Les transportés de 1848 - Leurs professions (Voir tableau)

Ces transportés se recrutent en très grande majorité, 74%, parmi les artisans, les ouvriers, les manœuvres du secteur secondaire (340 sur 459 professions déclarées). Le secteur tertiaire, commerçants, employés de commerce, de maison, gardes mobiles et républicains, intellectuels, artistes etc. représentant 25,5% des effectifs (117 sur 459). Le secteur primaire est ultra-minoritaire avec un seul cultivateur et un journalier apprêteur de faux.

Dans le secteur industriel et de l'artisanat, les métiers du fer sont les plus nombreux avec 80 individus apparaissant comme fondeur, forgeron, mécanicien, tourneur et surtout serrurier (19) (1). Puis viennent les professions du bâtiment avec 65 personnes dont 21 maçons, 13 menuisiers, 12 peintres. Jacques Houdaille avait déjà noté qu'ils étaient moins nombreux que les "métallurgistes" chez les détenus en 1848, mais il faut nuancer cette affirmation pour les transportés de 1848 car plus de 34 d'entre eux sont déclarés comme journaliers, hommes de peine ou manœuvres sans qu'il soit précisé s'ils exercent dans le bâtiment ou les métiers du fer. De plus nous avons recensé dans des secteurs différents du bâtiment des activités qui en sont proches comme, les carriers, les terrassiers et les tailleurs de pierres (18 au total), ou les professionnels de l'ameublement, ébénistes, tourneur en bois, tabletier... (18 au total).

Les métiers des tissus, teinturiers, tisserands... (16 personnes), de l'habillement, tailleurs, chapeliers... (17 personnes), ou du cuir (30 individus, dont 22 cordonniers) représentent au total 18,5 % du secteur secondaire.

La catégorie des métiers de l'alimentation, cuisiniers, boulangers... (19 individus mais nous avons aussi inclus dans ce classement 6 fort et porteurs des halles) ainsi que de nombreuses autres activités artisanales (tonneliers, coiffeurs, perruquiers, cordier) ou de "petits métiers" dont beaucoup ont aujourd'hui disparu (fabricants de porte-crayons, peintre en porcelaine, graveur de peignes, polisseur en peignes) complètent ce tableau.

Il faudrait aussi signaler la présence de 5 transportés recensés comme bijoutiers et de 2 horlogers que nous avons classés parmi les artisans plutôt que comme commerçants.

Enfin, notons la présence de deux architectes dont Antoine Beury cité plus haut et Jean Pierre Jouanneau âgé de 20 ans qui est, comme son collègue, classé parmi les "dangereux".

Il semble difficile de tirer des enseignements quant à la répartition de ces professions de l'industrie et de l'artisanat entre repris de justice et "dangereux", constatons que sur 28 journaliers, 23 sont classés dans les repris de justice ainsi que 14 cordonniers sur 22, de même que tous les porteurs aux halles. En revanche, tous les mécaniciens et tous les cuisiniers apparaissent chez les "dangereux".

Répartition par catégories professionnelles dans le secteur secondaire des transportés de 1848
Métaux 80 23 % Mines-carrières 18 5 %
Bâtiment 65 19 % Ameublement 18 5 %
Main d'Œuvre 34 10 % Habillement 17 5 %
Cuir 30 9 % Tissus 16 5 %
Artisanat 29 9 % Papiers-Imprimerie 14 4 %
Alimentation 19 6 %

Dans le secteur tertiaire, les commerçants et les employés de commerce représentent 34% des effectifs dudit secteur. Mais l'on a souvent affaire à du petit commerce, on relève ainsi :
7 marchands des quatre saisons, 2 marchands ambulants, 2 brocanteurs, 2 marchands forains, un chiffonnier, un colporteur, un marchand de coco, un marchand d'oignons et un marchand de contremarques. Ce premier groupe étant deux fois plus important dans la catégorie des repris de justice (12) que chez les "dangereux" (6).

Restent des commissionnaires, teneurs de livres, garçons de magasin, comptable et 5 marchands de vins.

Les métiers des transports, charretiers, cochers, mariniers représentent 22 personnes, si l'on y inclut les ouvriers des ports.

