Omer
Quelques jours après l'élévation d'Omer, Alger apprit que Napoléon, quittant l'île d'Elbe, était remonté sur le trône. Le 30 mai, la gabarre l'Égérie venait en apporter l'avis officiel au Gouvernement de la Régence ; elle avait à son bord M. Dubois-Thainville, nommé pour la deuxième fois Consul Général ; mais, tout en recevant avec les honneurs accoutumés le navire français, le Dey se refusa à admettre le nouveau fonctionnaire, jusqu'à ce qu'il lui eut donné une réponse catégorique au sujet de la créance Bakri. Il fallut demander en France de nouveaux ordres, qui n'arrivèrent jamais ; car l'abdication de l'Empereur entraîna le remplacement de Dubois-Thainville par Deval, qui, n'ayant aucun engagement antérieur, ne fut pas tourmenté à ce sujet, quand il prit possession de sa charge. Les événements qui venaient de procurer la paix à l'Europe devaient fatalement amener la chute de l'Odjeac, qui n'avait dû sa longue existence qu'à l'appui qu'il avait trouvé, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre des nations rivales. Au congrès de Vienne, les puissances s'accordèrent en principe sur la destruction de la piraterie et sur le châtiment à infliger aux États Barbaresques.

Guerre avec les États-Unis d'Amérique
Déjà, pour venger les offenses reçues en 1812, les États-Unis venaient d'envoyer dans la Méditerranée une division navale, sous les ordres du commodore Decatur ; il devait exiger des excuses, la restitution des prisonniers, et l'abolition du tribut annuel et du droit de visite. Le 17 juin 1815, en vue du cap de Gate, il rencontra le Reïs Hamidou, monté sur une frégate de 46 canons, qui fut prise après un combat assez vif, dans lequel l'amiral d'Alger trouva la mort. Le 19, les Américains s'emparèrent d'un brick de 22 canons, et vinrent mouiller dans la rade avec leurs deux captures, le 24 juin ; l'effroi et la douleur régnèrent dans la ville, où on s'était habitué à considérer Hamidou comme invincible. Après quelques jours de discussion, le traité fut signé le 7 juillet.
En même temps, une division de six frégates hollandaises, chargée d'obtenir de semblables conditions, mettait le blocus devant Alger, et la flotte anglaise y paraissait sous le commandement de l'amiral Lord Exmouth; un traité en faveur de la Sardaigne et de la Sicile fut conclu par les soins de ce dernier, qui fit encore reconnaître à la Régence le protectorat de la Grande-Bretagne sur les îles Ioniennes. Le 15 mai 1816, il revint, déclara, au nom de toutes les puissances de l'Europe, l'abolition de l'esclavage, et somma le Dey de se conformer à cette décision. Cette notification fut accueillie avec un extrême étonnement, et irrita tout le monde ; les Algériens se demandaient de quel droit les Chrétiens voulaient les forcer à détruire une institution consacrée chez eux par la coutume et par la religion elle-même ; Omer refusa d'entendre plus longtemps Lord Exmouth, répondant qu'il trouvait très extraordinaire qu'aucun des consuls ne lui eût encore transmis cette proposition, s'il était vrai qu'il y eût consentement unanime des nations. La populace s'ameuta et insulta l'amiral à la sortie du Divan ; deux capitaines anglais furent arrêtés, ainsi que le consul Mac-Donell, dont la maison fut pillée et la famille maltraitée. Personne ne doutait qu'il ne fût tiré une vengeance immédiate de ces outrages, et les consuls s'occupaient déjà de mettre leurs femmes et leurs enfants à l'abri des bombes, lorsque, à la grande stupéfaction de tous, la flotte appareilla le 22 ; le Dey avait mis toutes les batteries en bon état de défense, et envoyé l'ordre au Bey de Constantine de détruire les Concessions et de s'emparer de leur personnel. Le féroce Tchakeur pilla et brûla les Établissements ; deux cents personnes furent tuées ou blessées ; huit cents autres furent emmenées en esclavage. Comme d'habitude, une révolte des tribus suivit cette exécution ; les Oulad bou Rennan et les Beni-Adjab infligèrent au Bey une sanglante défaite.

