Monsieur Pierre Daum nous refait le coup.

Il ya trois ans il nous avait gratifié d'une œuvre somptueuse : " Ni valise, ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l'Indépendance ", dans laquelle il prétendait en résumé que seuls 80% des Pieds-Noirs étaient partis en invoquant leur refus viscéral de partager leur pays avec les " indigènes ".
Il se présente à nouveau comme destructeur de tabou concernant les harkis cette fois.

4e de couverture de son livre : Le Dernier Tabou
Les " harkis " restés en Algérie après l'Indépendance

On pense en général que les harkis, ces Algériens intégrés à l'armée française pendant la guerre d'indépendance, ont soit réussi à s'enfuir en France, soit été " massacrés " en 1962. En réalité, la plupart d'entre eux n'ont pas été tués, et vivent en Algérie depuis un demi-siècle. Une réalité historique difficilement dicible en Algérie comme en France.
Pendant deux ans, Pierre Daum a parcouru des milliers de kilomètres à travers toute l'Algérie afin de retrouver les témoins de cette histoire occultée. Des témoins qui, pour la première fois de leur vie, ont accepté de parler.
La soixantaine de témoignages que l'auteur a recueillis - auprès d'anciens supplétifs, mais aussi d'anciens soldats de l'armée régulière, et d'anciens civils "profrançais" - bouleversent plusieurs idées reçues des deux côtés de la Méditerranée. Que ce soit sur leur nombre (450 000), les motivations de leur engagement ou leur sort au moment de l'indépendance.
À travers ces récits de vie, on comprend que l'histoire des "harkis" (supplétifs et autres) s'inscrit au cœur d'un système colonial qui opprima le peuple algérien pendant cent trente-deux années.
Aujourd'hui, un demi-siècle après la fin de l'occupation française en Algérie, ces hommes, leurs épouses et leurs enfants apparaissent comme les ultimes victimes d'un passé colonial dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées, ni en France, ni en Algérie.

