1961 - 1962 Les négociations franco - algériennes s'ouvrent au bord du lac Léman. La France s'en va. Le pays va plonger dans le chaos.

Pour de Gaulle, il fallait en finir : terminer une guerre qui, sans jamais dire son nom, ensanglantait l'Algérie depuis des années et mobilisait le plus gros de son armée, trouver à ce conflit une issue politique qui ne pouvait être que l'indépendance, arracher les Européens d'Algérie à leurs illusions. Chez le général de Gaulle, cette conviction était ancienne, malgré les rideaux de fumée dissimulant les intentions profondes.
En 1961, l'heure n'est plus aux précautions oratoires. " Ce dont il s'agit, c'est du dégagement ", affirme de Gaulle dans une Conférence de presse le 5 septembre.
La France est prête à abandonner à son sort une Algérie qui ne voudrait plus d'elle, sous réserve de garanties pour la population européenne, du maintien provisoire de certaines bases et de l'exploitation du sous-sol saharien.

Telle est la trame des négociations, d'abord secrètes puis officielles, qui vont conduire à la signature des accords d'Évian mettant officiellement fin, le 18 mars 1962, à la guerre d'Algérie (le cessez-le-feu entre en application le lendemain).

Cette négociation commence en réalité deux ans plus tôt, en 1960, avec deux échanges parallèles : les uns avec des combattants de l'intérieur, les autres avec des émissaires de Ferhat Abbas, président du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en exil à Tunis. En mars 1960, en réponse à l'offre de "paix des braves" lancée dès octobre 1958 par de Gaulle et à l'insu du GPRA, plusieurs chefs militaires de l'armée de libération nationale (l'ALN, bras armé du FLN) font connaître leur souhait de déposer les armes.
Si Salah, qui commande la wilaya IV (Algérois), et ses adjoints Si Mohammed et Si Lakhdar font secrètement reçus en juin par de Gaulle à l'Elysée. Ils apprennent de sa de sa bouche qu'il va lancer un nouvel à la direction extérieure du FLN, dont ils précisément s'émanciper. Déçus et amers, ils regagnent leur maquis. Leur fin sera tragique. Dès leur retour en Algérie, Si Mohammed fait exécuter Si Lakhdar et arrêter Si Salah qui mourra dans une embuscade. Quant à Si Mohammed, il sera tué à Blida par les services spéciaux français.

Les seconds entretiens, avec des émissaires de Ferhat Abbas cette fois, vont durer du 25 au 29 juin 1960 à la sous-préfecture de Melun. Abbâs n'est pas un ennemi de la France. Longtemps, il a revendiqué une égalité de droits pour toutes les populations en Algérie sous une tutelle française qu'il ne contestait pas, avant de rejoindre le FLN par déception. Mais il n a pas renoncé à voir populations les diverses communautés s'entendre dans une Algérie devenue indépendante. Il souhaite s'entretenir directement avec le général de Gaulle. Refus de celui-ci, qui veut d'abord un accord sur la fin des combats et la remise des armes.

Les pourparlers reprennent à Genève en février 1961 (fin 1960 ndlr) par l'intermédiaire d'un diplomate suisse, Olivier Long.
Les émissaires d'Abbas souhaitent rencontrer Georges Pompidou, sans mandat officiel mais ancien directeur de cabinet du chef de l'Etat. De Gaulle accepte et adjoint à Pompidou Bruno de Leusse, sous-directeur pour l'Europe au Quai d'Orsay, détaché auprès de Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes. En revanche, le Général oppose un nouveau refus a une demande d'audience d'Abbas. Aussi la première rencontre des délégations à Lucerne se déroule-t-elle dans une atmosphère glaciale. Malgré tout, le Conseil des ministres confirme, le 15 mars 1961, " son désir d'engager par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers relatif aux conditions de l'autodétermination des populations algériennes et aux problèmes qui s'y attachent. " Le 11 avril, lors d'une nouvelle conférence de presse, de Gaulle déclare crument : " L'Algérie nous coute, c'est le moins qu'on puisse dire, plus cher qu'elle nous rapporte. [. . .] Et c'est pourquoi, aujourd'hui, la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir a son domaine [...]. "

Le FLN se montre intraitable sur les garanties aux Européens

Les négociations s'ouvrent a Evian, le 20 mai 1961 (le putsch des généraux a eu lieu entre-temps, la dernière semaine d'avril). Krim Belkacem, ministre des Affaires étrangères du GPRA, dirige la délégation du FLN. A coté des " civils ", les commandants Mendjeli et Slimane : les yeux et les oreilles de Houari Boumediene, chef d'état-major de l'ALN, que l'on sait profondément hostile a la ligne " molle " incarnée par Abbas, et qui ne veut qu'une Algérie islamique, socialiste au sens marxiste et purgée de ses pieds-noirs.
En face, la délégation française conduite par Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, comprend notamment Bernard Tricot, conseiller technique a la présidence de la République, et Bruno de Leusse. D'entrée de jeu, de Gaulle a voulu marquer sa bonne volonté en annonçant une trêve unilatérale d'un mois a partir du 20 mai (l'action des troupes françaises en Algérie sera désormais limitée à l'autodéfense), la libération de 6 000 prisonniers dans les quatre semaines à venir et la mise en résidence surveillée des chefs du FLN capturés en 1956, Ahmed ben Bella en tête. Ainsi, le chef de l'Etat a renoncé à son intention initiale de n'engager aucune discussion politique avant l'arrêt des combats puisque l'ALN se retrouve, de fait, libre d'agir sur le terrain. Une décision dont s'alarment les chefs militaires mais qui tend à démontrer, sur la scène internationale, la volonté de paix de la France.

Une première fois, le 13 juin, les pourparlers sont interrompus. Principaux points d'achoppement, l'organisation du référendum d'autodétermination, dévolue a un exécutif provisoire au sein duquel le FLN a exigé d'être représenté en tant que tel (de Gaulle a finalement donné son accord), le statut du Sahara, sur lequel le FLN revendique la souveraineté absolue de l'Algérie, et, surtout, les garanties a donner aux Européens.
A ce sujet, les hommes de Boumediene se sont montrés inflexibles. Et les exactions, comme le redoutaient nos chefs militaires, ont repris sur l'ensemble du territoire algérien.
Pourtant, on se revoit le 20 juillet 1961 au château de Lugrin, non loin d'Evian.
A nouveau, les représentants du FLN vont se montrer intraitables sur le Sahara, les garanties aux Européens et leur propre représentativité, qu'ils veulent entière à l'exclusion des autres tendances du nationalisme algérien.
Impasse. Et c'est Krim Belkacem qui, cette fois, va réclamer l'interruption des pourparlers.
Pour forcer la main de l'adversaire, de Gaulle va utiliser alors deux menaces : celle d'une Algérie algérienne qui se construirait sans le F LN et celle de la partition, l'Algérie se trouvant découpée en deux zones dont l'une regrouperait les Européens et les musulmans fidèles à la France. Une solution à l'israélienne qu'Alain Peyrefitte, député et maire de Provins, développera a son instigation dans le Monde. Simple ballon d'essai. En fait, le chef de l'Etat a de plus en plus hâte de se débarrasser, comme il l'a confié a plusieurs interlocuteurs (dont Peyrefitte), du " terrible boulet " algérien.

Les négociations reprennent le 11 février 1962, aux Rousses, station jurassienne de sports d'hiver. Or le GPRA n'est plus présidé par Ferhat Abbas, mais par un nationaliste beaucoup plus dur, Ben Khedda. Du coté français, a coté de Louis Joxe, figurent désormais le démocrate-chrétien Robert Buron, ministre des Transports, depuis longtemps partisan d'un accord avec le FLN, et l'indépendant Jean de Broglie, secrétaire d'Etat au Sahara. Les conversations prennent fin le 18 février, avec un accord de cessez-le-feu.

Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Evian. Elle aboutit à un document de 99 pages paraphé par Joxe, Buron et Broglie et, pour le FLN, par le seul Krim Belkacem.
" Il s'y trouve tout ce que nous avons voulu qu'il y soit ", se réjouira de Gaulle dans ses Mémoires d'espoir, le Renouveau. Notamment, " une fois l'indépendance de l'Algérie accordée par le peuple français et, ensuite, votée par le peuple algérien, une coopération technique approfondie; une condition privilégiée des nationaux de chaque pays sur le territoire de l'autre ; des garanties complètes et précises aux membres de la communauté française qui voudront rester sur place ". Sans compter des droits privilégiés sur l'exploitation du pétrole du Sahara, la poursuite des expériences atomiques et spatiales dans le désert, la disposition pendant au moins quinze années de la base de Mers el-Kébir (1) et de divers aérodromes, le maintien de forces françaises en Algérie pour trois ans. . .

II manquait aux accords d'Evian la garantie des garanties

Ces perspectives idylliques vont se heurter a la réalité. Jean Morin, délégué général du gouvernement en Algérie de novembre 1960 a mars 1962, parlera avec tristesse des " non-accords " d'Evian, tant il est vrai que trop d'incertitudes pèsent sur l'avenir de cet épais document.

Certes, l'OAS porte sa responsabilité dans le sanglant chaos qui va suivre. Mais l'exode massif des Européens - que le gouvernement n'a pas su prévoir - sera provoqué par une panique trop compréhensible. Jean-Jacques Susini, l'un des chefs de l'OAS, tentera de négocier avec Chawki Mostefaï, représentant du FLN au sein de l'exécutif provisoire censé assurer la transition jusqu'au referendum d'autodétermination, dont chacun sait qu'il conduira à l'indépendance. Vaine tentative.

Apres avoir été débarqué de la présidence du GPRA, Ferhat Abbas affirmera a propos de ses anciens collègues : " Un colonel leur réglera un jour leur compte, ce sera le colonel Boumediene. Pour celui-ci, le gout du pouvoir et celui du commandement relèvent la pathologie. "
Or Houari Boumediene dispose, en 1962, de la seule force sur laquelle puisse s'appuyer le FLN: les 40 000 hommes de " l'armée des frontières " puissamment équipés et armés, auxquels seule l'armée française pourrait s'opposer. Ce qu'elle n'est plus en mesure de faire.

Trois mois après la signature des accords, ayant balayé le GPRA et l'exécutif provisoire, Boumediene avec son allié Ben Bella font une entrée triomphale à Alger. L'Algérie sera modelée selon leurs vœux, tandis que seront massacres les anciens supplétifs de l'armée française auxquels l'amnistie avait été pourtant promise.
Aux accords d'Evian, il manquait en effet l'essentiel : la garantie des garanties.
De Gaulle réclamait leur application scrupuleuse, mais en ayant déjà tourné la page de la tragédie algérienne, et sans volonté ni moyens de contraindre ceux qui voudraient s'en affranchir. Ainsi la porte s'ouvrait sur le drame final et l'inconnu.
Claude Jacquemart
Valeurs actuelles 15 mars 2O12

(1) La France se retira de Mers el Kebir au bout de cinq années seulement (Ndlr)

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Mis en ligne le 26 octobre 2011

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