L'évolution rapide de la situation en Algérie fait perdre rapidement de
leur actualité aux études qui lui sont consacrées; c'est pour mettre à jour
la note que nous avons publiée ici même il y a deux ans (1) et qui se trouve
aujourd'hui dépassée, que nous tentons de reprendre, dans son historique,
le problème de l'attitude de la France à l'égard du G.P.R.A. Nous laisserons
ainsi de côté l'analyse de la situation internationale du G.P.R.A., en dehors
de ses rapports avec le gouvernement français.
Cette situation, depuis deux ans, a pu se consolider, elle n'est fondamentalement modifiée : faute d'une implantation territoriale effective, il n'exerce à l'étranger que les pouvoirs que l'on veut bien lui reconnaître.
En territoire algérien, en effet, l'implantation de l'A.L.N. a pu varier, ici
ou là, selon les époques, dans un sens ou dans l'autre, mais aucune région,
aujourd'hui comme hier, n'est soustraite à l'administration de la France.
A l'étranger, le G.P.R.A. a déployé une intense activité diplomatique : ses
délégués ont sillonné le monde, et ont été souvent reçus par des chefs d'Etat
(Nehru aux Indes) ou de gouvernement qui ne le reconnaissaient pas nécessairement; ils l'ont représenté à nombre de conférences internationales, et
notamment aux conférences de chefs d'Etat de Casablanca, en janvier 1961
et de Belgrade, en septembre 1961; il a signé des conventions internationales,
par exemple un accord économique avec la Tchécoslovaquie à Prague le 25
mars 1961 ; et surtout il a bénéficié de nouvelles reconnaissances de la part
d'un assez grand nombre d'Etats qui veulent témoigner de leur appui au
courant contemporain de décolonisation (2) : Libéria en juin, U.R.S.S. en
octobre 1960, Mali en février 1961, Cuba en juin, Pakistan en août, Yougoslavie
l'Ethiopie, Ceylan, Afghanistan, Birmanie, Cambodge, Inde en septembre.
Dans les pays limitrophes de l'Algérie, le G.P.R.A. s'est vu reconnaître
sur les réfugiés d'Algérie de véritables prérogatives de puissance publique.
Tout cela n'atteint pas en intérêt l'évolution de l'attitude du gouvernement
français à l'égard du G.P.R.A. Aussi est-ce sur ce point que nous centrerons
notre étude. Mais, pour bien la saisir, il est indispensable de la relier au
problème plus large de la politique française à l'égard de l'Algérie.
I. - La France et l'Algérie
Le statut de l'Algérie se pose, vis-à-vis du gouvernement français, sur
trois plans : quel est, tout d'abord, le statut actuel de l'Algérie ? En second
lieu, est-ce que ce statut doit céder la place, dans l'avenir, à un autre statut,
et, en cas de réponse affirmative, quel sera ce statut futur ? Enfin, si un
statut nouveau doit se substituer à l'actuel, quelle méthode sera suivie pour l'opération ?
Sur le premier point, la position du gouvernement n'a, jusqu'à nouvel ordre, pas varié : l'Algérie est actuellement un ensemble de départements (3) français soumis intégralement à la souveraineté française. Le Conseil des
Ministres en a donné, au beau milieu de la conférence d'Evian, une symbolique illustration : délibérant sur la situation agricole difficile provoquée en Algérie par la sécheresse, il a, dans un communiqué du 30 mai 1961, recommandé " de faire jouer à plein la solidarité nationale " et décidé l'expédition de blé en Algérie " à partir de divers points, notamment de métropole ".
C'est à propos de l'avenir de l'Algérie qu'une évolution sensible doit être
enregistrée. Il ne nous appartient évidemment pas, dans une étude juridique,
de déterminer si cette évolution a été conduite par une volonté consciente,
" depuis Brazzaville ", auquel cas les prises de position initiales doivent sans
doute être mises sur le compte de nécessités tactiques, ou si elle a été subie
sous l'influence de pressions dont il resterait alors à démontrer le caractère
inexorable. Nous nous proposons seulement de tenter d'en analyser les phases
successives, afin de montrer ensuite plus clairement quel rôle a pu, successivement, être imparti au G.P.R.A. dans l'esprit du gouvernement français.
L'Algérie étant, dans la vie politique française, une " matière réservée ",
c'est dans les paroles du chef de l'Etat que nous serons amenés, le plus souvent, à rechercher le fil conducteur de cette évolution.
Elle peut, nous semble-t-il, se diviser en cinq phases, dans la période s' étendant de mai 1958 à la date de cette étude.
Première phase : L'Algérie est partie intégrante de la France et doit le
rester à jamais, sans qu'aucune évolution soit envisagée. C'est cette perspective qui apparaît, sans forcer le sens des mots, dans les discours prononcés
par le général de Gaulle, alors président du conseil, au cours de sa triomphale
tournée en Algérie au début de juin 1958, et en particulier dans celui d'Oran,
le 6 juin : " La France est ici. Elle est ici pour toujours... L'Algérie est
organiquement une terre française, aujourd'hui et pour toujours ".
Deuxième phase : Une évolution est annoncée, mais à l'intérieur de
l'ordre juridique français; son terme pour l'Algérie est une personnalité de
droit interne; la méthode pour y aboutir est la consultation populaire.
Le point culminant de cette phase se situe au 16 septembre 1959.