Entretien à Algérie-Focus

Trois ans après la publication de son livre-enquête "Ni valise, ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l'Indépendance", Pierre Daum, journaliste-historien au mensuel " Le Monde diplomatique ", s'attaque à une nouvelle idée reçue concernant la guerre de libération et ses effets.
À contre-courant de la pensée dominante en Algérie et en France, l'écrivain prouve dans " Le dernier tabou : les " harkis " restés en Algérie après l'Indépendance ", à paraître le 2 avril aux éditions Actes Sud, que " l'immense majorité " de ceux qui se sont rangés du côté de la France durant la lutte pour la libération n'a ni fui en France ni été massacrée. Ils sont restés vivre en Algérie après 1962, affirme l'auteur, qui se présente comme un " chercheur anti-colonialiste ". Pour Algérie-Focus, Pierre Daum révèle les dessous de son enquête. Entretien
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Propos recueillis par Djamila OULD KHETTAB
Algérie-Focus : Des deux côtés de la Méditerranée, on s'accorde à dire, depuis plus de 50 ans, que les harkis ont soit immigré en France, soit été tués au moment de l'indépendance. Comment vous est venue l'idée d'enquêter sur les harkis restés en Algérie ?
Pierre Daum : Au moment de la parution de mon livre Ni valise, ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie après l'Indépendance [ndlr en 2012], mon amie et collègue Fatima Bensaci-Lancou, qui est fille de harki, et qui fait partie comme moi des chercheurs et historiens anti-colonialistes, m'a suggéré de faire un livre sur les harkis restés en Algérie. J'étais surpris qu'elle me dise ça car, comme la plupart des Français, je pensais que les harkis, au moment de l'indépendance, avaient soit eu la chance de s'enfuir en France pour sauver leur peau, soit avait été massacrés en Algérie. Avec cette nouvelle enquête, Le dernier tabou, les "harkis" restés en Algérie après l'Indépendance, mon objectif est justement de corriger cette erreur.
Votre enquête a duré deux ans et demi. Vous avez parcouru des milliers de kilomètres. Comment avez-vous procédé ? Comment êtes-vous entré en contact avec ces harkis restés en Algérie ?
Il faut d'abord savoir que je n'ai aucun lien familial avec l'Algérie, mais je connais très bien ce pays pour y être allé plusieurs fois par an, ces dix dernières années en tant que journaliste-reporter pour le mensuel Le Monde diplomatique. En France, il existe plusieurs associations défendant les droits des harkis. Chacune d'elles a un site Internet sur lequel elles reçoivent, depuis plusieurs années, des messages de détresse d'anciens harkis vivant en Algérie. Dans ses messages, ils laissent généralement leurs coordonnées, parfois un numéro de téléphone. J'ai demandé à ces associations de me transmettre ces messages et j'ai envoyé un mail à une soixantaine de ces personnes, réparties à travers toute l'Algérie. Le tiers a répondu positivement. C'est ainsi que mon enquête a débuté. Au total, je me suis rendu cinq fois en Algérie durant ces deux ans et demi d'enquête, y séjournant entre trois et cinq semaines à chaque fois. A toutes les occasions, je découvrais sur place de nouveaux anciens harkis. Mon idée de départ était de savoir s'il y avait des différences régionales. J'ai rapidement constaté que les harkis restés en Algérie se trouvent dans toute l'Algérie. Dans mon enquête, j'ai retenu soixante témoignages de harkis, originaires de différentes régions.
Que vous ont-ils dit concernant leur engagement auprès de la France durant la guerre de Libération ?
Aucun harki ne s'est engagé du côté de la France par amour pour la France ou le drapeau français. Tous ceux qui prétendent que les harkis ont choisi le camp de l'armée française pour défendre la France sont des menteurs. Sur ce point, il existe deux catégories de menteurs : les nostalgiques de l'Algérie française, notamment les associations de rapatriés, qui parlent des harkis comme de valeureux patriotes qui se sont battus pour la France. Et les manuels scolaires algériens, qui continuent à déformer l'histoire, en disant que les harkis sont des traîtres car ils se sont engagés pour la France et contre l'Algérie. C'est complètement faux ! Et le gouvernement algérien devrait réfléchir sur le fait que les manuels scolaires disent la même chose que les nostalgiques de l'Algérie française…
Quelles étaient donc leurs motivations ?
Pour la plupart, la survie de la famille. Pour comprendre les motivations des harkis, il faut prendre en considération l'extrême misère dans laquelle vivait la population paysanne algérienne en 1954, fruit de 130 années d'oppression coloniale. Les citadins s'en sortaient un peu, par contre, dans les campagnes, les Algériens vivaient dans une misère terrible, qui s'est accentuée durant la guerre. Certains jeunes algériens sont alors allés frapper à la porte des casernes militaires françaises pour avoir un petit salaire afin de faire vivre leur famille, au sens large. D'ailleurs, aucun des témoins que j'ai rencontrés ne dit avoir choisi l'armée française pour se battre pour la France ou contre le FLN. En revanche, ils utilisent tous le terme " travailler ".
Il existe une seconde raison, qu'il ne faut pas négliger : c'est la violence parfois aveugle et totalement contre-productive de certains moudjahidine sur des familles paysannes. Contrairement à certaines idées reçues, seule une partie des harkis portaient des armes et combattaient activement contre les moudjahidine. Une partie était employée comme simple homme à-tout-faire à l'intérieur des casernes militaires françaises. D'ailleurs, les harkis étaient considérés comme de mauvais soldats par leurs supérieurs français, car la plupart n'était pas des militaires de métier, ils n'avaient pas d'expérience dans l'usage d'une arme à feu. Moins de 10% des harkis ont fait partie des " commandos harkis " de l'armée française qui combattaient très durement les moudjahidine.

