Qu'il est réconfortant d'entendre des historiens de renom s'opposer à une instrumentalisation de l'histoire. Surtout lorsqu'il s'agit de spécialistes en la matière.
Ainsi donc, tenter de faire prendre conscience à une opinion publique décérébrée par cinquante ans de mensonges par omission, qu'elle doit à ces éminents professionnels de l'histoire ; reconnaître que cette journée du 5 juillet 1962 à Oran fit de 800 à 900 morts ou disparus (mais saura-t-on un jour le nombre réel ?) ce serait donc faire preuve d'une " vision partielle " de l'histoire.
Une pléiade d'historiens " spécialistes de la guerre d'Algérie ", s'insurgent de la pétition pour la reconnaissance des massacres du 5 juillet 1962 à Oran. (1)
Nous répondrons ci-dessous (en bleu) à leurs arguments au fil du texte ; parce que l'art d'inverser les rôles est maitrisé avec un culot assez renversant. Ceux qui nous ont rangés dans les placards de l'histoire, viennent présentement, donner des leçons d'équité, de justice et de vérité. C'est habile mais ça ne trompe personne. Ou alors la grâce les a enfin touchés ! Ne pas instrumentaliser les massacres du 5 Juillet 1962 à Oran Le cinéaste documentariste Jean-Pierre Lledo a lancé le 5 novembre 2013 sur le site du Huffington Post une pétition internationale intitulée " 5 Juillet 1962 à Oran, Algérie " (2), fondée sur une vision partielle des événements survenus à Oran le jour où était célébrée l'indépendance de l'Algérie, qui instrumentalise les massacres d'Européens perpétrés alors dans cette ville.
Les massacres d'Européens du 5 juillet à Oran ne doivent faire l'objet d'aucun déni. Il apparaît que les deux États n'ont pas communiqué aux familles des disparus toutes les informations qu'ils avaient pu réunir sur leur sort tragique et qu'elles étaient en droit d'attendre. Ces crimes méritent d'être encore davantage étudiés et reconnus.
Le film Algérie 1962. L'été où ma famille a disparu, par exemple, relatant l'enquête honnête et scrupuleuse que la documentariste Hélène Cohen a menée sur la disparition tragique de cinq membres de sa famille à Oran ou dans ses environs, mérite d'être davantage diffusé. Mais, en ce qui concerne les auteurs des ces crimes, tout en n'écartant l'examen d'aucune responsabilité, y compris au sein du FLN d'Oran ou de l'ALN des frontières, il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d'anarchie, de parcellisation extrême ou de vacance du pouvoir.
En affirmant que ces crimes sont " passés sous silence ", ce sont en réalité les importants travaux d'historiens effectués depuis vingt ans, en France et en Algérie, sur ces massacres que cet appel passe sous silence. En isolant ces enlèvements et assassinats de leur contexte, il s'interdit d'en faire une véritable approche historique.
Or en 1993, l'historien Charles-Robert Ageron, dans sa préface à l'ouvrage du général Joseph Katz, L'honneur d'un général, Oran 1962, a expliqué comment cet officier français commandant du corps d'armée d'Oran, qu'il qualifie de " courageux défenseur de la République face à la rébellion de l'OAS à Oran ", a servi la légalité en cherchant à éviter au maximum les victimes civiles parmi les Européens de la ville qui soutenaient alors majoritairement l'OAS. Il a décrit comment, durant les mois précédant l'indépendance proclamée le 5 juillet, l'OAS d'Oran, composée et commandée par des civils armés organisés en " collines ", a déployé des actions dont ont été victimes, de manière ciblée, les éléments minoritaires de la population pied-noire qualifiés par eux de " gaullistes ", " socialistes ", " communistes " et autres " traîtres ", ainsi que, de manière aveugle, les personnes de la population musulmane d'Oran.
