Très actif depuis l'échec du putsch d'Alger, le colonel Argoud, leader désormais du CNR/OAS, contrarie
les hautes instances du pouvoir, comme la Direction de la Sécurité Militaire (DSM) , le Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) dont le "patron" ne veut pas s'engager dans la lutte contre l'OAS. De son côté, le colonel Decorse, commandant le 11ème Choc, temporise, car il ne tient pas à poser des cas de conscience à son unité qui, jusque là, combattait le FLN. Son remplaçant, le colonel Merglen, qui se dit loyaliste et républicain, soulève des protestations, il s'ensuit des mutations, la politique du nettoyage par le vide.
Si Argoud circule librement entre la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, l'Autriche, la Suisse et l'Allemagne fédérale où ses "visites" attirent l'attention particulière des services chargés de le surveiller, Argoud s'évertue à contacter les officiers récemment mutés en Allemagne, dans le but de les recruter. La cause inspire des sympathies, certes, mais aucun engagement.
Pierre Messmer, ministre des Armées, talonné par le général de Gaulle et qui veut toujours aller plus loin, serait assez favorable à une opération "homo", l'élimination physique d'Argoud. Il en a parlé au général Feuvrier, chargé de la DSM. D'autres organismes vont également converger sur la même cible. |
le calme, laissant quelques traces sur le visage d'Argoud. A titre de précautions on lui passe les menottes mais personne ne songe à lui bander les yeux. Deux types à l'avant dont il ne voit pas bien le visage et... plus tard il identifiera l'un de ses voisins comme étant Boucheseiche, dans un journal relatant l'affaire Ben Barka . La voiture s'arrête ensuite sur un parking, où ils montent dans une autre voiture, appartenant à l'armée de l'air. Sitôt en route, Boucheseiche dit : "Tu pourras toujours gueuler, pas de problèmes, nous sommes dans une voiture militaire". Passage à Karlsruhe, puis arrivée au quartier de Lattre de Tassigny à Baden-Baden, prouvant l'implication de l'armée. Changement de voiture et plein d'essence. Au cours d'un arrêt en route, Argoud qui prétexta satisfaire un besoin naturel, parvint à se débarrasser d'un petit agenda contenant des noms. Un peu plus tard, Boucheseiche, en le fouillant, lui pique son portefeuille, contenant une certaine somme en marks et en lires. En riant, il dit : "Je le déposerai au greffe...". Argoud, naturellement, n'en reverra pas le contenu. En banlieue parisienne, le colonel est transféré dans une fourgonnette, qui sera abandonnée à proximité de l'archevêché de Notre-Dame de Paris. Argoud, ligoté sommairement, verra arriver des gardiens de la paix et un fonctionnaire en civil, prévenus par un coup de fil anonyme... Il était livré ! Amené au commissaire Bouvier, bien ennuyé, il voit ensuite M. Fernet, directeur de service, qui lui dit: "Vous allez à Fresnes, mais on s'en évade facilement". Tout ça ne paraissait guère sérieux. Un autre dispositif avait été prévu. Un avion attendait sur un parking de Lahr avec le colonel Flamant, quelques sous-officiers du 11ème Choc et une grande panière de transport (Argoud étant de petite taille). Interrogé par le colonel Reboul qui lui demanda s'il connaissait le colonel Bastien-Thiry, Argoud fut étonné... Jugé et condamné à "perpète", Argoud fit des rencontres intéressantes. Un aide-cuisinier à Fresnes lui dit : "Je ne vous connais pas, mais j'ai entendu parler de vous, au bar "Le Gavroche", en mars 1963. Dans un coin de la salle, il y avait plusieurs types qui sablaient le champagne, mais j'ai bien entendu plusieurs fois prononcer votre nom, mon colonel". Le patron du "Gavroche" était Jo Attia. Quelques années plus tard, alors que "Jo" était décédé d'un cancer à la gorge, sa veuve se rendit chez Argoud, à Damey, pour lui affirmer que son mari, en prison, avait, à titre d'échanges de bons procédés, été chargé de prévoir du monde pour s'occuper d'Argoud... Autre version, de Jacques Delarue, relatée dans la revue "Matériaux" n'92 (1er trim. 1992), qui parle de l'action d'officiers issus de la résistance, de la 2ème DB, et se définissant comme officiers républicains. Ils auraient participé à l'enlèvement... Document"Missions et actions secrètes en Algérie", Collection du Patrimoine "Guerre d'Algérie IV". L'affirmation d'Argoud concernant son enlèvement par Boucheseiche fut confirmée plus tard par Jo Attia, dans les mémoires qu'il publia. |