Combien y avait-il de harkis au sein de la population algérienne pendant la guerre de Libération ?
Entendons-nous d'abord sur la terminologie. Ma question de départ était de savoir ce qui était arrivé aux Algériens qui s'étaient trouvés du côté des Français pendant les sept années et demie de guerre [novembre 1954 - mars 1962, ndlr], après le départ de l'armée française en 1962. Ces Algériens sont répartis en trois catégories : les supplétifs de l'armée française, qui avaient un statut de civil, et qui étaient eux-mêmes divisés en cinq sous-catégories, parmi lesquelles celle de " harkis " ; les militaires algériens incorporés à l'armée françaises, comprenant les militaires de carrière et les appelés car il faut savoir que durant la guerre, la France a continué à réclamer aux jeunes hommes algériens, âgés de plus de 18 ans, d'aller effectuer leur service militaire, ce que la moitié des appelés a fait ; enfin, les notables pro-Algérie française (fonctionnaires, conseillers municipaux, caïds, etc.).
On recense au moins 250.000 supplétifs de l'armée française, 50.000 militaires de carrière, 120.000 appelés et 30.000 notables. Soit un total de 450.000 Algériens, qui ont travaillé pour la France au cours de la guerre.
Que leur est-il arrivé en 1962 ? Combien sont partis en France, combien ont été tués, et combien ont survécu ?
Très peu de harkis ont fui en France après 1962. Moins de 30.000, alors qu'on parle souvent de ce groupe comme s'il avait été extrêmement nombreux. Le nombre de harkis assassinés après 1962 reste l'une des grandes questions de l'Histoire encore non résolues. Un peu comme le nombre exact de moudjahidine, d'ailleurs. Une chose est sûre : le nombre de harkis tués, avancé par certains en France, est complètement exagéré. Certains parlent de 150.000 harkis tués. Ce chiffre ne repose sur aucune étude historique, ce n'est que le fruit du fantasme et de l'instrumentalisation par les nostalgiques de l'Algérie française. Tout ce que l'on peut dire avec certitude, c'est que plusieurs milliers de harkis ont effectivement été tués après 1962. D'où la conclusion de mon enquête : l'immense majorité des harkis est resté vivre en Algérie après 1962.

D'où tirez-vous tous ces chiffres ? Avez-vous eu accès à des archives de l'armée française ?
Ces chiffres apparaissent dans plusieurs ouvrages historiques très sérieux sur la question. Je me suis ainsi appuyé sur les travaux de François-Xavier Hautreux, dont la thèse de doctorat sur le sujet est la plus récente actuellement. Il a eu accès à des archives de l'armée française et conforte dans ses travaux les chiffres avancés avant lui par d'autres historiens, comme par exemple Charles-Robert Ageron. À quoi a ressemblé l'année 1962 pour les quelques 400.000 harkis qui n'ont ni quitté l'Algérie, ni été tués après la fin de la guerre ?
Beaucoup d'entre eux ont naturellement été inquiétés à leur retour au village. Une poignée a déménagé à l'autre bout du pays pour refaire sa vie, mais la plupart est restée dans son village natal, près de leurs parents. Des tribunaux populaires ont été mis en place dans de nombreux villages à l'été 1962, pour juger les anciens harkis. Les habitants pouvaient se présenter et témoigner contre eux. C'était une justice sommaire et expéditive. Les harkis qui s'étaient comportés de façon correcte et loyale étaient autorisés à rentrer chez eux, ceux qui étaient accusés de torture ou de viol étaient tués sur place. D'autres ont été condamnés à des travaux forcés (réparation de maisons, construction de routes etc.). D'autres, aussi, ont passé plusieurs années en prison.
Lorsque les Français sont partis, beaucoup de harkis ont fait l'objet d'agressions physiques, parfois très violentes. Ceux qui les frappaient, ou qui les tuaient, pouvaient être des soldats de l'ALN. Mais il semble que ces violences ont principalement été exercées par des " Marsiens ", ces résistants de la 25e heure qui se sont révélés moudjahidin une fois que la guerre était finie (c'est-à-dire après la signature du cessez-le-feu le 19 mars 1962).
Pour comprendre cette violence, il faut revenir à l'immense chaos qui régnait en Algérie à l'été et l'automne 1962. Le gouvernement Ben Bella s'est formé fin septembre, mais plusieurs mois ont été nécessaires pour reprendre le pays en main. Début 1963, le premier président de l'Algérie indépendante demande publiquement la fin des exactions contre les harkis. Dans son discours de juin 1963, après l'assassinat de quatre harkis à Mostaganem, Ben Bella dit : " Nous avons attrapé les criminels, ils encourent la peine de mort ". Les violences contre les harkis ont alors cessé. Mais, à partir de ce moment-là, les harkis et leurs enfants sont entrés dans une phase de relégation sociale qui n'a jamais cessé. Depuis un demi-siècle, ils s'exercent depuis contre eux une discrimination sociale dans leur quotidien, qui leur rend la vie épouvantable.

