Pas seulement bien sur, mais on ne peut nier l'influence prépondérante du capitalisme et de la finance internationale dans le largage précipité de 15 départements français.
Plus encore que les études des historiens économistes reproduites ci-dessous, la conférence de presse du Président De Gaulle du 11 avril 1961 ne fait que se porter caution en faveur de cette hypothèse.
Les propos tenus par le chef de l'état sont bien moins nébuleux qu'à l'ordinaire.
Ses explications sur l'avenir de l'Algérie et sur la décolonisation en général sont parsemées d'affirmations concernant l'intérêt de la France et son refus d'aide aux nouveaux états libérés de la tutelle française, sans contrepartie sonnante et trébuchante.
L'intérêt de la France est réduit aux avantages financiers retirés du " désengagement ". L'élément humain étant considéré comme quantité négligeable, quelques soient les conditions de la séparation.
Les " colons " avaient été utilisés pour propager la " civilisation ", pour contribuer au rayonnement de la France, pour éloigner les indésirables politiques, pour diminuer l'influence du prolétariat parisien.
Leurs descendants désormais inutiles au prestige français, devaient donc disparaître de cette terre où s'étaient bâtis des empires financiers et où des fortunes colossales avaient profité sans vergogne de " l'indigène " et du " petit blanc ".
Les sociétés ainsi rendues florissantes par une colonisation qu'elles avaient souvent encouragée et glorifiée, considérant que leurs rentrées financières ne connaissaient plus la croissance espérée, imposèrent tous ces faire-valoir, à force de manœuvres et d'intrigues, à aller se faire pendre ailleurs. La source était tarie, la manne ne tombait plus, les rats quittaient le navire en laissant sur le pont, au milieu des ballots, des bras ballants et des âmes meurtries.
La banque Rothschild fournira un directeur de cabinet au chef de l'état, qui, curieusement, sera un des premiers à s'entretenir avec le FLN. Directeur général de la banque et administrateur de nombreuses sociétés, il deviendra, plus tard, premier ministre, il participera activement aux derniers jours de l'Algérie d'Evian.
La finance au plus au sommet de l'état sans doute une coïncidence…
Alors on vit, sur les débris épars d'un univers détruit, le spectacle hallucinant d'un couple contre nature réconcilié : capitaliste soulagé et communiste triomphant, danser la gigue endiablée pour célébrer leurs noces de sang. Ils se retrouveront encore pour des causes différentes ayant la même finalité. Les contraires se rejoignent, les intérêts se confondent, le monde danse mais les peuples ne sont pas conviés.

COLONISATION, DECOLONISATION ET CAPITALISME (1880-1960) UN DIVORCE A LA FRANÇAISE

Dans les années 1950, l'empire colonial apparaissait comme l'un des principaux piliers de la puissance économique française. Jamais les liens tissés entre la métropole et ses dépendances n'avaient semblé aussi fermes. Jamais, disait-on, la France n'avait eu autant besoin de marchés protégés pour assurer sa croissance et le maintien de sa place dans le monde. En 1957, le directeur des Affaires économiques au ministère de la France d'outre-mer, Pierre Moussa, pouvait ainsi écrire : "... On peut estimer que 500 000 Français environ résidant en métropole (dont 300 000 au titre de l'industrie) tirent directement ou à peu près directement leurs revenus du commerce entre la métropole et les pays d'outre-mer : 1 ménage sur 28, en métropole, vit donc grâce à l'existence d'un ensemble français (on estime qu'il y a 14 millions de ménages environ). L'importance du débouché mutuel est donc considérable. Chacun des partenaires, métropole d'une part, pays d'outre-mer d'autre part, doit une partie importante de son activité aux commandes de l'autre partenaire"1

1. P. Moussa, Les chances économiques de la communauté franco-africaine, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1957, p. 62.

Or, dans la décennie qui suivit les indépendances, jamais la croissance du capitalisme français n'a été aussi vigoureuse et ses transformations structurelles aussi rapides. Amputée d'une zone coloniale privilégiée qui absorbait, dans les années 1950, de 35 à 42% de ses exportations totales et assurait de 25 à 30 % de ses approvisionnements, la France ne semblait subir aucun dommage. Bien plus, la décolonisation semblait l'une des conditions et l'accompagnement logique de sa modernisation. C'est cette constatation qui mérite réflexion. On peut se demander à quoi ont " servi " les colonies, quelle fonction elles ont assumée dans la croissance et les transformations structurelles du capitalisme français ? Elément moteur ou élément frein de cette dynamique ?

