Ce fut l'an 23 de l'hégire (643-644 de J. C.), sous le règne d'Omar Ben el Khettab, deuxième khalife de l'islamisme, qu'Amrou ben el-As, gouverneur de l'Égypte, dirigea les premières incursions dans le Maghreb. Voici le fait auquel les annalistes arabes rattachent cette entreprise. Six Berbères africains arrivèrent en Égypte, et se présentèrent devant Amrou, demandant à se convertir à l'islamisme. Ils donnèrent sur les dispositions de leurs tribus, sur l'état d'anarchie des populations chrétiennes des villes, des renseignements qui éveillèrent dans toute leur énergie le prosélytisme des Arabes et leur amour pour de nouvelles conquêtes. Amrou organisa des partis de cavalerie qui, sous la conduite des six Berbères, pénétrèrent dans la province de l'ancienne Pentapole (nom donné, dans l'Antiquité, à plusieurs contrées où se trouvaient cinq villes principales. Il s'agit ici da la Pentapole de Lybie, ndlr) ravagèrent Barka, Zouila et autres villes environnantes, poussèrent jusqu'à Tripoli, et soumirent les montagnes de Nefouça, à six journées de marche au sud de cette ville. Trop faibles pour s'engager plus avant dans l'ouest, les musulmans retournèrent en Égypte chargés de butin et emmenant un grand nombre de captifs. Il est probable que ces expéditions se renouvelèrent plusieurs fois, sans prendre cependant des proportions plus considérables, et se bornant en quelque sorte à une reconnaissance du pays.

Première invasion

Mais quatre ans après, sous le khalifat d'Othman , successeur d'Omar, on voit se former une véritable armée de musulmans pour entrer en Afrique. Des compagnons du prophète, des notables des principales tribus de l'Yémen et de l'Irak se levèrent pour cette invasion ; le khalife employa tous les moyens en son pouvoir pour en assurer le succès, et contribua de ses propres deniers à l'organisation de l'expédition. Ce groupe de croisés d'élite rejoignit en Égypte des contingents plus considérables ; et une masse de vingt mille guerriers, sous la conduite d'Abd-Allah ben Saad, fit irruption dans le Maghreb (1). Après une sanglante bataille, dans laquelle fut tué le patrice Grégoire, qui commandait la province au nom de l'empereur de Constantinople, les musulmans se rendirent maîtres de Sbaïtla, l'ancienne Sufétula.

Ils parcoururent la Cyrénaïque, la Tripolitaine et la Byzacène, rançonnant les villes, convertissant la population et réduisant en esclavage ceux qui refusaient d'embrasser l'islamisme. Cette armée séjourna un an et deux mois dans ces provinces. Il ne paraît pas que les vainqueurs aient fait des tentatives pour organiser l'administration du pays à leur profit ; pressés de retourner dans leur patrie pour procéder au partage du butin d'après les prescriptions légales, ils se contentèrent d'établir à Barka une sorte de garnison qui devait servir d'avant-garde pour faciliter les incursions ultérieures. En effet le butin ne devient propriété réelle et personnelle du guerrier que lorsqu'il est transporté en pays musulman, et la mort d'un combattant avant le retour annule le droit de ses héritiers à la part qu'il devait avoir.

Deuxième invasion

Les troubles qui suivirent la mort du khalife Othman retardèrent les progrès de la conquête de l'Afrique. Aucune grande expédition ne fut tentée dans ce pays. Mais la paix ayant été rétablie par l'abdication d'El-Hassan, petit-fils du prophète, en faveur de Maouia ben Abou Sofian, chef de la dynastie des Ommiades, des contingents furent envoyés à Barka (2). Ben Khedidj, suivi d'un grand nombre de guerriers de la tribu des Koréichites, pénétra en Afrique, à la tête de dix mille hommes, l'an 45 de l'hégire (665 de J. C. ). Il s'empara de Souça, de Djeloula, de Bizerte et de Djerba, villes de la Byzacène ; il envoya en Sicile une flotte qui en rapporta de riches dépouilles. Mais ce général ne fit encore aucun acte d'administration ; c'était le chef d'une croisade religieuse et non un gouverneur. Il retourna en Égypte, et fut remplacé par Okba ben Nafa (Oqba Ibn Nafi Al Fihri ou Oqba Ibn Naafi, ndlr), qui amena avec lui dix mille combattants. C'était l'an 50 de l'hégire.