D'où votre conclusion : les harkis sont aussi des victimes du système colonial français…
Oui, les harkis sont les derniers à continuer de souffrir de cet épisode historique scandaleux qu'a été la colonisation française. Je veux croire que la société algérienne parviendra à cicatriser les souffrances issues de la colonisation, lorsque les Algériens arriveront à considérer de façon sereine et juste les harkis et leurs enfants comme des victimes, eux-aussi, de l'oppression coloniale.

Donc si on suit le raisonnement de Pierre Daum, l'assassinat des harkis est un complot monté de toutes pièces par les fameux nostalgiques de l'Algérie française qui exploitent la fable des harkis massacrés.
En résumé, M Pierre Daum a parcouru des " milliers de kilomètres " pour récolter une soixantaine de témoignages dans lesquels il mêle " d'anciens supplétifs, mais aussi d'anciens soldats de l'armée régulière, et d'anciens civils " profrançais ". Il faut donc redéfinir ce qu'est un harki.
Si on s'en tient à la définition de " supplétif " on ne retiendra que le chiffre de 250 000, soit 220 000 restés en Algérie. On peut estimer à 40% le nombre de décès pour cause de vieillesse ou d'affections diverses. Il en resterait donc environ 130 000 en vie. Etant donné qu'il avait des adresses mail et que selon lui, " la plupart est restée dans son village natal ", il aurait dû en retrouver des centaines. Il a retenu soixante témoignages sans indiquer les critères de sélection.
" A toutes les occasions, je découvrais sur place de nouveaux anciens harkis. " dit-il, mais il ne nous donne pas de chiffre ni même une estimation.
Par contre il affirme " Aucun harki ne s'est engagé du côté de la France par amour pour la France ou le drapeau français. Tous ceux qui prétendent que les harkis ont choisi le camp de l'armée française pour défendre la France sont des menteurs. " Il est certain que les rares personnes qui ont accepté de lui répondre l'on fait en toute liberté sans aucune pression ni crainte de représailles.
Les enfants de Harkis apprécieront...
Malgré " une justice sommaire et expéditive ", seuls ceux qui avaient torturé ou violés (d'après les témoignages des habitants) ont été exécutés. Il ne dit pas avec quels raffinements. Mais " il semble " qu'ils le furent par des éléments incontrôlés, les fameux " Marsiens ".
De toutes façons ceux qui ont été exécutés étaient coupables puisqu'ils étaient accusés !
Quant à l'argument scientifique de l'ONAC, il prête à sourire lorsque l'on sait que l'Algérie compte un nombre de centenaires anciens combattants impressionnant.

D'approximations en affirmations douteuses, le but est d'incriminer la France en dédouanant les moudjahidine.
M Daum est dans le droit fil de son idéologie : Les mauvais Pieds-Noirs sont partis et les bons sont restés ; idem pour les harkis. Ce révisionnisme à sens unique qui se résume à une bataille de chiffres visant à minimiser le nombre de harkis éliminés, pourrait être sanctionné si les harkis bénéficiaient des lois Gayssot et Taubira. Il n'en est rien. M Daum a encore de beaux livres devant lui.
Dans une interview il cite " l'extrême misère dans laquelle vivait la population paysanne algérienne en 1954, fruit de 130 années d'oppression coloniale " ; Dans un autre il indique " La plupart d'entre eux sont retournés dans leurs villages et ont retrouvé la vie de paysans très pauvres qu'ils avaient avant la guerre. " comme si le départ du colonisateur n'avait rien changé.
Contradictions, imprécisions (Beaucoup, peu, certains, d'autres…) c'est la méthode du destructeur de mythe qui ne démonte ni ne démontre jamais rien.

