Les disparus européens en Algérie après le 19 mars 1962 ont fait l'objet d'un troublant consensus.
L'Algérie et la France ont de concert adopté une position identique, celle de s'opposer à la divulgation de renseignement concernant les détenus français enlevés après le cessez le feu. Les accords d'Evian prévoyaient la libération et l'amnistie des différents prisonniers des deux camps. Les intérêts politiques, stratégiques (conservation des bases militaires, poursuite des essais atomiques…) et le désir du gouvernement français de ne pas " recommencer la guerre d'Algérie " ont eu raison des droits de l'homme, du respect des accords d'Evian et ont sacrifiés des civils et des militaires dans une cruelle indifférence.
Aujourd'hui lorsqu'un journaliste ou coopérant ou un simple quidam est séquestré, en Afrique, au Mexique ou ailleurs, le quai d'Orsay multiplie démarches, et les interventions secrètes. Le gouvernement ouvre grand ses caisses pour payer une rançon et récupérer sains et saufs ses nationaux. C'est une très bonne chose car il est dit que " La France n'abandonne jamais ses enfants ". Sauf par lâcheté ou lorsqu'elle les considère comme gênants parce qu'ils peuvent contrarier le " sens de l'histoire ".
… ce n'est qu'a la mi-mars 1963 que le C.I.C.R. (Comite International de la Croix Rouge) débuta son enquête pour la clore définitivement en septembre 1963. Ainsi une vingtaine de personnes seulement furent autorisées à effectuer durant six mois des recherches - pas toujours sérieuses - pour des milliers de disparus sur un territoire immense, d'accès géographique parfois difficile même impossible sans véhicules spéciaux... La difficulté majeure résidant cependant dans le fait que nos malheureux compatriotes étaient incarcérés dans des camps de détention itinérants et transférés fréquemment d'un camp à l'autre... après le passage de la Croix Rouge.
Cette mise au point ayant été faite par Monsieur DE BROGLIE, Secrétaire d'Etat aux Affaires Algériennes et publiée au Journal Officiel de la République Française le 24 novembre 1964 page 1847.
" Il est vrai qu'il existait des camps pendant les mois qui
succédèrent à l'indépendance. Il est exact qu'un certain nombre
de disparus y ont été gardés pendant un court laps de temps
après cette indépendance. Lorsque la famille signalait la disparition
dans les quelques heures qui suivaient l'enlèvement,
il a été possible de faire libérer le détenu, mais, à cette
époque, les difficultés majeures provenaient du fait que les
détenus étaient constamment transférés d'un camp à l'autre
et que, souvent, le camp lui-même était itinérant. "
Mais le comble de l'ignominie fut atteint lorsque obligation fut faite au C.I.C.R. de ne communiquer AUCUN RENSEIGNEMENT sur le contenu de ces recherches aux familles de disparus mais seulement et uniquement aux gouvernements français et algérien. Cette obligation, décision des gouvernements français et algérien, a été publiée au Journal Officiel de la R.F. le 7 mai 1963 page 2781.
Page 2781
AFFAIRES ALGERIENNES
1527 - M. René Pleven demande à M. le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre chargé des affaires algériennes :
1 " le nombre des personnes dont la disparition ou le meurtre, en Algérie, depuis le 19 mars 1962 ont été signalés au Gouvernement français ;
2 " l'objet précis de la mission du comité international de la Croix-Rouge, dont à la demande du Gouvernement français, le gouvernement algérien aurait accepté une enquête en Algérie sur le sort des personnes disparues ; 3 " si le rapport du comité international sera rendu public ;
4 " si le Gouvernement français a demandé au gouvernement algérien d'accorder une indemnité ou une pension aux familles des Français assassinés ou disparus ;
5 " dans l'affirmative, quelle a été la réponse du gouvernement algérien, et d'une manière générale, quelle sera la situation des ayants droit des ressortissants français qui ont, du fait d 'exactions, perdu la vie en Algérie, depuis le 19 mars 1962. (Question du 9 mars 1963)
Réponse.
