UN ETE DE MALHEUR
I’ISTATI DI A MISERIACCIA

15 ]UIN 1962.
Nous fuyions en foule immense cette Algérie nouvellement indépendante (L'indépendance fut proclamée le 4 juillet. ndlr.) devenue inhospitalière car le danger était absolu. Nous voila à l’aéroport de Marseille-Marignane avec mes collègues. Venus de Constantine, nous arrivons dans cet aéroport dont les salles sont combles de rapatriés Pieds-Noirs. Nous ne pouvions pas franchir la grille sans reçu du paiement de notre ticket de vol. Les CRS y veillent.

Un taxi est loué pour nous mener soit à la gare Sncf, soit au port pour moi où nous nous séparerons. Le chauffeur nous prit une somme confortable à chacun de nous que nous estimons à cinq fois supérieure au tarif normal. Au total la moitié de mon salaire mensuel pour une course de vingt kilomètres. En voila un de plus qui s’engraisse sur le malheur des gens. Grand bien lui fasse. C’est quand même un affront. Le Sampiero Corso était à quai. C’est sur ce bateau d’un age vénérable que je devais achever mon exode pour Ajaccio.

Monté a bord, avec ma modeste valise en carton, la seule chose que j’avais pu emporter, comme tous les autres, il s’agissait de trouver une place parmi la masse de gens empilée à l’intérieur et sur les ponts comme châtaignes dans un panier d’osier. Mais d’abord louer un transat pour ne pas coucher sur le parquet de lattes de bois jointoyées de goudron... Un marin était chargé de la distribution des transats contre trois francs. Quoique son service consistât à nous désigner cet objet sur une pile puante, le bakchich n’était pas refusé et même son regard était tant insistant qu’il nous incitait à y souscrire et même à abandonner dans ses mains le reste du billet de cinq francs. Encore un profiteur, un ! Dans le passe j’avais remarqué la tradition sur les navires qui faisaient la traversée, qui, bien que minables, se la jouaient au paquebot de grande ligne. Tout était payant ou motif à pourboire. De plus les marins mettaient à profit leur service de nuit pour louer leurs couchettes. Tous une flopée de gagne-petit. A chacun son créneau.

Donc, Après déambulations pénibles j’arrivais sur le pont avant. Un petit espace se trouvait devant une écoutille rabattue. C’est la que je me suis installé. Avec un mobilier de ce genre vous n’êtes ni assis ni allongé, ni recroquevillé, et pourtant la nuit en plein vent risquait d’être pénible. Comme je vous l’ai dit, l’intérieur du navire était plein comme un œuf, plein de quoi ? De Rapatriés, en familles complètes ou à demi décimées. Femmes et hommes de tous ages, vieillards, enfants et adolescents. nourrissons. Tous ces rescapés étaient dans l’état léthargique ou étonné de gens ayant sauvé leur vie et ne s’étant pas encore réveillés de ce cauchemar vécu. Pas un gémissement. Encore un Exodus. Et moi je suis un super chanceux a coté d’eux.

Enfin assis dans mon transat je regardais ce spectacle hors du commun pour moi. J’étais jeune et bien éduqué, mais je n’étais pas armé pour vivre ces événements. Cependant le souvenir précis, inouï, demeure encore en moi. Et pourtant c’est si loin dans le temps.
Le bateau allait larguer ses amarres lorsqu’un marin préposé pour vérifier les écoutilles me demanda fermement de m’éloigner afin que celle-ci puisse être refermée en cas de besoin. Je pensai qu’il serait toujours temps de me déplacer si un éventuel coup de vent obligeait a la fermeture de cette issue. Et même, en cas de grain ou irions-nous, nous qui étions sur le pont ? Pourtant il fallait lui obéir. Le marin reparti et dans l’impossibilité de me mouvoir je restai à cet emplacement malgré ma crainte d’un nouvel rappel a l’ordre.

Une heure après, alors que nous dépassions les Iles du Frioul, le marin repassa par là. Cela n’a pas manqué, me voyant il se mit à me houspiller et m’intimer d’avoir à « dégager » immédiatement sinon .... .. Une mère de famille, la plus proche de moi, accompagnée de ses deux enfants, ses bagages près d’elle, me regarda et me dit « vous aussi vous venez de La-Bas ! » Je pensai « Oui madame je reviens de l’enfer ». C’est peut-être exagéré comme terme mais l’idée est là. On poussa un peu les transats pour m’éloigner de cette maudite écoutille et de cet infect personnage.

