ORAN… 5 JUILLET 1962
Chronologie d'un massacre

" Bien entendu et quoi qu'il arrive, la France protégera ses enfants dans leurs personnes et dans leurs biens "
Charles de Gaulle, le 6 janvier 1961
.

Au soir du 4 juillet, et contre les promesses faites à la France, le GPRA appelle sur Radio-Alger à de grands rassemblements pour le lendemain, 5 juillet, date de proclamation d'indépendance. Cela surprend l'ALN (" de l'extérieur ") toute puissante à Oran. Bakhti informe alors le général Katz des festivités du lendemain et l'informe que seuls les quartiers musulmans seront concernés. Rassuré, mais l'est-il vraiment, le général Katz part pour la base aérienne de la Sénia ! A Alger, le couvre-feu est fixé à 16 h. 30 par le tout nouveau préfet d'Alger, Hocine Tayebi, afin de dissuader les Européens de sortir dans la rue et d'être pris a partie. A Oran, le préfet nommé par Bakhti, Lahouari Souiah, ne prend aucune mesure en ce sens, pas plus que le général Katz.

Dès 8 heures du matin, ce 5 juillet, dans les quartiers musulmans de Medioni, Lamur et Ville-Nouvelle, des cortèges se constituent et convergent sur les 10 heures par les boulevards Andrieu et Marechal- Joffre, par les boulevards Paul-Doumer et Sébastopol vers la Place Foch en plein quartier européen. Un autre cortège partant du quartier Lamll descend le boulevard Giraud et se positionne près de la gare de chemin de fer, puis une partie du cortège poursuit son chemin par le boulevard Magenta afin de rattraper le cortège du boulevard Sébastopol ou de se rendre directement Place Foch par le boulevard Clemenceau.

A 11 heures, une foule immense occupe la Place d'Armes (Place Foch) et les boulevards qui y mènent. Les archives notent qu'il n'y a pas un service d'ordre suffisant pour une telle manifestation mais que de nombreux civils musulmans sont en armes. Il n'y a pas davantage de service d'ordre français ! Dans, l'attente et une certaine effervescence - pourquoi les Musulmans sont-ils descendus vers la Place d'Armes ? Pour assister au défilé militaire de la victoire non prévu ? Pour y écouter le discours d'un dirigeant de l'ALN tout aussi imprévu ? Pour montrer aux Européens qu'une page est désormais tournée ? On ne sait pas - des coups de feu éclatent, puis une fusillade, semant la panique : c'est l'OAS devient la rumeur qui enflamme la foule. " Des musulmans en armes dans des voitures Aronde commencent alors à tirer sur des Européens qui s'immobilisent et qui sont rapidement pris à partie par une foule d'hommes et de femmes armés de couteaux et de gourdins encadrés par un élément de l'ALN (en tenue léopard) et de la force de l'ordre (en tenue kakie) (1) ".
Qui a tiré ? Sur le moment, nul ne le sait et on s'est beaucoup perdu en conjonctures. Dans " le Monde " du 12 avril 1972, Thierry Godechot, secrétaire privé du général Katz livre son analyse : " L'origine de la fusillade est difficile à établir. L'OAS ? " Il n'y avait plus de commando depuis une semaine. Un Européen enragé par le spectacle des Arabes triomphants ? Folie incompréhensible. Une provocation des Algériens eux-mêmes, désireux de se venger de ce qu'ils ont subi depuis des mois ? La chose n'est pas impossible. En tous cas, le général Katz a rétabli l'ordre dès qu'il l'a voulu, c'est-à-dire a 17 heures ".
Le déroulé que nous proposons se base sur l'examen des JMO(2) des différentes compagnies sur place et sur l'ensemble des télégrammes qui parvenaient a la salle d'Operations du XXIVeme corps d'Armée à Oran (nom de code Petunia) .