1 " Le nombre des personnes dont la disparition ou le meurtre en Algérie, depuis le 19 mars 1962, ont été signalés au Gouvernement français s'élève à 3080 ; 18 personnes ont été retrouvées, 868 ont été libérées et l'élargissement à terme d'une centaine d'autres semble acquis ; 267 ont été tuées ;
2 " le comité international de la Croix-Rouge a reçu pour mission de rechercher les personnes, civiles ou militaires, disparues, enlevées ou séquestrées depuis le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et d'établir la situation des personnes qui ont été incarcérées ou détenues depuis cette date ;
3 " les rapports du comité international de la Croix-Rouge sont confidentiels et ne font l'objet d'aucune publication de la part de cette organisation qui les remet aux gouvernements intéressés. Le comité international de la Croix-Rouge ayant reçu sa mission du gouvernement algérien avec l'accord du Gouvernement français, toute publication des rapports du C.I.C.R . ne pourra être décidée que par une décision de ces deux gouvernements ;
4 " il n'y avait pas lieu pour le Gouvernement français de demander au gouvernement algérien d'accorder une indemnité ou une pension aux familles des Français assassinés ou disparus étant donné que la réglementation issue de La décision n " 55.032 de l'assemblée algérienne était toujours applicable aux victimes du terrorisme.
En vertu des accords du 19 mars 1962, l'instruction et le règlement des dossiers demeuraient à la charge de l'Algérie. Néanmoins la conjoncture actuelle ne permettant pas aux victimes ou aux ayants cause de percevoir régulièrement ou de se voir attribuer les rentes qui devraient normalement leur être versées, un régime d'aide
temporaire a été institué en leur faveur dans le cadre de la législation sur les rapatriés ; ce régime est mis en œuvre par le département des anciens combattants et victimes de la guerre ;
5 " le problème général de l'indemnisation des civils victimes corporelles des événements d'Algérie est actuellement à l'étude. Un projet de loi réglant la situation de ces victimes sera déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale dès l'ouverture de la prochaine session parlementaire.
Mais si " officiellement " du côté français on continuait d'affirmer qu'il n'y avait pas de survivants - à l'instar du Général KATZ, " le boucher d'Oran ", qui affirmait au lendemain de la tuerie d'Oran que les disparitions étaient l'œuvre de personnes " ayant quitté la ville " - du coté algérien on faisait monter les enchères et en 1972 le Président algérien BOUMEDIENNE déclarait : " Nous avons des prisonniers, pour les récupérer, la France devra y mettre le prix ".
Le 23 avril 1982, un hebdomadaire publiait les révélations de Monsieur PONIATOWSKI qui affirmait qu'en 1975 (il était Ministre de l'Intérieur), il y avait encore des centaines de captifs en Algérie).
Ce jour-la, nous fîmes connaissance avec l'incroyable, l'impossible, l'inimaginable. En première page on pouvait lire :
" EXCLUSIF : Les photos des Français détenus sans raison PRISONNIERS EN ALGERIE depuis VINGT
ANS. Un vrai camp de concentration installé du coté de Tizi-Ouzou ". Au total 15 photos sous lesquelles
figuraient les noms et prénoms des " disparus ". Or l'une d'elle nous apprenait ainsi que le gardien de la paix, PELLISER Jean-Claude, enlevé le 16 mai 1962 à Maison Blanche à Alger dans l'exercice de ses fonctions était toujours en vie... alors qu'il avait été déclaré " décédé " le 13 novembre 1970 par le Tribunal de
Grande Instance de Paris.
A partir de là, l'A.S.F.E.D. (1) redoubla d'énergie pour faire triompher la Vérité et à la suite des demandes d'enquête formulées par le Colonel DE BLIGNIERE (aujourd'hui décédé) et du Capitaine LECLAIR, la Croix Rouge Internationale de Genève reprit l'enquête. A force de témoignages et de recoupements elle fut très vite en mesure d'affirmer qu'il existait encore 500 à 700 prisonniers français détenus depuis 1962 dans divers lieux d'Algérie ; 500 à 700 survivants ABANDONNES par la France à leurs bourreaux et qui devaient être dans une misère physiologique et morale totale. Cette annonce fut faite par un délégué de la Croix Rouge Internationale dans un télégramme en date du 15 novembre 1986 adresse à l'ASFED signe P.A. CONOD et rédigé comme suit : " Confidentiellement, je puis vous dire que selon nos dernières enquêtes et des sources sûres marocaines, il y a bien 500 à 700 Français retenus captifs en Algérie ".