Pour lui je lui souhaite d’avoir éveillé sa conscience, au moins un petit peu depuis ces années.
Dans la nuit j’éclatais en sanglots silencieux. En Algérie, dans mon petit village où j’enseignais je n’ai jamais été traité de cette façon. Mes élèves étaient polis et respectueux, les villageois tout autant qui venaient me serrer les mains et avec lesquels j’échangeais quelques mots de français tous semblables a nos paysans de nos villages. Ici ce minable marin qui se donnait de l’importance me traitait comme si j’étais un moins que rien.
En d‘autres temps, sous d’autres uniformes, d’autres insignes qu’aurait-il été ?

Sur les quais, sur l’alerte lancée par notre abbé du lycée, Gaston PIETRI, les lycéens du Foyer de la jeunesse Etudiante Catholique, Venus en nombre, aidaient les familles pour le débarquement et pour le portage des bagages.
S’il y a eu un lieu dans notre pays ou la compassion et l’entraide ont été et sont encore des comportements naturels, c’est bien chez nous, dans notre petite île. Pour tout cela soyez béni Monseigneur Gaston.

J’anticipe, mais j’ai su plus tard de quelle manière les rapatriés ont été accueillis à Marseille, à Sète, et ailleurs. Pour chaque rapatrié ce fut une galère individuelle. Pendant qu’Enrico chantait « Paris tu m’as pris dans tes bras. »

A peu de distance, dans la ville, le hasard me fit rencontrer Jean, mon vieil ami, mon frère même. Il m’embrassa et me demanda de raconter.
-Cela se termine très mal, Jean.
- Emilio, comment pouvait-il en être autrement ?
- Oui Jean, mais pas de cette façon, pas de cette façon …

J’avais hâte de revoir mes parents. Nous habitions à deux kilomètres du terminus de la ligne d’autobus, pas loin de l’aéroport. Je montai a bord. A cette époque il y avait à l’arrière du véhicule, près de la montée, un préposé ou convoyeur qui vendait les tickets. Il était installé dans un petit guichet, surveillait et donnait un coup de sonnette.
Il n’y avait qu’une seule ligne. A l’ouest le terminus s’appelait La Chapelle des Grecs, à l’est c’était Aspretto. Déjà l’an passé quand j’ai quitté le pays, les autobus, véhicules de la Régie des Transport, étaient déjà et toujours pleins à craquer de passagers d’une passivité remarquable qui a toujours été une énigme pour moi. Dans un état de délabrement avancé ces ferrailles étaient aptes à être remises en donation a un pays africain.
Tous nos équipements publics dans cette ville étaient a la mesure de la légendaire indigence de prospective chez nos édiles.

Le convoyeur qui me connaissait, car jusqu’a l’an dernier j’avais emprunté cette ligne, me regarda d’un air mi sérieux mi narquois et me lança :
- Et alors I On t’a relâché quand ?...
Il a attendu ma réponse qui n’est pas venue. Il faut lui pardonner pour sa confusion car j’avais le teint pale et la mine tristounette.
A vous de deviner a quoi il faisait allusion.

Après le terminus je pris ma valise et me mis en route, ne souhaitant même pas qu’une voiture compatissante me prenne a bord. Respirer l’air du pays me faisait revivre.
A l’approche de la maison mon petit frère m’aperçut et courut aussitôt avertir ma mère.
J’étais enfin dans le havre familial.
- Maman I Y a-t-il du café ?
Oui, il y avait du café, et du lait, et du pain, et de la confiture. Comme avant.
Par gros morceaux de temps je dormis pendant trois jours.

Début juillet nous nous sommes retrouvés à plusieurs collègues en ville, tous attirés comme par un appel lancé dans les airs pour nous seuls.
La veille du cinq juillet 1962, nous nous sommes tous dit :
- Demain commence la boucherie...
Nous ne nous étions pas trompés.
Calistri Emilio.
Toulon le 15 novembre 2019

Paru dans la revue trimestrielle : Ensemble.
73e année - N°314 - Janvier 2020
ACEP - Association Culturelle d'Education Populaire

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Mis en ligne le 06 avril 2020

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