Il affirme, il est détenteur d'une vérité inoxydable sur laquelle viennent se tordre les réalités les plus acérées. Il se croit iconoclaste, il n'est que partisan. Partisan du moindre effort intellectuel, incapable de secouer la chape de certitudes qui pèse sur lui. C'est pour lui le véritable " dernier tabou ", soulever le tapis de l'idéologie où toutes les poussières de l'histoire sont camouflées, afin de voir le monde comme il est et non comme on lui a inculqué qu'il devrait être.
Quand on se prétend " chercheur anti colonialiste " on a dès le départ des a priori et à force de chercher ce que l'on veut trouver, finalement on le trouve. Le tri se fait tout naturellement et les aspects contradictoires sont écartés et passent dans la colonne des " profits et pertes ".
Les harkis sont les victimes de la colonisation dit-il. Ils sont surtout victimes d'une décolonisation bâclée où il fallait se débarrasser de ce " magma qui n'a servi à rien " sinon à arrimer sur son piédestal, la gloire d'un monarque mégalomane avec l'aide des forces de progrès dont se réclame l'auteur. " Quelques milliers " de martyres, une goutte d'eau en regard des 85 millions de morts du communisme. Ah non ! 65 millions seulement rectifient les supporters au maillot rouge. L'exercice comptable est important pour minimiser, simplifier, déformer ; ici comme ailleurs, on n'arrête pas le progrès.

La majorité des harkis n'a pas quitté l'Algérie

Deux ans et demi d'enquête, 20 000 km parcourus et des dizaines de témoignages inédits ont été nécessaires pour construire ce livre-enquête (parution le 2 avril en France chez Actes Sud). Le mot "harki" n'aura désormais plus la même résonance en France et en Algérie, où il est resté otage des discours politiciens et de l'histoire officielle

Votre enquête bouleverse beaucoup d'idées reçues, à commencer par le " massacre massif " de harkis, pierre angulaire de l'argumentaire victimaire de certains groupes mémoriaux en France et de l'extrême droite. Que s'est-il vraiment passé pour les " supplétifs musulmans " après 1962 en Algérie ?

