L'arrivée des rapatriés de la guerre d'Algérie dans le département de la Vienne (1962-1964)
INTRODUCTION
Le cadre de l'enquête

Nous présentons ici les résultats des travaux menés dans le cadre d'une mission scientifique de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, laboratoire du CNRS. Il s'agit d'une enquête nationale portant sur la guerre d'Algérie au quotidien vue de la métropole et vue d'en-bas. Elle a été réalisée par une quarantaine d'enseignants-chercheurs dans 27 départements et coordonnée par deux historiennes spécialistes de la Guerre d'Algérie, Raphaëlle Branche, maître de conférence à l'université de Paris I- Sorbonne et Sylvie Thénault, ingénieur de recherches au CNRS. L'approche locale a donc été privilégiée dans toute sa complexité et présente l'intérêt de ne pas réduire les évènements à l'affrontement entre deux nations mais " d'assumer - je cite nos deux coordinatrices- la complexité du réel et de voir agir, éventuellement s'affronter, divers acteurs sociaux ". Notre enquête s'attache à démontrer l'impact du conflit dans le département de la Vienne. Elle n'est pas centrée sur les aspects militaires mais sur les aspects sociaux, sur la façon dont les habitants de la métropole ont vu et connu la guerre alors qu'ils étaient éloignés du terrain d'affrontement des deux camps. Dans le département de la Vienne, les archives administratives nous ont incités à nous interroger sur les retours et les exodes en métropole au terme de plus de sept années de guerre.

Les sources

Les sources consultées sont essentiellement institutionnelles (préfectorales), issues des archives départementales et ponctuellement de quelques entretiens effectués auprès de représentants de la communauté des harkis de Châtellerault. Leur vécu apporta une touche précieuse face à la froideur des documents administratifs. Nous avons trouvé peu d'éléments significatifs dans les archives municipales ce qui est logique car les rapatriements relèvent toujours des prérogatives préfectorales. Les archives départementales regroupent surtout celles du cabinet du préfet : des recensements donc des fiches et des relevés statistiques, des rapports des officiers des Renseignements généraux et des rapports mensuels adressés par le préfet au ministre de l'Intérieur. Mais ce n'est qu'une exploration encore très partielle

QUI ? Les rapatriés qui sont-ils ? Comment sont-ils dénommés par les pouvoirs publics ?

Une typologie des rapatriés difficile à établir

La catégorie officielle des " rapatriés d'Algérie " n'apparaît pas de façon exclusive dans les archives du département de la Vienne. Si l'on interroge dans l'inventaire une sélection de 17 liasses, on trouve les dénominations suivantes
Après l'utilisation de vocables assez diffus, la qualité de " rapatrié " est juridiquement définie le 26 décembre 1961 au journal officiel à partir des pièces établissant que le départ est lié aux " événements politiques " d'Algérie (1). La loi du 26 décembre 1961 est une loi-cadre qui définit le statut de " rapatrié ", organise l'intégration des Français rapatriés dans les structures économiques et sociales de la nation et pose le principe du droit à l'indemnisation. On observe que le terme de " rapatrié " apparaît dans le département en février 1962 dès lors que les premières listes sont établies. Mais il ne désigne en réalité que certaines catégories. En général, les harkis ne sont pas compris dans la catégorie des rapatriés(2). Les harkis constituent effectivement dès 1957 une catégorie particulière comme le prouve la dénomination " Harkis et autres musulmans ". Qui définiton comme Harkis ? Harki : vient de Harka, terme arabe qui désigne un groupe de dix hommes recrutés pour renforcer l'armée régulière. Le terme de harkis désigne donc au départ les supplétifs musulmans de l'armée française en Algérie.

Or le général de Gaulle a déclaré au conseil des ministres du 25 juillet 1962 :
" Le terme de rapatrié ne s'applique évidemment pas aux musulmans ; ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! "


La typologie évolue en fonction de la situation politique :
-De 1954 à 1957-1958, elle est déterminée par le critère colonial : en effet, en novembre 1954, le préfet dénomme les quelques ressortissants comme " faisant partie de la " colonie nord-africaine " mise sous une surveillance discrète(3). De même, la note du service des renseignements généraux du 24 juin 1955 précise que les Nord-Africains qui résident dans le département ne sont pas des rapatriés, mais essentiellement des travailleurs algériens(4) répartis dans les entreprises du département par groupes de 2 à 6.
-De 1957-1958 à 1964, les dénominations obéissent à des critères culturels et politiques : " Musulmans (l'élément musulman y est clairement isolé) ou Français musulmans d'Algérie alors que les " pieds-noirs " sont appelés " Français d'Afrique du Nord " ou Français de souche européenne.
-A partir de 1964, les dénominations sont régies par des critères économiques (travailleurs algériens), car nous entrons la période où les trente Glorieuses nécessitent l'appel à la main d'oeuvre immigrée. Nous voyons donc clairement à travers ce tableau que la dénomination des rapatriés d'Algérie évolue en fonction des enjeux du moment, et que ces derniers sont catégorisés selon une classification coloniale. Une classification qui subsiste selon la sociologue Françoise de Barros dans les politiques du logement en France jusqu'en 1970 quand commence la fermeture de nos frontières(5).
Nous constatons aussi que les Harkis constituent une catégorie particulière. C'est très net dans notre département où afflue, en grand nombre, cette population qui englobe bien plus que les seuls soldats kabyles, arabes ou chaouias ayant servi dans les rangs de l'armée française, et leurs familles. Le critère de harkis ne désigne donc pas seulement les membres de la Harka ou de l'armée supplétive, mais des familles élargies

Les différentes dénominations des rapatriés d'Algérie dans les documents préfectoraux
Tableau d'occurrence réalisé à partir de l'inventaire des archives du cabinet du préfet : 17 liasses sélectionnées.
Dénomination Dates Occurrence Type d'archives
Nord-Africains 1950-1963
1956-1965
4 Cabinet du préfet et bureau du cabinet : action sociale/ affaires nord-africaines
Français musulmans d'Algérie ( F.M.A) 1955-1962 2 Cabinet : correspondance et rapports
Français d'Afrique du Nord 1958-1963 1 Cabinet : association nationale des Français d'Afrique du Nord
Harkis et autres musulmans d'Afrique du Nord 1957-1964 1 Bureau du cabinet : accueil, action sociale
Rapatriés d'Algérie 1960-1962
1962-1964
1963-1968
7 Direction d'administration générale : réquisitions de logements Secrétariat général : correspondance, fiches, statistiques Service des rapatriés Bureau du cabinet : installation, reclassement, secours, logements…
Musulmans - 1 Service des rapatriés : fiches du camp de la Rye au Vigeant
Travailleurs algériens 1964-1972 1 2° direction, 2° bureau : admission des familles

QUAND ? Quelle est la chronologie du rapatriement dans le département : Quand commence t-il ? Quand finit-il ?

Un rapatriement concentré en été 1962

Seulement 19 Algériens et une quinzaine d'étudiants nord-africains sont comptabilisés dans le département au début de la guerre d'Algérie, en novembre 1954. Jusqu'à la fin de l'année 1957, les rapports préfectoraux notent une présence très réduite des milieux nord-africains. La volonté d'accueillir des " musulmans algériens " en métropole est peu manifeste et une enquête préfectorale de 1956 signale que les possibilités d'hébergement et d'emploi sont très minces.

A-t-on anticipé dans le département l'afflux lié à la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962 ?

Oui, car le sous-préfet de Châtellerault recense les premiers rapatriements en février 1962, donc avant le cessez-le feu. Cette date correspond à la démobilisation des supplétifs de l'armée française mais aucun rapatriement officiel n'est organisé à cette période.
Mais c'est surtout après la ratification des accords d'Evian en France, à partir de mai 1962 que les harkis sont acheminés par groupes; ainsi, 17 familles, soit 90 personnes, en provenance de Tlemcen, arrivent à Poitiers le 12 mai 1962(6). Le 26 mai, la presse locale annonce 800 familles attendues(7).
Sur les 4575 rapatriés recensés le 30 novembre 1962, 750 sont arrivés dans le département avant le 1er juin 1962(8). La majorité, soit 3825 ont afflué après cette date. La vague de l'été 1962, surtout la deuxième quinzaine d'août, est signalé tant dans les rapports officiels que dans la presse locale(9) : 300 personnes en deux jours ! Pour se resituer dans le contexte de la fin de la guerre d'indépendance algérienne, nous constatons que les familles de " harkis " affluent surtout après la ratification des accords d'Evian par referendum en France le 8 avril 1962 et en Algérie le 1er juillet 1962. On observe alors deux vagues importantes : une première, massive, en mai 1962 au moment où les préfets ont reçu l'ordre d'organiser l'accueil des rapatriés et une seconde en juillet 1962 dès lors que des massacres visent tous ceux qui étaient considérés comme des " collaborateurs " par les nationalistes algériens. En effet, à Oran, ville d'origine de nombreux harkis arrivés dans la Vienne, la célébration de l'indépendance est assombrie par la tragique fusillade du 5 juillet (près de 150 morts - 100 Algériens et une quarantaine de Français, plusieurs centaines de disparus) ; la ville se vide de sa population européenne et harki.

COMBIEN ?

Pour l'ensemble du pays le total des rapatriés d'Algérie est estimé entre 850 000 et 900 000.
En octobre 1962, le département compte 4 500 " rapatriés " si l'on inclut les harkis dispersés, les 800 " musulmans " du camp de la Rye (Le Vigeant) et une centaine de familles de fonctionnaires. Ce nombre est beaucoup plus élevé que dans les autres départements ruraux, 1300 en Mayenne par exemple. D'ailleurs devant les difficultés de prise en charge tant de l'accueil que de la subsistance, le préfet estime que le degré de saturation est atteint et qu'il faut arrêter " les envois "-je cite-.(10) D'ailleurs, son collègue des Bouches-du-Rhône ne tarde pas à stopper l'acheminement de nouveaux rapatriés(11).
A partir de la fin de l'année 1962, s'opèrent des transferts croissants vers d'autres départements : 1714 personnes transférées en Gironde au 27 décembre 1962. Le déclin des effectifs s'amorce surtout à partir de fin 1964, et si une trentaine de personnes arrive encore en octobre, le rapatriement se tarit : on ne note plus que trois entrées en décembre 1964.
Ce sont en priorité les " Musulmans " du camp du Vigeant qui quittent le département comme vous le verrez ultérieurement.

Où ? La primauté de l'arrondissement de Châtellerault.

Ce diagramme montre bien que la majeure partie des rapatriés se trouve dans l'arrondissement de Châtellerault dont 550 (plus du quart de l'effectif recensé dans le département) dans la ville plus industrialisée donc susceptible d'offrir des emplois. Jean-Luc Gillard vous exposera plus amplement d'autres raisons de cette concentration des Harkis dans les arrondissements de Châtellerault et de Montmorillon. Soulignons d'ores et déjà que les rapatriés ne sont pas uniquement concentrés dans les pôles urbains. En effet, plusieurs familles sont dispersées dans diverses communes, particulièrement celles qui disposent d'infrastructures : par exemple, la station thermale de la Roche-Posay comptabilise plus de 50 rapatriés en septembre 1962.
Mais il faut constamment relativiser les chiffres de l'administration car nous nous confrontons au problème des dénominations. Ainsi, après croisement avec d'autres statistiques, l'on constate que dans ce recensement du 10 , octobre 1962, les harkis ne sont pas comptabilisés parmi les rapatriés : il faudrait ajouter au moins 1000 personnes, une centaine dans l'arrondissement de Châtellerault et beaucoup plus dans celui de Montmorillon qui inclut le camp de la Rye où séjournent plus de 800 harkis en octobre 1962. Voyez à quel point il faut demeurer prudent avec les chiffres. De froides statistiques qu'il faut dépasser pour percevoir les difficiles réalités des départs et des arrivées.