Audition de M.Antoine Argoud. Ancien responsable de l'OAS. (Extrait du procès-verbal de la deuxième séance du mercredi 17 mars 1982). |
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Présidence de M. Alain Hautecœur, Président. M. Antoine ARGOUD est introduit. M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Antoine ARGOUD prête serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. M. le Président : La Commission d'enquête a demandé à vous entendre en pensant que vous aviez pu avoir à connaître des activités du SAC. Comme nous procédons d'habitude, nous vous demanderons d'abord de nous dire ce que vous savez ou pensez de cette organisation, puis de répondre à nos questions. M. Antoine ARGOUD : Mon exposé sera très bref. J'ai bien eu à faire à des barbouzes, mais ces gens ne m'ayant jamais montré leur carte, je ne sais s'ils appartenaient au SAC ou non. M. le Président : Vous vous êtes bien renseigné sur la qualité de ceux qui luttaient contre l'OAS et contre les partisans de l'Algérie française. M. Antoine ARGOUD : Je ne suis plus retourné en Algérie après mai 1961. Je comptais le faire mais ce projet a avorté, en raison de l'arrestation du Général Salan. Mon activité s'est située tout entière à l'étranger. Là, des tentatives ont été faites contre ma personne, mais je ne sais pas si leurs auteurs appartenaient ou non au SAC. M. le Président : Vous ne le savez pas, mais vous avez bien, sur ce point, un sentiment. M. Antoine ARGOUD : J'ai reconnu les gens qui m'ont enlevé. Quant à ceux auxquels j'avais eu à faire précédemment je ne sais pas si c'était des gens du SAC ou seulement de ces barbouzes qu'utilisait en permanence le Général De Gaulle. M.le Président : Ce doute est d'autant plus justifié que la commission sait désormais que, contrairement à la légende, le SAC n'a pas participé à la lutte contre l'OAS. M. Antoine ARGOUD : Je puis vous citer le témoignage de ma femme. Alors qu'elle se trouvait à Oran, un magistrat qu'elle connaissait lui dit avoir rencontré un ancien inculpé circulant librement. Comme il s'en étonnait, cet homme lui dit qu'il possédait une carte qui le blanchissait totalement; à l'évidence, il faisait partie du SAC. M. le Président : Et votre enlèvement ? Pouvez-vous rappeler à la commission comment il s'est passé ?
M. Antoine ARGOUD : Je n'en ai jamais fait mystère et c'est expliqué dans mon livre.
Lorsque nous eûmes traversé le Rhin, Boucheseiche m'a dit que j'étais sous le coup d'un mandat d'arrêt. Je comprenais de moins en moins, car j'étais persuadé que, si de Gaulle avait réussi à mettre la main sur moi, ce n'était pas pour m'inviter à l'Elysée ! J'ai alors pensé qu'il voulait me torturer pour obtenir des renseignements. |
A moins, évidemment, qu'ils soient pris ou tués à l'extérieur !
Jo Attia a donc surveillé l'opération, qui a été menée par Boucheseiche. Cette version, bien que je n'en aie pas la preuve, m'a paru exacte, car elle répondait aux questions que je n'avais pu résoudre jusque là. En outre, certains détails de mon enlèvement ne pouvaient être connus que par ceux-là mêmes qui y avaient participé. A partir de ce moment- là, du reste, Attia a eu toutes les difficultés. Il a été cambriolé et on a essayé de lui voler son manuscrit. II a perdu les protections que lui avaient values son action sous la Résistance. J'ajoute que j'ai parfaitement reconnu mes trois agresseurs - qui sont d'ailleurs tous morts depuis - quand leurs portraits ont été publiés en 1965 à propos de l'affaire Ben Barka: c'étaient Boucheseiche, Le Ny et Palisse.