Le 23 novembre, l'ASFED adressait à Monsieur SANTINI, alors Secrétaire d'Etat aux Rapatriés, le télégramme suivant :
" Suite intervention instances internationales près Elysées Matignon " stop - preuves apportées existence
700 otages détenus Algérie stop - Demande urgence contact téléphonique André SANTINI au
56 96 78 44 DE BLIGNIERES et LECLAIR.
PAS DE REPONSE.
Le 1er février 1987 nouveau télégramme.
TOUJOURS PAS DE REPONSE.
Le 5 mars 1987, 3e télégramme.
ENCORE LE SILENCE TOTAL.
Cependant, le mercredi 8 avril 1987, le Ministre des Affaires Etrangères, Jean-Bernard RAIMOND intervenait à la tribune de l'Assemblée Nationale et déclarait sans gène aucune que rien n'autorisait à penser que certains de nos compatriotes demeuraient aujourd'hui toujours en vie et détenus en Algérie et que le document dit " CONOD " était un faux nécessitant une action en justice.
Réaction immédiate de l'ASFED qui, le 10 avril, par la voix du Capitaine LECLAIR demandait au Ministre de mettre son projet à exécution, lequel permettrait de solliciter les réparations légitimes pour des actes criminels dont il aurait été facile de déterminer les circonstances.
26 mai, réponse du Ministre qui, face a la fermeté de l'ASFED, avait indéniablement perdu de sa superbe :
" Une telle action est juridiquement difficile à mettre en œuvre. "
Machine arrière toute !...
Cependant il manquait l'avis du Premier Ministre Jacques CHIRAC et le 2 juillet 1987 celui-ci déclarait dans une lettre adressée a un délégué de l'ASFED :
" Aucun élément ne permet aujourd'hui d'affirmer que certains de nos compatriotes demeureraient en vie ou, à fortiori seraient encore détenus en Algérie ".
Et Monsieur CHIRAC de " déplorer et s'indigner de la diffusion et de la publicité de telles contrevérités sur ce sujet ".
On mesure la toute l'étendue du peu de sérieux, de la désinformation, de l'irresponsabilité et du cynisme même du Premier Ministre.
Ainsi, depuis 27 ans, tous les gouvernements français ont éludé le sort des disparus d'Algérie.
Aujourd'hui, nous sommes encore dans l'impossibilité de retrouver trace dans aucun ministère ou service français des dossiers de nos concitoyens disparus en Algérie depuis le 19 mars 1962.
Sur le plan international il en est de même : La Croix Rouge Internationale ne peut donner des renseignements sur les dossiers qu'elle a constitues en raison d'un accord franco algérien qui lui interdit toute divulgation sur ces sujets.
Quant aux procédures intentées par l'ASFFD, elles sont pratiquement vouées à l'échec dès lors que depuis plusieurs années le Juge de la Cour Internationale de La Haye n'est autre qu'un ancien chef du FLN, Mohamed BEDJAOUI, signataire des accords d'Evian, qui, systématiquement, oppose son veto.
En résumé la question qu`il faut poser tant à nos gouvernants qu'à nos est la suivante :
Ou bien certains sont encore vivants et le gouvernement a le devoir d'obtenir qu'ils soient relâchés (ou du moins doit avouer publiquement qu'il connait leur existence… ou bien ces milliers de Français ont tous été massacrés, mais alors le gouvernement français doit exiger du gouvernement algérien un aveu public : il s'agit de crimes contre l'humanité et on sait qu'ils sont imprescriptibles…
José CASTANO (extraits) - Les français d'AFN et dOutre Mer - octobre 1989
(1) A.S.F.E.D {Association pour la Sauvegarde des Familles et Enfants de Disparus).