La mémoire et l'oubli

Entre Jérôme Ferrari, Alice Ferney et le cinéaste Xavier Beauvois , on trouve au moins un trait commun : tous redécouvrent la présence française en Algérie, comme si celle-ci avait été effacée de la mémoire, gommée des souvenirs. Sur le plan intellectuel, cette impression est fausse. Depuis la fin de la guerre d'Algérie, l'histoire des anciens départements et de leur abandon fracassant n'a cessé, dans notre pays, de hanter la création littéraire, la réflexion historique et les écrans. Elle a même donné des chefs-d'œuvre, comme Les Chevaux du soleil, de Jules Roy. Mais il est vrai que, dans l'opinion, ce passé a été très vite oublié, et à bien des égards il faut s'en féliciter, tant il est vrai que, comme l'écrivait Renan, la paix civile, dans une nation, est faite autant d'oubli que de mémoire. Or si, auprès des jeunes générations, la trace du traumatisme algérien paraît aujourd'hui si lointaine, pour ne pas dire inexistante - à l'opposé des divisions qui continuent d'ensanglanter l'Algérie elle-même -, ce n'est pas seulement en raison des années d'expansion qui ont consolidé les débuts delà V ème République.

" Il faut aussi en rendre hommage aux Français d'Algérie qui, à la différence de tant d'autres réprouvés de l'Histoire, ont su pour la plupart, après leur retour en France, retrousser leurs manches et refaire leur vie. Ils auraient pu, pourtant, et pourraient encore objecter aux belles âmes enclines a retenir seulement la face obscure du passé colonial, que la longue présence française en Afrique du Nord n'a rien a voir avec la -guerre du Vietnam, qui nourrit la mauvaise conscience des romanciers et des auteurs américains. Ils pourraient rappeler que l'Algérie, avant d'être une guerre, fut une colonie de peuplement, et qu'un peuple d un million de personnes, venu de France, mais aussi d'Espagne, de Sicile, de Malte, installé là-bas depuis cent trente ans, tut contraint à l'exode dans des conditions désastreuses. Ils pourraient étayer bien des ressentiments sur le traitement brutal de la révolte de Bab-el-Oued ou de la manifestation de la rue d'Isly et sur le maintien l'arme au pied de l'année française lors des massacres d'Oran du 5 juillet 1962, pour ne rien dire de l'accueil hostile de la métropole qu'ils avaient naguère idolâtrée. Or, autant ils ont poussé loin la révolte sur leur terre natale, autant, une fois arrivés sur le sol de l'ingrate patrie ils ont eu à cœur de démontrer leur capacité d'entreprendre et leur volonté de réussir. Certes, nul ne songe à mer leur part de responsabilité dans les fautes qui ont rendu jadis toute issue négociée impossible. Mais l'essentiel de la responsabilité incombe à l'incapacité de la République d'inscrire sa politique algérienne dans la durée. Et, dans une période ou la compassion et le droit vont d'abord aux replis identitaires et aux chantages victimaires, le loyalisme intelligent des pieds-noirs mérite d'être cité en exemple.
Alain Gérard Slama
11 SEPTEMBRE 2010 - LE FIGARO MAGAZINE- page 93

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Mis en ligne le 23 oct 2010