Les transportés de 1848 - Les repris de justice (Voir tableau)

Les 234 repris de justice font tous l'objet d'une observation personnelle quant à leurs antécédents judiciaires respectifs. Notons qu'une quarantaine d'entre eux se voient attribuer une annotation complémentaire plus politique.

Les condamnations des repris de justice relèvent pour la très grande majorité de la peine de prison et donc d'infractions de simple police ou de délits mais 8 d'entre eux ont été condamnés aux travaux forcés, une peine qui ne peut être prononcée qu'en matière criminelle.

Parmi ces anciens forçats :

- Charles Cartigny, un tourneur âgé de 30 ans condamné à 7 ans par les assises de la Seine.
- Jacques Dupont, un imprimeur de 40 ans, condamné à 20 ans travaux forcés, le 22 août 1833 pour vol sur un chemin public, après 13 arrestations.
- Jean Paul Ribon, fabricant de meubles, âgé de 40 ans, condamné à 8 ans de travaux forcés après avoir été arrêté 7 fois pour vol.
À ces trois Parisiens de naissance, il faut ajouter :
Alphonse Guillemont, natif de Quevauvillers dans la Somme, cordonnier de son état et condamné à 5 ans de travaux forcés pour vol, après 4 condamnations pour rupture de ban ;
François Martin, né à Confracourt en Haute-saône, âgé de 26 ans, marié un enfant et déjà condamné à 5 ans de travaux forcés par contumace ; et Jean Baptiste Renaudin, originaire des Ardennes, un journalier de 55 ans, condamné à 5 ans de travaux forcés pour vol. Les 6 forçats précités ont subi des condamnations prononcées à partir de faits relevant du droit commun. En revanche, Félix Chopin un serrurier parisien, âgé de 50 ans, veuf et père de deux enfants a subi 3 ans de travaux forcés pour désertion, une peine qui a dû lui être infligé tandis qu'il était militaire. Enfin, Aimable Carpentier, natif de Gravelines a été condamné à 8 ans de travaux forcés pour attentat contre le gouvernement, une incrimination de caractère politique (cette peine a d'ailleurs été commuée en 8 ans détention, laquelle est une peine politique).

En dehors des anciens condamnés aux travaux forcés, se trouvent également, parmi les repris de justice, de nombreux récidivistes et même des multirécidivistes. Ainsi, en nous limitant à ceux qui avaient déjà subi plus de 5 condamnations, nous en avons relevé 26, soit 11 %, répondant à ce critère.

Sur les quatre repris de justice les plus souvent condamnés, aucun n'est signalé pour sa "dangerosité" politique. Il s'agit de :

- Joseph Cuisinier, né à Dôle âgé de 41 ans, enregistré comme perruquier mais 21 fois condamné ; - François Launoy, natif de Pont-de-planches en Haute-Saône, âgé 33 ans, déclaré comme porteur aux halles et condamné 15 fois ;
- Pierre Gaudot dit Pierre Michel, né à Paris, 52 ans, tourneur en cuivre, 19 fois arrêté, 16 fois condamné ;
- Julien Meyer dit Marie Jean également né à Paris, 48 ans, peintre en bâtiment, 14 fois condamné.
Les motifs de condamnation de ces quatre transportés sont identiques : vol, vagabondage et rupture de ban.
Ce sont ces motifs que l'on retrouve parmi les 22 autres repris de justice condamnés plus de 5 fois.
Il suffit pour s'en convaincre de consulter dans le tableau de référence et par ordre nominatif la liste suivante :
Condamnés 10 fois : Jean Baptiste Krieger et Alexis Marin.
Condamnés 9 fois : Charles Meyer et Pierre Toitot.
Condamnés 8 fois : René Beauvallet, Joseph Bourlé, François Duc, Jacques Morisot et Louis Oudard.
Condamnés 7 fois : Louis Breton, Pierre Champs, Joseph Duffet, Louis Milsan, Pierre Naudin et Jean Baptiste Touchard. Condamnés 6 fois : Jean Bigarel, Louis Bonneville, François David, Narcisse Desbonner, Nicolas Meunier, Jean Baptiste Pedeau et Gaspard Rivière.