En France, depuis 50 ans, les nostalgiques de l'Algérie française instrumentalisent de façon éhontée les souffrances (réelles) que de nombreux harkis ont vécues au moment de l'indépendance. En exagérant le nombre de morts (le chiffre de 150 000 est très souvent repris alors qu'il ne repose sur aucun fondement historique) et en parlant de " massacre ", voire de " génocide " des harkis, ces nostalgiques tentent, sous couvert d'un pseudo-humanisme, de justifier le combat des ultras de l'Algérie française, notamment de l'OAS.
Derrière leurs discours dénonçant le " massacre des harkis ", il faut en fait entendre : " Nous n'aurions jamais dû lâcher l'Algérie, regardez ce que ces pauvres harkis ont subi ! " Ce discours a été plutôt efficace puisqu'aujourd'hui, la plupart des Français pensent qu'en 1962, les harkis ont soit réussi à s'enfuir en France, soit ont été " massacrés ".
Et qu'aucun harki, en tout cas, n'est resté vivre en Algérie. Ce qui est complètement faux. Mon enquête révèle qu'en réalité, la grande majorité des harkis est restée dans son pays sans y être assassinée.
La plupart d'entre eux sont retournés dans leurs villages et ont retrouvé la vie de paysans très pauvres qu'ils avaient avant la guerre. Beaucoup n'ont pas été véritablement inquiétés. D'autres sont passés par des tribunaux populaires, devant lesquels beaucoup ont réussi à s'en sortir, expliquant n'avoir " rien fait de mal ", ou avoir été " forcés par les Français ".
D'autres, reconnus coupables de violences à l'égard de la population civile, ont été soumis pendant quelques semaines à des travaux forcés. Certains ont passé plusieurs années en prison avant d'être libérés.
En général, seuls les plus coupables (de tortures, viols, exactions en tout genre) ont été exécutés. Mais cela n'empêcha pas, en cette période de chaos de l'été/automne 1962, qu'aient lieu de nombreux crimes aveugles, des vengeances sordides et des exécutions sommaires, sans rapport parfois avec la guerre. Il s'agissait alors de vieilles querelles de terre, d'héritage ou de femmes.
L'ALN/FLN a eu plusieurs politiques envers les harkis durant la période de la guerre, puis de l'indépendance...
Lorsqu'on étudie les mémoires des anciens moudjahidine ainsi que les quelques documents et écrits accessibles (tous les chercheurs, algériens et étrangers, aimeraient que le gouvernement algérien rende enfin accessibles toutes les archives de l'ALN/FLN), on comprend que tout au long du conflit, les deux camps se sont livrés à une véritable lutte psychologique afin de gagner à eux les masses paysannes indécises. Pour l'armée française, recruter un harki, c'était avant tout une façon (illusoire) de rallier la population algérienne.
A l'inverse, les cadres de l'ALN/FLN, conscients de la stratégie ennemie, ont toujours tenu un discours vis-à-vis des harkis du type : " Vous vous êtes trompés, vous êtes manipulés par l'oppresseur colonial, si vous nous rejoignez, on vous pardonnera vos erreurs. " De fait, un certain nombre de harkis ont quitté l'armée française et ont rejoint les rangs de l'ALN. Et inversement.
Ce genre de va-et-vient a été constant pendant toute la durée de la guerre. A l'indépendance, l'ALN n'a donné aucune consigne à suivre vis-à-vis des harkis.
Chaque officier -voire chaque djoundi a agi selon sa conscience. Certains se sont montrés cléments -" La guerre est finie, on tourne la page, on ne va pas continuer à se tuer entre nous "-, d'autres, au contraire, ont cherché la vengeance. Il faut souligner que les violences envers les harkis ont souvent été le fait de " marsiens ", ces résistants de la vingt-cinquième heure, ceux qui ont joué les héros quand la guerre était finie (après le cessez-le-feu du 19 mars, d'où ce surnom de "marsiens").
Pour ces hommes sans courage, frapper ou tuer un harki au moment de l'indépendance ne comportait aucun risque. Alors que se battre contre l'armée française, comme l'ont fait les moudjahidine, c'était évidemment autre chose.

Quel est le nombre exact d'Algériens engagés avec la France durant la guerre d'indépendance ? Combien sont-ils encore en vie en Algérie et comment avez-vous quantifié leur présence ?

