Vous avez dit " accords" ?

Ainsi, la signature des prétendus " accords " d'Évian n'a ni interrompu la tuerie, ni permis de récupérer les corps. A-t-elle au moins jeté les bases d'un accord entre la France et l'Algérie ? En réalité, au sens juridique du terme, il n'y a jamais eu d'" accord ", en 1962, entre la France et l'Algérie. D'abord, le terme même d'" accord "ne figure nulle part dans le corps du document signé à Évian. Seule la couverture de l'opuscule édité à posteriori par la Documentation française le porte.

Mais il ne figure jamais dans le texte lui-même.

À la seconde page, on ne parle déjà plus d'accord mais " des Déclarations d'Évian ". Entre accord et déclaration, il y a plus qu'une nuance.

Dans ses interventions publiques, le général De Gaulle a d'ailleurs pris bien soin d'éviter de prononcer le terme " accord ". Il utilisa soit le terme "déclarations ", soit des circonlocutions telles que " les conclusions des négociations d'Évian ".

A défaut d'en adopter la forme, le document signé à Évian contient-il au moins le fonds d'un" accord " ?
Autrement dit, définit-il les droits des deux parties et les obligations que chacune s'engage à respecter ?
Nullement.

- Le document est entièrement rédigé au futur.
- ll ne formule qu'un certain nombre d'intentions.
- Il ne précise jamais quelle partie est liée par ces intentions ni ce qui se passerait si celles-ci n'étaient pas suivies d'effet.

Par qui le texte est-il signé ?
Côté français, on peut admettre que les délégués du gouvernement (Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie) engageaient la parole de la France. Mais en face ?
Les émissaires du FLN (Krim Belkacem, Saad Dahlab, Ben Tobbal, M'hamed Yazid) ont signé sans jamais préciser quelle personne morale ils représentaient.

C'est ainsi qu'a été tournée une difficulté. En effet, s'ils avaient engagé le Gouvernement provisoire de la République algérienne, leur présence à une table de négociation, face à des émissaires du gouvernement français, aurait valu reconnaissance de facto du GPRA par le général De Gaulle.

Trop compromettant tant que l'affaire n'était pas complètement bouclée !
De ce fait, les délégués algériens devaient, après signature, retourner à Tripoli faire avaliser par le GPRA et par le CNRA le texte qu'ils avaient signé. Mais à Tripoli, sous l'influence du colonel Boumediene, chef des armées, le GPRA refusa de " couvrir " les émissaires qu'il avait lui-même envoyés à Évian.

Quel juriste international oserait accorder la moindre portée juridique à un document établi dans des conditions aussi rocambolesques ?

Dans la pratique, les déclarations d'intention d'Évian n'ont servi qu'à donner une forme symbolique au transfert de pouvoir de la France au FLN. C'est à peu près tout.

Et c'est bien parce que ces prétendus " accords" n'ont jamais eu de portée juridique que, bien que des clauses essentielles n'aient pas été respectées, le gouvernement français s'est toujours refusé à saisir le Tribunal international de La Haye.

Ils n'ont d'autre valeur que celle d'une déclaration d'intention unilatérale de la France, cosignée par quatre personnalités algériennes non accréditées

Pourtant, le comble de la clownerie diplomatico-juridique était encore à venir. Le transfert de pouvoir eut bien lieu dans les formes prévues par les "accords".
Le 3 juillet 1962, l'Exécutif de transition présidé par Abderrahmane Farès céda à Alger la place au GPRA présidé par Youssef ben Kheddha.

Des élections "démocratiques" devaient suivre. Mais, le 3 septembre1962, franchissant les frontières que l'armée française ne verrouillait plus, les troupes et les services spéciaux du colonel Boumediene renversaient Ben Khedda, pour le remplacer par le couple Ben Bella - Boumedienne.

Ainsi, les adversaires les plus résolus des prétendus " accords "étaient-ils désormais chargés de leur mise en œuvre !

René MAYER
Commandeur de la Légion d'honneur
Auteur de " Algérie, mémoire déracinée " aux Editions L'Harmattan et de "Français d'Afrique du Nord, ce qu'ils sont devenus" (chez l'auteur).

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Mis en ligne le 25 juin 2011

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