Dans les années 1960 et 1970

Le vent de l'histoire souffle vers les indépendances et la lutte des peuples qui cherchent à se libérer d'un joug politique archaïque. Les populations françaises du Maghreb sont en porte à faux avec l'histoire. Elles sont vues par les historiens ou les sociologues de cette période comme des représentants de l'impérialisme français, hostiles à tout changement.
Rien ne trouve grâce à leurs yeux. Pierre Nora parle ainsi des Français d'Algérie(1) comme des Français ayant en grande partie perdue leur " précieuse substance occidentale " puisqu'à force de vivre sous le même climat que les Arabes, ils ont fini par " adopter les mêmes mœurs " (p 51). Tous les immigrants français et européens du Maghreb ne pouvaient qu'avoir une " psychologie de déclassé " et " avaient une vie manquée derrière eux " (p 81). Ils sont condamnés d'avoir " bloqué l'histoire ", puisque " installés à contre-courant de toute évolution " (p 87). Le sociologue Pierre Bourdieu, dans sa Sociologie de l'Algérie (PUF, 1960), présente, très exagérément et sans aucune nuance, la société coloniale comme un " système de castes " où les deux communautés sont " juxtaposée et distinctes ", avec de très rares échanges (repas, dons) (p 115) ! C'est bien mal connaître les relations qui existaient dans la société algérienne même si effectivement les mariages mixtes étaient, eux, très rares.
Leur rapatriement vers la métropole est donc présenté comme la juste conséquence de leur comportement jugé rétrograde et frileux, voire hostile à la marche des peuples vers la liberté. Ils n'ont donc que ce qu'ils méritent, pensent-on alors.

Pour les gouvernements qui ont mené ces décolonisations, et notamment dans le cas de l'Algérie, ces Français sont l'exemple vivant de l'échec de toute politique de conciliation avec les nouveaux leaders du Maghreb. Les accords d'Evian, âprement négociés par la France, doivent résoudre le conflit algérien et instaurer une cohabitation juridique entre ce qu'on pense être les deux communautés de ce pays. Ils sont la clé de voûte d'une future politique d'échange et de coopération entre deux pays indépendants, les Français d'Algérie en étant le trait d'union. Le départ massif des Français d'Algérie durant l'été 1962 montre que cette politique est un échec. Ces accords ne cesseront d'être bafoués par le pouvoir algérien : 1962, nationalisation des biens vacants, 1963, nationalisations des terres agricoles, puis des entreprises (travaux publics, cinémas, mines…). En 1971, les possessions pétrolières françaises sont à leur tour nationalisées.

Lors de leur rapatriement en 1962, les Français d'Algérie sont doublement accusés : - par le pouvoir, d'être les responsables de leur malheur puisque les accords d'Evian leur garantissaient la pérennité de leurs biens et pour trois ans de leur statut sur le sol algérien. Le seul souci du pouvoir est alors de les intégrer rapidement à l'économie nationale en leur donnant du travail et un toit afin qu'ils ne puissent devenir un groupe de pression politique (que l'on soupçonne d'extrême droite, rapport avec l'OAS). Le pouvoir va favoriser une amnésie collective par rapport à cette période de l'histoire, d'abord le pouvoir gaulliste, bien heureux d'avoir tourné la page puis le pouvoir mitterrandien, pas toujours très à l'aise avec les contradictions de son chef (ministre de l'Intérieur en 1954 " l'Algérie c'est la France ", envoie du contingent, amnistie des généraux putschistes et des membres les plus virulents de l'OAS et réhabilitation totale : intégration dans les grades et les carrières, dans l'ensemble des décorations).
- Par les intellectuels, les historiens notamment qui leur reprochent d'avoir été à contre-sens de l'Histoire (avec un grand H) et donc d'être un peuple anachronique. Les études universitaires étant alors dominées par un vaste courant dit tiers-mondiste, ces populations " colonialistes " ne font pas beaucoup recettes. Elles sont la mauvaise conscience, bien vivante, de la France coloniale : elles sont le pur produit de 130 ans de colonisation, voulue et désirée par tous les Français et les pouvoirs publics et même honoré à ses heures (centenaire de la colonisation de l'Algérie ou Exposition coloniale). Mais la France de 1962 veut tirer un trait et refuse à ces Français leur place dans l'histoire. (d'ailleurs laquelle ? celle de la France ou celle de l'Algérie ?).

Les seules études universitaires que l'on trouve à cette période sont géographiques ou économiques. De nombreuses études sont menées sur l'implantation des rapatriés dans telles ou telles régions (Gard-Hérault, Corse) dans telles ou telles communes (Sorgues, Salon-de-Provence). Plusieurs mémoires d'étudiant de l'ENA sont aussi consacrés à cette installation et cette intégration. Sont plus étudiés les changements que l'arrivée de cette population a apporté à tel coin de France que l'étude de la population en elle-même. Cette somme de connaissances est rassemblée dans la première thèse consacrée aux rapatriements qui est celle d'un géographe, Pierre Baillet, qui fait la synthèse en 1974, de l'apport de cette population à l'économie, mais aussi à la démographie, aux mentalités françaises et les difficultés que les rapatriés connaissent en France. Il fait le point sur ce qui a été fait pour eux par les pouvoirs publics et donne un bilan chiffré depuis 1962. Mais point de réflexion sur cette communauté et sur sa place dans l'histoire
Valérie Morin 2002

http://www.hermes.jussieu.fr/rephisto.php?id=66

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Mis en ligne le 22 oct 2010

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