COMMENT le processus du rapatriement de l'Algérie vers le département d'accueil ici la Vienne est-il mis en oeuvre ?
Des départs dans l'urgence

Une infime minorité a décidé de son départ et préparé son installation dans le département, tel ce ressortissant français domicilié à Alger qui désire revenir à Avanton où il possède une maison pour y monter une entreprise de transport. L'immense majorité quitte l'Algérie dans l'urgence, sans moyens et sans objectifs. En effet, lors de la réunion officielle du 3 septembre 1962, le préfet insiste sur ce point(12). Boumédiène Bouhassoun affirme être parti sans l'avoir choisi, sous la menace, alors que son frère venait d'être blessé, avec rien, pas même une valise, après avoir vendu en cachette son commerce et craignant que l'on découvre ses papiers militaires (13). Boumédiène Bouhassoun Ould Cherif a servi en Algérie dans les unités de maintien de l'ordre, mis à la disposition de la S.A.S en qualité de harki (14)de septembre 1957 à décembre 1958, puis de moghazni (15) de janvier 1959 à mars 1962. Il est chef de la Section administrative spécialisée (S.A.S) des Beni Ouarsous, dans l'arrondissement de Beni-Saf (département de Tlemcen). Rapatrié après la dissolution de la S.A.S le 13 mai 1962, il a été installé à Chauvigny. Mon collègue vous expliquera dans quelles conditions.
On recense toutefois quelques cas isolés d'expulsés d'Algérie, plus aisés, arrivés en général avant le boom de 1962, tel le conseiller général du canton de Mostaganem, adjoint au maire de la commune, à la tête d'une exploitation, expulsé pour " activités subversives " et rentré en métropole le 23 août 1961.

Les aléas du transport

Sur cette photographie, une femme et ses enfants viennent de débarquer (paquebot " Ville d'Oran "), d'Oran à Marseille le 26 mai 1962 comme de nombreux réfugiés européens d'Algérie et des familles de harkis.
Selon les témoins, rien n'aurait été organisé au départ d'Algérie pour le transport des harkis. Ils partent par leurs propres moyens et empruntent en général des cargos de marchandises(16). Les harkis de Châtellerault relatent leur regroupement à Oran du 29 mars au 9 mai 1962, leur embarquement pour Marseille à bord d'un cargo, la naissance d'un bébé durant la traversée, et leur transfert dans le département de la Vienne le 12 mai 1962. D'autres sont arrivés seuls cinq à six mois plus tard, par les mêmes modes de transport. Mais pour certains, le trajet prend des voies détournées telle Oran-Melilla-Barcelone-Port-Vendres-Marseille, tandis que d'autres, n'ayant pu prendre un bateau, transitent par le Maroc et l'Espagne. En effet, de nombreux rapatriés d'Algérie, environ 90 à 110.000 personnes à l'échelle nationale, ont emprunté cette voie.
A l'arrivée en métropole, à partir du 28 mai 1962, au moment de la première grande vague de harkis, la SNCF puis le comité d'accueil départemental organise le transfert des rapatriés en général par autocar.

Une arrivée très surveillée

On note des mouvements importants et croisés de rapatriés. Beaucoup viennent du sud, notamment des services
d'accueil de Marseille. Ces personnes arrivent dans le département de la Vienne soit dans le cadre du plan national d'hébergement, soit à leur demande en fonction de leurs relations personnelles.
Afin d'éviter tout mouvement d'opinion à leur encontre, leur arrivée, particulièrement celle des Harkis, est très surveillée. Plusieurs notes du ministère de l'Intérieur soulignent qu'aucune installation ne peut " être accomplie en dehors de l'Autorité du Ministre d'Etat et du Secrétaire d'Etat ". La plus grande vigilance est donc requise(17) d'où la multiplication des bilans statistiques et des fiches de recensement. Comme le souligne notre collègue de Rouen, Les " Français musulmans d'Algérie " se révèlent être la population test de la politique d'encadrement des immigrés.

Dans quelles conditions cette population est-elle accueillie sur place puis installée ?

L'accueil : centres, propriétés familiales, camps. La mise en place des comités d'accueil pour les rapatriés d'Algérie.

