Quand Montpellier accueillait à bras ouverts les pieds-noirs


Après leur arrivée à Marseille, de nombreux pieds-noirs se sont installés à Montpellier. D. R.

Le 19 mars 1962, les accords d’Évian mettaient fin à la guerre d’Algérie et le départ des pieds-noirs, dont nombre trouvèrent refuge dans l’Hérault et à Montpellier.
Après le traumatisme et la douleur de l’exil, vient le temps de la reconstruction. Les pieds-noirs s’installent principalement dans le Midi de la France. Vingt-sept départements du grand sud accueillent 55 % des rapatriés. À la fin de l’année 1962, 73 000 d’entre eux sont installés en Languedoc-Roussillon. Mais 10 à 15 % supplémentaires auraient échappé au décompte de l’Administration.
Les moins de 20 ans sont majoritaires, suivis des tranches des 20-40 ans. L’Hérault est le département qui a, semble-t-il, la préférence des rapatriés avec 66 716 pieds-noirs soit 4,5 % de la population.
L’accueil du maire de Montpellier de l’époque, François Delmas, n’y est certainement pas pour rien. Il mène clairement une politique en faveur des pieds-noirs dès le début de l’année 1962. En 1963, 20,7 % des mariés montpelliérains sont nés en Afrique du nord et 16,9 % des nouveau-nés ont un parent originaire de là-bas.

"Courage, dynamisme et enthousiasme"

Montpellier fut l’une des seules villes du Midi à mener une politique d’accueil à grande échelle. François Delmas, maire de l’époque, comprend vite que l’arrivée des pieds-noirs sera un atout pour l’essor de sa ville.

Elle gagne un nouveau dynamisme et un accent.

Maître Jacques Martin, avocat montpelliérain de renom, pied-noir, et ancien conseiller municipal sous Delmas, raconte : "La ville a accueilli des rapatriés avant 1962. Le maire avait compris ce que vivaient les pieds-noirs. Nous avions un sentiment d’accueil à Montpellier que nous n’avions pas ailleurs. Très vite, des associations se sont créées. Nous avons apporté du courage, du dynamisme et de l’enthousiasme. Avec notre esprit pionnier, nous avions un désir de reconstruire, de réapparaître, d’exister."
Ce pied-noir de Vialar (sud d’Alger) résume avec modestie ses années d’élu politique : "Je voulais être utile."

Et Lemasson, Mas Drevon, Croix-d’Argent et La Paillade sortirent de terre…

Ce dynamisme démographique rajeunit la population et dope l’économie de la région. En 1972, près de mille rapatriés investissent dans l’agriculture (grâce à des prêts réservés et qui ont par ailleurs suscité quelques rancoeurs). Ils apportent de nouveaux cépages, développent la riziculture en Camargue, la culture de la pomme golden, les plantations sous serres…
Mais l’arrivée massive de pieds-noirs provoque aussi une crise du logement. Près de la moitié a des difficultés à trouver un toit. Dans l’urgence, ils sont hébergés chez des amis, des parents, à l’hôtel ou dans des centres d’accueil. Des immeubles sont alors construits à la hâte dans la région : les quartiers du Mas Drevon, de La Croix-d’Argent, Lemasson et La Paillade à Montpellier sortent ainsi de terre.

Pour le maire actuel, Michaël Delafosse, ces arrivées massives ont amené à la ville " un incontestable dynamisme : dans le monde de l’entreprise, dans le tissu associatif, sportif, culturel, les pieds-noirs ont souvent joué les premiers rôles. Ils ont su faire montre d’une capacité d’adaptation impressionnante. Certains les ont rejetés, parce que ces Méditerranéens du sud n’avaient pas le bon accent, le bon ton, qu’on les disait trop bruyants, trop ceci, pas assez cela… "

"J’allais pleurer dans les toilettes"

À 89 ans, Madame Naïni, aujourd’hui installée à Castelnau-le-Lez, confirme ce rejet : " Nous avons choisi Montpellier pensant qu’on trouverait facilement du travail. Il fallait vite nous y mettre. J’ai trouvé rapidement un emploi aux Galeries Lafayette, mais je me rappelle qu’on ne nous aimait pas. J’allais pleurer dans les toilettes. Le maire de l’époque nous avait félicités dans Midi Libre en disant que la ville s’était développée grâce aux pieds-noirs… Je suis ensuite rentrée à Mammouth, où j’ai appris le marketing. Rien ne me paraissait difficile. " Pourtant, rien n’était simple pour elle a priori : "Je suis analphabète et je n’ai même pas mon certificat d’études, mais je suis fière et heureuse de ma vie en France."

Germain Lopez Ancien, commissaire de police : "Nous n’étions pas les bienvenus"

Germain Lopez se tient droit dans le fauteuil de son bureau. Cet ancien instituteur, devenu commissaire de police en Métropole, se souvient comme si c’était hier de son arrivée. Le regard à la fois perçant et malicieux, ce retraité actif de Villeneuve-lès-Maguelone n’a rien oublié : "J’ai quitté Tizi-Ouzou mi-janvier 1962 pour me retrouver avec ma femme et mon fils de 2 ans à Lille, logé dans un hôtel pas trop mal, mais qui n’avait pas le standing d’un hôtel de luxe. Comme dépaysement géographique et climatique, ce n’était pas mal !"

À 87 ans, ses souvenirs sont intacts : "Le 1er mai, à l’entrée de l’hôtel, une dame vendait du muguet. Mon fils, en jouant, s’était mis entre ses jupes. On s’est mis à discuter avec elle. En apprenant la courte et tragique histoire de notre vie et le traumatisme de l’abandon de notre terre natale, elle n’a pas hésité un instant et nous a proposé de nous héberger dans une petite maison qu’elle occupait dans le village de Tourmignies, à une quinzaine de kilomètres de Lille." Pendant trois mois, Germain et sa famille partage la vie de ces ch’tis. "Ils nous ont entourés de leur amour et de leur chaleur."

Et ils ont quasiment été les seuls. "Suzanne était tellement consciente que nous n’étions pas les bienvenus dans ce pays, pour lequel pourtant de deux mes grands-oncles avaient perdu la vie lors de la guerre de 14-18, qu’elle disait à mon épouse : "Ne dis pas dans le village que tu es pied-noire, car on ne les aime pas beaucoup. Tu es ma nièce du Cantal venue passer quelques semaines de vacances chez nous !" Question accent auvergnat, il y avait quand même un problème", conclut-il, non sans humour.

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Transmis par J.L.Granier

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Mis en ligne le 23 mars 2022

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