Les chiffres précis restent très difficiles à établir à cause de lacunes dans les archives de l'armée française et aussi parce que tous les Algériens qui ont travaillé en secret pour l'armée française n'apparaissent pas dans les listes. Mais les historiens sont d'accord sur les estimations suivantes : entre 1954 et 1962, au moins 250 000 Algériens (des hommes âgés entre 16 et 50 ans environ) se sont retrouvés supplétifs de l'armée française à un moment ou à un autre de la guerre.
A ces hommes, il convient d'ajouter les Algériens véritablement engagés dans l'armée française (50 000 hommes, des militaires de carrière), ainsi que ceux qui ont répondu à l'appel du service militaire (120 000 jeunes appelés). Cela fait donc environ 420 000 Algériens qui ont porté l'uniforme de l'armée française pendant la guerre.
Enfin, on estime à 30 000 hommes les civils ostensiblement pro-français : caïds, aghas, bachaghas, gardes-champêtres, gendarmes, policiers, membres du corps préfectoral, conseillers municipaux, etc. Au total, on peut évaluer à 450 000 le nombre d'Algériens (hommes adultes) qui se sont trouvés du côté de la France pendant la guerre de Libération. En considérant leurs femmes et leurs enfants, cela donne 1,5 à 2 millions d'Algériens sur les 9 millions que comptait le pays à ce moment-là. Sur les 450 000, seuls 30 000 au maximum sont partis en France. Il en est donc resté 420 000. Le nombre total de harkis (toutes catégories confondues) assassinés reste la grande inconnue des bilans de cette guerre. François-Xavier Hautreux, dont les travaux sur le sujet sont les plus récents, considère que " reconnaître l'impossibilité à évaluer le phénomène oblige à l'incertitude, et à évoquer des massacres de " plusieurs milliers d'Algériens " sans plus de précisions ".
Donc, arithmétiquement, le nombre de harkis (toutes catégories confondues) restés en Algérie s'élève à plusieurs centaines de milliers. Quant au nombre de harkis encore en vie aujourd'hui en Algérie, il est évidemment plus réduit puisqu'en un demi-siècle, beaucoup sont morts de vieillesse. Pour évaluer le nombre des vivants aujourd'hui, j'ai utilisé deux méthodes. La première est très empirique. Pendant mes deux années et demie d'enquête, je me suis rendu dans une soixantaine de villages répartis dans toute l'Algérie. A chaque fois, je ne disposais que d'un seul contact d'ancien harki. Je pensais d'ailleurs n'en trouver qu'un seul dans chaque village.
Or, à chaque fois, à la fin de l'entretien, je demandais à mon interlocuteur s'il connaissait d'autres harkis restés dans son village. A chaque fois, la réponse était : " Mais oui, j'en connais plein ! "
Et mon témoin était alors disposé à m'en présenter cinq, huit, dix, voire quinze dans certains cas. La seconde méthode est plus scientifique. Il existe à Alger un service de l'ambassade de France destiné aux anciens combattants de l'armée française. Ce service s'appelle l'ONAC (Office national des anciens combattants) et ses bureaux sont situés dans le quartier du Télemly. Pendant très longtemps, ce service ne s'occupait que des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre d'Indochine ainsi que des militaires (engagés et appelés) de la guerre d'Algérie.
Depuis 2010, la loi française a changé et les anciens supplétifs ont eu aussi le droit de demander la carte de combattant avec la retraite qui l'accompagne (668 euros par an). Les demandes ont alors explosé et les gens du quartier ont soudain vu des queues de vieux messieurs se former tous les matins devant les bureaux de l'ONAC. Jusqu'en 2010, l'ONAC avait délivré 16 500 cartes de combattant à des Algériens domiciliés en Algérie. Deux ans plus tard, l'Office enregistrait en Algérie 29 300 bénéficiaires de la retraite du combattant.
Puis 34 200 bénéficiaires au 31 décembre 2012 et 47 300 au 31 décembre 2013. Actuellement, 500 nouvelles demandes sont déposées chaque mois et aujourd'hui, on devrait avoir atteint les 60 000 bénéficiaires. Et encore, ce chiffre ne représente pas tous les harkis encore en vie, puisque beaucoup d'entre eux n'ont pas déposé de demande auprès de l'ONAC.

Les motivations pour rejoindre l'armée française à l'époque semblent plus complexes qu'une simple adhésion à la France coloniale ou la "trahison" pure et simple…