Autre catégorie importante : les gardes mobiles et les gardes républicains.
Certains ne sont déclarés que comme gardes mobiles (13) ou gardes républicains (6) d'autres sont déclarés avec une double activité (7) : Pierre Magny journalier et garde mobile, Martial Cathelineau maçon et garde républicain, Claude Martin cordonnier et garde républicain, Louis Link serrurier-mécanicien et garde mobile ...
Seuls 10 d'entre eux ont déclaré comme résidence leur caserne. Ont été répertoriées les casernes des Minimes dans le 3e arrondissement, des Célestins dans le 4e, de Tournon dans le 6e, et de la Nouvelle-France dans le 10e ; puis en dehors de Paris, les casernes de Rosny, d'Aubervilliers, et de Courbevoie.

Le jeune âge des gardes mobiles qui se sont battus contre les insurgés de juin a souvent été évoqué (Jacques Houdaille, p. 164, cite en particulier Lamartine et Marx). Dans l'échantillon étudié, nous avons aussi relevé parmi les gardes mobiles et républicains faisant partie des insurgés de nombreux jeunes gens. Ils sont 9 âgés de 17 à 20 ans. Les deux plus jeunes sont Alexandre Miller, 17 ans, né à Charonne et incorporé à la caserne de Rosny et Nicolas Rivière 18 ans, originaire de la Charité-sur-Loire dans la Nièvre et incorporé à la caserne d'Aubervilliers.

Ils ne sont que deux quadragénaires : Hippolyte Lermigeaux, 47 ans, capitaine de la garde républicaine que nous avons déjà évoqué parmi les meneurs de l'insurrection et Christophe Dieudonné, 45 ans originaire de la Meurthe, classé à Belle-Île parmi les repris de justice pour avoir été condamné, le 13 janvier 1848, à un an de prison par défaut par le tribunal de Paris. La moyenne d'âge des gardes mobiles et des gardes républicains faisant partie des transportés de 1848 s'établit à de plus de 27 ans. Cette moyenne ne tient pas compte de deux gardiens de Paris : Jean François Dalongeville, originaire de Vraucourt dans le Pas-de-Calais âgé de 51 et Joseph Napoléon Cuisnier, un Parisien de 34 ans, qui a déjà subi une condamnation de 3 ans pour vol et qui est donc classé parmi les repris de justice.
De même cette moyenne d'âge ne tient pas compte de deux transportés déjà cités : Victor Kollmann, 20 ans et Jean-Marie Hugelmann 19 ans, respectivement ex-sous-lieutenant et ex-lieutenant de la garde mobile.
Pour compléter ce paragraphe notons que les gardes mobiles et les gardes républicains sont répartis dans le classement de Belle-Ile entre 19 "dangereux" et 9 repris de justice.

Ont également été répertoriés dans cette catégorie armée/police : les "dangereux" Pierre Becker lieutenant-colonel de la légion italienne déjà cité et Jean Auguste Pion, 24 ans, un ancien militaire né à Paris ainsi que le repris de justice Marie Félix Marmet, 29 ans, originaire de Noyon dans l'Oise, soldat au 18e régiment.

Enfin, dernière catégorie appartenant au secteur tertiaire : les professions libérales et les étudiants qui ne forment qu'une petite minorité. On y recense un avocat, Jules Peyront déjà cité, un étudiant en médecine de 23 ans, Charles Costin, originaire de Saint-Lô dans la Manche et un étudiant en droit Jean Massé, né à Sainte-Foy-la-Grande en Gironde et âgé de 25 ans. Tous trois ont été classés dans les "dangereux".

1. Lire à ce sujet l'analyse de J. HOUDAILLE, op. cit. p. 169 : "On ne s'attendait guère à trouver tant de métallurgistes parmi les détenus. .. Une autre explication serait que les ouvriers des ateliers nationaux avaient été employés à des travaux de terrassement. Pour éviter d'y retourner, ils déclarèrent des professions plus spécialisées. Il se peut aussi que les métallurgistes aient déjà constitué une élite dans les classes laborieuses et qu'ils aient été plus enclins à la révolte que les ouvriers moins qualifiés."

Nous avons déjà évoqué le cas des "intellectuels" considérés comme les meneurs de la révolte et également classés parmi les "dangereux" : Louis Riquier, Émile Thuillier, Jean Terson, Gabriel Pelin, Jean Marie Hugelmann et Louis Pujol. Il faudrait leur joindre un autre meneur classé, lui, parmi les repris de justice : Donat Lucien Pelletier de Lorgues, 31 ans, ancien commissaire de Ledru-Rollin, condamné à un an pour vol et présenté comme un "cerveau fêlé, rêvant le règne du socialisme et le niveau égalitaire."

http://criminocorpus.revues.org/153



Mis en ligne le 26 fev 2011
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