Certains estimeront que le fameux message contenait davantage, puisqu'il
ouvrait la porte à l'indépendance ; d'autres, qu'il contenait moins, puisque
les populations pouvaient confirmer, par le referendum d'autodétermination,
leur attachement à la France manifesté un an plus tôt par le vote du 28 septembre 1958. Mais il apparaît à la lecture du texte que la solution de l'indépendance, ou plutôt de la " sécession ", présentée comme " un aboutissement invraisemblable et désastreux " n'était incluse dans les termes de l'option que pour empêcher qu'on en conteste la valeur, que pour permettre aux Algériens d'en " exorciser le démon ".
L'innovation par rapport à la période précédente se ramène donc à la
perspective d'une évolution. Innovation relative d'ailleurs, car, à ceux qui savent entendre, le chef du gouvernement avait déjà déclaré (discours de Constantine, 3 octobre 1958) " L'avenir de l'Algérie aura pour bases, tout à la fois, sa personnalité et une solidarité étroite avec la métropole française " et (discours du 2 janvier 1959, à l'Elysée) : " Dans l'ensemble ainsi
formé (la Communauté), une place de choix est destinée à l'Algérie de
demain, pacifiée et transformée, et étroitement associée à la France ".
A ce stade - et c'est ce qu'il faut surtout noter - cette innovation est
limitée : la personnalité de l'Algérie future est une personnalité de droit
interne. L'association n'est-elle pas décrite, dans le message du 16 septembre,
comme " le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l'aide
de la France et en union étroite avec elle pour l'économie, l'enseignement,
la défense, les relations extérieures " ? La répartition des compétences entre
l'Algérie et le groupement France- Algérie rappelle curieusement celle prévue
par la Constitution du 4 octobre 1958 entre les Etats de la Communauté
et la Communauté. Ici comme là c'est la collectivité globale qui dirigeait les
relations extérieures ; les collectivités membres (autres que la France)
n'avaient pas de personnalité internationale. Mais ici comme là cette étape allait vite être dépassée.
La 3e phase tente de résoudre la quadrature du cercle : l'Algérie sera
indépendante, tout en étant associée à la France. C'est une nouvelle application du mythe de " l'indépendance dans l'interdépendance ". Un slogan est lancé, à l'image de cette chimère, " l'Algérie algérienne ".
" Ce chemin ne conduit plus à l'Algérie gouvernée par la métropole française, mais à l'Algérie algérienne. Cela veut dire une Algérie émancipée, une Algérie dans laquelle les Algériens eux-mêmes décideront de leur destin, une Algérie où les responsabilités seront aux mains des Algériens,
une Algérie qui, si les Algériens le veulent - et j'estime que c'est le cas -
aura son gouvernement, ses institutions et ses lois. "
Cette Algérie là, nous apprend alors cette déclaration du 4 novembre
1960, pourrait être bâtie ou bien avec la France, ou bien contre la France.
Or, la première solution, l'association, est celle " d'une Algérie qui choisirait
d'être unie à la France, pour l'économie, la technique, les écoles, la défense ".
La répartition des compétences a changé, par rapport au 16 septembre ; les
relations extérieures ne figurent plus parmi celles de l'ensemble franco-algérien. L'Algérie associée a maintenant une personnalité internationale.
La 4e phase achève l'évolution, en ce qui concerne son terme : l'Algérie
sera souveraine, et, la logique reprenant ses droits, elle pourra ou non
s'associer à, ou coopérer avec la France, par voie conventionnelle.
Cette perspective, déjà arrêtée dans la conférence de presse du 11 avril
1961, est particulièrement nette dans l'allocution du 8 mai : " Aux populations
algériennes de prendre en mains leurs affaires. A elles de décider si l'Algérie sera un Etat souverain, au-dedans et au-dehors. A elles de décider aussi si cet Etat sera associé à la France, ce que la France pourra accepter moyennant une contrepartie effective à son concours, et, d'autre part, une coopération organique des communautés ".
Une retouche de vocabulaire fait, dans la conférence de presse du
5 septembre 1961, de l'instauration d'un Etat souverain un " dégagement " et
de l'association une " coopération ". Mais le fond n'est pas modifié, tout au
moins en ce qui concerne le statut futur de l'Algérie. (Comment le serait-il,
d'ailleurs, puisque, avec l'instauration d'un Etat algérien indépendant et souverain, l'évolution est achevée ?)
Mais une 5e phase se dessine, qui concerne non plus le terme de l'évolution mais son processus. Jusqu'à présent il avait toujours été admis que le
futur Etat algérien - s'il devait naître - procéderait de l'émancipation de
la France : l'autodétermination était le moyen de faire connaître l'éventuelle
volonté des Algériens d'obtenir l'indépendance, celle-ci était ensuite accordée
par le souverain, à savoir normalement le peuple français (" Je m'engage à
demander d'une part aux Algériens, dans leurs douze (sic) départements, ce
qu'ils veulent être en définitive et d'autre part à tous les Français d'entériner
ce que sera ce choix " - déclaration du 16 septembre 1959) .
Le 4 novembre 1960 encore, " l'Algérie algérienne " était présentée
comme une " Algérie émancipée ".
La loi du 14 janvier 1961 soumise au référendum du peuple français,
n'apportait aucune modification à cette position. Loin de là : l'article 1er, dans
son 3e alinéa, stipulait : " les actes qui seraient éventuellement établis en
conséquence de l'autodétermination seront soumis au peuple français conformément aux procédures constitutionnelles ". Et l'article 2, qui prévoyait
l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination, faisait référence à l'article 72 de la Constitution. Nous étions donc toujours dans le cadre d'une émancipation.