- 11 h. 20, des coups de feu éclatent boulevard Joffre et boulevard Clémenceau provoquant un mouvement de panique parmi les Européens dont quelques-uns se refugient dans le lycée Lamoricière. Le bureau de poste d'Oran-Joffre (48 bd Joffre) demande par télex si l'armée ne pourrait pas intervenir. Le personnel est enfermé dans le bureau et demande une escorte militaire.
- 11 h. 30, des coups de feu éclatent près du cinéma Rex et rue de la Bastille ou des Français sont enlevés par des groupes organises de musulmans.
- 12 h., Square Garbey contrôlé par ALN, coups de feu.
- 12 h., Bd Paul-Doumer, FSE lynché et récupéré par forces de l'ordre. Décédé suite blessures (provenance 2eme Zouaves).
- 12 h. 05, Coups de feu, rue Thiers
- 12 h. 10, incendie rue Sidi Lahouari
- 12 h. 10, vives fusillades quartier Bugeaud (provenance 10m BCP (3))
- 12 h. 15, nombreux coups de feu dans ravin Raz-el-Ain, population se replie vive allure vers Planteurs (provenance 10eme BCP)
- 12 h. 15, Commandant GAOR (général Katz) a SS (sous-section)
Nord, SS Nord-Ouest, SS Nord-Est, SS Est, SS Sud, SS Ouest, SS Centre.
Primo : rappelle consigne rigoureuse des troupes. Secundo : Troupes restent consignées sauf s'il est attente a vie des Européens. Dans ce cas prendre contact avec le secteur avant d'agir. Fin.
- 12 h. 18, bagarre entre force ALN et ATO, bd Joffre a hauteur bd Andrieu (provenance nom de code " Plafond ", 2eme Zouaves).
- 12 h. 20, coups de feu quartier Saint-Pierre et fusillade cite Lescure. Panique FSE.
- 12 h. 50, graves incidents en ville européenne puis Place Garguentah entre FSE et FSNA. Le feu a été ouvert, nombreuses victimes. Portes habitations européennes enfoncées par FSNA, bd Sébastopol.
(provenance gendarmerie Oran). Coups de feu provenant de la Mairie en direction de l'Opéra. Riposte des éléments de l'Opéra (provenance 4eme Zouaves).
- 13 h., 100 Européens enlevés place Hoche par ALN amenés vers ville nouvelle. Européens auraient tiré depuis terrasses sur manifestation ALN (provenance 2B-CAO).
- 13 h. 15, Intervention près gare Oran dégagement de civils FSE pris sous le feu de tireurs musulmans (provenance 8eme RIMA).
- 13 h. 20, Familles européennes habitant quartier cinéma Rex amenées par force locale vers ville nouvelle (provenance OC 6, Place Foch).
- 13 h. 45, contact sur transit de Radio Oran qui demande secours urgent : bandes incontrôlées tuent femmes et anéantissent (sic) (provenance 10eme BCP). La quasi totalité du personnel de la gare abandonne le travail suite à coups de feu. Paralysie totale de la gare. Les trains s'arrêtent à Orléansville (provenance Chef de gare Oran).
- 14 h., employés civils P et T. en danger, employés civils Palais de justice en danger, Commandant des Sapeurs Pompiers parmi eux. Familles européennes haut bd Joffre emmenées vers ville Nouvelle. Patrouilles FLN contrôlent Européens rue Philippe. Plusieurs sont arrêtés (provenance gendarmerie mobile Oran).
- 14 h. 16, Eléments du 8eme RIMA de la gare d'Oran se portent au secours d'Européens occupants voitures, carrefour rue Hyppolite Giraud et rue Sidi Ferruch. FSE harcelés par tirs provenant 300 mètres ouest carrefour. FSE blesses bd Marceau. Un peloton 9/6 Bis se rend sur les lieux (provenance 8eme RIMA).
- 14 h. 23, signale tireur FSE ouvre le feu a partir d'un toit dans quartier Saint-Pierre en bordure rue General-Leclerc (provenance " Adorer ", 8eme RIMA).
- 14 h. 47, Musulmans tirent sur tous les FSE aux environs Gare (provenance 8eme RIMA).
- 14 h. 50, en raison multiplication tentative enlèvements FSE région quartier Delmonte limite quartier musulman, fais intervenir une compagnie pour action surveillance et patrouilles (provenance 67 RI).
- 15 h. 05, éléments force locale et ALN pillent immeubles européens avenue Tlemcen (provenance 3/43eme RI).
- 15 h. 10, sommes obliges accroitre notre périmètre de sécurité dans gare d'Oran (provenance 8eme RIMA).
- 16 h. 15, ambiance particulièrement tendue quartiers Eckmühl, Choupot, Terrade, Brunie. Villas pillées. Rond-point Jules-Ferry (Brunie), Européens enlevés.
- 16 h. 15, haut parleur musulman décrète couvre feu Bd Front de Mer. Demande confirmation, nombreux refugies FSE en gare d'Oran (provenance nom de code " Adorer " 8eme RIMA).
- 16 h. 50, barrage FLN carrefour avenue Sidi Chami - Bd de Lattre, 70 FSE arrêtés et conduits dans local proche ou ils subissent sévices (provenance 67 RA).
- 17 h., une vingtaine d'Européens sont lapidés au Petit-Lac.
- 18h. 50, le consul général de Suisse a Alger, M. Studes et celui d'Oran, M. Gehrig demandent instamment protection FSE et colonie suisse, notamment 17 rue de Parmentier, quartier Saint-Michel (provenance Cie gendarmerie d'Oran).
- 19 h. 10, 50 Européens, certains fortement malmenés pris cet après midi a Oran détenus par FLN cité Gai Logis sont en danger grave. Information par civil DCAN, par connaissance intime d'un musulman.
- 21 h. 20, Vous rend compte affolement personnel DCAN B 14. Le personnel ayant subi nombreux sévices corporels par musulmans en uniforme dans locaux commissariat central.

Il faut attendre 18 heures 45 pour que le général Katz demande aux gendarmes mobiles de patrouiller uniquement dans les quartiers européens (4).
Trois heures auparavant, il avait ordonne que les blindes des escadrons de gendarmerie mobile se positionnent a l'extérieur de leur cantonnement !

Il est évident que le général Katz sait très tôt ce qui se passe et il peut en suivre le déroulé mais il a des ordres de non-intervention et comme le dit le colonel Croguennec, alors capitaine du 2eme Zouaves, " il exécute les ordres de Paris sans chercher a comprendre, tel le caporal moyen obnubilé par la dure guerre arabe OAS. Hélas, il n'était pas caporal, il aurait pu réagir plus tôt et plus vite. LOAS n'était plus là (5)".
Les militaires, qui inondent son bureau de rapports dès le soir même du 5 juillet, et bien entendu dans les jours qui suivent, lui donnent une idée relativement précise de la situation.

Si tous les rapports soulignent la volonté de groupes de Musulmans armés d'arrêter les Européens, aucun ne mentionne que l'origine des fusillades est à mettre au crédit d'Européens de l'OAS. Le capitaine Perret, commandant la compagnie du Génie 1/3/1, rend compte en revanche des problèmes qu'a connus la section des sapeurs-pompiers de la rue Dutertre, appelée à 10 heures le 5 juillet à secourir des femmes européennes accidentellement enfermées dans un logement situé près de l'Opéra (très proche de la Place Foch). Aussitôt, alors que la ville est calme, une équipe de 2 pompiers civils et 4 sapeurs de la compagnie se déplace vers l'Opéra. Arrivée près de l'Opéra, l'équipe est arrêtée par le bruit d'une fusillade et se réfugie dans le couloir d'une habitation. Le calme étant revenu, l'équipe regagne son véhicule et décide de retourner a la caserne. Arrives Place Sébastopol, les pompiers sont interceptes par des militaires de l'ALN et des civils musulmans armes qui les alignent contre un mur, les frappent a coups de crosse les accusant formellement d`avoir tué des Musulmans et d'avoir provoqué des attentats au plastic. Le sergent Ricard qui commande l'équipe explique le pourquoi de leur présence et réussi à calmer les musulmans qui les entourent. Encadrée par ces derniers, l'équipe est ramenée au commissariat central avant d'être relâchée vers 14h 30 et ramenée sous escorte à la caserne...
Jean Jacques Jordi - " Un silence d'état" éditions SOTECA p 76 à 80


Ndlr : FSE : Français de Souche Européenne.
FSNA : Français de Souche Nord Africaine

l. SHD 1 H 2584/2.
2. Journaux de marche et d'opérations. En ce qui concerne les " évènements d'Oran ", on verra aussi SHD 1 H 211/4, SHD 1 H 3041/1, SHD 3136/2, SHD 3152/1-2, SHD 1 H 3152/1-2, SHD 1 H 3208/3
3. Bataillon de Chasseurs Portés.
4. Les interventions des soldats du 2eme Zouaves, du 8eme RIMA et du 5eme RI ne résultent pas d`un ordre donné par le général Katz mais sont le fruit d'initiatives personnelles !
5. Selon la lettre manuscrite et signée du colonel Croguenec à Genevieve de Ternant, selon le témoignage de Serge Lentz, " Paris-Match ", n° 692, 14 jiuillet 1962 et selon SHD 1 H 1791/1-4

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Mis en ligne le 05 juillet 2012

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