2. Cet article est le résumé de ma thèse de doctorat d'Etat, Empire colonial et capitalisme français (années 1880-années 1950), histoire d'un divorce, soutenue le 5 mai 1984 à l'Université de Paris 1, à paraître en octobre 1984 aux éditions Albin Michel. Voir aussi mes articles : " l'investissement français dans l'Empire colonial " ; " L'enquête du gouvernement de Vichy (1943), Revue Historique, 512, octobre décembre 1974 ; " L'industrie cotonnière française et l'impérialisme colonial ", Revue d'histoire économique et sociale, 2-3, 1975 ; " Le commerce de l'Algérie de 1924 à 1938: interprétation des termes de l'échange ", Revue française d'histoire d'outre-mer, 232-233, 1976; " Les relations commerciales entre la France et son empire colonial de 1880 à 1913." , Revue d'histoire moderne et contemporaine avril-juin

Dans les années 1880, la conquête des colonies s'inscrivait dans une phase de plafonnement de la croissance.
Dans les années 1930, le blocage durable de l'activité économique suscitait un repli commercial prononcé de la France sur son empire colonial. Dans les années 1950, la décolonisation accompagnait une phase de mutation et de croissance rapides. Quelle place a tenue le marché colonial au cours de ces phases alternées de la croissance économique ? A-t-il freiné les reculs ou stimulé les avancées ?

MYTHES ET RÉALITÉS DU BILAN COLONIAL

Dans un premier temps, nous avons radiographié sous différents angles les relations commerciales et financières entre la France et son empire : croissance et composition des échanges de marchandises volume et périodisation de l'exportation des capitaux privés à destination des colonies ; volume, périodisation et nature des investissements publics ; liens entre exportations de capitaux et de marchandises évolution des taux de profit des sociétés coloniales.
Ces pistes statistiques nous conduisent à réviser la périodisation classique de l'histoire de la colonisation française. Selon elle, jusqu'en 1914, l'exploitation économique de l 'empire aurait été un mythe plus qu'une réalité. Ne représentant que 10% du commerce total de la France et un peu moins du dixième des exportations de capitaux, l'empire n'aurait été qu'une affaire de second ordre satisfaisant les ambitions des militaires et les appétits de quelques mercantis. Entre les deux guerres, l'empire serait devenu une base de repli stratégique qui aurait amorti le choc de la crise des années 1930. Depuis la deuxième guerre mondiale, l'empire serait enfin passé au rang de terre d'élection des grandes sociétés. D'où les craintes devant le processus de décolonisation pour les uns et l'assurance pour les autres que les grands groupes financiers auraient été violemment hostiles au processus de décolonisation.

Mais alors se repose, de façon aussi obsédante, la question de savoir comment la France aurait pu se remettre si facilement et si rapidement d'un tel divorce ?
La périodisation que nous proposons est de nature à expliquer ce paradoxe. Fondée sur une analyse sectorielle du commerce extérieur de la France avec son empire et sur une série (patiemment reconstituée pour toutes les années) des émissions d'actions et d'obligations de 469 sociétés coloniales cotées en Bourse, elle revalorise singulièrement la période antérieure à la première guerre mondiale

Avant 1914, loin d'être une affaire médiocre, l'empire occupe déjà une place de premier choix dans l'expansion de la France au-dehors. Troisième partenaire commercial, juste derrière l'Allemagne, l'empire absorbe, à la veille de la première guerre mondiale, 67,6% des exportations de sucres raffinés, 46, 1 % de celles de tissus de coton, 56 % de celles de rails, 73 % de celles de locomotives, 80 % de celles de constructions métalliques. Deuxième ou troisième fournisseur de la métropole, l'empire lui fournit, toujours avant la première guerre mondiale, 56,7% de ses importations de vins, 85,3 % de celles de riz, 34,8% de celles de phosphates. Il apporte une contribution décisive à l'importation de matières premières agricoles qui représentent à cette date plus de 20 % des importations totales de la France. Troisième placement extérieur de la France après la Russie et l'Amérique latine, l'empire assure, d'autre part, aux entreprises qui ont eu le " flair " de s'y intéresser des taux de profit particulièrement élevés.