C'est le 1er juin 1962 que le Comité d'Accueil de la Vienne pour les rapatriés d'Algérie est créé, comme cela se fait dans d'autres départements d'ailleurs. Comité très officiel puisque composé des plus hautes personnalités civiles et religieuses du département.
Le comité prend immédiatement quelques décisions comme par exemple :
* La mise à disposition par la SNCF d'une salle (le Foyer des retraités de la SNCF) afin que les arrivants puissent attendre les moyens de déplacement vers les centres d'accueil (on attend donc les plus fortes arrivées par le train) ;
* La prise en charge des déplacements vers les centres d'accueil par la Compagnie des Tramways de Poitiers ( la société publique est donc mobilisée) ;
* Un accompagnement moral et matériel des arrivants par des assistantes sociales, la Croix Rouge, et des associations catholiques volontaires.
Un bilan est dressé trois mois plus tard sur l'action de ce comité: 515 dossiers ont été traités, n'incluant ni les familles de fonctionnaires rapatriés, ni les Français Musulmans d'Algérie (les Harkis) venus par leurs propres moyens. Le rapport de préfet croit bon de mentionner que " les rapatriés sont des gens modestes qui ne possèdent pour la plupart aucun bien ", et il souhaite " qu'il n'y ait aucune prévention contre eux dans l'opinion publique ".
Le Comité d'accueil de la Vienne a aussi prévu la démultiplication de son action par une dispersion cantonale des rapatriés : l'effort d'accueil doit être porté par l'ensemble du département. La mise en place effective de Comités cantonaux d'accueil est attestée fin août 1962 (la Nouvelle République et Centre Presse s'en font largement l'écho dans les derniers jours du mois) et ce sont alors plus de 200 personnes qui sont concernées, réparties à travers tout le département, là où des logements sont disponibles.
Quelles sont les destinations principales des rapatriés à leur arrivée dans la Vienne ? Nous en distinguerons 3. * Les centres d'accueil.
L'essentiel des arrivées s'effectue à Poitiers. Un centre d'accueil, prévu pour recevoir 80 personnes, est ouvert boulevard Chasseigne, à proximité de la gare. Un second s'implante dans les locaux du dispensaire de la Croix Rouge. Dans les deux cas, la nourriture est fournie sous le contrôle de la ville de Poitiers par le Foyer des Vieux, le personnel est issu de la Croix Rouge et d'autres associations caritatives.
Pour faire face à l'arrivée massive de l'été 1962, des réponses encore plus provisoires sont trouvées : * le lycée Victor Hugo de Poitiers abrite 60 rapatriés du 24 au 29 août (une note du proviseur de l'établissement à l'Inspecteur d'Académie montre les difficultés et les désagréments que pouvaient provoquer ces hébergements d'urgence : les enfants des rapatriés, en jouant à lancer des pierres, ont cassé des vitres et toutes les serres du jardin, un vol de bijoux a même nécessité l'intervention de la police…).
* A Châtellerault, les lycées Berthelot et Descartes hébergent plusieurs familles (8 + 1, en tout 30 personnes), mais le recteur d'Académie, dans sa note au préfet, souligne le manque de matériel (surtout les draps), de personnel de service et de surveillance, ce qui limite l'utilisation des locaux. De plus, la rentrée scolaire est proche (entre le 15 et le 20 septembre), elle oblige à trouver d'autres solutions.
* Par exemple, la station thermale de la Roche -Posay dispose de locaux à l'issue de la saison estivale, et se voit confier quelques familles. Là encore il s'agit d'un hébergement d'urgence et provisoire car une note du maire de la Roche -Posay au préfet de la Vienne en date du 30 novembre 1962 signale qu'il n'est pas possible d'assurer le chauffage des logements occupés par les rapatriés.
* L'administration préfectorale recense aussi quatre colonies de vacances pouvant être utilisées : Nieul l'Espoir, Coussay les Bois, Chincé, Jouhet. Mais les difficultés de fonctionnement sont identiques (matériel, personnel de service, chauffage, etc…) . Il est clair que ces structures d'hébergement ne sont là qu'à titre transitoire : à partir des centres d'accueil les rapatriés doivent, à terme, être transférés vers d'autres lieux.

Une autre destination des rapatriés : des propriétés familiales

Chauvigny , le 16 avril 1963,
Le général Delmotte
à Monsieur le Préfet de la Vienne
s/c de Monsieur le Sous-Préfet de Montmorillon

Monsieur le Préfet,

Le 11 mai 1962, vous avez bien voulu autoriser l'hébergement dans ma propriété des Brelaizières à Chauvigny, d'une vingtaine de familles de mogheznis et de harkis, qui provenaient de la SAS de BENI-OUARSOUS, commandée par mon fils, le capitaine Jacques Delmotte, et qui avaient opté pour la France.
Dès leur arrivée, j'avais fait travailler ces chefs de ces familles dans l'agriculture et dans des travaux d'adduction d'eau aux environs de Chauvigny. L'attrait de hauts salaires les a incités assez rapidement à demander des emplois dans l'industrie et dans les entreprises de construction des régions de Poitiers et de Châtellerault.
A l'automne, je les avais, en prévision de l'hiver, installés dans des pièces susceptibles de recevoir des appareils de chauffage: sept familles restant aux Brelaizières, six autres dans des maisons louées aux environs de Chauvigny, neuf enfin dans la commune de la Puye, dont huit logées gratuitement par mon ami, le comte d'Escagnac dans ses propriétés de Saint-Bonifé et du Loup-Pendu.
Or, Chauvigny est à vingt kilomètres de Poitiers, la Puye à vingt sept kilomètres de Châtellerault, et le trajet quotidien à mobylette, aller et retour est à la fois onéreux et dangereux en cas d'intempéries.
Il semblerait donc plus logique que tous ces rapatriés, qui ont cherché du travail dès leur arrivée en métropole et ont tous demandé officiellement la nationalité française, fussent groupés dans des maisons construites en " préfabriqué lourd " dans la banlieue immédiate de Châtellerault, à proximité des usines et des entreprises, qui en emploient déjà un certain nombre et qui sont capables d'absorber également ceux qui sont embauchés à Poitiers.
J'ai exposé le 6 avril 1963 cette solution à Monsieur Abelin, Député-Maire de Châtellerault, qui m'a donné son accord en ce qui concerne les questions intéressant la ville dont il a la charge, et m'a invité à soumettre à votre approbation ce projet de regroupement à Châtellerault de familles actuellement logées à Chauvigny et à la Puye.
En conséquence, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir m'accorder une audience , au cours de laquelle je pourrais vous donner valablement toutes indications complémentaires, vous permettant de prendre votre décision en toute connaissance de cause.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, les assurances de mes sentiments hautement déférents.
A. Delmotte

Si beaucoup de rapatriés suivent l'itinéraire classique (Algérie vers Marseille puis vers centres d'accueil dans les départements puis vers hébergements divers), une trentaine de familles de harkis (environ 150 personnes) arrivent et s'installent dans la Vienne d'une manière différente.
Arrivées à Poitiers, elles sont ensuite convoyées par des transports spécialement affrétés (des autocars) et installées dans leurs propriétés familiales ou chez des amis par des officiers français des Sections d'Administration Spécialisées (SAS), car les chefs de ces familles harkis avaient servi sous leurs ordres en Algérie.
Au moins deux exemples sont connus dans le département de la Vienne : en Mai 1962 un groupe d'une vingtaine de personnes arrive dans la propriété d'un officier à Saint -Cassien près de Loudun ; toujours en Mai, le préfet signale au ministre de l'intérieur l'arrivée de 17 familles de harkis en provenance de Tlemcen et hébergés dans la propriété d'un officier près de Chauvigny. C'est d'ailleurs une aide d'urgence accordée par la préfecture qui a réglé la facture de 130 francs présentée par la Compagnie des Rapides du Poitou pour le transport de Poitiers à Chauvigny de ces 17 familles le 12 mai 1962.

