Une remarque s'impose ; le port de départ de la France vers l'Algérie, au moins pendant les quinze premières années après la conquête est Toulon. A tel point que lorsqu'il est prévu vers 1834-1835 des travaux d'extension du port d'Alger, les concepteurs envisagent de créer un "Toulon Africain ".
Marseille ne supplantera Toulon qu'à partir du début des années 1850. A cela deux raisons : d'abord les travaux d'extension du port de Marseille se font entre 1839 et 1849 et d'autre part l'arrivée du chemin de fer P.L.M. est achevée en 1855. En ce qui concerne l'émigration française, le tournant semble être les départs des convois de 1848 en provenance de Paris via Lyon par voie d'eau sur la Saône et le Rhône. Avec l'ouverture du canal de Suez en 1869, Marseille deviendra le grand port de l'Orient et des colonies ; c'est d'ailleurs une compagnie marseillaise, la Cie Fraissinet avec son vapeur " l'Asie " qui franchira la première le canal. En 1870, 187 000 passagers transitent par Marseille.
Il en est de même des migrations alsaciennes, allemandes et suisses qui à partir des années 1845 délaissent Toulon pour Marseille. Dans les années 1860, les Alsaciens et les Allemands se rassemblent à Thionville pour rejoindre Marseille où ils sont hébergés puis repartent le plus rapidement possible munis de titres de transports gratuits pour Alger ou Stora, le port de Phillippevile n'étant alors pas encore achevé. Après 1870, les Alsaciens sont accueillis à Marseille par la Société d'Assistance des Alsaciens Lorrains et empruntent des lignes régulières : le mardi et le samedi à destination d'Alger (48 h de traversée), le jeudi à destination d'Oran (72 h de traversée) et le vendredi à destination de Stora (42 h de traversée).
Les Suisses reçoivent lors de leur transit à Marseille le soutien de la Société de Bienfaisance créée par des notables suisses. La première ligne à vapeur, Marseille-Alger est fondée en 1831 par des Suisses, les frères Bazin. Il faut en moyenne à tous ces émigrants cinq semaines de voyage, de leur lieu de départ aux villages de colonisation qu'ils doivent rejoindre en Algérie après leur débarquement.
Concernant l'émigration italienne et espagnole les conditions de départs sont très différentes. En effet, malgré les tentatives d'instauration de lignes régulières, celles-ci échouent rapidement et ce sont des initiatives privées, souvent à caractère clandestines qui drainent l'essentiel du courant migratoire. Un courrier du consul de France en poste à Valence, en date du 10 avril 1865 signale "que la plupart des transports d'émigrants se fait par petits bateaux de 20 à 25 tonneaux au départ de petits ports et à l'occasion de divers trafics. " Pourtant, dès 1846, il y eut une ligne Valence-Oran.
Dans les années 1860, devant l'importance du trafic de balancelles, la Compagnie française des Messageries Impériales prévoit sur la ligne Marseille-Oran des escales à Barcelone, Valence, Alicante Carthagène. Dans les années 1870, une tentative de ligne Carthagène-Oran n'aboutit pas. Seul, un bateau espagnol réussit à assurer durant quelques années une liaison bi hebdomadaire entre Carthagène et l'Oranie. Il faut attendre les années 1880 pour que la Compagnie Générale Transatlantique assure une ligne régulière Algérie-France. Mais beaucoup d'émigrants espagnols continuent à emprunter les lignes du trafic commercial ou postal ou des balancelles au départ de petits ports alicantins comme Santa Pola ou Benidorm. Il en est de même pour les Italiens qui empruntent les bateaux de pêche ou des caboteurs qui effectuent la traversée du golfe de Naples vers La Calle, Bône ou Stora. Au début de la conquête le grand port de commerce italien vers l'Algérie était Livourne ; pendant longtemps les navires livournais transportèrent des marchandises et des émigrants, souvent clandestins, piémontais ou toscans. Durant la première décennie il convient de noter une migration particulière, comme les Mahonnais qui s'engouffrèrent derrière la flotte française, de nombreux bateaux sardes arrivèrent dès l'été 1830 ; ces deux communautés jouèrent un rôle important dans l'approvisionnement de l'armée française et apportèrent un nombre conséquent d'émigrants. Toutefois, en 1881, un seul bateau, italien, " Il Principe di Napoli " assure une liaison hebdomadaire Naples-Bône. Il faut attendre l'extrême fin du XIX°siècle et le début du XX ° siècle pour que se créent des lignes régulières Algérie-Italie.
Il est intéressant de signaler que des descendants de ressortissants italiens jouèrent un rôle important dans l'histoire maritime de l'Algérie puisque l'association Scotto, Ambrosino, Pugliese originaires de Procida créa des lignes régulières ports de l'Oranie/ports français de la Méditerranée à partir de 1890 et que la famille Schiaffino, outre les lignes trans-méditerranée, créa des liaisons littorales afin de desservir les ports algériens. Pour la petite histoire, c'est un Schiaffino qui, en 1842, qui transféra les reliques de Saint Augustin à Bône. …..