Ici et là il pouvait bien être question de négociations entre le gouvernement français et les éléments politiques algériens pour aboutir à un accord
sur le projet d'association soumis au scrutin d'autodétermination, mais cet
accord sur le contenu de l'association n'était pas envisagé comme le titre
juridique, comme la source de cette association ni a fortiori de l'indépendance, il hâtait seulement la solution " en attendant la ratification du peuple français " (conférence de presse du 11 avril 1961).
Or voici qu'avec la conférence de presse du 5 septembre 1961 se dessine
une nouvelle perspective : le futur Etat algérien ne serait plus l'œuvre de
l'émancipation de la France, mais le fruit d'une sorte de génération spontanée : un " pouvoir provisoire algérien " aurait pour tâche non seulement
d'exercer provisoirement, en attendant des élections, et au nom du peuple
algérien, la souveraineté qui lui serait remise lors de la ratification du scrutin
d'autodétermination par le peuple français, ce qui se conçoit pour éviter un
hiatus dans le pouvoir, mais il mènerait les Algériens à l'autodétermination
et l'Algérie à l'indépendance, supprimant ainsi le concours de la France (il
faudrait cependant que ce pouvoir " se soit mis en accord avec nous sur les
conditions de l'opération ") et surtout du peuple français (4).
Ici encore, il faut bien le dire, on recherche la quadrature du cercle :
on ne peut pas admettre que l'indépendance nous ait été arrachée, mais on
n'ose pas faire admettre que nous l'octroyons. Pourtant, dans une situation
comme celle de l'Algérie qui est celle de l'instauration d'un Etat par voie
ségrégative, deux voies seulement peuvent mener à l'indépendance : le transfert de la souveraineté par la métropole, ou la conquête de la souveraineté
par le territoire dépendant. Il faut bien que l'actuel souverain - la métropole- s'efface, de gré ou de force, pour que le nouveau apparaisse. Prétendre que l'Etat algérien naîtra de l'autodétermination sans procéder de
l'autorité française c'est dire en réalité qu'il ne découlera pas de l'autodétermination, qu'il est déjà né avant ce scrutin, c'est amorcer la reconnaissance d'une indépendance conquise.
II - La France et le G.P.R.A.
La situation du G.P.R.A., aux yeux de la France, peut se définir dans
le présent, c'est-à-dire par rapport à une situation dans laquelle la France
continue à exercer sa souveraineté en Algérie, et dans l'avenir, par rapport
à la situation future de l'Algérie. Il va de soi que l'évolution de la politique
française sur ce point n'a pas été sans se traduire par quelque changement
d'attitude à l'égard de " l'organisation extérieure de la rébellion "; le gouvernement est cependant demeuré plus réticent à l'égard du G.P.R.A. qu'à
l'égard de l'Algérie indépendante, de sorte que deux étapes seulement nous
paraissent avoir marqué son attitude, l'étape des illusions, qui s'est épanouie
à Melun, l'étape des équivoques, qui est née à Evian.
1) Melun, ou les illusions.
Au départ, l'attitude du gouvernement français à l'égard du G.P.R.A. est
très claire : les hommes qui le composent sont, comme tous les Algériens,
des nationaux français, soumis comme tels à la loi française. Il en résulte
que, pour le présent, ces hommes qui ont choisi de lutter contre l'ordre établi
sont des rebelles, relevant de la loi pénale française, et que, pour l'avenir, on peut seulement envisager que, la rébellion ayant pris fin, ils retrouvent leur place de citoyens dans la communauté française.
Cette position a duré jusqu'au début de 1961 ; nous allons voir qu'elle
n'a été affectée ni par l'offre de " paix des braves ", ni par la politique d'autodétermination, ni même par les pourparlers de Melun : au fur et à mesure que des perspectives d'indépendance étaient ouvertes à l'Algérie, elle devenait pourtant de plus en plus illusoire.
a) Le 23 octobre 1958, dans une conférence de presse, le général de
Gaulle offrait aux rebelles " la paix des braves " : " Que ceux qui ont ouvert
le feu le cessent et qu'ils retournent, sans humiliation, à leur famille et à
leur travail... quant à l'organisation extérieure... qui, du dehors, s'efforce
de diriger la lutte, je répète tout haut ce que j'ai déjà fait savoir. Si des
délégués étaient désignés pour venir régler avec l'autorité la fin des hostilités, ils n'auraient qu'à s'adresser à l'Ambassade de France à Tunis ou à
Rabat, l'une ou l'autre assurerait leur transport vers la métropole. Là une
sécurité entière leur serait assurée et je leur garantis la liberté de repartir ".
Certains ont voulu, bien hâtivement, en tirer une reconnaissance de
Belligérance ; mais le fait qu'un pardon est promis et que des garanties sont
assurées ne soustrait nullement les rebelles à l'application de la loi interne
française, ce qui serait le critère de la belligérance; les termes employés
(" l'autorité ", " la métropole ") la procédure offerte (le transport organisé
par Paris) prouvent justement le contraire. La " paix des braves " s'apparentait tout simplement à la tradition musulmane de l'aman, à la grâce accordée à ceux qui se rendent pendant le combat.
b) L'autodétermination, en ouvrant les perspectives d'un Etat algérien,
pouvait impartir au G.P.R.A. un rôle nouveau, au moins pour l'avenir. Il
n'en fut rien. Les trois termes de l'option sont proposés " aux Algériens en
tant qu'individus ". Les rebelles n'y ont leur place qu'en qualité de citoyens,
une fois qu'ils seront rentrés dans la légalité en cessant le combat : " Si les
insurgés craignent qu'en cessant la lutte ils ne soient livrés à la justice, il ne
tient qu'à eux de régler avec les autorités les conditions de leur libre retour,
comme je l'ai proposé en offrant la paix des braves. Si les hommes qui constituent l'organisation politique du soulèvement entendent n'être pas exclus
des débats, puis des scrutins, enfin des institutions qui régleront le sort de
l'Algérie et assureront sa vie politique, j'affirme qu'ils auront, comme tous
les autres, et ni plus ni moins, l'audience, la part, la place, que leur accorderont les suffrages des citoyens. Pourquoi donc les combats odieux et les
combats fratricides qui ensanglantent encore l'Algérie continueraient-ils
désormais ?