Environ 40 000 réfugiés d'origine harki regroupés dans les camps du Larzac et de Bourg-Lastic, ouverts dès juin 1962, puis ceux de Rivesaltes, Saint-Maurice-l'Ardoise, Bias et La Rye-Le Vigeant (dans la Vienne)

Un centre d'hébergement, le camp de la Rye, au Vigeant.

La mise en place : en été 1962, le Secrétariat d'Etat aux rapatriés cherche à mettre en place des centres d'hébergement pour faire face à l'afflux important des rapatriés d'Algérie. Or il apparaît que deux camps, celui de Bias dans le Lot et Garonne et celui de la Rye, près de l'Isle Jourdain ( diapo 11 carte Vienne), ont hébergé, jusqu'en 1961, des eurasiens rapatriés d'Indochine et possèdent, à ce titre, des bâtiments d'habitation et des groupes scolaires.
Dès fin juin début juillet 1962 le camp de la Rye est réactivé. Une note du sous-préfet de Montmorillon au préfet de la Vienne mentionne l'achat de matériel de couchage et de cuisine ( 25 juin) . Les premiers arrivants s'installent : 22 personnes le 28 juin ; 32 personnes le 12 juillet.
Mais le préfet de la Vienne voit beaucoup plus grand. Dans une note du 3 août 1962 il annonce la possibilité d'un accueil de 1350 personnes au camp de la Rye après construction de bâtiments préfabriqués et propose l'ouverture à Saint Martin l'Ars de deux cités pouvant recevoir 650 personnes après réfection du gros oeuvre des bâtiments.
Le Secrétariat d'Etat aux rapatriés le 30 août tempère l'enthousiasme du haut fonctionnaire en indiquant que 750 personnes au camp de la Rye est suffisant et qu'il n'est pas envisagé d'utiliser les cités de Saint Martin l'Ars. La même note précise qu'il est demandé au ministre de l'Education Nationale d'envisager la mise en service scolaire du camp pour la prochaine rentrée en faisant appel à un personnel déjà habitué aux particularismes des musulmans, et ajoute qu'un centre de préformation professionnelle va être installé rapidement au camp.
L'arrivée massive des rapatriés au camp de la Rye s'opère à partir du 10 septembre 1962. Certains viennent du centre d'accueil de Poitiers, d'autres, plus nombreux, sont déplacés des camps de Larzac (Dordogne), de Rivesaltes (Pyrénées orientales) de Fort de Nogent ( ) et de Bourg l'Astic (Puy de Dôme) où ils étaient hébergés dans des conditions précaires (à Bourg l'Astic l'hébergement avait lieu sous des tentes prêtées par l'OTAN et donc tout à fait inadapté à un hiver proche).
Le camp compte 40 bâtiments abritant 150 logements qui disposent tous de l'électricité, de l'eau courante et d'un mobilier rudimentaire. A cela s'ajoutent un certain nombre de dépendances (toilettes, lavoir, séchoir, douches). A la fin octobre 1962 une note du préfet de la Vienne à son supérieur le préfet de Gironde Inspecteur général de l'Administration fait mention de l'aménagement d'un second camp sur le territoire de la commune du Vigeant, le camp des Algrées, plus petit puisque ne comportant que 17 bâtiments , et plus malcommode puisque le camp ne dispose pas de l'eau courante, ce qui nécessite des travaux importants (le captage est à 3 kilomètres, et en attendant ravitaillement du camp par deux camions citernes).

Les effectifs du camp de la Rye

le graphique permet de visualiser les principales phases de l'évolution des effectifs. La première phase est clairement une phase d'expansion : de septembre 1962 à février 1963 la population du camp passe de 756 à 936 résidents. Après ce maximum l'évolution générale est à la baisse, avec des étapes : de février à juin 1963 une baisse relativement modérée (936 à 750 résidents) ; une chute brutale au printemps 1963 : de 750 à 500 ; une stagnation autour de 500 résidents de l'été 1963 au printemps 1964. Ces phases, ces étapes, correspondent à des moments particuliers : l'arrivée massive de la fin 1962 (les camps se remplissent, celui de la Rye comme les autres) ; des départs dus à la redistribution des populations par rapprochements familiaux et à l'obtention assez rapide d'emplois pour les plus qualifiés ; des mouvements ponctuels d'entrées et de sorties de l'été 1963 à l'été 1964 avec des départs sur des chantiers à durée limitée (vendanges, forestage…) puis retour à l'issue du contrat ou, en février 1964, le départ d'une quarantaine de célibataires qui ont terminé leur stage de formation professionnelle au camp.
Le camp de la Rye est bien un centre d'hébergement transitoire, un lieu de passage destiné à abriter momentanément et à gérer des flux de population. A l'automne 1964 les effectifs ont beaucoup diminué, le camp a joué son rôle, mais deux ans et demi après le cessez le feu et l'indépendance de l'Algérie, il reste encore plus de cent personnes qui n'ont pas accompli leur réinsertion dans la société.

Qui sont les occupants de ce centre d'hébergement ?