Établissement des Arabes en Afrique

Avec ce chef commence la véritable prise de possession du pays et l'adoption de mesures politiques pour le gouvernement des populations. Il se rendit maître de Ghadamès, et parcourut sans éprouver de résistance toute la contrée qui forme aujourd'hui les provinces de Tunis et de Tripoli. Pour contenir les Berbères, sans cesse remuants, Okba sentit la nécessité de créer à l'ouest de Barka un centre d'action, afin de servir de point d'appui à la domination arabe. Il choisit un emplacement au milieu de la Byzacène, dans un pays fertile, jadis très florissant, et fonda la ville de Kairouan ; il en fit la capitale des nouvelles possessions musulmanes. Voici en quels termes le général arabe justifie l'adoption de cette mesure : " Quand l'imam (général revêtu de l'autorité spirituelle et temporelle) entre en Afrique, les habitants mettent leur vie et leurs biens à l'abri du danger en faisant la profession de foi islamique ; mais dès que l'armée se retire, ces gens-là se rejettent dans l'infidélité. Je suis donc d'avis, ô musulmans, de créer une ville qui serve de camp et d'appui à l'islamisme. " Ces paroles font ressortir d'une manière remarquable l'analogie qui a existé, à douze siècles d'intervalle, entre les nécessités politiques de la conquête de l'Algérie par la France et les mesures adoptées par les Arabes dès les premiers pas de leur domination en Afrique.

Okba ne resta qu'un an dans le Maghreb ; le gouverneur de l'Égypte lui donna pour successeur un esclave affranchi, qui affecta de prendre en tout le contre-pied de ce qu'avait fait soit prédécesseur. Il détruisit Kairouan, et édifia à deux mille de là une, ville nouvelle. Son administration souleva des plaintes si vives, qu'il fut rappelé par le Khalife Iézid, qui venait de succéder à son père. Ce général, malgré ses fautes, avait cependant étendu la conquête en s'emparant de la presqu'île du cap Bon, riche contrée, couverte alors de villes et de maisons de campagne.

En 62 de l'hégire (681 de J. C.) Okba fut renommé gouverneur de l'Afrique parle khalife Iézid. Il rétablit Kairouan, et, ayant fait de grands préparatifs de guerre, il se porta sur Bagaï, au pied des montagnes de l'Aurès. Un grand nombre de chrétiens et de Berbères s'étaient réfugiés dans cette place ; Okba leur livra bataille, et les vainquit. Il se dirigea ensuite sur Mélich, une des villes les plus considérables des Romains, à deux journées de marche de Constantine ; nouveau combat contre les chrétiens, nouvelle victoire. Il pénétra alors dans le Zab, dont la ville principale était entourée de trois cent soixante villages, tous très peuplés, soumit tout le pays des Berbères et quelques parties du pays des Nègres. La plupart de ces villes avaient précédemment fait leur soumission aux Arabes, mais depuis elles s'étaient révoltées. Il s'avança ensuite vers l'ouest, et se rendit maître de Ceuta et de Tanger. Tournant alors ses armes vers le sud, il prit Sous El-Aksa, Aïgla, Draa, et atteignit les Berbères Lemtouna, qu'on croit les mêmes que les Touareg, fixés aujourd'hui dans les déserts au sud du Maroc. Arrivé au bord de la mer, il poussa son cheval jusqu'à ce que l'eau atteignît le poitrail ; levant alors la main vers le ciel, il dit : " Vous connaissez, ô mon Dieu, la pureté de mes intentions; je vous supplie de m'accorder la grâce qu'avait sollicitée de vous Alexandre le Grand, afin que je puisse amener tous les hommes à vous adorer. " N'ayant plus devant lui que des déserts et la mer à sa gauche, le général arabe fit ses dispositions pour le retour.

Parvenu dans la province du Zab, au sud de la province actuelle de Constantine, Okha ordonna à ses troupes de se rendre par détachements à Kairouan, et ne retint auprès de lui qu'un petit nombre de cavaliers. Tout à coup, à la suggestion des gouverneurs impériaux, une insurrection se déclara parmi les tribus nouvellement converties à l'islamisme. Elle avait pour chef un Berbère nommé Koucila, qui avait à se venger du général arabe pour une insulte qu'il en avait reçue. Celui-ci marcha contre les rebelles, qui se retirèrent devant lui pendant plusieurs jours. Alors, rapporte un historien arabe, les Berbères dirent à leur chef : " Pourquoi te retirer ? Ne sommes-nous pas cinq mille ? " Koucila répondit : " Chaque, jour notre nombre grossit et celui des Arabes diminue. Je ne veux les attaquer que lorsqu'ils commenceront à se retirer vers la province d'Afrique. "

Encore un trait de ressemblance entre la lutte des Arabes contre les Berbères, et la guerre que nous avons soutenue en Algérie contre les tribus. Okba résolut de tenter le sort des armes ; les cavaliers de son escorte brisèrent le fourreau de leur sabre, et marchèrent au combat; mais, accablés par le nombre, ils périrent tous. C'était l'an 63 de l'hégire.

(1) Voyez Univers pittoresque, ARABIE, pages 249 et suivantes.
(2) Voyez Univers pittoresque, ARBIE, pages 251 et suivantes
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Mis en ligne le 14 juin 2012

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