" A moins que ne soient à l'œuvre un groupe de meneurs ambitieux
résolus à établir par la force et par la terreur leur dictature totalitaire et
croyant pouvoir obtenir qu'un jour la République leur accorde le privilège de traiter avec eux du destin de l'Algérie, les bâtissant par là même comme
gouvernement algérien. Il n'y a aucune chance que la France se prête à un
pareil arbitraire. Le sort des Algériens appartient aux Algériens, non point
comme le leur imposeraient le couteau et la mitraillette, mais suivant la
volonté qu'ils exprimeront légitimement par le suffrage universel. "
On ne peut pas refuser plus explicitement au G.P.R.A. tout caractère représentatif.
c) Melun. Dans un discours du 14 juin 1960, le président de la République avait lancé un nouvel appel aux rebelles : " Je me tourne vers les dirigeants de l'insurrection... nous les attendons ici pour trouver avec eux une fin honorable aux combats... régler la destination des armes, assurer le sort des combattants. "
Quelques jours après, l'offre était acceptée par le G.P.R.A. qui publiait, le 20 juin, le communiqué suivant : " Désireux de mettre fin au conflit et de régler définitivement le problème, le G.P.R.A. décide d'envoyer une délégation présidée par M. Ferhat Abbas pour rencontrer le général de Gaulle.
Il dépêche un responsable à Paris pour organiser les modalités du voyage. "
Un incident, symptomatique de l'état d'esprit des deux parties, allait
retarder l'arrivée à Paris de la prédélégation F.L.N. : celle-ci refusait d'utiliser l'avion militaire français envoyé à Tunis pour la chercher, exigeant d'être consultée sur les modalités de son voyage.
C'est finalement par l'avion régulier de Tunis-Air que les deux émissaires F.L.N. arrivèrent à Orly le samedi 25 juin. Ils furent aussitôt conduits en hélicoptère à Melun; c'est là, dans les locaux de la préfecture, isolés du monde extérieur, que se déroulèrent les entretiens menés, du côté français, par le secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes, M. Roger Morris, et par un
officier général, le général de Gastines.
Le 29 juin, à 16 h 20, était publié à Paris le communiqué officiel suivant :
" Au cours des entretiens qui ont eu lieu à la préfecture de Melun du samedi 25 au mercredi 29 juin, les représentants du gouvernement ont fait connaître aux émissaires de l'organisation extérieure de la rébellion algérienne les conditions dans lesquelles pourraient être organisés les pourparlers en vue, conformément aux propositions faites par le général de Gaulle,
de trouver une fin honorable aux combats qui se trament encore, de régler
la destination des armes et d'assurer le sort des combattants. Les entretiens
préliminaires étant maintenant terminés, les émissaires doivent repartir
incessamment pour Tunis. "
Ils quittaient en effet Paris, par Tunis-Air, le vendredi 1er juillet à
15 h 30. L'entrevue avait échoué.
Certains auteurs, proches des milieux du G.P.R.A. (5) estiment " modestement ", que la tentative de négociation de Melun équivaut à une reconnaissance de l'état de belligérance en Algérie par le gouvernement français.
Nous sommes persuadés qu'il n'en est rien (et nous verrons que même après
Evian il est difficile de le soutenir) (6).
La position du gouvernement français, selon laquelle les hommes du
G.P.R.A. se sont, par leur lutte, mis hors la loi et ne peuvent prendre part à
l'avenir de l'Algérie qu'après avoir réintégré la légalité française par la
cessation des combats, n'a pas varié avant, pendant et après Melun.
Deux considérations le prouvent : En premier lieu les entretiens ont
exclusivement porté sur le cessez-le-feu. Et il en a été ainsi parce que le
cessez-le-feu était, dans l'esprit du gouvernement français, la condition
nécessaire pour que le F.L.N. rentre dans la légalité. C'est dire que ses
hommes sont toujours considérés comme relevant de la législation interne
et ne représentant qu'eux-mêmes.
Faut-il, à l'appui de notre raisonnement, citer le Premier Ministre ? Il
dit à Constantine, le 3 octobre 1960 :
" Comment parler d'avenir politique tant que durent les attentats ?
Comment reconnaître à une fraction le droit de parler au nom de l'Algérie entière ?
" L'organisation extérieure qui dirige la rébellion ne l'a pas entendu ainsi.
Sans doute, ses premiers émissaires sont- ils venus à Melun en juin dernier,
mais ils y sont venus avec l'intention apparente d'obtenir : que le cessez-le-feu
soit subordonné à des conditions politiques préalables; que l'organisation qui
les avait envoyés soit, en fait, reconnue comme la représentation unique des
l'Algérie; que même leurs chefs puissent prendre directement contact avec
le général de Gaulle sans qu'aient cessé auparavant les combats et les attentats. D'où la suspension de pourparlers. D'où de la part de la rébellion, la continuation des meurtres. "
(On remarquera que le terme de " meurtres " appliqué aux méthodes de combat du F.L.N. relève exclusivement du droit pénal.)