Les musulmans hébergés au camp sont originaires de régions d'Algérie très différentes. La plus grande partie des effectifs est constituée d'anciens supplétifs issus des groupes d'auto-défense, des harkas, ce sont aussi des moghaznis, des employés de SAS, on y trouve enfin des anciens élus (maires, conseillers généraux, des notables, d'anciens chefs religieux).
Dans la sociologie du camp, les enfants de moins de 16 ans représentent entre 43 et 48 % du total.
Entre la moitié et les trois quarts des rapatriés présents sont Arabes, les autres sont Kabyles. Le camp de la Rye est dirigé par un officier d'active des Affaires Algériennes, c'est le capitaine Réal dans les années 1962-1964.
Une note du Ministère de l'intérieur au capitaine Réal en date du 20 décembre 1962 indique que " tous les hommes et femmes de plus de 18 ans doivent, s'ils désirent conserver la nationalité française, souscrire une déclaration devant un magistrat ". Les archives consultées n'offrent pas de trace de refus de cette démarche par les rapatriés du camp.

Le fonctionnement du camp

Les rapatriés perçoivent, en vertu de la loi du 26 décembre 1961,une allocation mensuelle de subsistance. Les services comptables du camp se chargent de la perception et du paiement des diverses indemnités prévues en faveur des rapatriés, ils effectuent toutes les formalités nécessaires, et ils retiennent 30/60ème de cette allocation pour régler les dépenses liées à l'hébergement (chauffage, éclairage, entretien des bâtiments, fournitures scolaires).
En juillet 1963 est mise en place au camp de la Rye une formation aux métiers du bâtiment (rappel : il y avait depuis août 1962 des ateliers de préformation professionnelle). N'oublions pas qu'il s'agit d'une part d'une population globalement peu qualifiée, et d'autre part que les années 60 sont des années de croissance avec un développement urbain fort sous la forme de banlieues.
Des examens psychotechniques sont menés auprès des hommes susceptibles d'être intéressés par cette formation. Sur un échantillon de 146 harkis examinés, 21 sont aptes à la Formation Professionnelle pour Adultes normale, 54 aptes à une Formation Professionnelle spécifique, et 45 sont autorisés à effectuer un stage supplémentaires de préformation. Cela nous alerte déjà sur une question que nous reprendrons un peu plus loin : l'emploi.
Au fil des archives sont délivrées d'autres images de ce que pouvait être la vie au camp de la Rye dans les années 1962-1964. Elles sont contenues dans les rapports des Renseignements Généraux comme celui du 15 octobre 1962 qui indique le fonctionnement de trois classes primaires et d'une classe de cours de rattrapage scolaire. Il nous indique aussi la mise en place d'une pièce d'identité du camp pour chaque Musulman domicilié au centre. Il nous fait part d'une campagne de vaccination (polyo, diphtérie, tétanos, variole) par une infirmière, une assistante sociale et une " harkette " (dans le texte) préposée aux soins. Le camp veut donc répondre aux besoins éducatifs et de santé de la population. Il a aussi des préoccupations morales puisque le même rapport des R.G. mentionne une cérémonie du lever des couleurs à partir du 11 octobre 1962 qui n'a, nous précise-t-on, été marqué d'aucun incident. Le même rapport souligne que la présence des célibataires dans le camp est une préoccupation. On envisage alors de loger ces hommes seuls dans une annexe du Centre, le camp des Algrées, où ils seraient ainsi tenus à l'écart " des familles dont certaines ont de grandes jeunes filles "…
Le camp de la Rye est une micro société qui a, comme d'autres, ses " moutons noirs " : une note du sous préfet de Montmorillon en date du 12 novembre 1962 signale qu'un musulman hébergé à la Rye s'est rendu coupable d'un vol d'argent chez un commerçant de l'Isle-Jourdain. C'est sans doute un cas isolé car plusieurs rapports, notes, d'origines divers, soulignent que les relations des rapatriés avec la population locale sont bonnes.
Mais le camp est aussi un espace qui fait l'objet d'une attention particulière. Une note du préfet de la Vienne au Chef d'Escadron commandant le groupement de gendarmerie en date du 2 octobre 1962 indique que des voitures suspectes, aux numéros falsifiés, ont été vues aux abords du camp. Les autorités craignent qu'il s'agisse de membres du FLN qui cherchent à influer ou agir contre les anciens supplétifs. Des renforts de gendarmerie sont mis en place. Une note plus souriante pour en terminer avec ces quelques images : le 11 décembre 1963 le préfet de la Vienne informe le Ministère qu'un arbre de Noël est organisé au camp pour 223 enfants de 0 à 14 ans…Espérons qu'uns fois de plus le Père Noël ait pu pour quelques instants apporter la joie sur le visage des enfants …de toutes confessions !

L'installation.

Dans une note du 31 janvier 1963 le préfet de la Vienne déclare, à propos des rapatriés : " le problème primordial est aujourd'hui celui du logement et du reclassement professionnel ". Le logement et l'emploi, voilà bien deux soucis majeurs des rapatriés. Nous allons les aborder successivement, mais dans la réalité ils sont étroitement liés.

De l'hébergement d'urgence au logement.

Trois grandes catégories de solutions sont utilisées :
* Le logement familial par relations. Certains rapatriés ont pu être logés par des membres de leur famille, ce qui explique parfois leur volonté de venir dans le département. Mais les conditions sont peuvent être précaires : l'état des lieux d'un logement à Poitiers le 16 juillet 1962 recense trois pièces pour 16 personnes ! Le souci est alors de trouver un meilleur logement. Autre exemple, ce rapatrié expulsé d'Algérie pour " menées subversives ", rentré en France an août 1961, qui achète une exploitation agricole de 45 hectares dans l'ouest du département et qui n'a donc pas de problème de logement lorsque son épouse le rejoint l'année suivante. * Le logement réquisitionné auprès de propriétaires privés. Le préfet de la Vienne utilise un arrêté pris en août 1962 relatif à la réquisition de locaux vacants au profit des personnes rapatriées d'Algérie. IL diligente alors des enquêtes menées par la gendarmerie et les maires afin de repérer et d'attribuer des logements inoccupés. La volonté préfectorale exprimée par les ordres de réquisition,par les actes de police et d'huissier, est de " vider " les centres d'hébergement, mais l'épaisseur des liasses qui traitent de ces réquisitions montre aussi la réticence, voire le refus, de certains propriétaires à les accepter.
* Le logement locatif neuf. Le 15 juin 1962 une note du ministère de la Construction au préfet de la Vienne indique la liste des programmes HLM en cours de construction.
L'Office Département HLM, l'Office Municipal HLM de Poitiers assurent ici l'essentiel du marché. Ils sont accompagnés par deux sociétés privées : la Société Coopérative d'Intérêt Collectif ( SCIC) de Châtellerault et la Société Immobilière de la ville de Poitiers.
Le parc locatif en construction s'élève à prés de 600 logements : pour l'Office départemental HLM 119 logements à Poitiers et 130 à Châtellerault ; pour l'Office municipal de Poitiers 156 dans une première tranche et 134 dans une seconde ; mais aussi 24 logements à Loudun, 12 à Chauvigny…
L'effort est considérable. Pourtant au 31 janvier 1963 318 demandes sont encore en attente et 28 personnes sont toujours logées au centre d'accueil de Poitiers, et au 30 septembre de la même année 240 ne sont pas encore satisfaites…