….on peut d'abord s'interroger si le terme rapatriement est le plus adéquat. Nombreux étaient les "rapatriés qui ne connaissaient de la mère patrie que ce qu'ils en avaient pu voir au cinéma, ou ce que leur avait pu raconter, leur père, leur frère, leur oncle lorsqu'ils étaient venus en 1943 se battre pour la France et qu'à ce titre ils se sentaient profondément français. Les Espagnols et les Italiens avaient oublié leur origine ; ils savaient confusément qu'ils étaient " valenciens, napolitains. Toutes ces populations avaient depuis longtemps, en 1962, acquis la nationalité française et pour certains ressortissants depuis trois générations ; la langue française, l'école, le service militaire pour les hommes, les deux conflits mondiaux auxquels ils avaient participé étaient des éléments qui contribuaient à leur sentiment profond d'appartenance à la nation française. Ce qui est certain, c'est qu'ils se préparaient comme leurs ancêtres à une nouvelle migration qui leur ferait à nouveau traverser la Méditerranée mais dans l'autre sens. Quelques uns, peu nombreux, effectuèrent comme leurs aïeux la traversée sur des bateaux de pêche ; leurs noms méritent d'être rappelés tant les conditions furent héroïques. Les frères Pilato, le patron Giordano, André Striano, tous de l'Algérois et d'origine napolitaine, mais aussi la famille Llorca d'Arzew, descendants d'émigrants alicantins qui rallièrent Port-Vendres, Sète, La Ciotat, Toulon ou Saint Raphael. D'aucuns perpétuèrent la profession de pêcheurs et s'installèrent à Séte, Martigues, La Ciotat... d'autres, terriens, mirent à profit leur savoir faire en matière agricole, et on les retrouva horticulteurs dans la Var, viticulteurs dans l'Aude ou l'Hérault, mais n'oublions que l'immense majorité d'entre eux étaient déjà devenus en Algérie des citadins et qu'à ce titre ils peuplèrent Marseille, Toulon, Nice, Montpellier, Perpignan, en un mot les grandes métropoles méditerranéennes françaises où ils occupèrent les emplois des secteurs secondaire et tertiaire. Parmi les artisans de la colonisation maritime, on se souviendra qu'en 1962, l'armement Scotto Ambrosino Pugliese (S.A.P.) se rapatrie à Sète, puis se rapproche de Schiaffino en 1967, lequel Schiaffino avait après l'indépendance transféré son siège social à Paris. Un autre armement oranais, de moindre importance, l'armement Mazella se rapatriera à Bayonne. Parmi les descendants de pêcheurs italiens installés sur le littoral constantinois, la famille Falcone qui avait construit des conserveries s'installa après 1962 à Port-Vendres d'où elle écoula des conserves " Papa Falcone ".

Gérard CRESPO - Les Européens voyageurs (extraits)
Journée d'études à l'initiative de French Lines
Montpellier, 14 novembre 2008.
http://www.frenchlines.com/rapatriement/documents/gerard_crespo_les_europeens_voyageurs.pdf

Retour en haut de la page

Retour au menu "composantes"


Mis en ligne le 05 nov 2010

Entrée  - Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - Les conditions  - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -