Le recrutement

A l’époque troublée de la fin de la guerre d’Algérie, la police et les services de renseignement traditionnels ne suffisent pas à remplir toutes les tâches. Pour les plus compromettantes, on recrute donc des volontaires ; on recrute si vite qu’on n’a pas le temps de vérifier les casiers judiciaires. Et puis ce n’est pas chez les enfants de chœur que l’on peut trouver des gens qui savent manier un Beretta ou une mitraillette. Qu’importe, alors, si, parmi les hommes chargés de défendre l’action du Général, de combattre l’O.A.S., il y a d’anciens membres de la « carlingue », la sinistre Gestapo française de la rue Lauriston. (C’est le cas de Georges Boucheseiche, dit le « gros Jo ».) Qu’importe s’ils sont proxénètes, tueurs, « braqueurs » de banques. L’essentiel est qu’ils obéissent.
Ils obéissent. Au début du moins. Certains de ces « mercenaires » se sont d’ailleurs engagés par conviction politique et ils font leur travail avec discrétion et efficacité. Mais les choses vont s’envenimer très vite. Et les filous, qui ne tardent pas à prendre le pas sur les fidèles, s’aperçoivent bientôt que la condition de mercenaire, avec les « couvertures » politiques qu’elle implique, n’est pas sans avantages. Sur Paul Comiti, gorille du général de Gaulle et organisateur de ces réseaux parallèles, commencent à pleuvoir les coups de téléphone des commissaires de police. L’histoire est toujours la même. Au bout du fil le policier dit : « Je viens d’arrêter un type pour hold-up, il m’a présenté une carte tricolore en me demandant de vous téléphoner. »
René Backmann - Le Nouvel Observateur n° 418 du 13 novembre 1972

Objectif : Formation rapide et envoi, notamment à Alger, d'une police très spéciale.

Nommé le 26 novembre 1961 à la tête de l'ensemble de la Mission C, Michel Hacq s'envole pour Alger. A ses côtés : Jacques Dauer et l'ancien champion de tennis Robert Abdesselam, devenu député.
A un rang devant eux, Lucien Bodard, l'as des reporters, capte le maximum de bribes de la conversation des trois hommes. Ce n'est pas tout à fait un hasard si Bodard est dans Avion. Un rédacteur en chef de France-Soir a eu vent de la " Mission C " et a demandé au journaliste de reporter un congé en Corse pour aller aux renseignements.
Le soir même, dans sa chambre de l'Aletti, Lucien Bodard tape à la machine le " papier " nourri et construit dans l'avion, où apparaît le mot " barbouze ".

Dans « France-Soir » du 2 décembre 1961, sous le titre « Les « barbouzes » arrivent », Lucien Bodard, définissait leur mission :
« Très prochainement, les autorités vont employer les principes de la guerre secrète contre l’organisation de l’Armée Secrète (OAS)… L’objectif c’est de décapiter l’OAS en arrivant à détecter et à capturer les 10 hommes qui, à eux seuls, l’ont crée et l’animent… En réalité, les événements de ces derniers mois ont prouvé que le gouvernement était trahi dès qu’il voulait faire procéder à l’arrestation des chefs de l’OAS en se servant des moyens normaux… Cette force de choc sera indépendante. Les nouvelles formations anti-OAS ne feront partie d’aucune hiérarchie classique. Ce seront des organismes autonomes, sans sujétion à l’égard des autorités normales, agissant par leurs propres moyens et ne dépendant que des instances les plus hautes. Ils agissent largement en dehors de l’armée et de la police.
Avant tout, cette nouvelle force sera secrète. Un secret absolu couvrira les activités et surtout l’identité des membres des formations anti-OAS. Cette force appliquera les méthodes des commandos et de la guerre secrète. Il s’agira non seulement pour elle d’avoir des « tuyaux » mais de les exploiter immédiatement et de façon décisive. Tout se passera sans papiers, sans rien. Les transmissions et les communications seront réduites au minimum, de façon à ne pas donner l’alerte... Cette force sera surtout composée de "nouveaux". Tous les as de l'espionnage, du contre-espionnage, de la guerre subversive disponibles en France vont être envoyés en Algérie. Ce sont des gens sûrs, aux origines les plus diverses...»