En 1929, à la veille de la grande crise, l'intérêt économique de l'empire s'est encore renforcé. Il est alors devenu le premier partenaire commercial de la France et le premier actif financier extérieur, poursuivant en cela les tendances antérieures. C'est pourtant à partir des années 1930 que se multiplient les critiques ou les réserves à l'encontre d'une politique de " mise en valeur " accusée de conforter des rentes de situation sclérosantes pour l'appareil productif français. C'est qu'en fait la place grandissante qu'occupait l'empire au niveau des chiffres globaux masquait des évolutions structurelles autrement importantes. Au cours des années 1930-1960, le marché colonial était accaparé par des branches dont le poids dans la valeur ajoutée industrielle et les exportations totales de la France déclinait (l'industrie cotonnière, par exemple). Les branches ascendantes (comme les industries métallurgiques et chimiques), en revanche, qui avaient profité du débouché colonial avant la première guerre mondiale, semblaient désormais se désintéresser d'un marché qui ne leur avait servi d'appoint qu'aux périodes d'essoufflement de la croissance.

On retrouvait cette évolution au niveau des actifs des sociétés coloniales dont l'érosion, à partir des années 1930, semblait signaler une retraite de l'investissement privé qui laissait aux capitaux publics le soin d'assurer la solvabilité des pays d'outre-mer, c'est-à-dire d'équilibrer par des transferts de capitaux une balance des paiements courants de plus en plus déficitaire.
Jusqu'en 1930, le marché colonial assurait le débouché qu'exigeaient les branches alors motrices de la croissance, industries textile et alimentaire notamment. A partir des années 1930 en revanche, en assurant la survie de branches désormais déclinantes, il semblait entraver l'émergence de nouveaux secteurs. Le paradoxe est qu'au moment où l'empire apparaissait comme le champ privilégié d'expansion du capitalisme français, il devenait en même temps et contradictoirement un rappel encombrant de son passé.
Reste à savoir toutefois si cette " réalité " statistique a été " perçue " par les milieux d'affaires concernés et par les pouvoirs publics chargés de mettre en œuvre la politique de " mise en valeur ".

LES STRATÉGIES DES MILIEUX D'AFFAIRES

Cette " réalité " a été effectivement " perçue " à partir des années 1930. C'est à partir de cette date, en effet, que s'affrontent de manière très vive les différentes fractions du capitalisme français intéressées à la " mise en valeur " de l'empire.
Exaspérés par la crise, les débats qui opposent les milieux d'affaires lors des conférences économiques, des entrevues ministérielles, des commissions parlementaires sont l'occasion d'un véritable " déballage ", " déballage " précieux qui révèle trois types de stratégies autour desquelles se nouent les alliances et se consomment les ruptures.

La première, héritée du Pacte colonial et des doctrines mercantilistes, appelle de ses vœux un renforcement de ce qu'on nomme à l'époque l'" autarchie " impériale. Pour ses partisans, industriels cotonniers en première ligne, constructeurs d'automobiles et sidérurgistes, milieux agricoles et coloniaux pour une partie d'entre eux, il s'agit de créer une zone protégée dans laquelle se développeront les productions complémentaires : matières premières pour l'empire, produits fabriqués pour la métropole.

La seconde, héritière des courants libéraux du 19e siècle, rassemble soyeux lyonnais, industriels lainiers, milieux d'affaires marseillais et agriculteurs concurrencés par les importations coloniales. Elle réclame la suppression des entraves douanières, l'abaissement des prix " artificiellement " élevés et le retour aux principes ricardiens d'une division internationale du travail fondée sur une saine concurrence.
Son plus éminent porte-parole sera, en 1931-1932, Edmond Giscard d'Estaing.