Le recrutement des supplétifs s'est fait exclusivement parmi les masses paysannes écrasées par la misère. Une misère provoquée par 130 années d'oppression coloniale, accentuée par la guerre, les massacres de populations par l'armée française (bombardements, napalm) et les déplacements massifs -2,5 millions de paysans algériens ont été arrachés de leurs terres et internés dans des camps de regroupement où régnaient la famine, les maladies et la mort.
C'est essentiellement pour assurer la survie de leurs familles que des jeunes sont " allés travailler " (c'est l'expression utilisée par tous mes témoins) pour l'armée française. Une autre raison -dont a très bien parlé l'historien et ancien moudjahid Mohammed Harbi- est la violence complètement contreproductive exercée par certains moudjahidine sur la population rurale. Finalement, depuis cinquante ans, qui ose continuer à affirmer que les harkis ont porté l'uniforme français " par amour de la patrie française " ? Les ultras de l'Algérie française et… les manuels scolaires algériens ! C'est là une proximité idéologique qui devrait faire réfléchir. Les ultras de l'Algérie française, je ne crois pas qu'on puisse un jour leur faire changer d'avis.
Par contre, en ce qui concerne les manuels scolaires algériens, je suis convaincu qu'il existe en Algérie suffisamment d'historiens capables de prendre leurs distances avec un discours historique figé dans de vieilles erreurs. Et de rectifier certaines images complètement erronées concernant les harkis.

Qu'en est-il de la phobie algérienne de la prétendue omniprésence des harkis dans les rouages de l'Etat ?

Il s'agit là d'un très vieux fantasme qui ne repose sur aucune réalité. Aucune des personnes qui colportent cette rumeur n'a jamais donné le moindre nom ni la moindre preuve. Dans mon livre, j'ai esquissé la généalogie de cette phobie du harki comme l'" ennemi intérieur ". Elle est apparue dès le début de l'Algérie algérienne, dans la bouche de Ben Bella en 1964, qui accusa les maquis insurrectionnels de Kabylie (dirigés par deux héros de la Révolution, Hocine Aït Ahmed et le colonel Mohand Oulhadj) d'être composés de harkis rémunérés par la France.
Puis il y a eu l'accusation du président Liamine Zeroual qui, dans une interview à El Watan en novembre 1995, a déclaré à propos des terroristes islamistes : " La plupart des criminels et des mercenaires sont des harkis ou des fils de harkis, soutenus et financés par des puissances étrangères et qui ont choisi la destruction de leur pays. " Jamais aucune preuve n'a été apportée pour asseoir une telle assertion, mais beaucoup de gens continuent à croire à ces affabulations.
Finalement, si l'accusation de " harki " est tellement utilisée en Algérie, c'est qu'elle permet, par ricochet, de se valoriser soi-même. Si je traite l'autre de " harki ", ça veut dire que moi, je suis un " vrai Algérien ", que j'aime mon pays, etc. Un peu comme les " marsiens " qui, en 1962, se construisaient à bas prix une figure de héros.

Comment vivent leurs enfants dans l'Algérie d'aujourd'hui ?

Au milieu de la jeunesse en mal de vivre, les enfants de harki ont encore moins de possibilité de s'en sortir que les autres. Pour la moindre demande de document, ils se font insulter par le plus petit des employés de l'APC qui peut, de façon totalement arbitraire, le leur refuser en les traitant de " ould harki ! " ou de " bent harki ! " Quant à trouver un emploi, c'est bien pire ! Par définition, un harki ne possède aucune relation dans l'administration ou dans l'armée afin d'aider ses enfants à obtenir un poste.
Dans le royaume de la maârifa, qui va donner un emploi à un enfant de harki ? Personne, évidemment. Résultat : tous les jours, les services du consulat français à Alger reçoivent des dizaines de lettres désespérées d'enfants de harki qui demandent à partir s'installer en France, en espérant que l'ancien statut de leur père leur ouvre le droit à un visa. Or la loi française, qui accorde de nombreux droits aux 30 000 harkis partis en France en 1962 et à leurs enfants, n'accorde strictement rien à ceux restés en Algérie.
Ces demandes de visa sont donc systématiquement refusées. Comme pour Djamel, le fils d'un harki que j'ai rencontré à Tazmalt, en Petite-Kabylie, qui m'a confié : " Pour nous, toutes les portes sont fermées. La porte pour entrer en France et la porte pour entrer en Algérie. "
"
Adlène Meddi

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Mis en ligne le 24 juin 2015