" Aux origines les plus diverses " est tout à fait exact. il fait appel aux anciens du service d'ordre du RPF, à tous ses amis corses, au premier rang desquels Francisci et les Venturi. Parmi les 300 hommes qui luttaient contre l’OAS, on comptait aussi Jo Attia, Jean Palisse et Antoine Lopez.(1)
Mais le reste du paragraphe l'est moins. Les barbouzes ne viennent pas de la " Piscine " du boulevard Mortier (siège de la DST) ; ils ne feront pas un métier de seigneurs. Comme dira Me Tixier-Vignancour au procès du général Salan :

" On a fait l'amalgame entre la police régulière et une police irrégulière et supplétive, composée de bandits, de tortionnaires et de condamnés de droit commun. "

Et, comme a écrit Constantin Melnik, alors chargé de la coordination des services spéciaux à Matignon, dans ses souvenirs :
"... Ces demi-soldes du gaullisme... laissant dans leur sillage tout ce que j'apprenais sur leurs éventuelles condamnations pour rixes, coups et blessures, voire proxénétisme... "

Ce qui n'empêchera nullement Constantin Melnik d'assurer la transmission des ordres et des comptes rendus entre le Premier ministre Michel Debré et Michal Hacq autres agents de liaison : Alexandre Sanguinetti (Intérieur M. Frey), le colonel Laurent (2e Bureau), M. de Rochefort (le Rocher Noir).(2)

Le ministère de l'Intérieur est bien placé pour recruter: il a sous la main, via l'administration pénitentiaire, tous les détenus " intéressants ".

On recrutera pour Sanguinetti des tueurs dans les bas-fonds de Marseille : quelques mauvais garçons au casier judiciaire chargé (mais on leur promet de les " blanchir "). Les " barbouzes " ont carte blanche pour liquider les hommes des commandos Delta et les réseaux OAS. On avait commencé en fait par les employer pour liquider les membres des réseaux FLN en métropole. Munis de cartes de police et de ports d'armes, les truands marseillais font des ravages, en Algérie comme en France.

(Éditions Alain Moreau 1976 " Dossier D. . . comme Drogue ", par Alain Jaubert)

En 1961, un certain Raymond Meunier, dit " Raymond-la-Science ", condamné à six ans de prison pour vol à main armée, est libéré avec mission d'infiltrer les milieux OAS. Il travaillera surtout en métropole. Selon Leroy-Finville, chef de service du SDECE, qui le connaît pour l'avoir utilisé, c'est " le summum de la belle brute ; un colosse adipeux, difforme et flasque, une voix grasseyante aux intonations vulgaires... ".

La Sécurité militaire n'est pas plus " regardante " que la police. Sa recrue-phare est un certain Jean Augé, un second couteau de la Résistance devenu sans transition un caïd du milieu lyonnais. " Petit-Jeannot " reçoit l'ordre d'abattre à Alger deux agents du SDECE accusés de " trahison ".
Plus tard, en 1965, le colonel André devra reconnaître avoir utilisé le savoir-faire d'Augé " en diverses circonstances ", sans plus de détails. Augé est mort le 15 juin 1973, abattu au cours d'un règlement de comptes de nature indéterminée.
Très vite, le MPC dispose de cinquante permanents, sans compter les chauffeurs et gardes du corps algériens fournis par le cheikh Zekiri, avec ou sans l'accord officiel du FLN.

A Alger, Trois équipes :
- Lavier : Place du gouvernement, bab el oued, square Bresson et Bd de la République.
- Dubuquoy : centre d'El Biar.
- Lecerf : Champ de manœuvre, rue de Lyon, Belcourt, Kouba et Hussein Dey. Goulay, Pelletier, Lavier, Franck, Hortenzi et Dubuquoy.
- André Laurent à la sécurité militaire, coordonnait, analysait et traitait les renseignements et avait fourni, au MPC, des armes prises au FLN.
Pour Orléansville, Guy Gits sera le responsable qui travaillera étroitement avec le préfet Mohand Ourabah.
A Orléansville, deux chefs de secteur, huit responsables et vingt huit militants. Leur groupe de choc était constitué de six baroudeurs triés sur le volet.
A Oran, ils étaient basés au "Chateau Neuf", QG du lieutenant-colonel Ranson, chef du 2e bureau qui fut executé par l'OAS et au collège Ali Chekkal protégés par les gendarmes.

