Opération Cisneros est le nom de code que les services de renseignement français ont donné à la tentative de Franco pour s'emparer, en 1940-1942, de la région Oranaise et de sa capitale Oran, un territoire algérien qui était alors sous domination française et dont sa population européenne était en grande partie, issue de l'immigration espagnole. A cette époque, dans cette région, environ 300 000 individus appartenant à la communauté hispanique, tandis que seulement 100 000 étaient d'origine française (la population totale de cette région, y compris les musulmans, était de 1,5 millions).
Profitant de la défaite de la France en Juin 1940, Franco a voulu réaliser le rêve des milieux impérialistes africanistes et de la Phalange. Non content de discuter avec Hitler et Mussolini le partage de l'empire colonial français en échange de sa promesse de se joindre à la mêlée aux côtés de l'Axe. Aussi, sans attendre de feu vert des vainqueurs, il a lancé son propre plan de conquête de l'Afrique du Nord française, en particulier la région d'Oran, dont la frontière n'est distante que de seulement une vingtaine de kilomètres du Maroc espagnol, où se trouvait la forte présence des troupes de Franco (environ 150.000 hommes), dans laquelle le gouvernement français, (le régime de Vichy), voyait une menace pour leur souveraineté en Algérie et son protectorat marocain.
Il est vrai que Franco usa de la diplomatie, un mélange ambigu de dialogue et de pression pour atteindre son objectif. Il est favorable à la possibilité d'un accord bilatéral avec la France. Son beau-frère Ramón Serrano Suñer, qui était son ministre des Affaires étrangères, a déclaré dans ses mémoires que l'intérêt de l'Espagne n'était pas l'option militaire, mais le commerce (2). La victoire nationaliste a déclenché une nouvelle vague d'agitations. Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères de Pétain, s'est opposé à la demande espagnole pour satisfaire Franco, convaincu que celui-ci ouvrirait une brèche irréparable dans la protection de la région d'Oran. Les phalangistes ont alors appelé les Beni Snassen à se révolter contre la tutelle française. Ils voulaient provoquer une rébellion qui justifierait une intervention militaire espagnole (4). Par crainte de troubles, Baudouin recula. Restitution fut proposée le 29 Août, 1940, mais une condition fut ajoutée. La restitution serait effectuée lorsque la paix générale sera établie en Europe. Madrid rejette l'offre. Pétain a oublié son amitié avec Franco et a adopté une position ferme. Le 15 mai 1941 il déclare solennellement l'inviolabilité de toutes les frontières françaises (5). A Franco, il restait d'autres options, entre autres, la propagande.
Tout en poursuivant la conduite diplomatique, les Phalangistes ont commencé des campagnes de presse intensives en faveur des " droits historiques " de l'Espagne.
Virulente et belliqueux étaient le quotidiens Pueblo Arriba et des journaux laïques dénonçant la politique de " pillage " de la France dans " l'Afrique Charles Quint ". Culpabilisant la France pour le mauvais traitement des travailleurs espagnols d'Oran (7). Les ardentes chroniques de l'hebdomadaire Dimanche contre la puissance coloniale de la France créèrent le malaise chez les diplomates français. L'un d'eux émit de sévères critiques en ce qui concerne la naturalisation du ministère espagnol d'Oran où, selon le journal, " il ya 1,1 millions de musulmans, 350 000 Espagnols et 70 000 étrangers (français, maltais, les Egyptiens, les Grecs .. ..). Des 350 000 Espagnols, la France en a naturalisé de force 200 000. A Oran, se respire un air bilingue. On chante en espagnol et en arabe. Rien de plus. À Madrid où vit une petite colonie du pays voisin, il y a un lycée français. Mais à Oran, où 350 000 Espagnols vivent, nous n'obtenons même pas la création d'une école maternelle " (8).
Fernando María et José María Castiella Areilza, deux jeunes membres de la population locale de la Phalange, ont publié en mai 1941, le manifeste de l'impérialisme de l'Espagne fraquiste : " Revendications de l'Espagne ". Dans plusieurs émissions, Radio Melilla diffusera en Juillet 1941 la lecture des folios (quatre-vingts), du chapitre concernant Oran. La fièvre impérialiste atteint Barcelone : des affiches sont apparues sur les murs des maisons et dans les lieux publics, en faisant valoir, notamment, qu'Oran était " en Espagne "
Plus que l'action militaire, l'environnement phalangiste de Franco, comptait, avec son réseau de supporters et des espions fomenter des troubles à Oran. Le consul Barnabas Toca, qui a pris ses fonctions en Septembre 1939, a agi comme le véritable propriétaire de la région d'Oran, humilia sans vergogne le préfet français Louis Boujard. Grace à son immunité diplomatique, il critiqua publiquement les autorités coloniales françaises et organisa des réunions en annonçant l'arrivée imminente de l'armée espagnole du Maroc. Il dit le 5 Octobre 1941 " Dans peu de temps, le drapeau de la Castille sera hissé sur les rives de la rivière du Chélif et les colons français devront traverser de nouveau la mer " (12).
Toca a fait l'objet d'adulation de ses compatriotes. Le jour de la Saint-Barnabé, en 1941, a donné un prétexte pour une cérémonie en l'honneur du consul d'Oran, animée par les religieuses de la communauté thérésienne et une chorale d'enfants. Étroitement liée à la Phalange, le Père José Manresa, un prêtre jésuite de la Ferme de Rocamora (Alicante), nommé en décembre 1939 membre du consulat. Il voulait publier un journal qui a été intitulé " Flèches ". Mais avant la publication des 500 exemplaires du premier numéro, la police a fouillé et confisqué le matériel d'impression. Manresa a fondé le Secours Social en Mars 1940, un instrument de bienfaisance qui ressemblait à une toile d'araignée, car il contrôlait tous les quartiers d'Oran. Selon les rapports de la police française (qui peuvent être trouvés aux Archives nationales d'outre-mer d'Aix-en-Provence), le Secours Social a été en mesure de mobiliser à Oran, jusqu'à mille miliciens disciplinés. Nous devons aussi considérer les sections du département de Secours Social dans plusieurs endroits comme Mostaganem, Ain Témouchent, Perrégaux ou Beni Saf. A Sidi Bel Abbès, siège de la sous-préfecture où vivaient 25.000 personnes, a triomphé la propagande phalangiste sous la direction du consul Ruiz de Cuevas, qui a réussi à recruter 500 membres et 100 sympathisants pour son Secours Social.
En bref, devant une telle activité subversive, le gouvernement général de l'Algérie (GGA) a décidé d'expulser Manresa en Février 1942. Le religieux se réfugia à Melilla où il se consacre, après le débarquement américain en Novembre 1942, à diriger le mouvement de révolte contre la tutelle française. Mais Franco avait officiellement renoncé à son projet impérial. Manresa a alors franchement collaboré avec le contre-espionnage allemand. Le consulat d'Oran a jusqu'en 1945, gardé son influence sur la population locale.
|
RETOUR EN HAUT DE LA PAGE
Mis en ligne le 28 juin 2014