Après les révoltes de Juin 1848, le gouvernement organisa le départ de 12.000 ouvriers français et leurs familles pour l'Algérie, en vue d'y établir des colonies agricoles. Ce déplacement de population permettait aussi de lutter contre le chômage et d'éloigner des grands centres une partie de ceux qui avaient participé aux troubles.

Le décret du 20 septembre 1848 stipulait que les colons devaient être dirigés sur l'Algérie dans les plus brefs délais possibles. Pour y satisfaire le Ministère de la Guerre, chargé de son application fut contraint de mettre en place rapidement une organisation pour déplacer économiquement, et en quelques mois, ces 12.000 hommes, femmes, enfants et leurs bagages. Les moyens de transport existant à l'époque n'étaient pas adaptés à un tel mouvement, le nombre de diligences était insuffisant et le prix du transport par ces voitures insupportable. Le déplacement à pieds, comme c'était l'habitude pour l'armée, n'était pas humainement envisageable pour ces gens, même en mettant des chariots à leur disposition. Enfin, s'il était possible de transporter les colons par bateau sur la Seine et le Rhône, il n'existait pas de transport organisé par ce moyen sur le trajet entre les deux fleuves.

Une mission exploratrice fut confiée à l'Agence générale des Bateaux à Vapeur en vue de trouver une solution à ce problème, prévoyant des déplacements par groupes de 800 personnes, au départ de Paris.
Les conclusions de l'étude firent apparaître la possibilité d'organiser des convois de bateaux de transport de marchandises aménagés sommairement qui, après avoir remonté la Seine jusqu'à Moret, emprunteraient successivement les canaux du Loing, de Briare, latéral à la Loire et du Centre jusqu'à Chalon-sur-Saône. De Chalon-sur-Saône à Arles, la Saône et le Rhône seraient descendus par bateaux à vapeur jusqu'à Arles. De cette dernière ville, pour atteindre Marseille; port d'embarquement pour l'Algérie le parcours se ferait par chemin de fer, la ligne ayant été construite récemment.

Le temps total de transport évalué était de 18 jours de Paris aux lieux d'implantation des colons en Algérie. De 13 à 15 jours étant nécessaires pour le trajet de Paris à Marseille, avec une circulation de nuit sur les canaux et passages prioritaires des écluses.
Il était prévu que la remontée de Paris à Moret se ferait par remorquage avec des bateaux à vapeur et qu'ensuite, sur les canaux, le halage serait fait par des hommes à raison de 2 à 8 hommes par bateau. Mais, le premier convoi ayant subi des retards importants, dus à des pannes sur les bateaux à vapeur, il fut décidé de haler avec des chevaux les convois suivants. Ce remorquage nécessitait 18 chevaux par convoi.

Organisation et fonctionnement des convois

Pour le trajet de Paris à Chalon/Saône on utilisa des chalands de Loire, d'une longueur limitée à 27 mètres en raison des écluses. Un convoi comportait 5 chalands cabanés, probablement des sapines. Chaque bateau pouvait recevoir de 150 à 180 adultes et enfants de plus de 2ans et 10 enfants de moins de 2 ans. Chaque chaland avait son chef de bateau et un chef de groupe pour 12 personnes. Un chaland et une allège servaient au transport des bagages. Un bateau "Etat Major", avec un capitaine chef de convoi et un lieutenant adjoint avait à son bord un docteur, un officier comptable et un représentant civil du transporteur chargé de l'intendance jusqu'à Chalon. Ce bateau était équipé d'une ambulance, d'une cuisine et d'une remise pour les denrées: pain, vin...L'équipage du convoi y avait son logement.
Le convoi était régi militairement. Sa marche était suivie de brigade en brigade par la gendarmerie prête à prêter main forte au capitaine en cas d' incidents internes au convoi ou avec la population des régions traversées. Le capitaine pouvait infliger des peines aux auteurs de fautes graves: soit le renvoi à Paris, soit le débarquement du fautif qui se trouvait dans l'obligation de rejoindre Marseille à pieds ou d'abandonner le convoi. Cette dernière peine étant surtout appliquée aux chefs de famille, femme et enfants restant à bord.

L'ensemble du transport des 12.000 colons nécessita 17 convois.

Le voyage .

De Paris à Melun les colons furent obligés de rester à bord. Mais sur les canaux la vitesse du halage qui n'était que de 2 km/heure et le passage des écluses permirent aux colons de descendre des bateaux et d'y remonter facilement quand ils le souhaitaient. Ils pouvaient avoir des occupations et rejoindre facilement le convoi à pieds.
Ainsi les femmes purent laver le linge, aller acheter des fruits et certains hommes allèrent à la pêche et dans les tavernes des villages traversés.

La traversée de la Loire à Briare causa des frayeurs aux passagers, à cette époque le pont-canal n'existait pas et il fallait naviguer en Loire pendant un peu plus d'un kilomètre. Le halage dans le fleuve et l'entrée et la sortie des bateau aux écluses nécessitaient des manœuvres intimidantes en raison des dangers qu'elles présentaient.
La progression des convois se fit inexorablement, mais des accidents occasionnant des morts et des blessés se produisirent à chaque convoi. Les morts résultaient de noyades ou de maladies et les blessures étaient principalement dues à des rixes entre colons. En comptant les exclus par décision des capitaines et ceux qui quittèrent volontairement les convois en cours de route, plus de 600 personnes n'atteignirent pas l'Algérie.

Arrivés à Châlon, les colons de chaque convoi étaient transbordés en 2 heures sur 3 ou 4 bateaux à vapeur de 50 à 60 m de long qui effectuaient le trajet jusqu'à Lyon dans la journée. Là, en raison des difficultés de passage des ponts il fallait quitter ces bateaux. Une escale de plusieurs heures était nécessaire pour effectuer le trajet d'amont en aval de la ville. Les colons reçurent des billets de logement et passèrent la nuit chez l'habitant dans des locaux réquisitionnés, ce qui ne plut guère à leurs propriétaires, d'où des incidents.
Le matin les bateaux du Rhône qui avaient reçu les bagages dans la nuit chargèrent les colons. Normalement 3 bateaux, approchant 70 m de longueur, devaient suffire pour un convoi. Mais, en raison de basses eaux, il fallu parfois 5 bateaux pour un convoi. Le trajet de Lyon à Arles se faisait en deux jours.

Arles était atteint en soirée. Il fallait passer la nuit en ville avec des billets de logement et un accueil particulièrement mauvais des habitants. Enfin, à l'aube, c'était le départ pour le trajet en chemin de fer jusqu'à Marseille qui durait environ 5 heures. Les colons y étaient accueillis par les autorités et embarqués sur des frégates à vapeur de la Marine.

Après deux à trois jours de navigation en mer les colons atteignaient l'Algérie ou l'accueil était chaleureux ce qui leur donnait du courage. Mais à l'arrivée, sur les lieux d'installation, ils découvraient peu ou pas de locaux pour leur habitat et des terres en friche. Néanmoins, malgré les hécatombes dues aux épidémies de choléra et au paludisme ces pionniers réussirent leur implantation.
Ce périple montre que nos ancêtres avaient réussi un exploit technique, celui d'avoir transporté en peu de temps une population non préparée à cette expédition et ce avec une utilisation rationnelle des moyens disponibles à cette époque.

D'après "En chaland de Paris à Marseille en 1848" par Simone et Emile Martin-Larras
(http://www.larousse.fr/encyclopedie/article/Le_transport_des_colons_sur_les_canaux/11003111Cahiers du Musée de la Batellerie de Conflans Ste-Honorine n°18 et 19).

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