Antoine Martinez fait partie des 22 000 soldats Français d' Algérie qui sont morts deux fois car les monuments qui avaient porté l'inscription de leurs noms jusqu'en 1962 ont été détruits, transformés ou dispersés.

On le voit ici âgé de deux ou trois ans, sous la garde de ses grands parents maternels Francisco Casquel et Isabel Picon. Ces derniers ne sont plus très jeunes et travaillent comme modestes ouvriers agricoles au clos Bastide appartenant à l'un des premiers maires de la ville. Léon Bastide était né à Madrid de parents français venus s'installer à Sidi-Bel-Abbès en 1844.

Antoine Martinez est né le 26 juillet 1892 à Sidi-Bel-Abbès.
En ce samedi 18 avril 1903, Antoine l'aîné des six enfants et sa petite sœur tous deux en vêtements de luxe pour l'époque, doivent se trouver au passage du président de la République Emile Loubet venu visiter la ville.
Bon souvenir car ce dernier à pris dans ses bras la mignonne petite fille.

En effet d'après l'article 8 de la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité : " sont Français, tout individu né d'un Français en France ou à l'étranger… tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y est né ".
A condition qu'il accepte évidemment d'accomplir son service militaire. Bien qu'ayant des origines espagnoles Antoine Martinez se trouvait dans ce cas.

On peut ajouter de plus que son père né dans la même ville du département d'Oran, avait également accompli son service militaire en 1889 et qu'il avait obtenu la notification officielle de sa naturalisation en 1903.
Après ses classes en Algérie et une seule permission pour voir sa famille, il rejoint la garnison d'Albi au 15 ème Régiment d'Infanterie.
Dans une lettre du 29 mai 1914 il pleure la mort de son frère Emile et se désole de ne pouvoir rejoindre sa famille. Il évoque également des manœuvres à Carmaux et Gaillac pendant deux jours et des exercices de tir de combat à Castres.

D'octobre 1913 au 6 août 1914 ses lettres en provenance d'Albi sont écrites à l'encre dans un café de la ville ou à la caserne. Tout le monde autour de lui parle de René Viviani président du conseil des ministres, chef du gouvernement de la France. C'est donc avec plaisir qu'il peut dire que le célèbre personnage ayant à peu près l'âge de son père est un compatriote d'Algérie né comme lui à Sidi-Bel-Abbès.

Curieusement, c'est ce pacifiste ami de Jean Jaurès qui fait entrer la France dans le conflit le jour de la déclaration de guerre par l'Allemagne, ce qui aura pour conséquence directe l'envoi d'Antoine vers le front.

Après le 6 août 1914 ses lettres seront écrites au crayon dans des conditions moins paisibles et confortables.
Il aurait eu la possibilité d'être l'auteur de ce tableau croqué par un soldat anonyme, car d'après sa sœur il dessinait bien et possédait des dons d'artiste.

Il n'est pas possible dans ce cadre de détailler tous ses déplacements et les combats menés par son régiment le 15ème Ri en 1914 mais on sait que d'Albi à Mirecourt, Toul, Compiègne, Nancy etc… et jusqu'à Verdun il avait participé à de nombreux engagements. A chaque repos il envoyait à ses parents des cartes postales.

Avant son arrivée à Jouaignes le 18 octobre le régiment avait obtenu une citation à l'ordre de l'armée.

Dans sa lettre du 5 octobre 1914 il annonce à ses parents qu'arrivé de Luneville il est reparti vers Nancy

Le 15 septembre après une reconnaissance en Alsace jusqu'à 30 km de Strasbourg, puis un repli en Meurthe et Moselle il dit qu'il pris part à cinq combats et que les Allemands ont été repoussés hors des frontières. " C'est la déroute générale pour les Allemands…mais il y a pas mal de camarades qui sont restés dans ces combats. "Le fils Bendjo et le garçon de Chanzy qui avait mangé à la maison sont morts. Navarro de Bel-Abbès et un compatriote d'Oran ont été blessés par des éclats d'obus. "

" Si vous n'avez pas de mes nouvelles : ne vous faites pas du mauvais sang. S'il m'arrivait malheur vous seriez prévenus par voie télégraphique. "

Parti de Nancy dit-il: " Nous longeons la frontière, nous Protégeons les forts sur notre front. L' ennemi a évacué la ligne, voila 3 jours que nous n' avons pas entendu le canon jusqu'à ce matin. " Il évoque alors les nuits à la belle étoile, le froid, et la pluie dans les tranchées.

" On bouffe des kilomètres de Nancy à Toul, je profite d'une pause pour vous écrire ces quelques lignes sur mon sac, au milieu d'un champ de betteraves ".
Il demande l'envoi d'un chandail et il termine par : " Chers parents ayez du courage car j'espère toujours vous voir, je ne crois pas que ça durera longtemps. "

Nouvelle lettre de Toul le 10 octobre : " Nous sommes demeurés 12 jours en première ligne et avons pris à la baïonnette 3 villages, Mandres-les-Quatre tours, Beaumont et Seicheprey, où l'ennemi s'est retiré à la frontière. "

Après deux jours à Toul l'unité repart 3 jours vers une destination inconnue.

De Jouaignes dans l'Aisne près de Soissons, il écrit à ses parents le 20 octobre 1914 pour les remercier de lui avoir envoyé un colis avec des gants, des chaussettes et vêtements chauds car il se plaint du climat rigoureux. Il ajoute alors : " Nous sommes en ce moment avec l'armée anglaise ",et il ne tarit pas d'éloges à l'égard de ces soldats polis qu'il trouve élégants, et très aimables. Ils leurs offrent généreusement à manger des conserves fines.

Il ne peut se retenir de confier à sa mère son état d'épuisement en raison des marches de nuit interminables, et de jour dans des tranchées à cause des aéroplanes. Il signale la lourdeur de son sac à dos qui porte en plus le couvre-pieds, la toile de tente et les piquets. Récemment il vient de faire trois jours de marche pour aller relever les Anglais dans les tranchées où il est resté deux jours dans les avant- postes.

Du 2 au 6 novembre la compagnie du 15 ème RI d'Antoine, et des éléments du 143 ème reçoivent l'ordre d'attaquer Wytschaete dans le cadre des violents combats opposant aux Allemands les Français, les Anglais et les Belges aux environs d'Ypres. Lourd bilan dès le début : 247 blessés tués ou disparus parmi lesquels le lieutenant Calvel et le capitaine Bailly blessé.

A l'église Saint Vincent de Sidi-Bel-Abbès nombreuses sont les mères qui prient pour leurs enfants qui sont au Front. Chaque semaine les gendarmes viennent annoncer dans les familles la mort d'un des leurs. Les parents d'Antoine qui n'ont plus de nouvelles depuis une dernière lettre datée du 27 octobre sont des plus inquiets. A l'arrière, en Algérie comme en métropole la presse informe le public en exaltant le patriotisme, mais les familles connaissent grâce aux lettres écrites par les combattants quelles sont les hécatombes et horreurs de leur quotidien. Au sein du clan Martinez depuis qu'une lettre a été renvoyée aux expéditeurs sans réponse le désespoir alterne avec l'espérance.

Le supplice d'un père, les pleurs d'une mère, des frères et sœur, dureront malheureusement pendant sept ans. Le jugement officiel confirmant sa disparition ne sera rendu que le 18 mars 1921.

Grâce aux précieux travaux de recherche de ses neveux et petit neveu, nous savons maintenant ce que fut la fin tragique des garçons de cette section et de leur compagnie.

Les très minutieuses recherches des descendants de la famille d'Antoine Martinez ont permis de consulter le journal de marche allemand du 5ème RI bavarois qui avait combattu la compagnie du 15ème RI à Wystchaete. La traduction du compte rendu se termine par la phrase suivante: " Après 4 jours de violents combats on découvrait d'horribles images de troncs éclatés, de corps déchirés amis et ennemis. Le champ de bataille était recouvert de fragments de corps humains dispersés. "
On sait maintenant qu'il a été tué dans un corps à corps sur la route de Kemmel à Wytschaete et qu'il n'a disparu que faute de motivation de la part de ceux qui devaient l'identifier.

Le cimetière de Wytschaete regroupe 486 Britanniques, 31 Australiens, 19 Canadiens, 11 Sud Africains, 7 Néo Zélandais, un Allemand et 673 cadavres non identifiés Le secteur de Wytschaete a été tenu par les Anglais jusqu' à la fin de la guerre. Le cimetière du lieu parmi d'autres regroupe 673 soldats non identifiés, mais probablement tous britanniques.

Personne ne peut dire exactement où se trouve inhumé le corps d'Antoine Martinez. D'autres nécropoles comme Potijze, Roulers, Kessel, pourraient cependant y prétendre.

Par l'exemplaire sacrifice de sa vie pour la France, Antoine Martinez restera toujours le modèle représentatif des 53 000 disparus de cette guerre, ainsi que celui des 22 000 Français d' Algérie victimes des mêmes combats. Ces derniers sont morts deux fois, une fois au champ d'honneur et l'autre lorsque leurs monuments aux morts ont été détruits ou dispersés après 1962, et que les plaques de marbre portant leurs noms ont disparu. Même les Belges flamands ignorent ce qu'ils leur doivent.

1789, Révolution française : " la nation, la loi, le roi ". On ne peut parler de nation avant cette date donc ni de nationalité ni de citoyen. Le pays barbaresque colonisé par la Turquie ne compte pas encore. C'est donc après cette date que la notion de nationalité se précise et elle est essentiellement fondée sur le droit du sang (jus sanguinis) en métropole, ce que confirme le code civil napoléonien.

La conquête et la colonisation de ce que la France nommera plus tard Algérie, n'est que la réalisation d'un projet monarchique commencé par Charles X et poursuivi par Louis Philippe au moyen d'une armée puissante, disciplinée et sans états d'âme.

Sous son règne la politique de peuplement de la colonie par des Français de souche est un échec. Il conserve donc strictement le droit du sang, même pour les délinquants et opposants politiques envoyés-là comme au bagne. L'immigration espagnole ou italienne l'inquiète tant, qu'il organise l'installation de plusieurs dizaines de milliers d'Allemands auxquels il offre des terres pour créer de nouvelles agglomérations.

La révolution de 1848 instaure la seconde république qui prend la décision de créer trois départements français en Algérie. Le peuplement européen s'intensifie, mais les Espagnols, Italiens ou Maltais nés dans ces départements obtiendront-ils le droit du sol (jus soli) ?

La prise de pouvoir par Napoléon III va porter un coup d'arrêt à l'évolution voulue par la deuxième république, elle même remplacée par le second empire. Après la guerre de 1870 et la perte de l'Alsace-Lorraine, la France devient une république, la troisième, celle qui durera jusqu'en 1940.

Après son instauration en 1875, la troisième république craint la menace allemande et envisage la reconquête de l'Alsace-Lorraine. Confrontée à une situation de faible natalité, il ne lui reste que le recours à des lois combinant le retour au droit du sol, associé à l'exigence de service militaire obligatoire pour renforcer ses effectifs. Les 3 départements d'Algérie représentent alors un réservoir idéal pour atteindre ses buts. Le décret Crémieux de 1870 avait commencé en naturalisant en bloc tous les juifs indigènes d'Algérie.

Ces nouveaux Français volontaires ne diffèrent en aucune manière de ceux qui précédemment pouvaient se dire de souche. Leur réelle motivation patriotique reste indiscutable.

Dans le département d'Oran la plupart des nouveaux Français ayant profité de la loi du 26 juin 1889 (JO du 28 .06.1889) descendaient de Parents espagnols poussés à s'expatrier en raison des crises économiques ou politiques, comme Francisco Casquel le grand père d'Antoine,

Parmi les Français dits de souche on comptait les descendants d'opposants politiques à la monarchie ou l'Empire. Il y avait également les socialistes de la commune de Paris après 1870, et les Alsaciens fuyant l'occupation Prussienne.

A l'inverse du soldat inconnu, puisse Antoine Martinez le disparu maintenant connu, participer à la reconnaissance des 53 000 autres disparus de 1914-1918, ainsi qu'aux 22 000 Français d'Algérie morts pour la France comme lui, mais privés du devoir de mémoire après la disparition de leurs monuments aux morts portant leurs noms.

Tous ceux de 1914-18 qui reposent dans des tombes anonymes, ceux dont les noms ont été effacés de leurs monuments, ajoutés aux 20 000 Français d'Algérie de la génération suivante morts pour libérer la France de 1940 à 1945, tous ces hommes ne pouvaient imaginer la désolante ingratitude que l'on manifesterait envers leurs sacrifices.
Ces peintres en bâtiment, jardiniers, petits agriculteurs ouvriers, commerçants ou fonctionnaires pouvaient-ils envisager que 50 ans plus tard leurs descendants méprisés seraient alors affublés du révoltant adjectif de colonialistes ?


D'après le diaporama de Claude Jacquemay avec son aimable autorisation. Merci aussi à Gérard Crespo.
Pour voir le diaporamas dans son intégralité :

http://www.mekerra.fr/pages/arts/index-diaporamas-jacquemay.html

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Mis en ligne le 31 mars 2013

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