C'est le même Premier Ministre qui déclare, à la tribune de l'Assemblée Nationale, le 7 décembre 1960 :
" Une seule condition préalable a été fixée - et ne peut pas ne pas être fixée : que cessent les embuscades et que cessent les attentats. On ne saurait parler avenir politique de l'Algérie avec les représentants d'une organisation tant que ceux-ci organisent et commandent, aussi bien en Algérie qu'en métropole, des actes qui sont en majeure partie des actes de terrorisme. "
" Si les pourparlers de Melun n'ont pas eu de suite, c'est parce que les dirigeants de la rébellion ont envoyé des émissaires pour tout autre chose que la discussion au sujet du cessez-le-feu. "
Mais nous citerons surtout le chef de l'Etat qui, dans sa conférence de presse du 5 septembre 1960, expliquait ainsi l'échec de Melun :
" Qui peut croire que la France, sous le prétexte d'ailleurs fallacieux d'arrêter les meurtres, en viendrait à traiter avec les seuls insurgés, avec la seule organisation extérieure de la rébellion, à traiter de tout l'avenir politique de l'Algérie ? A les bâtir comme étant la représentation unique de l'Algérie tout entière ? Bref, à admettre que le droit de la mitraillette l'emporte d'avance sur celui du suffrage ?
" Dans quel monde étrange peuvent bien vivre les gens qui se figurent qu'au cœur de Paris la libre circulation dans la rue, les réceptions dans les ambassades, les conférences de presse, les déclarations à la radio, pourraient être consenties à l'organisation extérieure de la rébellion tant que des actes meurtriers continuent d'être organisés dans l'Algérie et la métropole ?
" Et pour qui me prennent-ils moi, tous ceux qui s'imaginent que je pourrais conférer avec les chefs de la rébellion tant que les meurtriers continuent... ? "
(C'est pourtant bien ce qui fut la réalité 9 mois plus tard. Le 15 mars 1961, un communiqué du conseil des ministres français annonçait l'ouverture prochaine des pourparlersd'Evian. ndlr)
Ainsi, les entretiens n'ont porté que sur le cessez-le-feu, c'est-à-dire sur
la condition de la réintroduction des rebelles dans la vie nationale. Mais,
dira-t-on, ces négociations prouvent au moins que le gouvernement reconnaît que les rebelles sont sortis de cette vie nationale, que, dans le présent,
ils ne relèvent plus de la législation interne française ?
La réponse est facile et nous est donnée par le G.P.R.A. lui même : dans
un communiqué du 4 juillet, il fit savoir qu'il déplorait que le gouvernement
français ait entendu imposer unilatéralement ses conditions, qu'il estimait
qu'une rencontre entre les deux parties ne pouvait être fructueuse que si
ses modalités résultaient d'un accord délibéré entre elles, et que faute de
pouvoir l'obtenir, il renonçait à l'envoi de sa délégation.
Ainsi, de l'aveu même du F.L.N., il n'y a pas eu à Melun de véritables
négociations. Le gouvernement français a " fait connaître " à ses interlocuteurs ses " conditions ", selon ses propres termes (voir le communiqué du 29 juin précité), et il a refusé que l'ordre du jour déborde celui qu'il avait fixé. Prêt à accorder aux rebelles " l'aman " s'ils se rendaient, il leur a demandé s'ils acceptaient de se rendre. Tel est, schématisé, le sens de l'entrevue de Melun.
L'entrevue d'Evian allait être très différente, et sa signification beaucoup moins nette.
2) Evian, ou les équivoques.
Peu avant le référendum du 8 janvier 1961, nous apprend le Premier
Ministre (déclaration à l'Assemblée Nationale le 28 juin 1961 - J.O,, Débats
A.N., 29 juin, p. 1326) :
" Le Gouvernement avait reçu une communication aux termes de laquelle les dirigeants de la rébellion souhaitaient un contact discret destiné à explorer
les chances d'éventuels pourparlers publics. Le général de Gaulle demandait
alors à l'un de ses anciens collaborateurs, accompagné d'un fonctionnaire du
ministère d'Etat chargé des affaires algériennes, de se charger de conversations qui étaient destinées d'une part à connaître, loin de toute déclaration
publiée, les intentions de la rébellion, d'autre part à exposer les positions
de la France. C'est à la suite de ces conversations qu'il parut possible au
général de Gaulle et au Gouvernement de donner leur accord à des pourparlers publics. "
Effectivement, le 15 mars 1961, le communiqué suivant du conseil des
ministres français annonçait l'ouverture prochaine des pourparlers :
" Le Ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes a rendu compte de
l'état de choses relatif à l'Algérie, au-dedans et au-dehors de ce territoire.
Compte tenu de ces informations le Conseil a confirmé son désir de voir
s'engager, par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers concernant
les conditions de l'autodétermination des populations algériennes ainsi que
les problèmes qui s'y rattachent. "
Et le 17 mars était publié à Tunis le communiqué correspondant du
G.P.R.A. :
" Au cours de sa réunion du 16 mars 1961, le gouvernement provisoire de la République algérienne a examiné les derniers développements de la situation militaire et politique.
" II a pris note du communiqué officiel du conseil des ministres français en date du 15 mars 1961, qui exprime le désir du gouvernement français de voir s'engager par l'organe d'une délégation officielle des pourparlers concernant les conditions de l'autodétermination.
" Le gouvernement provisoire de la République algérienne considère ce communiqué comme une suite positive donnée à sa déclaration du 16 janvier 1961, qui affirmait en effet que le G.P.R.A. conscient de ses responsabilités, est prêt quant à lui à engager des négociations avec le gouvernement français sur les conditions d'une libre consultation du peuple algérien.