Chargé de mission par le ministère des Colonies en 1931, il est nommé rapporteur des questions financières à la Conférence économique de la France métropolitaine et d'outre-mer en 1934.Il préside la Société financière française et coloniale ainsi que les Sucreries et raffineries de l'Indochine, la Société indochinoise des cultures tropicales et le Comité national indochinois de la Chambre de commerce international, et en France, la Société du tunnel sous le Mont-Blanc. Il déclare qu'il valait mieux "pour l'avenir même du pays, ne rien faire plutôt que d'engloutir des fonds destinés à se perdre, s'ils (étaient) versés dans une économie qui n'(était) pas faite pour les utiliser au bon endroit et de façon productive". En portant, à contre-courant de l'opinion des "braves gens", Ndlr.

La troisième, singulièrement anticipatrice, souhaite rompre au contraire avec ces principes. Pour Paul Bernard, dirigeant de sociétés coloniales, qui en est l'initiateur, il faut industrialiser l'empire, développer le marché intérieur des colonies et déplacer les centres de production. Au cœur de la crise des années 1930, on retrouve donc les termes d'un choix fort contemporain : protectionnisme ou redéploiement.

Trente années de confrontations et de tensions ne modifieront toutefois pas le statu quo ante. La fraction du patronat qui avait proposé dès la fin des années 1930 une stratégie de " mise en valeur " originale et progressiste dans la mesure où elle devait s'accompagner d'une plus grande autonomie pour les pays colonisés et d'une croissance impulsée par une industrialisation autocentrée, n'avait pas été en mesure d'imposer par ses propres forces sa volonté au patronat des branches déclinantes dont la survie était en grande partie liée au maintien d'un débouché colonial protégé.
Il lui fallait, pour triompher, passer par le canal des pouvoirs publics. L'impuissance du patronat à présenter une stratégie commune de " mise en valeur " laissait à ces derniers un pouvoir d'arbitrage considérable. Notre étude des stratégies de " mise en valeur " nous amenait en dernier ressort à une grande interrogation : qu'en est-il de la nature de l'Etat ?

LES HÉSITATIONS DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

Contrairement à ce que supposaient les premiers théoriciens marxistes de l'impérialisme 3, la domination politique directe de l'Etat colonisateur ne présentait pas les plus grandes " commodités " pour les intérêts privés. C'est que les rouages de l'instance politique s'avéraient plus complexes qu'ils ne le pensaient. La lecture des archives privées 4 révèle, en effet, l'insatisfaction des milieux d'affaires contraints de multiplier les rendez-vous et les correspondances pour tenter de faire prévaloir leurs intérêts. Elle nous a révélé aussi le rôle primordial d'une administration peu docile et souvent même hostile à ceux qu'elle considérait comme de vulgaires commerçants aux préoccupations bassement mercantiles.

3. Nous pensons bien évidemment d'abord au plus célèbre d'entre eux, Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (essai de vulgarisation), 1917, Paris, Editions sociales, 1971.
4. En particulier les papiers privés de Paul Reynaud (AN 74 AP), Marius Moutet (AN S.OM 28 AP), Pierre Arnoult (AN 329 AP), et les archives en cours de classement du Comité central de la France d'outre-mer (ANSOM).

C'est plus particulièrement sous le régime de Vichy qu'allaient s'esquisser les grandes lignes d'une nouvelle politique économique coloniale. Convaincus qu'au lendemain de la guerre la France ne pourrait rester à l'écart de la compétition internationale, comme les " autarchistes " en avaient caressé l'espoir au cours des années 1930, gagnés aux notions d'efficacité et de compétitivité, les responsables politiques de Vichy dénonçaient les méthodes d'exploitation archaïques qui avaient jusque-là présidé à la " mise en valeur " des colonies. Pour ces techniciens de l'économie, la nostalgie d'une France impériale maintenant sa place dans le monde grâce aux ressources de ses colonies était éclipsée par l'espoir d'une France dynamique où l'initiative privée serait contrôlée, coordonnée et dirigée par l'Etat.
Rencontrant les vœux de certains milieux d'affaires saisis par le complexe hollandais, c'est-à-dire par l'idée que le développement des pays d'outre-mer était financièrement coûteux et qu'il gênait par les surcharges de prix qu'il imposait l'expansion de la France sur les marchés étrangers, un mouvement " moderniste " contribuait à saper les défenses essentiellement politiques dressées depuis la crise des années 1930 par les " autarchistes " et les coloniaux.

LES ÉTAPES D'UN DIVORCE

II faudra toutefois attendre la fin des années 1950 pour voir triompher le mouvement " moderniste ". C'est que l'histoire économique n'est pas toute l'histoire et le drame de la décolonisation en est une démonstration cruelle dans la mesure où notre recherche nous amène à penser qu'il fut précisément le produit de temps historiques contradictoires.

De 1880 à 1930, si l'opinion et les forces politiques restent indifférentes à l'empire, le monde des affaires, lui, en a rapidement saisi l'intérêt. Au cours de cette période, l'impérialisme vit en harmonie avec le capitalisme français dont il est un des éléments régulateurs. A partir de la grande crise, en revanche, s'amorce une procédure de divorce, empoisonnée par le croisement des temps historiques. Au moment où la désaffection de certains milieux d'affaires et de certains responsables publics commence à se manifester, et que se multiplient les critiques à l'égard d'une politique économique coloniale accusée d'isoler et de scléroser l'économie française, l'empire entre de plain-pied dans la conscience des Français.
Au sein de la gauche, particulièrement, la dénonciation du colonialisme devient un fait minoritaire ou pour le moins ambigu, le droit au divorce ne signifiant pas l'obligation de divorcer, selon la fameuse formule lancée en décembre 1937 par Maurice Thorez. L'action persévérante menée par le Parti colonial, l'Exposition de 1931 visitée par 33 millions de personnes, la géographie coloniale des manuels scolaires, l'image du " négrillon " gentil, fidèle et naïf, la virile propagande des films coloniaux campant les héros du bled, ont persuadé les Français que la colonisation affirmait le génie civilisateur de la France.

Tous les sondages réalisés dans les années 1950 révèlent une opinion baignant dans un optimisme irréaliste. Que ce soit pour l'Indochine ou plus tard pour l'Algérie, les Français n'imaginent pas que puissent être remis en cause les liens politiques qui reliaient ces territoires à la métropole. Au début de 1956, 49% des Français estiment encore que l'Algérie doit garder son statut de département français, 25 % seulement acceptant un lien moins étroit. On assiste ainsi à ce douloureux croisement. C'est une certaine gauche contaminée par l'idéologie coloniale qui refuse, selon l'expression même de Jules Moch, en 1944 à Alger, que " la reine Makoko puisse renverser le gouvernement français " 5. C'est une certaine droite, précocement gagnée aux impératifs d'efficacité, qui finit par souhaiter divorcer d'un empire dont elle ne veut plus supporter la charge.

5. C.-R. Ageron, " Novation et immobilisme de la politique française vis-à-vis de l'outre-mer dans les premières années de la IVe République ". communication au Colloque sur " La France en voie de modernisation ", Paris,

Pour réconcilier l'économique et le politique, il fallait finalement briser les institutions de la période antérieure dont avaient tant joué les branches déclinantes, unifier l'instance politique dont la division avait gelé la " mise en valeur " de l'empire, transférer le pouvoir des notables locaux et des élus à la haute administration, créer les conditions politiques et sociales de la modernisation économique. C'est l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle qui permettra finalement la " réconciliation " de ces temps historiques. Dans la conjoncture de l'époque, lui seul sans doute pouvait brader l'empire sans être accusé de brader la France. Lui seul pouvait déclarer " la décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre politique ".

(Conférence de presse du 11 avril 1961. http://www.ina.fr/video/CAF09002063, ndlr)

Marseille Jacques. Colonisation, décolonisation et capitalisme (1880-1960) [Un divorce à la française]. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°4, octobre 1984. pp. 39-48.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1984_num_4_1_1715

Le maintien des départements algériens dans la France nous coûterait non seulement un grave préjudice moral dans le monde, mais un effort ruineux ! Ce serait le tonneau des Danaïdes ! Si l'Algérie restait française, on devrait assurer aux Algériens le même standard de vie qu'aux Français, ce qui est hors de portée...

La colonisation a toujours entraîné des dépenses de souveraineté. Mais aujourd'hui, en plus, elle entraîne de gigantesques dépenses de mise à niveau économique et social. C'est devenu, pour la métropole, non plus une source de richesse, mais une cause d'appauvrissement et de ralentissement...