Suite à la riposte de l'OAS qui entreprit la traque des Barbouzes Goulay et Lecerf demandent des renforts à Paris. Le MPC s'attela à un nouveau recrutement de " soldats " plus ou moins recommandables par l'initiative de Dominique Ponchardier.
Envoi de la " mission C " et d'un corps de volontaires.
Ces nouveaux commandos serait appuyés par le soutien logistique d'une nouvelle recrue ; Ettore Lobianco dit " Mario " assisté de Gérard Maugueret et de Michel Dirand. Gaston Quetel (vice président du MPC) assurerait l'information de Dauer sur les activités en Algérie, de ces hommes.

Madame Lemarchand était chargée de transférer ces nouveaux venus que l'on appellera " colis ". Elle leur souscrira des assurances vie.

6 décembre 1961(3) arrivaient à Alger le père Peysson de son vrai nom Jean Dufour, Claude Vieillard, Marcel Pisano, ainsi que huit judokas et spécialistes de arts martiaux, quatre juifs d'AFN dont Joseph Touitou, Alain Belaïche, deux musulmans, le père et le fils Amar, et quatre vietnamiens commandés par Jim Alcheik dit " Lassus" judoka qui utilisa ensuite son dojo parisien pour recruter une partie des membres du groupe Action, Viorme, et de son adjoint Roger Bui-Thé. Tous spécialistes de sports de combats, ils formeront le commando " talion " qui montrera très vite une efficacité redoutable. Ils seront logés dans une cinquième villa qui sera vite abandonné au profit de la fameuse villa Andréa. Ils auront pour objectif principal : Annihiler la propagande OAS qui s'exprimait spectaculairement par des émissions de radio pirates. Le groupe Talion, qui a vraisemblablement servi de diversion au gouvernement de la république pour lui permettre de lutter contre l’OAS par d’autres moyens, fut décimé en peu de temps. Jim Alcheik mourut à Alger en janvier 1962, pulvérisé avec une vingtaine de ses élèves dans l’explosion d’une villa piégée par l’OAS.
Peu avant Noël, nouveau colis : Jacques Andréi.

Arrivé peu avant la fin de l'année à Alger, Clauzure, Biard, Pelletier, Hortenzi et Gauthier, tous membres du SAC (Service Action Civique) dont le chef sera Jacques Cohen " Mustapha ."

Après le repliement à l'hôtel " Radjah " arrivée de Christian David agent du SDECE (qui assassinera le commissaire Gallibert).

Débarquement des renforts recrutés dans le " milieu " marseillais.
Dans la foulée François Marcantoni garde du corps d'Alexandre Sanguinetti et truand notoire, Ange Simonpieri , Marcel francisci, Dominique Venturi " Nick ", qui s'illustreront dans le domaine de la drogue, Glaise secrétaire de FO, s'impliqueront dans la lutte anti OAS
Dans son ouvrage "Histoire des barbouzes" (Éditions du Palais Royal, 1972), Lucien Bitterlin évoque surtout les premières équipes envoyées en Algérie sous le couvert du Mouvement pour la Communauté, et limite les activités des barbouzes à celles de ce groupe. Il y eut plusieurs centaines d'"envoyés spéciaux" de Roger Frey en Algérie, et Bitterlin ne cite qu'une vingtaine de noms, justement ceux qui sont morts au combat. Plusieurs de ces "barbouzes" deviendront agents électoraux ou gardes du corps, ou encore feront du renseignement pour les services secrets : Simonpieri devient garde du corps de Me Lemarchand ; Marcantoni, celui d'Alexandre Sanguinetti ; Christian David espionnera les groupes révolutionnaires sud-américains pour le compte du Sdece.
(1) Boucheseiche, Attia, Palisse et Lopez furent quelques années plus tard au centre de l'affaire Ben Barka.
(2) Une auto piégée explose dans la cour du ministère des affaires étrangères, un mort 33 blessés. L'O.A.S. est accusée par les médias (bien sûr) mais à ce jour, on sait que c'est à la demande du premier ministre Debré que le responsable de la lutte anti OAS, Melnik a monté cette action avec ses hommes de main. Il le raconte en détail dans son livre "1000 jours à l'Elysée".
http://perso.wanadoo.fr/guerredalgerie/1962%20Janvier.htm

(3)Selon l'historien Jean Monneret, le groupe Talion aurait été fondé le 12 février 1962. cette date semble un peu tardive compte tenu de l'ordre rapatriement donné le 7 mars 1962.

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Mis en ligne le 15 Juin 2005
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