Les transportés de 1848 - Les repris de justice (Voir tableau)
Les 234 repris de justice font tous l'objet d'une observation personnelle quant à leurs antécédents judiciaires respectifs. Notons qu'une quarantaine d'entre eux se voient attribuer une annotation complémentaire plus politique. Les condamnations des repris de justice relèvent pour la très grande majorité de la peine de prison et donc d'infractions de simple police ou de délits mais 8 d'entre eux ont été condamnés aux travaux forcés, une peine qui ne peut être prononcée qu'en matière criminelle. Parmi ces anciens forçats : - Charles Cartigny, un tourneur âgé de 30 ans condamné à 7 ans par les assises de la Seine.À ces trois Parisiens de naissance, il faut ajouter : Alphonse Guillemont, natif de Quevauvillers dans la Somme, cordonnier de son état et condamné à 5 ans de travaux forcés pour vol, après 4 condamnations pour rupture de ban ; En dehors des anciens condamnés aux travaux forcés, se trouvent également, parmi les repris de justice, de nombreux récidivistes et même des multirécidivistes. Ainsi, en nous limitant à ceux qui avaient déjà subi plus de 5 condamnations, nous en avons relevé 26, soit 11 %, répondant à ce critère. Sur les quatre repris de justice les plus souvent condamnés, aucun n'est signalé pour sa "dangerosité" politique. Il s'agit de : - Joseph Cuisinier, né à Dôle âgé de 41 ans, enregistré comme perruquier mais 21 fois condamné ; - François Launoy, natif de Pont-de-planches en Haute-Saône, âgé 33 ans, déclaré comme porteur aux halles et condamné 15 fois ; Seuls trois d'entre eux sont également signalés comme "dangereux politique" : Narcisse Desbonner, Alexis Marin et Pierre Naudin. Quant à François Duc, il est le seul à avoir été poursuivi pour "écrits séditieux", un délit à caractère politique. La catégorisation qui sépare les "dangereux" des repris de justice répond donc à des critères reconnaissables. Pourtant les frontières des deux catégories sont loin d'être hermétiques. En effet, un certain nombre d'individus, au vu des renseignements en notre possession, auraient pu être classés dans l'une ou l'autre. Ainsi, une trentaine de "dangereux" (13,3%) sont signalés avec en marge des annotations qui auraient pu les faire relever de la catégorie des repris de justice : - Jean François Armand : "20 jours pour coups en 1845" ; - Julien Arrondel : "6 jours pour rébellion et outrages" ; De même, comme indiqué plus haut, une quarantaine de repris de justice (17 %) sont signalés, avec en marge, des annotations de caractère très politique (en italiques). Ainsi la mention "dangereux politique" apparaît 29 fois (12,4% des repris de justice). Mais l'on trouve aussi les mentions "très exalté", "très mauvais ", "très exalté, très dangereux"... Parmi les repris de justice les plus mal notés du point de vue politique, on peut signaler les trois Parisiens suivants : - Jean Baptiste Barbier, 30 ans, menuisier : "Dangereux au point de vue politique. Demi instruction. Auteur de plusieurs mauvaises chansons socialistes, homme d'action" ; Les développements qui précèdent ont permis de montrer que la répression des journées de Juin a concerné à la fois des "politiques" ou des auteurs de délits d'opinion et des délinquants relevant du droit commun même si une grande partie de cette dernière délinquance est issue de la misère. Mais il en est ainsi dans tous les mouvements insurrectionnels. Au-delà de la volonté manifeste de discréditer, les "politiques" en les mêlant à de vrais délinquants, la loi du 24 janvier 1850 apparaît bien, au moins dans son application, comme un prélude aux futurs décrets d'exception qui permettront après le 2 décembre, la transportation en Algérie et en Guyane de milliers d'opposants à Napoléon III, classés soit comme "affiliés à des sociétés secrètes" soit comme "repris de justice" (1). La similitude entre le classement de janvier 1850, "dangereux" et repris de justice d'une part et celui de décembre 1851, "affiliés à des sociétés secrètes" et repris de justice d'autre part est évidente. On peut aussi penser que l'on a voulu profiter de cette transportation pour débarrasser Paris de délinquants arrêtés entre les 23 et 27 juin 1848. Mais à cette date, le nombre de ces délinquants qui ont été finalement transportés est bien trop faible pour avoir des conséquences sur la baisse de la criminalité parisienne et cette hypothèse pourra mieux être appliquée aux transportés du 2 décembre. Elle sera également évoquée à propos des déportés de la Commune. Elle se fondera alors sur les statistiques des services de la Déportation lesquelles signaleront la présence de nombreux auteurs de délits parmi ces déportés. Selon l'Administration Pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie sur 3324 déportés de la Commune, 1185 auraient subi 3194 condamnations (2). En revanche et même si elle procède d'une autre logique, la loi sur la relégation, du 27 mai 1885, permettra d'exiler légalement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, des milliers de petits délinquants récidivistes dont les profils seront semblables sinon identiques à ceux de la catégorie "repris de justice" des transportés de 1848. Comment donc ne pas voir dans cet amalgame entre "dangereux" et repris de justice la progression du concept classes laborieuses/classes dangereuses défini par Louis Chevalier et l'illustration de la "peur sociale" éprouvée par les classes dirigeantes ?(C'est nous qui soulignons, ndlr) Les instructions données aux commandants des navires chargés de la transportation des insurgés de Juin sont à cet égard révélatrices : "Il ne doit s'établir aucune intimité entre les passagers et l'équipage .... le bon esprit qui règne dans la Marine doit rester pur de tout contact même prolongé avec les doctrines subversives de ces hommes égarés." (3) Notons que ces instructions ne semblent pas établir de différence de "nocivité" entre les deux catégories de transportés. À notre connaissance, aucune instruction ne fait référence à des différences de traitement ou de régime entre les "dangereux" et les repris de justice à Belle-Île comme sur les navires transporteurs. Ainsi, sur l'Asmodée sont embarqués, sans autre distinction que l'ordre alphabétique, 114 "Dangereux" et 108 repris de justice. On y trouve aussi Edouard Rigaudin et Jean-Baptiste Maritus dont les catégories ne sont pas précisées L'administration de Belle-Île a mis en place des catégories qui créent un cadre répressif, dont les délimitations ne sont pas encore rigoureusement définies laissant ainsi ouverte la porte à une application qui ne prolonge pas les distinctions initiales. Cependant, cette première catégorisation annonce aussi, sans conteste, des dispositions futures beaucoup plus contraignantes. http://criminocorpus.revues.org/153
1. Sur le sujet voir de Louis-José BARBANÇON, Entre les Chaînes et la Terre, L'évolution de l'idée de déportation au XIXe siècle en France, aux origines de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2000, pp. 242 à 283. Publiée sous le titre, L'Archipel des forçats. Histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie (1863-1931), Presses Universitaires du Septentrion, 2003. Un article destiné au site Criminocorpus est en cours de rédaction sur ce sujet par le même auteur. |