Expédition de Lord Exmouth


En Angleterre, l'opinion publique s'était émue, et reprochait à l'amiral de n'avoir pas montré assez de vigueur. De nouveaux ordres lui furent envoyés, et, après avoir fait sa jonction avec la division hollandaise commandée par M. Van Capellen, qui, dès le 3 juin, était venu lancer quelques boulets sur Alger, il parut dans la rade le 27 août, avec trente-deux vaisseaux de guerre(1).
Toutes les dispositions avaient été prises pour le recevoir énergiquement ; les Beys de l'intérieur étaient accourus à la tête de leurs contingents, et le Dey avait établi son quartier général dans la batterie du phare. Le consul de France, auquel il témoignait beaucoup d'amitié, avait cherché à lui persuader de faire la paix, représentant que les temps étaient changés, et que l'Europe unie ne tolérerait plus que l'Odjeac rançonnât les petites puissances : " Alors, que veux-tu que je fasse, de ma Milice ? répondit Omer. Avec quoi la nourrirai-je ? Comment faire pour la contenir ? " En fait, il subissait, comme tous ses prédécesseurs, l'inexorable fatalité qui le contraignait, bon gré, malgré, à un état de guerre permanent.
Vers neuf heures du matin, Lord Exmouth détacha un canot qui arborait le drapeau blanc, et le fit remorquer par le Severn. L'officier qui montait cette embarcation portait une missive, dans laquelle une solution immédiate était exigée ; comme il était facile de s'y attendre, le Dey ne put pas donner une réponse catégorique, et, à deux heures et demie, le parlementaire sortait du port, en signalant l'insuccès de sa démarche. Pendant ce temps, la flotte, profitant d'un léger vent du nord, s'était approchée à moins d'un mille de la ville et avait mis en panne, en sorte qu'au premier avertissement donné par le canot, chaque navire fut mouillé en quelques instants à sa place de bataille. L'Amiral, qui faisait flotter son pavillon sur le vaisseau à trois ponts The Queen Charlotte, avait pris son poste de combat à l'entrée même du port, en sorte qu'il enfilait le môle dans toute sa longueur. Devant cette attitude hostile, la batterie de l'îlot tira trois coups de canon à courts intervalles ; au premier. Lord Exmouth fît le signal : Êtes vous parés ? et au second, celui : " Feu partout ! " Le troisième coup se confondit avec la bordée delà flotte entière. Envoyée à un quart de portée, elle jeta dès la première minute un terrible désordre dans les batteries supérieures du Fanal et dans celles du môle. Sur quarante-deux canonnières, qui se trouvaient groupées dans le port, trente-trois furent coulées en quelques instants par le Leander, avant d'avoir pu prendre leurs dispositions pour la défense ; car personne à Alger ne croyait à une attaque de ce genre ; ce sentiment était tellement général, qu'une grande partie de la population était descendue sur la jetée pour voir les vaisseaux anglais ; les premières bordées de l'amiral tuèrent un grand nombre de ces curieux inoffensifs. Les forts et le front de mer de la place étaient armés d'environ cinq cents bouches à feu de tout modèle et de tout calibre ; mais beaucoup de ces pièces se trouvaient depuis longtemps hors d'usage, et l'on en voyait quelques-unes qui dataient du temps de Kheïr-ed-Din. Aussitôt remis de la première surprise, les Turcs ripostèrent bravement, et la canonnade devint épouvantable de part et d'autre ; mais le premier feu avait assuré le succès aux assaillants, dont la mitraille avait balayé les batteries hautes et le môle, qui durent se taire au bout d'une demi-heure. A cinq heures, il y eut une légère interruption, et le combat recommença ensuite jusqu'à minuit environ. Deux frégates algériennes, incendiées par l'ennemi, vinrent à la dérive, et forcèrent les assaillants à s'éloigner, en faisant office de brûlots ; quelques canonnières flambaient dans le port, ainsi que plusieurs maisons dans la ville ; un orage, qui venait d'éclater, ajoutait à l'horreur du spectacle. Les Turcs avaient perdu cinq cents hommes, et la plupart des ouvrages de défense étaient bouleversés ; presque toutes les habitations avaient été plus ou moins atteintes ; beaucoup d'habitants étaient tués ou blessés. L'escadre alliée comptait huit cent quatre-vingt-trois hommes morts ou hors de combat, une bombarde coulée et de graves avaries. Elle avait tiré plus de cinquante mille boulets et neuf cent soixante obus. Les deux chefs avaient montré un égal courage ; Omer était resté dans la Tour du Fanal jusqu'à son écrasement complet, et Lord Exmouth, qui avait choisi le poste le plus dangereux, avait été atteint trois fois. Mais les vaincus se plaignirent, longtemps encore après, d'avoir été abusés par de fausses démonstrations, et ils accusèrent leurs ennemis de mauvaise foi. Ils soutenaient qu'il n'était pas permis de se servir du pavillon parlementaire pour venir prendre des positions de combat, effectuant ainsi à l'abri de tout danger une des parties les plus périlleuses de l'opération. Sans cette manœuvre, qu'ils qualifiaient de perfide, jamais l'amiral, disaient-ils, n'eut pu arriver à la place d'où il lui avait été permis d'annihiler en peu de minutes leurs plus redoutables défenses, et de détruire la flottille dont il aurait eu à craindre les attaques. Le fait est que, si les Turcs ne furent pas induits en erreur, on comprend difficilement qu'ils aient laissé les Anglais mouiller à un quart de portée de canon sans essayer de les en empêcher, et il est certain, qu'à la vue du pavillon blanc, la population montra une confiance qui lui coûta cher.
Quoiqu'il en soit, les forts étaient démantelés, les pièces bousculées sur leurs affûts brisés ; la poudre manquait, et les artilleurs étaient presque tous tués ou blessés ; il ne restait plus qu'à se soumettre ; car on ignorait à Alger que l'amiral, ayant épuisé tous ses projectiles, était hors d'état de renouveler le combat. Le 29, Omer envoya au vainqueur le consul de Suède, qui revint, accompagné du capitaine Brisbane et de Sir Charles Penrose. L'entente se fit sur les conditions suivantes :
1° l'abolition de l'esclavage ;
2° la libération de tous les esclaves chrétiens, au nombre de 1200, presque tous Italiens et Espagnols ;
3° une réparation pécuniaire d'environ 500,000 francs.
Mais, contrairement aux vœux émis à Vienne et à Aix-la-Chapelle, le Dey resta libre de faire la Course sur les petites puissances, à la seule condition de traiter les captifs comme prisonniers de guerre, et non comme esclaves. Il se prévalut de cet oubli pour réclamer immédiatement le tribut de la Toscane, de la Suède et du Danemark. Les Reïs reçurent l'ordre de courir sur les marchands de Hambourg, Brème, Lubeck et sur les navires Prussiens. Les États-Unis profitèrent habilement de la faiblesse de la Régence pour obtenir de bonnes conditions ; leur escadre se présenta dans la baie quelques jours après le départ des Anglais, et renouvela le traité conclu par le commodore Decatur.

