J'imagine votre journée du 5 juillet 1962 chers amis métropolitains. Vous aviez bouclé vos valises pour profiter de vos congés payés. Vous étiez parti vous changer les idées à la recherche d'exotisme et de dépaysement. J'imagine le calvaire que vous avez enduré, entassés dans ces voitures sans air conditionné, et ce voyage interminable en direction des rivages méditerranéens ou de l'Eldorado touristique ibérique. Il faisait chaud, la destination semblait inaccessible et une quarantaine d'entre vous trouvera la mort ce jour là, sur la Nationale 7 surchargée. Un massacre des innocents en quelque sorte, qui comme chaque année jusqu'à aujourd'hui encore, vient endeuiller des centaines de familles. Je vous imagine, vous français métropolitains, courbaturés à cause de l'inconfort et je vous vois dans les bouchons de Pézenas, pester contre les " points noirs " en tentant de rafraîchir vos enfants exténués par la chaleur insoutenable. Oui j'imagine vos afflictions, français de souche comme l'on disait alors, vous qui indifférents au sort d'autres français d'Algérie aviez voté à 90,71 % une indépendance pour une terre lointaine peuplée de bicots et de fascistes irrécupérables. De l'autre coté de la mer, le mois de juillet avait aussi commencé par la chaleur et un défilé de voitures, seuls points communs de cette radieuse journée. Mais à partir de 11 heures du matin c'est l'horreur ! " Les Européens sont abattus en pleine rue ou, s'ils sont arrêtés, subissent d'affreux supplices. Ils seront torturés, étouffés dans des fours, émasculés, ou auront les yeux crevés. Ils seront décapités à la hache et les enfants musulmans joueront, en pleine rue, avec les têtes. On alignera, couchés le long des caniveaux, des Européens, et des Musulmans. Un camion de l'A.L.N. passera ensuite lentement, écrasant les têtes et, bientôt, des ruisseaux de sang couleront dans les rues. L'Armée française assiste sans réaction à ce massacre. Lorsque, vers le soir, les ordres arriveront pour intervenir, ce sera trop tard. Des centaines d'Européens et de Musulmans ont disparu à jamais. Bien sur vous n'êtes pas directement responsables. Evidemment, vous n'êtes pas coupables ! L'information officielle avait fait son œuvre, relayée par les " forces de progrès " qui nous décrivaient comme des exploiteurs racistes avec " Cadillac et gros cigare ". Et vous y avez cru, un peu trop facilement sans doute, soulagés d'avoir en fin une justification de votre indifférence et de notre cruel destin. A Oran, l'armée française était sur place. Environ 12 000 hommes. Seize ans plus tard, le deuxième REP est parachuté à six mille kilomètres de ses bases. 655 parachutistes viendront délivrer environ 3000 européens (belges et français principalement). Les réactions dans l'opinion publique seront empreintes de fierté et le gouvernement se vantera d'avoir appliqué le principe qui consiste à dire que " la France n'abandonne jamais ses ressortissants ". C'est ce qu'on appelle " le vent de l'histoire ". Aujourd'hui je vois les initiatives de tous ces organismes humanitaires pétris d'empathie à géométrie variable, qui se mobilisent pour les sans logis, les sans papiers, les sans ressources. Oh, bien sur ! il s'est trouvé parmi vous des gens admirables qui ont tenté d'adoucir notre peine. Mais dans le terrible hiver 1962, quand la Croix Rouge est venue demander à ma mère un don pour les démunis, alors que nous vivions dans une pièce sans chauffage et que nous étions sans moyens d'acheter des couvertures, je vous laisse imaginer sa réaction. On peut lire sur le net les écrits de Pierre Bourdieu, le " sociologue énervant ", (décédé le 23 janvier 2002), dont celui-ci, à propos du 17 octobre 1961 : " J'ai maintes fois souhaité que la honte d'avoir été le témoin impuissant d'une violence d'État haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective. Je voudrais aujourd'hui que le souvenir des crimes monstrueux du 17 octobre 1961, sorte de concentré de toutes les horreurs de la guerre d'Algérie, soit inscrit sur une stèle, en un haut lieu de toutes les villes de France, et aussi, à côté du portrait du Président de la République, dans tous les édifices publics, Mairies, Commissariats, Palais de justice, Écoles, à titre de mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste ".
Quelqu'un parmi vous s'est-il élevé pour une réciprocité à notre égard ? |
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Mis en ligne le 2 octobre 2010