Seuls trois d'entre eux sont également signalés comme "dangereux politique" : Narcisse Desbonner, Alexis Marin et Pierre Naudin. Quant à François Duc, il est le seul à avoir été poursuivi pour "écrits séditieux", un délit à caractère politique.
On peut également constater que parmi les individus précités ayant subi de nombreuses condamnations, nombre d'entre eux ont connu des arrestations encore plus nombreuses. C'est le cas pour François Duc arrêté 17 fois, Joseph Bourlé 16 fois, Pierre Naudin 14 fois, François David 13 fois, Charles Meyer 12 fois, Jacques Morisot et Pierre Toitot 11 fois, Louis Milsan et Jean Baptiste Touchard 10 fois, Pierre Champs et René Beauvallet 9 fois ainsi que Jean Baptiste Pedeau 8 fois. Ce profil de délinquants récidivistes condamnés à des peine de prisons pour des motifs comme le vagabondage, la mendicité, la rupture de ban, les coups et blessures, l'outrage, la rébellion et au pire le vol, laisse à penser que ces antécédents ont dû peser lourdement au moment de l'établissement des listes des graciés par les différentes commissions désignées à cet effet.

La catégorisation qui sépare les "dangereux" des repris de justice répond donc à des critères reconnaissables. Pourtant les frontières des deux catégories sont loin d'être hermétiques. En effet, un certain nombre d'individus, au vu des renseignements en notre possession, auraient pu être classés dans l'une ou l'autre.

Ainsi, une trentaine de "dangereux" (13,3%) sont signalés avec en marge des annotations qui auraient pu les faire relever de la catégorie des repris de justice :

- Jean François Armand : "20 jours pour coups en 1845" ; - Julien Arrondel : "6 jours pour rébellion et outrages" ;
- Charles Bachetet : "Renvoyé 3 fois de vol et vagabondage, 3 jours pour coups" ;
- Claude Bataille : "3 jours pour vol" ;
- Charles Bivors : "10 jours de prison pour rébellion" ;
- François Blondeau : "6 jours de prison pour coups" ;
- Pierre Boudin : "2 fois condamné pour coups" ;
- Désiré Desgrief : "8 jours pour coups" ;
- Edouard Gossart : "7 fois condamné pour contravention" ;
- Marie Etienne Grosbois : "arrêté 3 fois pour coups et blessures, condamné 1 fois" ;
- Philippe Joson : "3 jours pour vol" ;
- Eugène Labarre : "15 jours pour coups et blessures" ;
- Sébastien Laroche : "2 condamnations pour outrages, rébellion et coups" ;
- Jean Leprince : "10 jours de prison pour coups" ;
- Louis Link : "6 jours pour rébellion" ;
- Jean Baptiste Mouton : "8 jours pour coups et blessures" ; - Désiré Renard : "1 mois pour coups" etc.

De même, comme indiqué plus haut, une quarantaine de repris de justice (17 %) sont signalés, avec en marge, des annotations de caractère très politique (en italiques). Ainsi la mention "dangereux politique" apparaît 29 fois (12,4% des repris de justice). Mais l'on trouve aussi les mentions "très exalté", "très mauvais ", "très exalté, très dangereux"...

Parmi les repris de justice les plus mal notés du point de vue politique, on peut signaler les trois Parisiens suivants :

- Jean Baptiste Barbier, 30 ans, menuisier : "Dangereux au point de vue politique. Demi instruction. Auteur de plusieurs mauvaises chansons socialistes, homme d'action" ;
- Joseph Poussot, 37 ans, journalier et brocanteur : "3 condamnations pour vol, 2 non-lieux pour vagabondage. Très dangereux, homme politique d'action et de barricades."
- Louis Pierre Chaumont, 43 ans parqueteur, marié : "2 fois condamné pour vol. Très exalté, très dangereux. Meneur froid mais résolu".

Les développements qui précèdent ont permis de montrer que la répression des journées de Juin a concerné à la fois des "politiques" ou des auteurs de délits d'opinion et des délinquants relevant du droit commun même si une grande partie de cette dernière délinquance est issue de la misère. Mais il en est ainsi dans tous les mouvements insurrectionnels.

Au-delà de la volonté manifeste de discréditer, les "politiques" en les mêlant à de vrais délinquants, la loi du 24 janvier 1850 apparaît bien, au moins dans son application, comme un prélude aux futurs décrets d'exception qui permettront après le 2 décembre, la transportation en Algérie et en Guyane de milliers d'opposants à Napoléon III, classés soit comme "affiliés à des sociétés secrètes" soit comme "repris de justice" (1). La similitude entre le classement de janvier 1850, "dangereux" et repris de justice d'une part et celui de décembre 1851, "affiliés à des sociétés secrètes" et repris de justice d'autre part est évidente.

On peut aussi penser que l'on a voulu profiter de cette transportation pour débarrasser Paris de délinquants arrêtés entre les 23 et 27 juin 1848. Mais à cette date, le nombre de ces délinquants qui ont été finalement transportés est bien trop faible pour avoir des conséquences sur la baisse de la criminalité parisienne et cette hypothèse pourra mieux être appliquée aux transportés du 2 décembre. Elle sera également évoquée à propos des déportés de la Commune. Elle se fondera alors sur les statistiques des services de la Déportation lesquelles signaleront la présence de nombreux auteurs de délits parmi ces déportés. Selon l'Administration Pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie sur 3324 déportés de la Commune, 1185 auraient subi 3194 condamnations (2).

En revanche et même si elle procède d'une autre logique, la loi sur la relégation, du 27 mai 1885, permettra d'exiler légalement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, des milliers de petits délinquants récidivistes dont les profils seront semblables sinon identiques à ceux de la catégorie "repris de justice" des transportés de 1848. Comment donc ne pas voir dans cet amalgame entre "dangereux" et repris de justice la progression du concept classes laborieuses/classes dangereuses défini par Louis Chevalier et l'illustration de la "peur sociale" éprouvée par les classes dirigeantes ?(C'est nous qui soulignons, ndlr)

Les instructions données aux commandants des navires chargés de la transportation des insurgés de Juin sont à cet égard révélatrices :

"Il ne doit s'établir aucune intimité entre les passagers et l'équipage .... le bon esprit qui règne dans la Marine doit rester pur de tout contact même prolongé avec les doctrines subversives de ces hommes égarés." (3)

Notons que ces instructions ne semblent pas établir de différence de "nocivité" entre les deux catégories de transportés. À notre connaissance, aucune instruction ne fait référence à des différences de traitement ou de régime entre les "dangereux" et les repris de justice à Belle-Île comme sur les navires transporteurs. Ainsi, sur l'Asmodée sont embarqués, sans autre distinction que l'ordre alphabétique, 114 "Dangereux" et 108 repris de justice. On y trouve aussi Edouard Rigaudin et Jean-Baptiste Maritus dont les catégories ne sont pas précisées

1. Sur le sujet voir de Louis-José BARBANÇON, Entre les Chaînes et la Terre, L'évolution de l'idée de déportation au XIXe siècle en France, aux origines de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2000, pp. 242 à 283. Publiée sous le titre, L'Archipel des forçats. Histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie (1863-1931), Presses Universitaires du Septentrion, 2003. Un article destiné au site Criminocorpus est en cours de rédaction sur ce sujet par le même auteur.
2. Notices sur la déportation à la Nouvelle-Calédonie (1873-1877), 5 notices, publications officielles du ministère de la Marine et des Colonies, Imprimerie Nationale.
3. A.N., série Marine, BB 4 669.

L'administration de Belle-Île a mis en place des catégories qui créent un cadre répressif, dont les délimitations ne sont pas encore rigoureusement définies laissant ainsi ouverte la porte à une application qui ne prolonge pas les distinctions initiales. Cependant, cette première catégorisation annonce aussi, sans conteste, des dispositions futures beaucoup plus contraignantes.

http://criminocorpus.revues.org/153



26 fev 2011
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