Le profit a cessé de compenser les coûts. La mission civilisatrice, qui n'était au début qu'un prétexte, est devenue la seule justification de la poursuite de la colonisation. Mais puisqu'elle coûte si cher, pourquoi la maintenir, si la majorité de la population n'en veut pas ?...

Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins, et ces territoires énormes. C'est une bonne affaire de les émanciper...

Tant que nous ne nous en serons pas délestés, nous ne pourrons rien faire dans le monde. C'est un terrible boulet. Il faut le détacher...
Charles De Gaulle
C’était de Gaulle 1 Alain Peyrefitte Ch7 - 20 octobre 1959
Collection QUARTO - Gallimard

http://michel.delord.free.fr/cdgap-2mosquees.pdf

L'Algérie nous coute, c'est le moins que l'on puisse dire, plus cher qu'elle ne nous rapporte… Ce que nous lui fournissons… n'a pas à beaucoup près, de contrepartie équivalente… c'est pourquoi, aujourd'hui, la France considérerait avec le plus grand sang froid, une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine, solution qui, en d'autres temps, aurait pu paraître désastreuse pour nous, mais qu'encore une fois nous considérons actuellement, avec un cœur parfaitement tranquille…
Conférence de presse du général de Gaulle. 11 avril 1961. http://www.ina.fr/video/CAF09002063

La colonisation à couté cher à la France

La France a-t-elle pillé ses colonies ? Jeune historien, Jacques Marseille partageait cet à priori. A la fin des années 1970, il retient ce sujet pour sa thèse de doctorat d'Etat, et plonge dans les archives afin de prouver que le pays, pendant une soixantaine d'années, s'est enrichi sur le dos des Africains, des Maghrébins ou des Indochinois. A sa grande surprise, et au terme d'une démarche dont l'honnêteté mérite d'être saluée, il parvient a la conclusion exactement inverse: les colonies ont plus couté a la France qu'elles ne lui ont rapporté.

Au départ, jules Ferry voit dans les colonies une source de débouchés pour l'économie française. Afin de faciliter l'installation des entreprises, des travaux d'infrastructure doivent être menés. Le secteur privé manifestant peu d'intérêt pour ce type d'investissement, c'est l'Etat qui le prend en charge. Mais dans le but d'éviter une dérive financière, une loi, votée en 1900, stipule que les colonies sont dans l'obligation d'autofinancer leurs budgets : elles ne doivent rien couter à la métropole. Dès avant 1914, il s'avère cependant que, a l'exception de certains secteurs (comme ceux que soutient la Banque de l'Indochine, qui réalise un taux de profit 69,5 % en 1913 !), l'investissement colonial n'est pas rentable. Le capitalisme s'en détourne alors. Mais l'Etat, tenu par la loi, investit également peu. Jacques Marseille évalue les dépenses d'investissement comptabilisées sur le budget national à 4 milliards de francs de 1914 pour l'ensemble de la période 1850-1930 : une somme très faible.

C'est a partir des années 1930 que la situation s'aggrave, car l'Empire entrave la croissance de la métropole plus qu'il ne la stimule. La démonstration de Jacques Marseille s'appuie sur une étude micro-économique des relations entre la France et l'outre-mer. Certains secteurs de production sont dépendants des colonies, d'autres non. L'industrie cotonnière, par exemple, activité traditionnelle, exporte à 80 % dans l'Empire, tandis que la chimie et la sidérurgie, industries modernes, à peu près pas. La conséquence, c'est que les colonies forment un marche pour des secteurs en déclin, ce qui les protège artificiellement. Le mécanisme freine ainsi la modernisation de l'appareil productif français. En outre, les matières premières, dans l'Empire, sont négociées de 20 a 25 % plus cher que sur le marche international. La France pourrait acheter ailleurs et à meilleur prix le vin, le riz, le cacao, le café, les arachides et le caoutchouc importés de ses colonies. Inversement, pour l'Empire, les denrées vendues par la métropole sont plus onéreuses, en raison des frais de transport, que leur équivalent sur d'autres marches géographiquement plus proches.