Des quartiers où vivaient ces dernières furent l'objet de tirs de mortier ; le 6 avril, par exemple, 14 Algériens ont été tués dont quatre carbonisés dans leur véhicule. Et la spécificité de ce drame du 5 juillet à Oran qui n'a heureusement pas eu d'équivalent dans les autres villes d'Algérie ne peut se comprendre si on omet le fait que l'OAS d'Oran, en refusant l'accord de cessez-le-feu que l'OAS d'Alger avait conclu le 17 juin avec le FLN, a continué pendant deux longues semaines à tuer, à détruire et à incendier au nom d'une folle stratégie de la terre brulée.
Charles-Robert Ageron a donné le bilan publié officiellement par les autorités françaises, des victimes de ce terrorisme de l'OAS à Oran entre le 19 mars et 1er juillet 1962 : 32 morts parmi les membres des forces de l'ordre françaises, 66 morts parmi les civils européens et 410 parmi les Algériens musulmans.
Des historiens algériens tels Fouad Soufi et Saddek Benkada ont publié aussi des travaux sur ce drame. En novembre 2000, lors d'un colloque à la Sorbonne en l'honneur de Charles-Robert Ageron, Fouad Soufi a montré notamment qu'à lui seul l'attentat aveugle de l'OAS du 28 février par un véhicule piégé qui a explosé en plein cœur du plus important quartier musulman d'Oran, la Ville Nouvelle, avait fait 35 tués dont une petite fille âgée de 10 ans et 50 blessés.
Il a rappelé la véritable guerre livrée par l'OAS à l'armée française, les assassinats par elle au mois de juin de ses officiers, le lieutenant-colonel Mariot le 12 juin, du général Ginestet et le médecin-commandant Mabille, en plein hôpital, le 15 juin. Ensuite, aux alentours du 27 juin, les commandos de l'OAS ont quitté la ville sur des chalutiers et autres navires qui les ont conduits en Espagne franquiste, avec leurs armes et les centaines de millions de francs résultant de leurs hold up faciles des mois précédents.
C'est dans ces conditions que le 5 juillet des crimes odieux ont été commis contre des civils européens, dont beaucoup n'étaient pas des extrémistes, se croyaient protégés par leurs bonnes relations avec des Algériens musulmans et étaient disposés à continuer à vivre là où ils avaient toujours vécu, dans l'Algérie indépendante.
Ce n'est pas en écrivant une histoire hémiplégique qui ne s'intéresse qu'à une seule catégorie de victimes, qui occulte le rôle crucial de l'OAS et isole ces crimes sans les replacer dans la longue suite de ceux qui les ont précédés, que l'on peut écrire réellement l'histoire, ni parvenir à une véritable reconnaissance réciproque de tous les drames qui ont marqué cette guerre. Les massacres d'Européens le 5 juillet 1962 doivent assurément être reconnus et éclairés, mais attention à ne pas s'écarter du nécessaire travail historique et ni à basculer dans une instrumentalisation partisane et caricaturale de l'histoire.
(*) Je dis découvert et non pas révélé car cela sous entendrait qu'ils savaient et qu'ils ne disaient rien ; ce que je me refuse à penser de la part de ces esprits assoiffés de vérité qui nous ont démontré si souvent, qu'ils étaient éloignés d'une écriture " partisane et caricaturale de l'histoire " !
Les massacres d'Européens le 5 juillet 1962 doivent assurément être reconnus et éclairés, mais à les renvoyer, comme le fait Jean-Pierre Lledo, à une soi-disant barbarie inhérente aux Arabes, de l'Algérie d'alors à la Syrie d'aujourd'hui, on s'écarte du nécessaire travail historique et bascule dans une instrumentalisation partisane et caricaturale de l'histoire.
Les historiens: Dalila Aït-el-djoudi, Omar Carlier, Etienne Copeaux, Ali Guenoun, Mohammed Harbi, Jean-Robert Henry, James House, Gilles Manceron, Claire Mauss-Copeaux, Gilbert Meynier, Tramor Quemeneur, Alain Ruscio, Benjamin Stora.
