En 1962, ils débarquèrent, en masse. Dans une fuite éperdue, alors que personne ne voulait les voir encore moins les recevoir. A la Joliette, port de Marseille, avec leur baluchon et, pour la plupart, les maigres sous qu'ils avaient pu emporter. Ils avaient brûlé leurs vaisseaux. Plus prosaïquement: beaucoup avaient brûlé leur voiture en vue de l'aéroport ou du port d'Algérie où mourrait leur espoir. Immigrés brusquement, et accusés d'avoir été colons. Mal reçus, mal aimés, s'installant dans le précaire, quittant Marseille, y revenant. Une douleur jamais éteinte et que Jean-Jacques Jordi raconte (1): car ces pieds-noirs, objets de ressentiment, ont rarement été sujets d'étude.

Débarquant sur " les quais de la douleur ", ces désemparés ont la sensation, immédiate, probablement due à une généralisation excessive mais souvent fondée, d'être exploités, volés. Tel se fait gruger par un taximan, tel autre est logé à prix d'or dans un hôtel minable. Mais, surtout, la ville n'est pas prête à les accueillir. " Les destructions de la guerre et la timidité des reconstructions, l'accroissement démographique des années 50 aggravent considérablement les conditions de vie des habitants ", écrit Jordi pour expliquer le rejet.
Mais cet état de fait n'excuse pas tout : les autorités politiques ont complètement sous- estimé l'ampleur du rapatriement de 1962 et rien n'est assez grand ni antennes préfectorales, ni bureaux d'accueil, malgré la mobilisation des associations caritatives et sociales. Jordi a, alors, une phrase terrible pour cette ville dont la vocation est l'accueil :
" En bien des points, Marseille Transit de l'été 62 est perçu comme ce lieu de souffrance temporaire où le regard de l'autre demande l'expiation de fautes totalement incomprises, rejetées ou déniées. "
Aux difficultés matérielles s'ajoute la condamnation morale dans une ville où le PC est fort et le courant anticolonialiste puissant. L'exaspération des tensions laissera des traces d'autant plus profondes que la construction d'une communauté pied-noir dans l'espace marseillais permettra la perpétuation des souvenirs douloureux.

Rusant avec l'histoire, les rapatriés de la région vont réussir à s'approprier un peu de place en construisant leur village utopique, Carnoux. Coincés dans une vallée brûlante de chênes kermès et de caillasses, quelques arpents de terre vont être colonisés par ces réfugiés qui y bâtiront leur nouvelle Notre-Dame-d'Afrique et obtiendront de haute ténacité leur érection en commune acte unique dans les annales des municipalités en France du Premier ministre Pompidou, le 26 août 1966. " Lieu de la communion retrouvée ", ce village neuf représente entre 1962 et 1966 une lueur nouvelle, dont l'histoire reste peu connue et qui représente plus un symbole qu'un vrai pôle de réinstallation. C'est " une des premières pierres de ce tout-reconstruire qui hante alors les esprits. Mais cette pierre ne peut combler l'énorme brisure de 1962 ".
Michel Samson
http://next.liberation.fr/livres/1995/03/02/dur-dur-d-etre-un-pied-noir-1962-l-arrivee-des-pieds-noirs_128451

(1) Voir aussi : " De l'exode à l'exil, rapatriés et pieds-noirs en France, l'exemple marseillais ". Jean-Jacques Jordi, L'Harmattan, 1993.

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Mis en ligne le 23 décembre 2015

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