril 1964, chiffre cité par A.G.T.A. Voir aussi le discours du député Kalache, Le Monde, 13 mars 1964.
28. Déclaration des garanties, I (2) Tiers-Monde, p 245 Déclaration sur la coopération économique II (7) Tiers-Monde, p 252.
29. Le Monde 13 mars 1964.
30. L'analyse du problème du pétrole donnée ici est forcément brève. Pour plus de détails voir article de Jean-François KAHN dans Le Monde 12 mai 1964 et celui de Jean LACOUTURE dans Le Monde diplomatique avril 1964. 31. Voir en particulier Révolution africaine 8 juin 1963.
32. Cependant la Trapal a invoqué le droit d'appel devant un tribunal d'arbitrage le 11 avril au sujet du troisième pipe-line.
33. Voir SCHELLING World politics p 609. Cette incitation fut utilisée tout particulièrement à la fin de 1962, mais elle avait encore un effet perceptible en octobre 1963 et en février 1964 lorsque M Ben Bella prit soin d'insister sur l'ordre qui avait présidé aux saisies.
34. Il ne s'agit pas de réveiller l'espoir ancien autrefois très répandu aux Etats-Unis, que l'aide suscite la gratitude. Mais du point de vue de son propre intérêt national, le pays donateur peut supposer que son aide fournira un des éléments de base d'une bonne volonté entre les deux pays.
35. Mais les cas ne sont pas semblables. Les saisies sommaires ont déjà créé des problèmes pour la vente du vin et des citrons algériens en France.
L'Algérie semble rechercher un marché plus vaste pour son pétrole et les compagnies maritimes assurant le trafic entre la France et l'Algérie ont nettement diminué leurs flottes de Méditerranée.
36. Selon les définitions qu'on adopte, bien entendu, cela n'est pas absolument vrai. L'aide américaine à L'Inde en 1962 était de 465 millions de dollars dont 445 pour le développement. Toutefois cette somme consistait en prêts de développement et non en dons.
37. Pour citer quelques solutions de rechange, la Russie a accordé 227 millions de dollars en prêts dont une petite partie seulement n'a été utilisée jusqu'ici : les Etats-Unis ont fourni 25 000 tonnes de denrées alimentaires par mois ; un total de 400 000 tonnes a été atteint au début de 1964 ; les services spécialisés des Nations Unies ont ouvert un crédit de 1,25 million de dollars en mai 1963 pour l'assistance technique et la Banque mondiale a prêté 20,5 millions de dollars pour la construction d'une usine de gaz liquéfiés en mai 1964.
38. SCHELLING (T.C.) The strategy of conflict, Cambridge, Harvard 1960 p 37 ; voir aussi SCHELLING (T.C.) "American foreign assistance", World politics 7 (4). Juil. 1955 pp 609-625. On peut supposer, mais ce n'est là qu'une supposition, que cette tactique fut également utilisée par M Ben Bella en ce qui concerne une éventuelle accession au pouvoir d'autres dirigeants plus radicaux, bien que l'éventualité de " solutions de rechange pires " ait été évoquée en France et non en Algérie et que M Ben Bella comme on pouvait s'y attendre, ait déclaré qu'il n'y avait pas autre solution que lui (Le Monde 24 sept 1963).
39. FANON (Franz), Les damnés de la terre, Paris, Maspero 1961 pp 76-78.
40. Le Monde 14 et 16 février, 12 mars 1964 ; l'expression est de Jean-François KAHN.
41. C'est seulement pour les négociations avec le Marché commun que l'Algérie a commencé à s'intéresser à une diplomatie commune de l'Afrique du Nord.
42. Des commentateurs se sont demandés si M Ben Bella connaissait cette expression latine (Hubert BEUVE-MERY dans Le Monde, 30 avril 1963) ; s'il ne la connaissait pas personnellement, ses conseillers la connaissaient certainement car on la retrouve dans le manuel politique de la Wilaya V KHELIFA (Haroussi), Manuel du militant algérien, Lausanne, La Cité, 1962 p 260, qui, dans cette section, s'inspire très largement à son tour de COLLIARD (Claude-Albert), Institutions internationales, Paris, Dalioz 1956.
43. C'est aussi pour cette raison que la France n'a jamais insisté sur la création d'une Cour des garanties, car obligation de plaider devant la Cour, sur la base des accords Evian aurait ôté toute souplesse à ceux-ci.

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Mis en ligne le 25 juin 2011

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