La Suisse et les accords d'Evian 6
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En fait les accords d'Evian entraînent le départ de l'armée française, mais les violences et les drames continuent pendant une longue période au cours de l’année 1962. La Suisse se trouve impliquée dans la guerre d’Algérie par un retournement de l’histoire : les indépendantistes et leurs sympathisants français quittent le territoire de la Confédération, tandis que l’OAS tente d’utiliser les possibilités offertes sur le territoire de l’État neutre. Des militants y séjournent, y publient des textes et bénéficient de certaines sympathies en Suisse romande dans des milieux très traditionalistes et francophiles.
Dès l’été 1962, les nouvelles autorités algériennes font des ouvertures aux représentants suisses afin que des aides soient apportées au développement.
La Division des affaires politiques du DPF transmet des informations et son analyse au Service de la coopération technique. "Considéré d’un point de vue général, nous sommes de l’avis qu’une assistance technique substantielle de notre pays à l’Algérie constituerait un geste utile et apprécié qui viendrait renforcer encore le crédit dont nous jouissons dans ce pays, à la suite de ce que nous avons fait pour rendre possible les pourparlers qui ont mené l’Algérie à l’indépendance. Nous devrons évidemment veiller, en ce faisant, que notre effort ne vienne pas donner l’impression que nous voudrions concurrencer la France qui désirera vraisemblablement maintenir autant que possible sa prépondérance en Algérie. (113)"
En fait, les fonctionnaires suisses ont négocié avec des Algériens qui ne joueront
pas les premiers rôles en Algérie indépendante. Dès 1962, les divergences
politiques s’accentuent parmi les Algériens: certains dirigeants affirment leur
opposition, d’autres se retirent de la politique (114). Le GPRA qui avait la
responsabilité des négociations s’efface devant l'armée :
Boumédienne avait
manifesté dès le début sa méfiance face aux négociations et il avait voté contre
les accords d’Evian. Son alliance avec Ben Bella permet à celui-ci d’accéder à la
présidence de la République, avant d’être renversé en 1965 par Boumédienne
qui dirigera le pays jusqu'à sa mort.
Dès le début de 1963, Olivier Long s’occupe à nouveau des relations avec
l’Algérie. Des projets d’accords sont élaborés au sein de l’administration
fédérale :
un accord commercial, avec si possible la clause de la nation la plus
favorisée ; un second texte concerne les investissements: "Nous attachons une
grande importance à sa conclusion qui devrait assurer une certaine garantie aux
intérêts suisses en Algérie. En même temps, il devrait servir à promouvoir les
investissements suisses en Algérie au cours des prochaines années.
Le troisième projet concerne la coopération technique et scientifique et servira de cadre à
l’action de notre pays dans ce domaine. (115)" Il s'agit de marquer la volonté suisse de
contribuer à l'essor économique, culturel et social de l'Algérie.
Les projets sont approuvés par le Conseil fédéral le 10 mai et les entretiens ont lieu à Alger du 29 juin au 6 juillet 1963. "Ces négociations se sont déroulées dans un climat particulièrement agréable, quoique nos interlocuteurs se soient montrés beaucoup plus difficiles à manoeuvrer que nous l’espérions. […] La principale difficulté à laquelle nous ayons eu à faire face a été l’impossibilité dans laquelle se sont trouvés les Algériens de prendre position sur certains problèmes que nous avions soulevés étant donné que, sur le plan interne, de nombreuses questions n’ont pas encore trouvé de solution. Nous pensons en particulier au sort que les Algériens devront faire à leurs relations avec leurs deux voisins, ainsi qu’avec la France et les pays du Marché commun, ainsi qu’à la politique qu’ils entendent suivre en matière d’investissements, de garantie, de transfert, etc., etc. Etant donné ces incertitudes, graves mais compréhensibles, nous pouvons nous estimer satisfaits du résultat obtenu jusqu’à présent. (116)"
Par la suite, les relations vont se détériorer :
la nationalisation des biens suisses
va accélérer la diminution de la présence suisse en Algérie. Des opposants vont
se réfugier en Suisse. M. Khyder, qui gérait le "trésor du FLN" sera assassiné en
1967 à Madrid. Le sort de ces capitaux provoquera un long contentieux qui pèsera sur les relations algéro-suisses.
113 Note de la Division des affaires politiques (PROBST) au Service de la coopération technique du DPF,
23.8.1962, AF E 2001 (E) 1976/17, vol. 259.
114 C'est en particulier le cas de Saad Dahlab qui avait joué un rôle de premier plan comme secrétaire
général du Ministère des AE, puis comme ministre des AE dès août 1961. Il laissa une forte impression
sur les négociateurs français et suisses qui lui pressentaient un destin national dans l'Algérie
indépendante. Cf. HELIE J., op. cit., p. 142. En fait, il se retira de la vie politique peu de temps après
l'indépendance. Cf. les articles nécrologiques dans El Watan, 17.12.2000.
115 Lettre de la Division du Commerce du DFEP (O. LONG) à l’Ambassade de Suisse à Alger, 3.4.1963, AF
E 2001 (E) 1976/17, vol. 265.
116 Lettre de la Division du Commerce du DFEP (O. LONG) à l’Union Suisse des Paysans (R. HARTMANN) et
au Vorort (F. ROTHENBÜHLER), 10.7.1963, AF E 2001 (E) 1976/17, vol. 265.