M. le Président : Comment expliquez-vous que ces professionnels se soient conduits comme des amateurs ? M. le Président : Votre explication est très intéressante. Pourtant, deux personnes que nous avons entendues ici nous ont donné une version différente de votre enlèvement. Selon elles, celui-ci aurait été exécuté, avec la complicité de la Sécurité militaire, non pas par l'équipe de Jo Attia, mais par des officiers de la sécurité militaire, sans la participation de truands. M. Antoine ARGOUD : Je récuse formellement cette explication, car j'ai très bien reconnu Boucheseiche. Mais je ne dis pas que des officiers de la sécurité militaire n'aient pas été aussi embrigadés dans l'affaire, de même que quelques commissaires. Le commissaire Caille, par exemple, a été reconnu à Munich ce soir-là. M. le Président : Par vous ? M. Antoine ARGOUD : Non, par des camarades. M. le Rapporteur : Vous avez dit que si Rosfelder se trouvait à Rome pour la F AO, c'était certainement avec l'autorisation de Foccart ? M. Antoine ARGOUD : J'observe simplement qu'il menait de front, sous sa véritable identité, une carrière de fonctionnaire à la F AO et une activité clandestine que M. Foccart ne pouvait ignorer. D'autre part, les services italiens nous ont dit: " Vous êtes infiltrés aux plus hauts échelons). M. le Rapporteur : Vous avez fait allusion à une certaine collaboration du SDECE à votre égard. Il semble que le général Grossin qui commandait le SDECE à l'époque, vous ait envoyé un message de sympathie. M. Antoine ARGOUD : Grossin, qui était né à Oran, éprouvait forcément de la sympathie à mon égard. J'ai deux preuves de ce que j'avance: d'abord, il m'a permis de quitter l'Algérie, vers le 8 ou 10 mai, après l'échec du putsch, dans un DC 3 qui s'est posé à Persan- Beaumont, un des aérodromes du SDECE à l'époque. Dans les jours qui ont suivi, j'ai eu un entretien avec un membre de ses services, le colonel Roussillat, qui m'a donné un peu d'argent, des faux papiers que je devais lui rendre, à Madrid, avant une date déterminée, et un imperméable. Ensuite, début juin, il m'a amené à Baden par les mêmes moyens. Là, il m'a souhaité bonne chance et j'ai plongé. A Madrid, l'officier du SDECE, collaborateur de l'attaché militaire, m'a fait parvenir un télégramme de sympathie du général Grossin. C'était à la fin du mois de juillet et, quand j'ai été interné aux Canaries, Grossin m'a envoyé une de ses collaboratrices à laquelle j'ai remis mon faux passeport. M.le Rapporteur : Vous avez prononcé le nom de M. Chatenet, ancien Ministre du Général de Gaulle. De quoi vous a-t-il fait prévenir ? M. Antoine ARGOUD : En fait, c'est un ami de Chatenet qui a fait le voyage de Paris à Madrid pour me prévenir que le Général De Gaulle voulait me supprimer. M. le Rapporteur : Vous dites que vous avez eu affaire à des barbouzes, sans pouvoir préciser leur appartenance ou non au SAC. Qu'appelez-vous des barbouzes ? M. Antoine ARGOUD : Pour moi, les barbouzes sont des personnes qui sont stipendiées par le gouvernement en place, ne figurent sur aucune liste, dans aucun fichier, et procèdent à des opérations ponctuelles à l'étranger et surtout en France. Les gens qui appartenaient au SAC figuraient sur un fichier. Je ne pense donc pas que les barbouzes d'Attia faisaient partie du SAC. M. le Rapporteur : Nos travaux ont permis d'établir que le SAC, en tant que tel, n'avait pas participé à la lutte contre l'OAS... M. Antoine ARGOUD : En France, c'est bien possible, mais il en allait tout autrement en Algérie, si j'en crois mes camarades. M. le Rapporteur : En revanche, il semble bien que des membres du SAC aient été dans les