Les transportés de 1848 - Les "dangereux" (Voir tableau)

Sur les 225 détenus de Belle-Île classés parmi les "dangereux", 86 (38 %) sont signalés avec des mentions aggravantes (présentées en italiques, colonne "Observations" du tableau). Ces annotations supplémentaires censées attirer l'attention sur la dangerosité des individus concernés révèlent en réalité toutes les inquiétudes et les peurs des décideurs et des responsables de la IIe république.

Un examen minutieux permet de constater que sur 86 mentions, 54 relèvent de facteurs politiques indéniables.

Ceux qui sont considérés comme les responsables des journées de Juin ou comme des meneurs sont, bien entendu, particulièrement mentionnés. Il faut citer en premier lieu :

- Louis Pujol, de Saint-Girons en Ariège, un publiciste de 25 ans : "Le principal acteur de l'insurrection de juin, homme d'intelligence, d'énergie, d'action. Très à craindre comme meneur et comme homme d'exécution. Auteur de tous les désordres commis au dépôt et de toutes les manifestations coupables. A tenté trois fois de s'évader. Paraît avoir été détenu à la maison centrale d'Eysse près de Villeneuve d'Agen."
- Pierre Becker : un rémois de 48 ans, lieutenant-colonel de la légion italienne : "deux fois condamné pour offense au Roi, association illicite, gracié. Un des chefs de la dernière révolte. Homme intelligent mais incitateur et propagandiste."
- Hyppolite Lermigeaux originaire du Nord, capitaine de la garde républicaine, âgé de 47 ans : "non-lieu pour vol - le plus mauvais esprit de la détention jouant à merveille de la palinodie. On assure qu'il a commandé les gardes de Sobrier, très mauvais, très dangereux."

On peut y ajouter deux jeunes gens ayant servi dans la garde mobile :

- le Parisien Jean Marie Hugelmann, 19 ans, déclaré comme homme de lettres mais également : "ex-lieutenant de la garde mobile, ambitieux, sans conviction, auteur de la parodie du catafalque des assassins du général Bréa, mauvais homme, dangereux, méprisable."
- Jean Baptiste Kollman né à Clichy la Garenne, 20 ans, garçon épicier : "ex-sous-lieutenant de la garde mobile, pris les armes à la main, proférant constamment des menaces de vengeance a tenté plusieurs fois de s'évader."

Parmi les autres meneurs que l'Administration redoute particulièrement :

- Jean Louis Aubin, d'Arras, 34 ans, terrassier : "Homme d'action, dangereux sous tous les rapports. Un des plus ardents instigateurs de tous les désordres, ne reculerait pas devant la violence, très mauvais, sans instruction."
- Antoine Beury, un architecte parisien de 36 ans : "arrêté en mai 1848, pour attentat, mis en liberté, très exalté et violent capable de se livrer aux derniers excès, dangereux au point de vue de ses théories, homme d'action dangereux."
- Jean Chautard, natif du Gard, 35 ans, teneur de livres : "Energumène, homme d'action. Dangereux sous tous les rapports. Ardent meneur, très mauvais. S'est échappé du dépôt a été pour ce fait condamné à 2 mois de prison."
- Léon Derouin, de Blois, 27 ans, horloger : "ex-capitaine des Montagnards, blessé sur les barricades, homme d'action et d'énergie, très dangereux."
On pourrait également citer :
Gabriel Pelin, 32 ans, artiste peintre et journaliste : "transfuge de l'armée de Lyon en 1834, méchant, dangereux, menaçant, un des plus exaltés."

L'exaltation, l'énergie, la dangerosité sont les caractères les plus souvent relevés qu'ils soient employés seuls :

- Achille Saint-Léon : "Très exalté, très énergique, très dangereux" ;
- Joseph Frémont : "Très mauvais, très dangereux" ;
- Jean Robert : "Excessivement exalté, très mauvais, très dangereux" ;

ou pour souligner un trait de l'homme concerné :

- Louis Achille : "Très exalté, mauvais sujet, homme dangereux" ;
- Pierre Picheloup : "Très mauvais, homme d'action, énergique" ;
- Julien Even : "Très dangereux, très exalté, homme d'action" ;
- Jean Dargout : "Homme très mauvais, très exalté, très dangereux"
Ceux qui sont considérés comme pouvant propager des idées dangereuses sont également visés par ces mentions :
- Jacques Leyris : "Très exalté, propagandiste, homme d'action" ;
- Théodore Tassilier : "Très exalté, meneur et propagandiste très dangereux" ;
- Jules Peyront : "Propagandiste très exalté en politique, ambitieux" ;
- Jean-Baptiste Lagarde : "Excessivement dangereux, propagandiste très exalté, homme d'action" ;
- Gabriel Guilleminot : "Propagandiste outré, très mauvais, très dangereux" ;
- Hervé Brucker : "Dangereux au point de vue de ses théories politiques" ;

Autre critère retenu dans ces annotations des "dangereux" : leur capacité à agir y compris par la violence :

- Auguste Maillard : "Exalté au dernier degré, homme d'action, de coups de main, très dangereux."
- Hippolyte Grand : "Energique, exaltation outrée, dangereux."
- Théodore Martin : "Homme brutal, violent, exalté, très dangereux."
- Jacques Klein : "Homme d'action, de barricades, très dangereux."
- Hippolyte Paon : "10 jours pour rébellion. Redoutable, capable de toutes les violences."

Enfin, apparaissent aussi des jugements quant aux capacités intellectuelles de certains transportés décrits comme : "sans instruction. Très exalté" (Jean Clavel) ; ou comme "méchant esprit, demi intelligence, meneur, propagandiste dangereux" (Léon et Louis Sibert) ; ou encore comme "esprit intelligent, mauvais antécédents, exalté, dangereux" (Claude Devesvres et Louis Dorgal). Les "intellectuels" sont principalement ciblés parmi les plus "dangereux". Citons notamment :

- Jean Terson, né à Fa dans l'Aude, 44 ans, homme de lettres, dont Marcel Emerit fera connaître les mémoires (1), défini comme : "ex-prêtre défroqué. Le Bazile de la détention préparant tous les mauvais actes dans l'ombre, meneur dangereux, agent provocateur, méchant esprit" ;
- Émile Thuillier, originaire de Sedan, 30 ans, journaliste : "ex-rédacteur du "père Duchène". Dangereux, exalté et homme d'intelligence et de menées sourdes, propagandiste, mauvais sous tous les rapports."
Ils sont également plusieurs à présenter des antécédents judiciaires dont l'examen montre qu'ils se fondent sur des infractions de caractère politique, ou sur des délits d'opinion, de coalition, d'association, de complot :
- Jules Bourbier : "ancien détenu politique, homme d'action et très dangereux."
- Barthélémy Chardon : "7 fois condamné pour vente d'imprimés."
- Georges Duhamel ? : "8 jours pour attroupement."
- Stéphane Gaillard : "15 jours pour destructions d'arbres. Renvoyé pour coalition, 25 f pour outrages à agent."
- Henri Gorlier : "arrêté pour cris séditieux et rébellion, acquitté en Assises. 25 f amende pour vol."
- Jean Herbulet : "arrêté 3 fois pour cris séditieux, complot. 10 ans de détention, cour de Paris 1839, gracié 4 octobre 1844."
- Antoine Jacquemin : "acquitté de complot, 8 jours pour association."
- Claude Maisons : "arrêté pour attentat, renvoyé, très dangereux, représentant de club."
- Augustin Morel : "non-lieu pour association illicite. Propagandiste dangereux, homme d'action."
- Louis Sanial : "arrêté pour complot en 1843, renvoyé."

1. Marcel EMERIT : "Les mémoires de Terson, déporté de 1848", dans la Revue Africaine, Alger 1947, n° 412/413, p. 235 à 241.

On peut donc constater une cohérence dans la définition des profils des "dangereux" où l'aspect politique domine.

http://criminocorpus.revues.org/153



Mis en ligne le 26 fev 2011
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