1. http://www.huffingtonpost.fr/benjamin-stora/oran-massacres-1962_b_4302102.html?utm_hp_ref=international |
La réponse de Jean Pierre Lledo | |
Si le scrupule est ce qui différencie les historiens des idéologues, Stora et Manceron font assurément partie de la seconde catégorie. Leur dernier texte fait étalage de plusieurs formes de manipulation indignes d'historiens. Et pour m'en tenir aux seules mises en cause de ma personne, en voici de multiples preuves.
1 - " Le cinéaste documentariste Jean-Pierre Lledo a lancé le 5 novembre 2013 sur le site du Huffington Post une pétition internationale intitulée " 5 Juillet 1962 à Oran, Algérie " ". Deux mensonges dès la première phrase. J'avais pourtant donné toutes les informations dans mon billet. Il indiquait que je n'en étais qu'un des co-auteurs. Et dans le site de la pétition, également communiqué, on pouvait lire que la pétition a été écrite le 5 Juillet 2013. Ces deux mensonges ont une fonction : amalgamer une pétition émanant d'un collectif, avec mon propre article. Or l'amalgame est l'un des principaux procédés de tous les commissaires politiques de la pensée.
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ouvre enfin ses archives afin que les historiens algériens puissent commencer à faire leur travail ? Non, tous ensembles, ils préfèrent recommander.... que l'on rediffuse plus largement le film qui leur sied. A commencer par son auteur, la cinéaste Cohen elle-même (charité bien ordonnée...!). Qui parlait d'honnêteté et de scrupule ? Je note par ailleurs l'absence bien curieuse parmi les cosignataires algériens de Fouad Soufi et de Saddek Benkada, cités comme les seuls universitaires algériens à avoir communiqué sur le 5 Juillet 62. Est-ce parce que le premier a été longtemps à la direction des Archives, oranaises d'abord, nationales ensuite, et le second longtemps Maire d'Oran, postes qui auraient dû leur permettre d'accéder à des archives plus qu'intéressantes pour ce massacre d'Oran ? Leur absence s'explique-t-elle par la peur de ceux qui les ont placés à de telles responsabilités, puisque chaque Algérien sait qu'on ne peut y accéder sans l'aval du FLN, ou/et de la Sécurité militaire ? A moins que ce ne soit tout simplement la peur d'avoir à répondre de cette trahison vis-à-vis de leur propre conscience professionnelle qui consiste à s'accommoder de ce scandale qu'est l'inaccessibilité des Archives ?
3 - Ayant commencé leur réponse par deux mensonges, ces auteurs ne pouvaient finir que par une diffamation. Plus riche, j'aurais pris un avocat. Selon eux, j'expliquerais '' les massacres d'Européens le 5 juillet 1962 '' par une '' barbarie inhérente aux Arabes, de l'Algérie d'alors à la Syrie d'aujourd'hui ". Je sais qu'en France la meilleure manière de déstabiliser son adversaire est de le traiter de raciste, vu que tout le monde est devenu, dernièrement, antiraciste (quelle bonne nouvelle !). Mais la mode n'en rend pas moins délictueux les auteurs, ni moins manifeste leur volonté de nuire. Je parle, il est vrai, de ''massacres'', mais ces historiens spécialisés dans l'histoire franco algérienne, s'ils n'ont jamais cru de leur devoir d'écrire sur la journée la plus sanglante de la guerre d'Algérie, ne peuvent non plus les nier. Ils précisent même: '' crimes odieux ''. Mon texte insistait lourdement sur le fait que tenter de faire porter '' au peuple '', la responsabilité de ces massacres est une lâcheté. Tous les grands génocides ont mêlé l'organisation par le haut et la barbarie par le bas de certaines parties de la population. Et à Oran, ce 5 Juillet 1962, il en fut ainsi. Le constater serait-ce du racisme quand il s'agit de populations arabo-musulmanes ? Alors sur quoi se fonde leur jugement sans appel ? Sans doute sur le témoignage de cet ouvrier communiste arabe, ami de mon père, qui me fit le récit de cet Européen tué devant ses yeux, dans le quartier Victor Hugo, dont on avait