rangs de l'OAS. M. Antoine ARGOUD : Je n'ai aucun renseignement à ce sujet. M. le Rapporteur : En dehors de Chatenet, avez-vous eu des contacts avec d'autres membres du gouvernement de l'époque ? M. Antoine ARGOUD : Non. M. Pierre BOURGUIGNON : On a affirmé qu'après les événements d'Algérie, il y avait eu des rapprochements entre le SAC et les gens qui avaient été de J'OAS. En avez-vous eu connaissance ? M. Antoine ARGOUD : Non, ce genre de rapprochement n'est pas dans mon style. D'ailleurs, depuis ma libération, je vis à la campagne et je ne tiens pas à conserver de relations avec des gens capables de tels arrangements. M. Pierre BOURGUIGNON : On a dit que Jean-Jacques Susini s'était rapproché du SAC. M. Antoine ARGOUD : C'est possible. J'ai eu un contact avec Susini à Nice, en février 1969, deux mois après l'attentat où a disparu le colonel Gorel. Lui, dont on m'avait dit qu'il me ferait assassiner si je retournais en Algérie, s'est montré tout miel et m'a proposé de présider le jury d'honneur qu'il voulait constituer pour juger les responsables. J'ai refusé. Un an et demi après, ayant été amené à témoigner devant la cour d'appel d' Aix-en-Provence en faveur de mon camarade, Gilles Buscia, qui fut d'ailleurs acquitté, la cour faisant preuve d'une mansuétude inhabituelle, je côtoyais Susini, mais nous ne nous adressâmes pas la parole. M. le Président : Pourquoi Susini voulait-il se débarrasser de vous ? M. Antoine ARGOUD : Sans doute parce qu'il jugeait que j'étais un personnage dangereux. M. Pierre BOURGUIGNON : Il y a eu aussi des gaullistes partisans de l'Algérie française. M. Antoine ARGOUD : Jusqu'à un certain point. M. Pierre BOURGUIGNON: C'est-à-dire ? M. Antoine ARGOUD : Beaucoup de camarades gaullistes, tel le général Simon, étaient "Algérie française" de cœur, comme l'immense majorité des officiers, mais ils n'avaient plus leur tête car ils l'avaient donnée à de Gaulle et ils marchèrent sur leur cœur pour suivre celui-ci. Je n'appelle pas ça être "Algérie française". M. Pierre BOURGUIGNON : Avez-vous rencontré Debizet, qui a quitté ses responsabilités à la tête du SAC après le discours du Général de Gaulle sur l'autodétermination ? M. Antoine ARGOUD : J'ai rencontré tellement de monde, et beaucoup portaient de faux noms ! M. Pierre BOURGUIGNON : Il avait repris son nom de résistance, Debarge. M. Antoine ARGOUD : Je ne peux pas vous J'assurer. En deux ans, j'ai franchi clandestinement les frontières une centaine de fois. M. le Président : C'était si facile de franchir les frontières ? M. Antoine ARGOUD : Il n'y avait pas que les frontières françaises ! Maintes fois il m'a fallu attendre que les policiers aient consulté des listes, sur lesquelles ma photo se trouvait. Une fois même, à la frontière austro-italienne, j'ai failli être coincé, car j'avais eu la malencontreuse idée de présenter un passeport espagnol à un moment où des Espagnols avaient accompli un certain nombre d'attentats à Milan. D'ailleurs, les seuls à faire du zèle étaient les policiers belges et hollandais. M. le Président : Monsieur Argoud, je vous poserai une dernière question à laquelle vous êtes libre de répondre ou pas: quand vous considérez avec recul cette période de l'histoire de France à laquelle vous avez participé et que J'avenir jugera, que dites-vous ? M. Antoine ARGOUD : Que nous avions cent fois raison. Ma conviction est sincère, je le jure devant Dieu. Si nous avions gagné, cela aurait évité à la France bien des mécomptes et des souffrances. M. le Président : Merci beaucoup. |
Mis en ligne le 15 Juin 2005 - Modifié le 03 mars 2013
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