" A cet effet le gouvernement provisoire de la République algérienne
a pris des dispositions en vue d'aboutir à la rencontre des délégations officielles émanant des deux gouvernements. "
Le 31 mars, l'ouverture des pourparlers était simultanément annoncée
à Paris et à Tunis (7) mais un incident, aussi significatif que celui qui précéda le contact de Melun, allait retarder l'ouverture des pourparlers : le 30 mars, le ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes avait déclaré que des entretiens auraient lieu avec le M.N.A., le parti nationaliste algérien de Messali Hadj, rival du F.L.N., " comme " avec le F.L.N. Le 31 mars, le
G.P.R.A. faisait savoir qu'il ne saurait " dans l'état actuel " se rendre à
Evian. Fut-il par la suite enclin, devant les événements d'avril en Algérie,
à ne pas laisser passer la chance d'une négociation ? Fut-il rassuré sur la
nature des entretiens envisagés avec le M.N.A. ? Toujours est-il qu'une
nouvelle date fut fixée et que les pourparlers débutèrent le 20 mai à Evian.
Les conditions de la négociation sont très différentes de celles de Melun.
Les délégués F.L.N. résident en territoire étranger, à Genève, où ils ont le
loisir de communiquer avec la presse et le monde extérieur ; ils ne se rendent
à Evian que pour les pourparlers, par hélicoptères de l'armée suisse. Ils sont
accueillis, le premier jour, par le sous-préfet de Thonon. Les entretiens, dirigés du côté du gouvernement français par le ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes, se déroulent dans un édifice privé, réquisitionné à cet effet, l'hôtel du Parc.
Ils dureront jusqu'au 13 juin et seront alors suspendus, à la demande de la France. Puis, le 17 juillet est publié à Paris le communiqué suivant : " On annonce officiellement que les conversations engagées le 20 mai à Evian entre les représentants du gouvernement de la République et les représentants du F.L.N. reprendront le jeudi 20 juillet à Lugrin (Haute-Savoie) ".
Effectivement, dans cette localité voisine d'Evian, les conversations reprennent au jour dit, dans des conditions analogues à celles d'Evian. Elles sont interrompues le vendredi 28, à la demande du F.L.N.
Il nous appartient maintenant de tirer de ces rencontres d'Evian et de Lugrin l'enseignement qu'elles comportent quant à l'attitude du gouvernement français à l'égard du G.P.R.A. Certes, nous allons le voir, elles traduisent un changement, mais la portée de ce changement, obscurcie par de volontaires ambiguïtés, est sans doute moins profonde que d'aucuns ne manqueront pas de le prétendre.
Quelle est donc, actuellement, pour le gouvernement français, la situation du G.P.R.A. d'une part vis-à-vis de la France, dans le présent, d'autre part dans l'avenir, par rapport à un futur Etat algérien ?
a) La France a-t-elle reconnu au G.P.R.A. le statut de belligérance ?
Pesons d'abord le sens des mots : le chef de l'Etat parle encore, dans
sa conférence de presse du 11 avril, des " dirigeants de la rébellion ", et
dans son allocution du 8 mai, des " chefs des rebelles ". Qu'il parle, le
12 juillet, puis le 5 septembre de " l'insurrection " ne doit pas être surévalué,
car il l'avait déjà fait bien avant, notamment dans sa déclaration du 16 septembre 1959, et d'autre part il reprend, dans son allocution du 2 octobre 1961, l'expression " les dirigeants de la rébellion ". En revanche il faut accorder plus d'attention aux termes par lesquels le négociateur d'Evian, M. Joxe, a caractérisé ses interlocuteurs. A deux reprises, il les a qualifiés de " combattants " : devant l'Assemblée Nationale, le 20 juin, il a dit : " Qu'est-ce que le F.L.N. pour nous ? Des combattants dont dépendent par conséquent en partie la paix ou la guerre, et des hommes politiques qui comptent. "
Et dans un discours radiotélévisé le 1er août :
" Nous avons tout d'abord vécu la rencontre d'Evian avec les représentants du F.L.N. Nous leur reconnaissons la qualité de combattants. Nous voyons en eux les délégués d'une organisation politique qui se déclarent candidats au pouvoir. "
L'idée d'infraction à la législation nationale, qui se trouve dans le terme
de " rebelles " est certainement absente de celui de " combattants " et son
choix constitue certainement une indication de la volonté du gouvernement
de ne plus insister sur l'appartenance du mouvement F.L.N. à la communauté française (le chef de l'Etat n'a-t-il pas cru devoir parler, dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, de cette " population (algérienne)
dont la grande majorité ne " fait pas partie de son peuple (à la France) " ?) .
Mais, dans sa neutralité, le mot " combattants " est aussi éloigné de
" belligérance " que de " rébellion " et son choix marque également la
volonté du gouvernement de ne pas situer les événements d'Algérie dans un
contexte international.
Plus importants que les mots, pourtant, sont les faits. Or, la rencontre
d'Evian nous impose celui-ci : le gouvernement français a discuté avec les
représentants du G.P.R.A. de l'avenir politique de l'Algérie alors que les combats et les attentats continuaient. Cela est très lourd de conséquences car il est impossible d'admettre qu'un gouvernement discute de l'avenir d'un territoire national avec des nationaux inculpés de crimes ; s'il le fait, c'est qu'il reconnaît que ses interlocuteurs ne tombent pas sous le coup de la loi pénale, qu'ils ne sont plus véritablement ses nationaux. C'est ce que l'on avait repoussé à Melun, c'est ce que l'on a admis à Evian.
