A Leurs Excellences Monsieur le Président du Sénat, et Messieurs les Sénateurs. Veuillez me permettre de soumettre à votre haute appréciation la note suivante, qui me paraît
être l'expression fidèle d'une vérité utile à connaître, sur la situation de l'Algérie, au point de vue
de la colonisation.
Si l'Algérie était mise en valeur ; elle pourrait donner le bien-être à une très-nombreuse population, et compléter encore les richesses de la France, par la surabondance et l'excellence de ses produits en tout genre.
Les petits colons qui ont pu surmonter les premières difficultés, prospèrent en se suffisant à eux-mêmes; mais, dès qu'ils ont besoin dés bras d'autrui, la misère commence aussi pour eux.
Un remède à cette situation avait été sagement préparé par le Sénat, en 1856, et ce remède, d'une efficacité et d'une économie comparative éprouvée, n'aurait qu'à être appliqué, tel qu'il fut préparé, pour produire son effet salutaire.
Il s'agissait de transférer en Algérie, progressivement, selon le succès et le besoin, la jeunesse malheureuse, mais valide, de France, recueillie dans les hospices et sur le pavé des villes, ou recrutée de gré, à gré dans les familles pauvres. On devait la préparer d'abord à la colonisation, puis la distribuer dans la colonie, avec les précautions, convenables pour y multiplier avantageusement cette main-d'œuvre auxiliaire qui abuse de son insuffisance contre les autres, et contre elle-même. L'extension de la colonisation de l'Algérie, par la jeunesse malheureuse de France, serait d'ailleurs bien préférable, pour le Gouvernement, à tout autre moyen. Aucun autre, n'est aussi praticable, et n'offre autant d'avantages.
On sait maintenant que les bonnes familles d'agriculteurs, qui seraient plus désirées, ne s'expatrient pas volontiers ; et voulussent-elles s'expatrier, ne faudrait-il pas tout faire pour les retenir en France, puisqu'il n'y en a plus assez nulle part ?
Les villes seules ont du trop plein, mais que faire du trop plein des villes, sauf de la jeunesse, pour pousser une colonisation agricole ?
Pour ceux-ci rien de plus facile que de se caser ; les colons établis se les disputent ; si peu qu'ils vaillent, si peu qu'ils soient raisonnables dans leurs prétentions, et l'administration n'a à s'occuper d'eux que pour les protéger ou les contenir, selon là loi, comme tous les autres citoyens.
Aux familles, il faudrait des avances que beaucoup n'ont pas, pour attendre qu'on leur donne des terrains, ou. pour en acheter avec discernement, pour s'y installer, pour vivre jusqu'à la première récolte, et encore au delà, si l'essai n'a pas suffisamment réussi.
De plus, les familles d'agriculteurs ne travaillant ordinairement que pour elles-mêmes, n'augmentent pas, ou n'augmentent guère, la quantité de main-d'œuvre auxiliaire si nécessaire à la colonie ; et, pour cette raison, la multiplication des centres de population étend la colonie, mais ne la fortifie pas. Elle l'affaiblirait, au contraire, si, à défaut d'immigrants, on peuplait les nouveaux centres aux dépens des anciens. Cette jeunesse SEULE, au moins celle des hospices et des rues, est, pendant toute sa minorité, tout à fait à la disposition du Gouvernement, comme de l'armée.
En est-il ainsi des adultes ? Pourraient-ils, même dans leur propre et unique intérêt, être arbitrairement transférés, préparés, distribués, réglementés, tarifés ?
Quant aux jeunes filles pauvres de France, la sagesse du Sénat avait prévu aussi leur emploi utile et leur translation dans la colonie, selon les convenances de leur sexe, mais leur arrivée en grand nombre presserait moins que celle des garçons.
La portée de ce moyen serait de déterminer bientôt la prospérité des colons établis ; d'attirer
l'émigration européenne et les capitaux, par la renommée de cette prospérité ; d'alléger la France d'une population toujours onéreuse, et parfois dangereuse ; enfin, d'arracher cette infortunée population à la misère et au vice, pour lui procurer, par le bienfait signalé d'une préparation chrétienne à la vie des champs, un vrai bien-être physique et moral.
L'histoire offre-t-elle, dans l'ordre politique et même religieux, beaucoup de faits analogues à cette merveilleuse et si facile transformation d'un obstacle considérable en ressource précieuse, et d'une jeunesse malheureuse à tous égards en peuple honnête, productif et heureux ? D'autres économistes que le Sénat, proposeraient de supprimer la préparation, comme trop dispendieuse, voire même comme inutile, et de distribuer immédiatement aux colons les enfants devenus orphelins dans la colonie, ou recrutés en France. Ainsi s'évanouiraient toutes les objections soulevées contre les maisons préparatoires, si la vérité était connue, et surtout si le dévouement de leurs directeurs était loyalement secondé. Si cette note, Messieurs, vous paraissait digne d'être prise en considération, j'oserais vous demander encore la permission d'y ajouter, comme complément, quelques observations particulières sur la situation des maisons préparatoires qui ont servi à l'étude pratique du problème de la colonisation.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, Monsieur le Président et Messieurs les Sénateurs,
De Vos Excellences,
Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK8-1028 |
Mis en ligne le 21 août 2011