Vers les "bagnes d'Afrique" ?

Le transport vers l'Algérie est assuré par deux frégates à roues le Gomer et l'Asmodée. Les instructions au capitaine Paris et au capitaine Fourteu-Nauton commandant respectivement le Gomer, et l'Asmodée, insistent particulièrement sur la surveillance à apporter aux transportés ainsi que sur la conduite à tenir à leur égard :
"Les passagers qui vous sont confiés doivent être soumis par la nature de leurs antécédents à une surveillance aussi constante que sévère. Vous organiserez à votre bord à l'aide du détachement de gendarmerie mobile & et des hommes les plus résolus de votre équipage une garde armée qui veillera nuit et jour sur le pont et dans l'intérieur de la frégate..."
"... s'ils manifestaient l'intention de se révolter vous n'hésiteriez pas à user des moyens les plus extrêmes de coercition, si comme j'aime à l'espérer les passagers se montrent soumis & résignés, il serait inopportun de montrer de la rigueur..." (1)

Les "transportés de Juin" sont 462 répartis entre 225 "dangereux", 234 repris de justice et 3 non classés. Leurs origines, domiciles, âge, professions etc. y sont largement présentés et analysés, en revanche, leur vie en Algérie et leur devenir individuel respectif n'y sont pas traités. Cette étude reste à écrire.

Néanmoins nous avons quelques données quant à leur embarquement et leur transport vers l'Algérie que l'on peut suivre à travers le Moniteur.

" Moniteur du 2 février 1850 : "De Nantes, le 30 janvier. [...] Un détachement de la Gendarmerie est partie hier pour Belle-Ile sur un bateau à vapeur spécial pour servir d'escorte aux transportés de juin en Algérie. Ce détachement les accompagnera jusqu'à Rochefort seulement d'où un bâtiment de l'État les accompagnera à leur dernière destination."
" Moniteur du 25 février : "De Cherbourg, le 21 février 1850." [...] "Les frégates à vapeur le Gomer, capitaine Paris et l'Asmodée, capitaine Fourteu-Nauton, sont parties de Cherbourg et de Brest pour conduire en Algérie, les transportés de juin 1848, lesquels seront détenus à la Casbah de Bône." [...] "Le Gomer a emporté 55 insurgés qui se trouvaient encore au fort Homet, de sorte qu'il ne reste plus aujourd'hui à Cherbourg un seul transporté."
" Moniteur du 26 février : "Le gouvernement vient d'ordonner la mise en liberté des insurgés de juin 1848, déclarés libérables par M. le Président de la République, et encore détenus dans les pontons de Brest et de Cherbourg. Par suite de cette mesure les travaux de la commission des mises en liberté instituée le 13 novembre 1848, se trouvent terminés. Le gouvernement se plaît à reconnaître que les membres de cette commission ont dignement accompli la haute et délicate mission qui leur avait été confiée."
Moniteur du 18 mars : "Les arrivées de transportés ont commencé le 3 mars. 224 ont débarqué à Bône venant de Belle-Ile. On les a placés à la Casbah... Deux jours après, un autre convoi de 200 individus est arrivé... La seule manifestation politique à laquelle se soient livrés les déportés, a consisté dans le cri de 'Vive la République démocratique et sociale', crié par 5 ou 6 d'entre eux." (2)

Selon Marcel Emerit, ces transportés seraient restés deux ans à la casbah de Bône avant de rejoindre Lambessa :
"Lorsque les victimes du Deux Décembre arrivèrent à Bône, il fallut leur faire de la place. Vers la fin de mars de 1852, les déportés de juin furent acheminés vers Lambèse..." (3)

La publication officielle intitulée, Tableau des établissements français de l'Algérie, confirme qu'à cette date :
"l'établissement de Lambessa affecté aux transportés de Juin", n'est toujours pas prêt. "...les travaux n'ont commencé que depuis le mois de mars 1851... Au 1er juillet, presque tous les bâtiments qui forment l'ensemble de ce vaste établissement étaient fondés..." [...]
"L'on fonde actuellement le grand bâtiment de la détention qui doit contenir plus de 600 cellules et qui aura trois étages voûtés..." [...]
"... il y a lieu d'espérer que tout l'établissement sera achevé à la fin de cette année." (4)

Marcel Emerit précise que parmi les "transportés de Juin" :
"59 sont morts, 40 ont été transportés à Cayenne ; 12 se sont évadés ; 268 graciés sont aussitôt rentrés en France ; enfin 19 sont classés dans la catégorie diverse. Il resterait donc à cette époque 61 déportés en Algérie, dont 28 détenus à Lambèse. J'en déduis que 38 vivaient en résidence surveillée dans les villages de la colonisation."

Nous n'avons pas de précisions à apporter à propos ces chiffres, à l'exception de ceux qui ont été envoyés à Cayenne et qui sont au nombre de 30. Les circonstances de leur transfert à Cayenne seront évoquées dans un prochain article destiné au site Criminiocorpus et en cours de rédaction qui traitera de l'utilisation d'une législation d'exception pour transporter les politiques sous le second Empire en prenant pour exemple la transportation politique en Guyane.
Néanmoins, il nous a paru intéressant de mettre à la disposition des lecteurs la liste des "transportés de 1848" originairement envoyés en Algérie et qui ont été transférés à la Guyane, liste reconstituée à partir de la série H du Centre des Archives d'Outre-Mer (5).

Le premier insurgé de Juin transporté en Guyane, Jean Chautard (matricule 170) , arrive sur la Fortune du 5 septembre 1852. Puis 24 autres suivent sur le convoi de l'Allier du 7 juin 1853 :

François Barillon : matricule 180 Jules Lebrun (237)
Nicolas Barthélémy (181) Clément Longuépée (239)
Charles Bivors (187) Adolphe Malerbe (240)
Jean Blois (188) Eugène Matruchot (241)
François Capuran (198) Louis Milsan (246)
Alphonse Chevalier (204) Pierre Naudin (248)
Léon Deroin (215) Hippolyte Louis Paon (249)
Jean Duboc (217) Charles Prunier (254)
Jean-Baptiste Dunaud (218) Pierre Raimond (257)
Auguste Faivre (219) Théodore Tassilier (267)
Louis Garet (226) Joseph Tricot (268)
Ignace Haffin (232) Étienne Paul (270)

1. A.N., série Marine, BB 4 669, op. cit.
2. Moniteur, du 2 février 1850, p. 370 ; Moniteur, du 25 février 1850, p. 667 ; Moniteur, du 26 février 1850, p. 673 ; Moniteur, du 18 mars 1850, p. 913.
3. Marcel Emerit, “Les déportés de 1848”, Revue de la Société d’études de la Révolution de 1848., 1948, tome 39, Bulletin n° 181, pp. 1 à 9
4. Tableau des établissements français de l’Algérie 1846-1849, p. 220. Ces bâtiments sont à l’origine de la prison centrale de Lambèse.
5. Nous avons plus particulièrement utilisé les registres C.A.O.M. H 2373 et H 2374, de la série colonies

Les suivants arrivent sur la Fortune du 23 juillet 1853 : Joseph Cagnac (282), Antoine Lafrance (283) et Charles Levacher (284).
Puis sont transférés sur l'Adour du 7 mai 1857 : Jean-François Tricot (matricule 330) et Paul Maillard (matricule 332).

http://criminocorpus.revues.org/153



Mis en ligne le 26 fev 2011
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