Et ce n'est pas sans raison que le gouvernement a cherché, à l'ouverture des pourparlers d'Evian, à " forcer la main " au F.L.N. en décrétant une trêve unilatérale : un cessez-le-feu, même de fait, aurait évité au gouvernement non seulement de donner le spectacle d'un revirement, au bout de six mois, de ses serments les plus solennels, mais surtout de se voir imposer par la logique la " sécession " des combattants algériens. Ceux-ci l'ont bien
compris : en ordonnant, en plein milieu des pourparlers, la recrudescence des
attentats (portés spectaculairement au cœur même de Paris, où, dans la nuit
du 4 au 5 juin éclata une fusillade sans précédent entre algériens et policiers) ils ont entendu se maintenir en dehors de l'ordre juridique français et placer leurs interlocuteurs devant le fait accompli.
Est-ce cette fois la reconnaissance de belligérance ? Nous ne le pensons pas. D'abord parce que les mots employés par les autorités françaises l'excluent - nous l'avons vu. Ensuite, et surtout, parce que, si le statut de
belligérance se manifeste par la substitution de la loi internationale à la loi
interne dans les rapports entre les insurgés et le gouvernement établi, cette
substitution s'explique par l'idée que les insurgés constituent l'amorce d'un
nouvel Etat ; or le gouvernement français se refuse, ainsi que nous allons
le voir, à tenir le G.P.R.A. pour un organisme actuellement représentatif de
l'ensemble des populations algériennes ; l'attitude à l'égard de l'avenir se
répercute ainsi sur le comportement vis-à-vis du présent (8) .
b) La France reconnaît-elle le G.P.R.A. comme une autorité politique ?
Il est certain que l'on a discuté avec le F.L.N. à Evian, puis à Lugrin, et
qu'on discutera sans doute encore demain avec lui, de l'avenir politique de
l'Algérie - garanties pour les minorités, régime du Sahara, etc. Il est certain
également qu'il y a une contradiction à demander au F.L.N. de s'engager à
respecter un certain statut futur de l'Algérie et à refuser simultanément de
lui reconnaître le caractère d'une autorité politique qualifiée pour engager
le peuple algérien. Cette contradiction existe. Elle est le reflet d'une politique
qui cherche à concilier l'inconciliable : le choix entré trois solutions, mais
le vote en faveur de la seconde : l'émancipation totale, mais le maintien de
garanties fondamentales ; l'autodétermination, mais la négociation. Il faut, en
tout cas, la prendre dans son entier et voir que le gouvernement français se
refuse à voir dans le G.P.R.A. autre chose que des hommes politiques candidats au pouvoir dans l'Algérie future.
Nous avons cité en ce sens les importantes déclarations du ministre
d'Etat chargé des Affaires algériennes. Ajoutons-y cet extrait d'une conférence de presse (du 8 avril 1961) du chef de l'Etat :
" Je reconnais qu'il est malaisé, à un appareil essentiellement insurrectionnel, d'aborder avec la sérénité minimum nécessaire et au plan voulu des questions comme celles de la paix, de l'organisation d'un Etat et du développement économique d'un pays.
" Mais ces dirigeants, étant donné qu'ils ne domineront pas sur le terrain où notre armée, actuellement, je le répète, tient la situation ; étant donné, d'autre part, qu'ils ont de grandes responsabilités à cause de l'influence qu'ils exercent et de l'audience qu'ils trouvent chez un grand nombre de musulmans ; étant donné enfin qu'ils semblent appelés, pour nombre d'entre eux, à jouer un rôle éminent dans les débuts de l'Algérie nouvelle, il s'agit de
savoir si, en définitive, ils seront capables de passer au positif. "
Notons enfin qu'il ressort de tous les textes officiels que le F.L.N. continue à n'être considéré que comme une " tendance " politique, c'est-à-dire comme un mouvement d'opinion privé et non comme une autorité publique préfigurant un gouvernement représentatif du futur Etat, comme l'une des diverses tendances qui représentent les populations algériennes. C'est ainsi
que, le 20 mai 1961, le ministre d'Etat, pressé, par une question écrite de M. Bourgoin (n° 9721. J.O. Débats A.N., 20 mai, p. 914) de confirmer, à la veille des conversations d'Evian " ... que ni le F.L.N., qui ne représente qu'une infime partie de la population algérienne, ni le G.P.R.A. qui n'est reconnu que par des gouvernements nettement hostiles à notre pays, ne
seront considérés comme représentatifs des neuf millions d'habitants de l'Algérie en grande majorité très attachés à la France ; " ... a répondu :
" ... qu'aucune tendance algérienne n'est admise à représenter l'ensemble des populations avant que celles-ci n'aient pu se prononcer par suffrage " (9) .
L'argument selon lequel la négociation avec le G.P.R.A. par l'entremise
des délégations officielles vaudrait reconnaissance implicite de son caractère
gouvernemental a peu de poids devant ces affirmations expresses, d'autant
que, si l'on scrute de plus près le communiqué français du 15 mars (cf. supra)
et si on le compare en particulier au communiqué F.L.N. du surlendemain,
on s'aperçoit qu'il est rédigé d'une manière si habile que l'expression " par
l'organe d'une délégation officielle ", employée au singulier, peut être interprétée comme ne s' appliquant qu'au seul gouvernement français !
Il n'en demeure pas moins que la position de la (France vis-à-vis du G.P.R.A. n'est pas dépourvue d'ambiguïté.
Et c'est peut-être pourquoi le gouvernement n'a pas osé mettre à exécutions es menaces contre les Etats qui reconnaîtraient le G.P.R.A.