Travailler pour faire vivre sa famille.

A leur arrivée dans le département de la Vienne, la plupart des rapatriés n'ont pas de quoi subvenir à leurs besoins.
* Les services de la préfecture doivent leur fournir, dans l'urgence, tout un ensemble d'aides sous réserve de la présentation des pièces justifiant de leur qualité de rapatriés. Ils peuvent alors bénéficier d'une indemnité de départ de leur lieu d'origine, de la gratuité des transports jusqu'au lieu d'installation, d'une indemnité de déménagement versée après le départ du centre d'accueil, d'une indemnité mensuelle de subsistance. Ceux qui souhaitent se fixer définitivement comme commerçant ou artisan et qui peuvent justifier d'un local vide perçoivent une subvention d'installation.
Des secours d'extrême urgence, des allocations aux personnes âgées sont également prévues. Les aides sont indispensables pour répondre au choc du rapatriement, mais pour la plupart des rapatriés elles ne sont qu'une étape vers le retour à l'emploi.
* Des services ministériels aux services municipaux en passant par les services préfectoraux, toute la chaîne de l'Etat s'active pour aider les rapatriés à retrouver un emploi. Et ce n'est pas chose si facile, malgré le contexte de la croissance. Les services ministériels, dans une note au préfet de la Vienne, reconnaissent la difficulté du " placement " d'une main d'oeuvre peu ou pas qualifiée, les craintes des chefs d'entreprises à embaucher des rapatriés musulmans, la difficulté de procurer aux rapatriés simultanément l'emploi et le logement.
Les rapatriés ayant une réelle qualification professionnelle trouvent un emploi assez rapidement. Les bassins d'emploi de Poitiers et de Châtellerault par exemple l'entreprise Mescle et les caves à champignons (mais aussi Dissay avec les usines Royco et Leclanché) accueillent un certain nombre d'entreprises qui peuvent embaucher des rapatriés, à différents niveaux de qualification.
Mais c'est beaucoup plus difficile en milieu rural pour les rapatriés hébergés par les Comités cantonaux d'autant que se pose alors le problème de l'éloignement domicile/travail.
* Des actions sont mises en place par les autorités. On peut en citer quelques unes : des licences supplémentaires d'exploitation de taxis sont créées ;
les municipalités recrutent des auxiliaires pour leurs services de voirie, de nettoiement, de parcs et jardins ; des chantiers de forestage sont ouverts dans le département, employant une main d'oeuvre peu qualifiée ; les autorités encouragent les entreprises à recruter en priorité les rapatriés par rapport aux migrants étrangers ; les employeurs sont encouragés à solliciter le bénéfice de prêts et subventions de l'Etat pour l'aménagement, la réparation, l'équipement, de locaux destinés au logement des rapatriés ;
les services publics soutiennent les programmes de constructions de la SONACOTRAL qui fournis des préfabriqués " lourds " et " légers " pour les bassins d'emploi assez importants qui manquent de logements. * En ce qui concerne plus particulièrement les supplétifs musulmans, le camp de la Rye fait fonctionner au maximum son Centre de Formation Professionnelle et accueille de jeunes adultes venant d'autres camps. Le nombre de célibataires est alors plus important.
D'autre part le préfet a institué dans le département en date du 15 mars 1963 une Commission de reclassement.
Les notes du cabinet du préfet de mars et avril 1963 à propos de ce reclassement nous éclairent un peu : le préfet de Haute Marne envoie une note au commandant du camp de la Rye pour le reclassement de six manoeuvres à la Société " Eau et Environnement " d'Aillianville et il est précisé que cette entreprise souhaite embaucher des célibataires ; le préfet de la Loire signale que l'entreprise de travaux publics Thinet de Saint- Etienne offre l'embauche pour trois harkis célibataires ; le préfet de Charente indique qu'un agriculteur de Triac-Lautrait propose d'embaucher un harki (un sondage nous a montré qu'un couple a quitté le camp de la Rye le 13 juin pour satisfaire cette offre) ; le préfet de l'Aube signale une offre d'emploi pour un couple de gens de maison de préférence kabyles près de Troyes…
Ces quelques exemples concrets illustrent le mécanisme de reclassement mis en place. Dans les départements les préfets ont, par leurs canaux d'information classiques, fait connaître l'existence de main d'oeuvre disponible dans les camps de rapatriés puis ont joué le rôle de transmission des offres vers ces camps, ici celui de la Rye. Cela explique pourquoi, dans les trois sondages que nous avons menés sur les départs du camp, les destinations des rapatriés sont si diverses : un certain nombre restent dans la Vienne (par exemple usine métallurgique de Domine, ou fonderies de Châtellerault) alors que d'autres partent vers la Charente, l'Aisne, le Jura, la Somme, le Doubs, le Nord, le Lot et Garonne, l'Oise, la Haute-Vienne, les Deux Sèvres.
* Enfin, un certain nombre de rapatriés se débrouillent seuls pour retrouver un emploi, sans passer par les services de la main d'oeuvre. A titre d'exemple monsieur Boumédienne Bouhassoun, hébergé à la Puye, travaille comme maçon dans une entreprise châtelleraudaise en 1963-1964 et participe à la construction de bâtiments de la plaine d'Ozon, quartier de la ville appelé à recevoir rapidement des populations rapatriées et immigrées.