ouvert le ventre et mangé le foie. Au moment du montage, je l'écartai pour ne conserver que les témoignages du quartier choisi, la Marine, mais ce témoignage, filmé, est toujours conservé dans mes rushes, et dans ma propre mémoire. J'avais donc toute légitimité pour le citer dans le Huff Post. Et c'est précisément pour éviter d'encourir le reproche qui m'est injustement fait par ces historiens, que je pris la précaution de le replacer dans une histoire, celle de l'islam même. Tout musulman sait en effet que pareille mésaventure arriva à l'oncle du Prophète Mohamed, Hamza b. Abdalmouttalib, et que depuis cette époque, dans des périodes de djihad, de pieux combattants, sans doute par vengeance, font subir le même sort à leurs victimes. Ce fut le cas dernièrement en Syrie, dont fut témoin le monde entier, puisque l'acte chirurgical fut filmé en direct. Ce dépeçage, doublé de cannibalisme n'a jamais cessé d'être pratiqué depuis les débuts de l'Islam, et il continue de se pratiquer, sous toutes les latitudes par toutes sortes de djihadistes. En Algérie, il y a quelques années, par les djihadistes du GIA, et encore quelques années avant par ceux de la '' guerre de libération ''. Mieux connaitre l'islam, outre que c'est un minimum quand on se spécialise dans l'histoire d'un pays musulman, aurait évité aux deux historiens de considérer que de tels faits sont des bavures ou '' des faits de délinquance pure ''. Mais aussi d'identifier Arabes et islam, (comme s'il n'y avait pas des Arabes chrétiens) et d'attribuer aux premiers une procédure qui relève du second. Enfin, de m'accuser de façon diffamatoire de '' renvoyer à une soi-disant barbarie inhérente aux Arabes '', comme ils l'écrivent ! Mensonge direct ou par omission, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages. Plutôt qu'une conception de l'histoire et une déontologie de chercheurs soucieux uniquement de vérité, ne sont-ils pas la marque d'une velléité totalitaire plus proche de celle d'un procureur à la Vychinski? |
Le Collectif à l'origine de la pétition sur les massacres d'Oran du 5 juillet 1962 explique ses motivations
Les historiens Benjamin Stora et Gilles Manceron mettent en cause notre démarche bien qu'ils n'aient jamais publié la moindre étude scientifique sur le massacre d'Oran. Leur texte est cosigné par un " contre-collectif " franco-algérien, hétérogène et sans autre légitimité. Sont cités quelques travaux relatifs à cet événement : le moins qu'on puisse dire est que ceux-ci sont restés jusqu'alors confidentiels.
Les références au livre, plaidoyer pro domo du général Katz, commandant alors la garnison française à Oran, relève de la plaisanterie. Citer la préface à ce livre de Charles Robert Ageron constitue une provocation dès lors que celui-ci évalue le nombre de victimes à quelques dizaines. Les proches des centaines de ces malheureux enlevés, égorgés, ensevelis au Petit Lac apprécieront. Expliquer exclusivement le déchaînement de violences du 5 juillet par l'action de l'OAS, les mois précédents, c'est exprimer une conception de l'histoire partiale et hémiplégique. L'an dernier, le Président François Hollande a reconnu officiellement, au nom de la France, la répression du 17 octobre 1961 contre les Algériens à Paris. L'année précédente, alors qu'il n'était que candidat à la Présidence de la République, le même François Hollande a jeté, symboliquement, une gerbe de fleurs dans la Seine, en hommage aux victimes, en compagnie de son ami Benjamin Stora. Nous ne demandons rien d'autre qu'une pareille reconnaissance, ne serait-ce que pour permettre aux familles des victimes, encore de ce monde, de pouvoir accomplir un travail de deuil, impossible à assumer depuis plus d'un demi-siècle. Ce n'est qu'à ce prix que l'on pourra enfin parler d'une " réconciliation des mémoires ". Qui parle d'honnêteté sur le massacre à Oran en 1962 ? |
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