On se souvient que, le 30 avril 1959, le Premier Ministre et le Président de la République avaient, chacun à un auditoire différent, déclaré que la France romprait " sur l'heure " ses relations diplomatiques avec tout Etat
" responsable " qui reconnaîtrait le G.P.R.A. Or, le 3 octobre 1960,
M. Khrouchtchev recevait à New York les représentants du F.L.N. et le 7 il
déclarait sans ambages aux correspondants de presse que l'U.R.S.S. reconnaissait de facto le G.P.R.A. C'était après Melun, et M. K. arguait que la France avait elle-même reconnu le G.P.R.A. et qu'il ne faisait que suivre son exemple. L'argument, bien qu'il ne soit pas sérieusement défendable, avait-il porté ? Toujours est- il que la seule réaction française fut la mauvaise humeur du chef de l'Etat perceptible dans ses discours : en particulier celui
du 4 novembre (" justement les dirigeants rebelles, plutôt que de faire la paix ont choisi ces empires [totalitaires] pour protecteurs. Ne voient-ils pas que, sous une telle égide, c'est vers une Algérie soviétique qu'ils sont forcément entraînés ?"") .
Moins d'un an plus tard, après Evian cette fois, sept Etats qui, jusqu'alors avaient évité de reconnaître publiquement le G.P.R.A., ont signé à Belgrade, le 6 septembre 1961 la " Déclaration des chefs d'Etats et des
gouvernements des pays non alignés " dont le passage consacré à l'Algérie
présente pour la France une véritable allure de provocation ( " les chefs d'Etats et de gouvernements expriment plus spécialement leur satisfaction de voir qu'à cette conférence l'Algérie est représentée par son représentant
légitime, le président du G.P.R.A. "). Le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas été relevée. Ce silence de la France est particulièrement significatif si l'on se souvient des remous qu'avait déclenchés en juin 1959 la publication à Belgrade d'un communiqué conjoint algéro-yougoslave incomparablement plus anodin. Tel est le signe de l'embarras dans lequel le gouvernement s'est plongé par ses équivoques. Mais il est à prévoir qu'elles ne tarderont pas à être levées.
6 novembre 1961.
M. le Professeur Jean Charpentier "La France et le G.P.R.A."
In: Annuaire français de droit international, volume 7, 1961. pp. 855-870. doi : 10.3406/afdi.1961.1126
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1961_num_7_1_1126
(1) J. Charpentier. La reconnaissance du G.P.R.A. A.F.D.I., 1959, p. 799.
(2) Mais peut-on parler de décolonisation à propos de l'Algérie ? Le Premier Ministre a
mis en garde contre cette tentation : (" On a d'abord, au moins hors, de France, la
fréquente tentation de parler de l'Algérie comme s'il s'agissait de procéder à une opération de décolonisation. C'est vraiment une conception à la fois simpliste et erronée ". - Déclaration à l'Assemblée Nationale, 7 décembre 1960. J. O. Débats. A.N. 8 décembre, p. 4373) . Le chef de l'Etat, par contre, y succombe volontiers (" de toutes les manières, le bon sens, le but, le succès, s'appellent la décolonisation. Il s'agit qu'elle se fasse également en Algérie ".
- Discours du 12 juillet 1961. A.D. 1121) . Et un " plan de décolonisation de l'Algérie " a été soumis, le 9 juin, à Evian, par la délégation française aux représentants du F.L.N.
(3) Treize ou quinze ? C'est toute la question du Sahara. Elle n'entre pas ici en ligne de compte.
(4) Cf. conférence de presse du 5 septembre 1961 : "Nous ne voulons pas que la libre
disposition, au "cas où elle aurait lieu, procède directement de l'autorité française, car alors
nous nous serions encore accrochés vainement, alors que ce dont il s'agit, c'est du dégagement.
Dans ces conditions, seul un pouvoir provisoire algérien peut mener le pays à l'autodétermination et aux élections ".
Et allocution du 2 octobre 1961 : " Nous sommes... désireux de voir en Algérie les éléments
représentatifs entreprendre de leur propre chef la préparation de cette grande opération que
sera le référendum... ".
(5) Bedjaoui : La révolution algérienne et le droit, p. 182.
(6) Nous rejoignons d'ailleurs la position soutenue par M. Floky dans son article " Algérie
algérienne et droit international " A.F.D.I., 1960, p. 990.
(7) Communiqué français du 31 mars 1961 : " le gouvernement français fait savoir que
les pourparlers concernant les conditions de l'autodétermination et les problèmes qui s'y
rattachent s'ouvriront à Evian le 7 avril, avec les représentants du F.L.N. La délégation
française sera présidée par M. Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des affaires algériennes."
(8) On cherche également, du côté du F.L.N., à interpréter les arraisonnements effectués par
les bâtiments français sur des navires étrangers soupçonnés de ravitailler en armes les
rebelles comme impliquant une reconnaissance de belligérance. La question ne peut être
tranchée tant que le dossier n'est pas ouvert, mais rien n'exclut a priori l'explication de la
légitime défense, puisque ces arraisonnements visent à écarter une menace constante dont
la France est victime du fait rie la négligence coupable des Etats dans les ports desquels
ces navires ont été chargés.
(9) N'est-il pas curieux, au demeurant, de constater que, le jour même où s'ouvraient
les entretiens d'Evian, les fonctionnaires français qui participaient à Florence au troisième
colloque méditerranéen de la Culture devaient s'en retirer, d'ordre du Premier Ministre, en
raison de la présence de trois délégués F.L.N. ?
|