Troubles, peste, meurtre d'Omer
Après la défaite, l'émeute ; telle était la coutume d'Alger. La Milice se révolta donc ; elle voulut piller la ville, et surtout les habitations des Juifs, victimes désignées d'avance dans les émotions populaires. Omer parvint encore cette fois à apaiser le tumulte, grâce à son sang-froid, et à l'argent qu'il fit distribuer ; mais son autorité avait reçu le coup fatal ; une croyance superstitieuse s'était répandue parmi les habitants, et on disait autour de lui " qu'il portait malheur. " Le jour du bombardement, les janissaires lui en avaient fait le reproche, et il avait très noblement répondu que, " si le sacrifice de sa vie pouvait assurer le bonheur de l'Odjeac, il était prêt à le faire. " Il y eut quelques mois d'accalmie ; la Porte avait envoyé en présent une frégate, deux corvettes, des canons, des munitions et des artilleurs ; on travailla à la réfection des remparts, et, comme les esclaves chrétiens faisaient défaut, on abolit la peine de mort pour les criminels arabes qui furent dès lors condamnés aux travaux-forcés.
La peste éclata au milieu de l'hiver et fit de grands ravages dans la ville et les environs. Cette épidémie fut mise sur le compte de la mauvaise étoile d'Omer, dont la mort parut être décidée par Dieu lui-même. Le 8 octobre, quelques jours après la rentrée du camp de l'Ouest, une bande d'assassins envahit la Jenina, et étrangla le Dey, qui ne fit aucune résistance. N'ayant pas brigué le pouvoir, qu'il n'avait accepté qu'avec répugnance, il mourut sans faiblesse, laissant le souvenir d'un des meilleurs princes qui aient jamais gouverné Alger.

Ali-Khodja
Ali-Khodja lui succéda. Il montait sur le trône avec l'intention bien arrêtée de se soustraire an joug de la Milice et de se débarrasser de cette troupe indisciplinable ; dès le premier jour de son règne, il mit ses projets à exécution. Tout d'abord, il quitta la Jenina, et vint s'enfermer dans la Casbah, qu'il avait soigneusement armée ; il y transporta inopinément le Trésor public(2), et se fit garder par une troupe de deux mille Kabyles. En même temps, il faisait emprisonner et exécuter les principaux agitateurs, excitait les Colourlis à s'armer et à se réunir autour de lui, lançait une proclamation par laquelle il apprenait aux Turcs, qu'il voulait être le maître, qu'il traiterait bien ceux qui consentiraient à obéir ; il laissait les autres libres de retourner dans le Levant, d'où il ne voulait plus, disait-il, tirer de recrues.

Abaissement de la Milice
Il fît chasser des casernes les concubines des Ioldachs, et ferma les tavernes où l'on vendait du vin contrairement aux prescriptions du Coran. Ce fut une véritable révolution. Les mécontents qui essayèrent de se soulever furent sabrés par la garde d'Ali ; d'autres s'enfuirent et trouvèrent un asile au camp de l'Est, qui s'insurgea et s'avança sur Alger à marches forcées. A cette nouvelle, Ali dépêcha des émissaires en Kabylie pour exciter les indigènes à fermer le passage des Bibans à la troupe turque ; mais celle-ci avait déjà franchi les points les plus dangereux, et ne perdit en route que quelques traînards. Elle arriva exaspérée sous les murs d'Alger le 29 novembre, et réclama à grands cris la tête du Dey ; celui-ci avait pris ses précautions ; une petite armée de six mille colourlis, bien commandée par des officiers turcs partisans d'Ali, occupait les abords de la place. Les rebelles cherchèrent un instant à négocier ; Yahia-Agha, qui avait été envoyé à leur rencontre, ne voulut rien entendre, et les somma de se rendre à merci. Le combat s'engagea ; le fort l'Empereur et le fort Bab-Azoun ouvrirent un feu terrible sur les flancs de la masse compacte des assaillants, que la garde kabyle et les colourlis chargeaient en tête. Les janissaires furent écrasés ; ils perdirent douze cents soldats et cent cinquante chefs ; les prisonniers furent empalés ou torturés ; on dit que le vainqueur en tua deux de se propre main. Le 2 décembre, les survivants implorèrent l'aman, qui leur fut donné ; beaucoup d'entre eux demandèrent à être rapatriés à Smyrne et à Constantinople, ce qui leur fut accordé sans difficultés.
A l'intérieur, la province de Constantine était en feu. Le Bey Tchakeur s'était laissé cerner par les Ouled Derradj, avait été forcé par eux de souscrire à d'humiliantes conditions, et voyait tout le monde se révolter contre lui. Soupçonné par les Puissances de connivence avec la Tunisie, il fut remplacé par Kara Mustapha, et s'efforça un moment de résister ; mais, abandonné de tous les côtés, il tomba entre les mains de son successeur, qui le fit étrangler.
Cependant Ali, qui avait célébré sa victoire par trois jours de réjouissances publiques, pendant lesquels il avait reçu les félicitations du corps consulaire, n'avait pas tardé à se laisser gagner par cette sorte de folie despotique qui fut l'apanage de presque tous les Deys. Il lançait les décrets les plus bizarres ; par crainte de la famine, il taxait le blé à un prix arbitraire, et défendait, sous peine de mort, d'en acheter au-dessus du tarif ; cette mesure amenait naturellement la disparition de la marchandise, et les ordonnances les plus contradictoires se succédaient en vain pour la rappeler. Un autre jour, il donna l'ordre de jeter à la mer toutes les filles de joie ; toutefois, il se laissa persuader de commuer ce châtiment draconien en un exil perpétuel à Cherchel.