La construction de la ZUP de la Plaine d'Ozon implique des rapatriés d'Algérie ( à partir de la fin de 1962)

Conclusion.

La Vienne a été, comme d'autres départements, concernée par le mouvement des rapatriés d'Algérie, particulièrement dans les années 1962-1964. Par delà la difficulté à identifier les différents rapatriés dénommés sous des vocables variés par l'administration, il faut noter la forte proportion de harkis dans le Châtelleraudais, ce qui n'exclut évidemment pas les autres catégories (pieds-noirs…).
Le dépouillement des archives a montré le rôle important des services préfectoraux pour canaliser les arrivées, gérer l'urgence, mais aussi la difficulté des autorités locales à trouver des solutions durables d'emploi et de logement pour ces populations.
Les rapatriés contribuent au mouvement général des Trente glorieuses, aux grands chantiers de croissance urbaine que connaissent les années 60 et plus particulièrement l'édification de la plaine d'Ozon dans le cas Châtelleraudais.
Pour répondre à l'aspiration de la croissance, la France manque encore de bras, et dès 1963-1964 se dessinent des flux de travailleurs algériens dont certains aboutissent à Châtellerault. De nouvelles catégories de populations immigrées se mêlent alors aux exilés de la guerre d'Algérie dans les nouveaux quartiers, d'où l'importance cruciale des centres sociaux pour créer du lien entre ces populations d'horizons différents et Châtellerault qui ne doit pas faire faillir sa réputation de " cité du bon accueil ".

Marie-Claude ALBERT et Jean-Luc GILLARD, 30 janvier 2009, professeurs d'Histoire-Géographie au Lycée Marcelin Berthelot de Châtellerault(Vienne) et correspondants départementaux de l'IHTP-CNRS( Institut d'Histoire du Temps présent) http://ww2.ac-poitiers.fr/civique/IMG/pdf/L_arrivee_des_rapatries_dans_le_departement_de_la_Vienne.pdf

Notes :
1 ADV, 1W 3460*, affaires diverses, 1962.
2 ADV, 1W 4272*, comité départemental d'accueil pour les rapatriés d'Algérie
3 ADV, 1w 3123, rapport mensuel du préfet, novembre 1954
4 ADV, 1W 3138*, cabinet, 2° bureau, F.M.A (Français musulmans d'Algérie), correspondance et rapports d'information, liasse 1955-1958.
5 Cité par Clament Bouvier, " Les Algériens dans la ville : la situation rouennaise ", Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-1962, Paris, éd. Autrement, 2008, p. 418 : Françoise de Barros, " Des Français musulmans " aux immigrés ". L'importation de classifications coloniales dans les politiques de logement en France (1950-1970) ", Actes de la recherche en sciences sociales, 2005/4, 159, p. 26-53 .
6 ADV, 1W 4095*, accueil et installation des rapatriés d'Algérie 1962-1963, note du préfet au Ministre de l'Intérieur. 7 ADV, 1W 4272*, Comité d'accueil/ articles de presse : Centre - Presse, 26 mai 1962. 8 ADV, 1W 4272*, note du préfet du 30 novembre 1962. 9 ADV, Centre presse, 25 août 1962
10 ADV, 1W 4272*, note préfectorale du 6 novembre 1962.
11 ADV, 1W 4272*, note préfectorale du 28 novembre 1962.
12 ADV, 1W 4272*, comité départemental d'accueil pour les rapatriés d'Algérie. Point traité page 9.
13 Entretien avec M. Boumédiène Bouhassoun, 2 mars 2005
14 Harki : vient de Harka, terme arabe qui désigne un groupe de 10 hommes recrutés pour renforcer l'armée régulière.
15 Moghazni : policiers sous les ordres des Sections administratives spécialisées (S.A.S).
16 Entretien collectif avec un groupe de sept harkis de Châtellerault, le 10 février 2005
17 ADV, 1W 4095*, notes du 7 et du 14 mai 1962

Bibliographie
o Farid Benloukil, Histoire d'un abandon, Châtellerault, 2003, document audiovisuel. o Jean-Jacques Jordi, 1962, L'arrivée des pieds-noirs, Paris, Autrement, 1995. o Charles-Robert Hageron, " Le drame des harkis en 1962 ", Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, n°42, 1994.
o Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d'Algérie (1954-2004). La fin de l'amnésie, Paris, Laffont, 2004. o François -Xavier Hautreux, " L'engagement des Harkis (1954-1962). Essai de périodisation ", Vingtième siècle. Revue d'Histoire, n°90, avril-juin, 2006.
o Laurent Müller, Le Silence des harkis, Paris, L'Harmattan, 1999.
o Alexis Spire et Dominique Merlie, " La question des origines dans les statistiques en France: les enjeux d'une controverse ", Le Mouvement social, n° 188, 1999. o Colette Zytnicki, " L'administration face à l'arrivée des rapatriés d'Algérie : la région Midi-Pyrénées ", Annales du Midi, n°224, octobre 1998.

Remerciements à :
Mme Jean et M. Carrouges, directrice et directeur- adjoint du service des archives départementales de la Vienne.
M. Pascal Borderieux, service des archives municipales de Châtellerault.
MM André Richard, Marcel Doreau,Mohammed Ghenimi, aux membres du secteur Jeunes du Centre social de la Plaine d'Ozon, à Catherine Charrier et à l'association des Femmes sans Frontières.
Aux associations des rapatriés d'Algérie à Châtellerault
M . Boumédiène Bouhassoun
Au Centre Châtelleraudais d'Histoire et d'Archives (CCHA)

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Mis en ligne le 30 sept 2010

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