Globalement, le système forme donc une économie fermée entre métropole et colonies. En 1958, toutefois, l'Algérie et l'Afrique n'absorbent que 5 % des ventes de la production industrielle française. Dès lors, le patronat et les financiers considèrent le marché colonial comme inutile, car il obère l'économie française, la détournant de l'esprit de compétition et lui faisant accumuler du retard par rapport a ses concurrents et partenaires européens. Les milieux économiques prônent d'ailleurs la décolonisation. Quand elle survient, la métropole, débarrassée du fardeau colonial, se lance dans les grands travaux (nucléaire, autoroutes) et se tourne vers le marché européen, si bien que son économie s'envole, tandis que les problèmes commencent pour les anciens colonisés.

" C'est l'histoire d'un divorce, commente Jacques Marseille. Le divorce joyeux, c'est la métropole ; le divorce malheureux, ce sont les colonies. "

La France a secouru l'Algérie

La démonstration de Jacques Marseille peut être complétée, concernant l'Algérie, par la thèse de Daniel Lefeuvre, qui montre que, sur le plan économique, la France n'a pas exploité ses départements d'Afrique du Nord : elle les a secourus. Des années 1930 aux années 1960, l'Algérie est incapable de subvenir seule à ses besoins : c'est elle qui a besoin de la France, et non l'inverse. A la fin des années 1950, alors que la métropole compte 43 millions d'habitants, le pays consacre en gros 20 % de son budget à l'Algérie et a ses 10 millions d'habitants (dont 1 million d'Européens). Ce budget, il est vrai, comprend les dépenses militaires, massives, de ce qu'on appelle alors " le maintien de l'ordre " en Algérie. Dès le plan de 1949-1953, le budget d'équipement du territoire algérien est alimente, a 90 %, par des subventions de la métropole. Dans le plan suivant (1953-1956), ce pourcentage s'élève a 94 %. Et à l'époque, l'Algérie ne peut guère compter que sur ses exportations agricoles, notamment le vin que la métropole achète plus cher qu'il ne vaut en réalité, afin de soutenir le secteur viticole algérien.

En dehors des subventions versées par Paris, l'autre grande source de revenus provient des Nord-Africains installés en métropole. Citoyens français, ils circulent librement d'une rive de la Méditerranée à l'autre. Mais les Espagnols, les Italiens ou les Portugais leur sont préférés ; non par préjugé raciste, mais parce qu'ils sont plus qualifiés. Les Marocains, d'ailleurs, sont également préférés aux Algériens: travaillant sous contrat, ils sont considérés comme plus stables que les musulmans français qui sont dispensés de cette formalité.

Mais tous les Algériens qui se rendent en métropole ne trouvent pas un emploi : sur 300 000 Nord-Africains qui ont franchi la Méditerranée, environ 90 000 restent au chômage.
Les travaux de Daniel Lefeuvre font aussi justice du mythe selon lequel ce sont les immigrés maghrébins (l'expression n'est pas d'époque) qui auraient reconstruit la France après 1945 et largement contribué a l'expansion des Trente Glorieuses.

En 1951, les 150 000 Algériens et les 10 000 Marocains et Tunisiens qui travaillent en France représentent moins de 1 % du total de la population active. Les quatre cinquièmes des OS alors employés par les usines Renault à Billancourt ne viennent pas d'Afrique, mais de France, à une époque ou la classe ouvrière est une réalité sociologique forte. Quant aux immigrés, ce sont des Européens du Sud. Conclusion : les travailleurs d'Afrique du Nord ont joué sur le sol métropolitain un rôle qui n'était pas nul, mais qui restait marginal.

Jean Sevilla, " Historiquement incorrect " pages 113 à 116 ; Fayard

Jacques Marseille, né le 15 octobre 1945 à Abbeville et mort le 4 mars 2010 à Paris, est un historien français, spécialiste d'histoire économique. Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où il dirige la chaire d'histoire économique et sociale jusqu'en 2009.

Daniel Lefeuvre, né le 11 août 1951 et mort le 4 novembre 2013 à Paris, est un historien français, spécialiste de l'histoire économique l'Algérie coloniale.
Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris VIII à Saint-Denis. président de l'association " Études coloniales ".

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Mis en ligne le 09 janvier 2015

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