Hussein-Khodja
Le premier mars 1818, il fut frappé de la peste, qui n'avait pas quitté Alger, et mourut, en désignant pour son successeur le Khodjet el Kheil Hussein, qui fut aussitôt proclamé sans opposition. Il ne désirait pas monter sur le trône, et ce fut son entourage qui l'y contraignit. Son premier acte fut la proclamation d'une amnistie générale, et l'annulation de la plupart des décrets de son prédécesseur. Mais, aussitôt délivrés de la crainte salutaire que leur avait inspirée Ali, les Ioldachs recommencèrent à conspirer, et le nouveau Dey n'occupait le pouvoir que depuis peu de jours, quand il fut l'objet de deux tentatives d'assassinat. A partir de ce moment, il se tint renfermé dans la Casbah, s'y faisant garder par les Zouaoua.

Troubles dans l'intérieur
L'intérieur du pays était livré à l'anarchie la plus complète ; à l'Est, les Nemeucha, l'Aurès, le Souf étaient en pleine révolte ; le Bey de Constantine Ahmed les soumit après une guerre de trois ans ; mais leur docilité ne fut pas de longue durée ; en 1823, il fallut y retourner avec un succès incertain.
L'aîné des fils de Sidi Ahmed Tedjani, Mohammed-el-Kebir, appuyé sur de nombreux serviteurs religieux, avait déclaré son indépendance, et résistait dans Aïn-Madhi ; Yahia-Agha, chargé de lui imposer l'obéissance, voulut joindre à son armée les goums des Ameraoua ; ceux-ci déclarèrent ne devoir le service militaire qu'en Kabylie seulement ; il y eut à ce sujet un conflit qui embrasa tout le pays. Les Guetchoula prirent les armes et détruisirent Bordj-Boghni. Mohammed-ou-Kassi battit Yahia devant Makouda, et se disposait à agrandir le terrain de la lutte, quand il fut traitreusement assassiné, en 1820, à Bordj-Sebaou. Ce meurtre n'était pas fait pour apaiser les troubles ; en 1823, les tribus voisines de Bougie attaquèrent les Turcs ; les Béni Abbes occupèrent les Bibans, que Ben-Kanoun eut beaucoup de peine à leur faire abandonner ; il leur brûla douze villages, en août 1824. Yahia fondit sur eux avec mille janissaires et huit mille goumiers, et leur brûla trente villages ; cette fois, ils demandèrent l'aman, ainsi que les Beni-Djennad, que l'Agha venait de razzer à fond. Mais la révolte continuait sur l'Oued Sahel, et, le 28 octobre, les insurgés massacraient le Caïd turc. L'année suivante, Yahia se présentait devant Kalaa avec une forte colonne, battait de nouveau les Béni Abbes, et incendiait tout sur son passage ; cette dure leçon ne les empêchait pas de recommencer en 1826 ; l'Agha les traita encore cette fois avec sa rigueur accoutumée, apaisa les troubles du Bellezma, et installa dans son commandement le nouveau Bey de Constantine.
Dans l'Ouest, les complots religieux n'avaient pas cessé, et les marabouts, se répandant de tous côtés, prêchaient ouvertement la rébellion et annonçaient hautement le prochain anéantissement des Turcs. En 1817, le bey Ali-Kara-Bargli, gendre de Mohammed el Kebir, avait été étranglé par les ordres du Dey, qui le soupçonnait de vouloir se rendre indépendant ; cet acte impolitique avait augmenté le nombre des révoltés. Le nouveau Bey Hassan lança des contingents étrangers à la province dans tous les centres importants, et fît sabrer tous les marabouts qu'il put surprendre. Beaucoup d'entre eux se sauvèrent au Maroc ; quelques-uns furent amenés à Oran et décapités publiquement ; le père d'Abd-el-Kader, Hadj' Mahi-ed-Din, échappa presque seul à la mort, grâce aux prières de la femme du Bey, et fut interné à Oran. Croyant avoir assuré le calme par ces sanglantes exécutions, Hassan marcha en 1820 sur Aïn-Madhi, où les deux fils de Tedjani avaient proclamé la guerre sainte contre les Turcs. Après quelques escarmouches, le Bey fut forcé de lever le siège, et cet échec engendra une insurrection générale dans le sud de la province. En 1827, les Hachem prirent la tête du mouvement, et offrirent le commandement à l'aîné des Tedjani, Sidi Mohammed-el-Kebir, qui vint assiéger Mascara, comptant sur une levée en masse des tribus ; mais celles de l'Ouest ne furent pas prêtes en temps utile. Hassan rassembla à la hâte toutes ses forces, marcha sur l'ennemi, et l'atteignit à Aïn-Beida, avant que les contingents rebelles fussent entièrement réunis. Mohammed fut tué dans le combat, et ses troupes se dispersèrent. Cependant, toute la région voisine de Tlemcen resta fort agitée jusqu'à l'année suivante, où le Bey écrasa les Mahia et les Angad au combat de Sidi-Medjehed. A partir de ce moment, le Beylik de l'Ouest jouit d'une tranquillité inconnue depuis bien des années, et l'ordre n'y fut plus troublé qu'une seule fois, en 1828, par les tribus du plateau de Ziddour, qui furent rapidement et sévèrement châtiées. Près d'une année après l'avènement d'Hussein, le 5 septembre 1819, une division navale anglo-française, sous les ordres des amiraux Jurien et Freemantle était venue lui signifier les décisions du congrès d'Aix-la-Chapelle, par lesquelles l'Europe interdisait aux États barbaresques l'exercice de la piraterie et le commerce des esclaves. Le Dey refusa obstinément de signer la formule d'adhésion qui lui était présentée, il finit même, après quelques tergiversations, par affirmer son droit à courir sur tout pavillon non reconnu par lui ; quant à la question de l'esclavage, il ne s'expliqua pas aussi clairement, disant néanmoins qu'il lui était impossible d'en reconnaître l'usage comme coupable, puisqu'il était consacré et régi par le Coran lui-même. Cette déclaration, qui, en fait, représente l'opinion passée, présente et future de tous les souverains musulmans, quelles que soient les concessions apparentes qu'ils croient devoir faire, embarrassa les amiraux français et anglais, et l'on se sépara sans avoir pris de résolution. Jusqu'en 1823, aucun nouvel événement ne vint altérer les bonnes relations de la Régence avec les grandes puissances européennes. Sur ces entrefaites, à la suite de la prise d'armes des Kabyles voisins de Bougie, le Divan, conformément à un vieil usage, décréta l'arrestation des Indigènes appartenant aux tribus révoltées. Presque tous les consuls ayant à leur service quelques-uns de ces futurs otages, la situation était embarrassante ; en droit, les consulats et leur personnel jouissaient de l'inviolabilité ; en fait, le Dey était le maître, et prétendait qu'il n'était pas permis à des représentants de nations amies de donner asile à des rebelles. M. Deval éluda la difficulté en faisant évader ses domestiques, qui gagnèrent bien vite la montagne ; le consul de Hollande en fit autant, après leur avoir toutefois déclaré qu'ils étaient libres de rester, à leurs risques et périls ; ceux du Danemark, de la Suède et de la Bavière furent contraints par la force de livrer les leurs ; M. Mac Donell opposa une résistance énergique, qui ne servit qu'à faire envahir le consulat, duquel les Kabyles furent enlevés pour être conduits aux carrières, Hussein se montra fort mécontent, et rompit toutes relations avec le consul anglais, qui fut forcé de s'embarquer à la fin de janvier 1824, à la suite d'une discussion très violente, dans laquelle le Dey refusa catégoriquement de délivrer les esclaves, et dénonça le traité fait avec lord Exmouth, disant " qu'il n'avait été conclu que pour trois ans. "

Expédition de Sir Harry Neal
A Londres, l'émotion avait été fort vive, et l'amiral Sir Harry Neal parut devant Alger, le 23 février, demandant des réparations, la réinstallation du consul, la reconnaissance de sa prééminence sur ceux des autres nations, le droit d'arborer le pavillon britannique à Alger, et une indemnité pécuniaire. Cette dernière prétention fut seule admise par le Dey, qui déclara que Mac Donell ne rentrerait pas à Alger, et que, du reste, il avait tellement indisposé la population contre lui, qu'il était impossible de répondre de sa sécurité. La discussion s'envenima, et le souverain, dont l'obstination naturelle supportait mal la contradiction, répondit à l'officier qui le menaçait de la guerre et lui remontrait la puissance de la Grande-Bretagne : " Nemrod, le plus fort et le plus puissant des hommes, est mort de la piqûre d'une mouche. "
Le 28 mars, Sir Harry Neal revint ; il avait fait quelques prises, ce qui donna lieu à des récriminations ; il lui fut objecté qu'on ne savait pas s'il avait qualité pour traiter, et, qu'en tout cas, il était nécessaire d'attendre la réponse à la missive récemment envoyée au roi Georges IV ; l'escadre anglaise repartit cette fois encore sans avoir rien conclu(3). Le 12 juin, ayant reçu des ordres formels, l'amiral se présenta dans la rade et disposa en bataille les seize navires qu'il commandait ; les Algériens sortirent fort bravement à leur rencontre, et ouvrirent le feu ; il n'y eut de résultat acquis ni d'un côté ni de l'autre. Du 12 au 22, les assaillants furent renforcés par l'arrivée de six nouveaux bâtiments, et, le 24, à une heure et demie après midi, le bombardement commença. Mais le feu, dirigé de trop loin, n'eut aucun effet sur la ville, et la flotte partit définitivement le 29, après que son chef eut dépensé six jours en vaines négociations. Les Algériens se flattèrent d'avoir remporté une victoire signalée et se crurent dorénavant invulnérables ; en même temps, ils éprouvaient une recrudescence de fanatisme à l'occasion de la guerre de l'indépendance grecque, pendant laquelle ils envoyèrent quelques navires se joindre aux flottes ottomanes, de 1823 à 1827. Les récits emphatiques des Reïs qui revenaient de l'Archipel, où ils jouèrent un rôle assez honorable, ravivèrent un instant l'ancien esprit guerrier et la haine du Chrétien. Cette excitation ne laissa pas Hussein indifférent, et le conduisit par degrés à l'attitude hautaine qu'il crut devoir prendre dans les réclamations faites à la France par son Gouvernement.
Endroit, ces revendications étaient bien fondées, et personne ne songeait à les contester. Il s'agissait des créances Bakri et Busnach, qui avaient déjà donné lieu à tant de démarches inutiles, desquelles il a été parlé à diverses reprises dans le cours de cette histoire. Elle se composaient, pour la plus grande partie, de ce qui restait dû sur les fournitures de blé faites à la France de 1793 à 1798. Bien que le traité de 1801 eût consacré le droit acquis, et promis l'apurement rapide des comptes, rien n'avait été payé, et ces lenteurs irritaient les Deys, auxquels appartenait une part assez importante des marchandises livrées. Cet argent leur manquait d'autant plus que le déficit augmentait chaque jour, et qu'il était arrivé, dans chacune des dernières années, à dépasser deux millions de francs, (deux millions vingt-un mille) que le trésor ne savait où trouver, la Course ne rapportant presque plus rien. Dans cette occasion, le gouvernement de la Restauration s'était conduit de la façon la plus loyale ; il avait tout d'abord reconnu la dette, et, le 28 octobre 1819, une convention, acceptée par les parties intéressées, avait fixé le solde à un chiffre de sept millions, dont le paiement avait été voté par la Chambre des Députés, le 24 juillet 1820. Mais les fournisseurs Israélites et le Dey lui-même avaient des créanciers, et les lois françaises exigeaient que les sommes frappées d'opposition par ces derniers fussent versées à la caisse des Dépôts et Consignations, jusqu'aux jugements à intervenir. En vertu de cette procédure, quatre millions cinq cent mille francs seulement furent remis entre les mains de Bakri et de Busnach, et les deux millions cinq cent mille francs restants furent séquestrés. Le consul avait été chargé de notifier à Hussein ces dernières décisions et de lui expliquer les causes qui retardaient le paiement ; c'était une ingrate mission. Comment faire comprendre à un souverain absolu le mécanisme compliqué de la protection des intérêts privés, et surtout, comment lui faire croire que de semblables lois puissent s'adresser à lui ? M. Deval n'y réussit pas, et tout autre eût échoué à sa place. Pour comble de malheur, les deux Juifs associés, prévoyant le sort qui eût attendu leurs quatre millions et demi et peut-être leurs têtes elles-mêmes, s'étaient bien gardés de retourner à Alger ; le Dey demandait impérieusement leur extradition, qu'il était impossible de lui accorder ; il accusait alors le consul de s'être vendu à eux pour le dépouiller(4) ; et, en dépit d'un esprit de conciliation qui allait quelquefois jusqu'à un excès de souplesse, ce dernier ne pouvait parvenir à apaiser la colère du prince entêté auquel il avait affaire. La méfiance dont il était l'objet devint de jour en jour plus grande, et Hussein se décida à écrire directement au Roi. Dans cette lettre, rédigée, parait-il, en termes peu convenables, il accusait Deval de concussion, et demandait son rappel ; il réclamait l'arrestation des deux Juifs, exigeait qu'ils fussent livrés à sa justice, et que les sept millions lui fussent payés directement et intégralement, sauf aux créanciers à se pourvoir devant lui. La forme de cette missive était trop blessante pour qu'il lui fût fait réponse : le fond eût peut-être mérité d'être examiné avec plus de soin(5). Quoiqu'il en soit, M. de Damas, ministre des affaires étrangères, écrivit au consul d'apprendre au Dey que le Roi n'avait pas cru devoir donner suite à des prétentions contraires à la convention du 28 octobre 1819, devenue la loi des parties. A partir de ce moment, les événements se précipitèrent.

Insulte faite au consul de France


Le 30 avril 1827, M. Deval s'était rendu à la Casbah pour offrir, suivant l'usage, ses hommages au Dey, à l'occasion des fêtes qui suivent le jeune de Ramadan. Tous ceux qui connaissent le monde mahométan savent que cette époque amène invariablement un renouveau de fanatisme ; en l'an de l'hégire 1242, ce sentiment était encore accru par l'aide que prêtait l'Europe à la Grèce révoltée contre la Porte. Hussein était particulièrement de fort méchante humeur ; il venait de recevoir les plus tristes nouvelles de ses navires, dont les équipages, bloqués à la Canée, mouraient littéralement de faim. Il reçut donc de très mauvaise grâce les compliments du consul ; celui-ci, accoutumé depuis quelque temps à de froides réceptions, ne s'en émut pas, et crut au contraire pouvoir profiter de l'audience pour réclamer la restitution d'un petit navire des États Pontificaux, qui avait été capturé, naviguant sous pavillon français. Le Dey laissa alors éclater sa colère ; il accusa M. Deval d'avoir fait fortifier et armer La Calle, au mépris de ses ordres, et de favoriser les intrigues des Juifs, en détenant frauduleusement les lettres que le Roi de France, disait-il, avait envoyées en réponse aux siennes. Les deux interlocuteurs se parlaient en turc, sans l'intermédiaire du drogman ; le dialogue devint assez animé, et, à la suite d'une riposte un peu vive du consul, Hussein le poussa avec l'extrémité du chasse-mouches qu'il tenait à la main, et le menaça de la prison. Deval se leva et se retira, en protestant contre le traitement dont il venait d'être l'objet. Une division navale, sous les ordres du brave capitaine Collet, fut aussitôt dirigée vers Alger, et arriva dans la rade le 11 juin. Tous les Français qui se trouvaient à Alger furent embarqués le 12 par les soins du consul, qui partit sur la goélette La Torche. Quelques jours après, le personnel de la Calle était, par une mesure semblable, mis à l'abri de la vengeance des Turcs, qui ravagèrent les Établissements, où ils ne purent que détruire les murailles, et enlever six vieux pierriers hors d'usage.

Blocus d'Alger
Cette dévastation avait été confiée aux soins d'Ahmed Bey, par Hussein, qui avait refusé toute satisfaction au capitaine Collet ; on lui demandait de faire des excuses, d'arborer le pavillon français sur tous les forts, et de le saluer de cent coups de canon. Il qualifia ces exigences de ridicules, et ne fit aucune réponse ; le 15, le blocus fut déclaré ; il devait durer trois ans.
Ce fut une longue et pénible campagne ; Collet acheva d'y user ce qui lui restait de forces et mourut le 20 octobre 1828 ; M. de la Bretonnière lui succéda dans le commandement. La monotonie inséparable d'une opération de ce genre fut quelquefois rompue par d'heureux exploits ; le 4 octobre 1827, la flotte algérienne, composée d'une frégate, quatre corvettes et six bricks, essaya de forcer le blocus ; Collet fondit sur elle avec deux frégates, deux bricks et une canonnière ; après trois heures d'un combat assez vif, les Reïs furent forcés de rentrer dans le port ; Hussein les reçut fort mal et faillit leur faire couper la tête. Le 22 mai 1828, l'Adonis et l'Alerte, par un coup de merveilleuse audace, enlevèrent une prise marseillaise au pied même du fort de Mers-el-Kébir ; le 25 octobre de la même année, quatre corsaires furent anéantis sous les batteries du Cap Caxine, dont nos marins réduisirent le feu au silence. D'un autre côté, l'escadre éprouva quelques revers ; le 18 juin 1829, l'Iphigénie et la Duchesse de Berry perdirent trois canots et vingt-cinq hommes dans une attaque fort brillante, mais pour laquelle on avait négligé de prendre toutes les précautions nécessaires. Un peu moins d'un an après, le Silène et l'Aventure vinrent, par une brume épaisse, s'échouer près du cap Bengut. Plus de la moitié des équipages fut traîtreusement égorgée par les indigènes, qui avaient, pendant deux jours, donné l'hospitalité aux naufragés, et qui vendirent ensuite leurs têtes au Dey. Celui-ci, non content d'avoir provoqué ce lâche assassinat, fit exposer aux insultes de la populace ces tristes débris, qu'il avait payée cinquante-cinq mille francs aux meurtriers. La mesure était comble, et l'heure du châtiment approchait ; elle eût sonné depuis longtemps sans la résistance néfaste que le Conseil Royal avait été forcé de combattre en France même, depuis le commencement des hostilités. L'opposition parlementaire avait choisi pour terrain la question d'Alger ; avec la mauvaise foi et le manque de patriotisme dont nous avons eu depuis de si misérables et si nombreux exemples, elle créait au Gouvernement de sérieux embarras, en même temps qu'elle encourageait Hussein à résister, en lui faisant espérer l'impunité de son insolence, à un tel point qu'il eut la naïveté de demander au capitaine Bruat, alors prisonnier ; " Si, en cas de guerre déclarée, les soldats français consentiraient à marcher contre lui. " Cette infatuation n'était que risible ; mais le désarroi que les discours des Bignon, des Salverle, et de tant d'autres, inconnus aujourd'hui, mettaient dans l'opinion publique et dans le Conseil lui-même, devenait une chose des plus funestes. On en arriva à une reculade, sous les yeux de l'Europe attentive, et à la joie de l'Angleterre jalouse.

Mission de M. de La Bretonnière
M. de la Bretonnière reçut, au mois de juin 1829, l'ordre de faire de nouvelles tentatives de conciliation ; la France allait à l'extrême limite des concessions possibles, ne demandant plus que la mise en liberté des captifs, l'envoi d'un ambassadeur à Paris, et une déclaration d'armistice. Le 30 juillet, le vaisseau la Provence et le brick l'Alerte mouillèrent en rade à trois heures de l'après-midi ; le 31, le commandant de l'escadre eut une entrevue avec le Dey, et il y fut arrêté que l'audience définitive serait donnée le 2 août. Elle commença à midi et dura deux heures ; l'envoyé du Roi épuisa en vain tous les moyens de conciliation, obéissant à regret aux instructions qu'il avait reçues ; Hussein montra la plus mauvaise volonté. Il se croyait assuré, quoiqu'il arrivât, que l'Angleterre ne permettrait pas à la France de s'emparer d'Alger ; de plus, comme tous ses prédécesseurs, il tombait en proie à la manie orgueilleuse : " J'ai de la poudre et des canons ! " dit-il en se levant pour mettre fin à la discussion. M. de la Bretonnière se retira sans ajouter un mot ; aux portes de la Casbah, il fut arrêté par le consul de Sardaigne et par le drogman, qui le supplièrent d'attendre encore un jour ; après quelques hésitations, il promit de le faire ; la mer était tellement mauvaise, que son canot mit trois heures à franchir les quinze cents mètres qui le séparaient du bord. Le 3, à midi, n'ayant pas reçu la soumission qu'on lui avait laissé espérer, il donna l'ordre d'appareiller, et de sortir de la baie sous pavillon parlementaire ; le brick l'Alerte ouvrit la marche ; le vent forçait les deux navires à passer sous les batteries de la ville. Vers deux heures, la batterie du Fanal donna le signal du feu, et une centaine de projectiles furent lancés en moins d'une demi-heure sur la Provence, qui fut atteinte onze fois, et continua majestueusement sa route, afin de bien faire constater à tous l'odieuse violation du droit des gens. M. de la Bretonnière fit preuve en cette périlleuse occasion d'une très grande dignité et d'un remarquable sang-froid. Sa conduite fut admirée par tous ceux qui furent témoins de cet attentat(6) ; cependant un pair de France, M. l'amiral Verhuel, plus célèbre comme courtisan que comme marin, chercha à l'incriminer de n'avoir pas mis en panne, manœuvre qui eût infailliblement jeté son navire sur les rochers de Bab-el-Oued. Cet orateur, qui se faisait le champion des Algériens, eût peut-être été plus juste en invoquant pour leur défense l'abus du pavillon parlementaire qui avait été fait en 1816 par lord Exmouth.
Le Dey ne fit aucune démarche officielle pour exprimer un regret de cet attentat. On dit qu'il blâma les chefs de batterie, et que l'Oukil-el-Hardj de la marine fut destitué ; rien ne vient confirmer cette assertion, dont l'auteur est le drogman du Dey et qui n'a aucune valeur historique. Au moment où le rapport du commandant de l'escadre arrivait en France, le ministère Polignac était au pouvoir ; l'expédition d'Alger fut résolue.

1. Voir la Revue Africaine 1875, p. 194, et l'Histoire d'Alger et du bombardement de cette ville en 1816. (Paris, 1830, in-8), p. 354.
2. C'est ce déplacement de la Khazna qui a enfanté la légende bizarre du trésor transporté à la Casbah en une seule nuit, et à l'insu de tout Alger. On a peine à comprendre qu'il y ait eu des gens assez crédules pour accepter une telle invraisemblance ; ils eussent dû se souvenir que ce transfèrement nécessita mille six cent cinquante voyages de mulet. (Documents fournis à la commission d'enquête de 1830). Sans doute, ils eussent alors vu clairement qu'il n'est pas possible de dissimuler un semblable cortège aux yeux de toute une population, la plus curieuse qui soit au monde, et cela, à travers des rues tellement étroites que les bêtes de somme ne pouvaient y cheminer qu'une à une, sous les regards de tous.
3. Voir la Revue Africaine 1864, p. 202.
4. Les journaux de l'opposition libérale se faisaient l'écho de ces bruits, et semaient à l'envi la calomnie sur le malheureux Deval, auquel on n'eût jamais à reprocher que la mollesse de son caractère ; il avait, disait-on, reçu deux millions ; quand il mourut, peu d'années après, ayant toujours eu un train des plus modestes, il ne laissa absolument aucune fortune.
5. Il faut bien remarquer qu'il ne s'agissait pas d'une dette ordinaire, et que le Dey avait le droit de trouver étrange la procédure qu'on employait a son égard ; car l'argent prêté jadis à la France provenait de la Khazna, et l'emprunt était un contrat entre deux États, qui échappait aux lois édictées postérieurement à cette négociation ; régulièrement, l'apurement eut dû se faire a Alger même, et sans intermédiaire ; toute cette affaire fut très ma conduite, et on eut le tort de se laisser guider par les Bakri et les Busnach, très intéressés à faire prévaloir la solution qui les dispensait je régler leurs comptes avec le Dey. Il est vrai que, en ce qui les concernait, ils étaient en état de légitime défense ; mais le Gouvernement français n'avait pas à s'occuper de la sauvegarde de leurs droits, d'autant qu'il lui était impossible d'apprécier leurs réclamations.
6. Voir la Revue Africaine 1877, p. 409.

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Mis en ligne le 11 mars 2012

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