8 JANVIER 1961 : LE CHOIX DE L'AUTODETERMINATION
Quand les Français approuvent à 82 % la constitution de la Ve République le 28 septembre 1958, ils savent dans leur for intérieur que les relations entre la France et ses trois départements d'Algérie en seront à jamais changées. Par la voie de l'autodétermination ? Non, puisque leur nouveau chef de l'Etat, Charles de Gaulle, ne prononce jamais le mot. Lors de sa tournée des popotes, en août 1959 (le 30 Ndlr) :" Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l'Algérie ", déclare-t-il à Saïda.
Le 16 septembre, dans un long discours a la radio nationale, le Général évoque pourtant " la seule voie qui vaille, je veux dire par là, le libre choix que les Algériens eux-mêmes voudront faire de leur avenir ".
Pour les partisans d'une Algérie Française, le divorce est prononcé. Une partie de l'armée, engagée depuis quatre ans dans les combats, grimace. Quant au gouvernement provisoire de la République algérienne, il refuse toute demi-mesure, exigeant l'indépendance totale du pays avant toute discussion.
1960 : plus de quinze pays africains accèdent à l'indépendance.
Pas l'Algérie. Début mars, De Gaulle revient à la charge. Dans le même élan, il estime " qu'une victoire militaire est nécessaire avant la consultation alu peuple " tout en évoquant " une Algérie algérienne liée à la France ". Une politique de petits pas qui débouche, le 4 novembre, sur l'annonce d'un référendum sur
L'autodétermination. La messe est dite : 75 % de oui le 8 janvier 1961. Un mois plus tard, l'OAS est créée.
La France condamnée par l'0NU
Déjà en novembre 1956 et septembre 1957, la " question algérienne " est inscrite a l'ordre du jour des Nations Unies. Plus les mois passent, moins le reste du monde comprend l'attitude de la France. " En 1960, la guerre est gagnée après le succès du " plan Challe ". Mais politiquement et moralement ", analyse l'historien Jean-Charles Jauffret, " cette guerre est déjà perdue.
A cause de la torture. De tous les pays au monde, seuls Israël et l'Afrique du Sud continuent à nous soutenir ". Le 5 décembre 1960, le sujet revient devant la " commission politique " de l'ONU.
Le 14, une déclaration sur " la liquidation du colonialisme " fait l'unanimité de l'assemblée générale. A 9 voix près, dont celle de la France.
Le 19, le droit à l'autodétermination et à l'indépendance des Algériens est reconnu. En revanche, l'idée de confier l'organisation d'un référendum directement à l'ONU, est abandonnée.
Le lendemain, De Gaulle évoque la consultation du 8 janvier 1961 à la télévision ; " l'Algérie sera donc algérienne ".
Les intellectuels divisés
La guerre d'Algérie a divisé les milieux intellectuels français. Parmi les plus en pointe, pour l'indépendance du pays, les " porteurs de valise ", membres et amis du réseau mené par l'écrivain Francis Jeanson. Henri Curiel était, parmi eux, le plus célèbre. Motivés par des idéaux progressistes, ils ont alimenté le FLN en argent et en
faux papiers, avant d'être arrêtés et jugés en septembre 1960 ; condamnés a des peines jusqu'à 10 ans de prison. Le même mois, 121 personnalités {Marguerite Duras, Michel Butor, Edgar Morin, etc.] publiaient un manifeste sur le droit à l'insoumission.
En octobre, Antoine Blondin, Jules Romain ou bien encore Roland Dorgelès qualifient à l`inverse le FLN de " minorité fanatique, terroriste et fasciste ".
Patrice Maggio- Paru dans " La Provence "-Hors série-H20306-Novembre 2011
" Pieds-Noirs - Algérie 1945 / 1962 - De l'insouciance à la déchirure "
Un référendum est organisé afin de valider la politique d'autodétermination du général de Gaulle en Algérie. Le résultat est favorable au " oui " dans une proportion de près de 74,99 % des suffrages exprimés. L'abstention est assez faible, puisqu'elle se limite à un taux de 26,24 %.
Objet : " Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination ? "
- |
Total |
% inscrits |
%
exprimés |
Métropole |
%
exprimés |
Algérie |
%
exprimés |
Electeurs |
32 520 233 |
- |
- |
27 184 408 |
- |
4 470 215 |
- |
Abstentions |
8 533 320 |
26,24 |
- |
6 393 162 |
- |
1 843 526 |
- |
Votants |
23 986 913 |
73,75 |
- |
20 791 246 |
- |
2 626 689 |
- |
Nuls |
721 469 |
2,21 |
- |
594 699 |
- |
109 174 |
- |
exprimés |
23 265 444 |
71,54 |
100% |
20 196 547 |
100% |
2 517 515 |
100% |
OUI |
17 447 669 |
53,65 |
74,99 |
15 200 073 |
75,26 |
1 749 969 |
69,51 |
NON |
5 817 775 |
17,89 |
25,01 |
4 996 474 |
24,74 |
767 546 |
30,48 |
Le total inclut les résultats de la Métropole, de l'Algérie, mais aussi des DOM, des TOM et du Sahara, qui sont décomptés à part dans le tableau du Conseil constitutionnel.
sources : décret n° 60-1299 du 8 décembre 1960 décidant de soumettre un projet de loi au référendum ; proclamation du Conseil constitutionnel du 14 janvier 1961.
Géographie du Référendum du 8 Janvier 1961 dans la France Métropolitaine Les résultats globaux.
Globalement, les résultats du référendum du 28 septembre 1958 et de celui du 8 janvier 1961 ont été les suivants pour l'ensemble de la France métropolitaine :
- |
28 septembre 1958 |
8 janvier 1961 |
Inscrits |
26 603 454 |
27 184 408 |
Votants |
22 595 850 |
20 791 246 |
Abstentions |
4 006 614 |
6 393 162 |
Blancs et Nuls |
303 549 |
594 699 |
OUI |
17 668 690 |
15 200 073 |
NON |
4 624 511 |
4 996 474 |
En pourcentage par rapport aux inscrits, l'évolution, d'un référendum à l'autre, a donc été la suivante :
Abstentions : de 15,06 à 23,51 %, soit une progression de 8.45 %.
Blancs et nuls: de 1,14 à 2,18%, soit une progression de 1,04%.
Votes oui : de 66,41 à 55,91 %, soit un recul de 10,50 %.
Votes non: de 17,38 à 18,37%, soit une progression de 0,99%.
Autrement dit, la progression des votes non, de l'ordre de 1 %, est très inférieure au recul des votes oui, qui atteint 10,5 %. Cette différence s'explique par l'accroissement des abstentions, pour près de 8,5 % et par celui des votes blancs et nuls, pour un peu plus de 1 %.
Il en résulte que, si l'on calcule la proportion des votes oui et des votes non par rapport aux suffrages exprimés et non par rapport aux électeurs inscrits, la différence entre les deux consultations est faible, le vote oui passant simplement de 79,25 à 75,26 %, ou, en d'autres termes, d'un peu moins des quatre cinquièmes à un peu plus des trois quarts. Quels enseignements l'analyse géographique, faite par départements dans le cadre de la France métropolitaine, peut-elle apporter sur les résultats de ce référendum ? Cette recherche implique essentiellement l'établissement et la comparaison d'un certain nombre de cartes
Impression d'ensemble de la géographie des votes oui et non.
Les deux premières, établies selon une gradation de teintes continue, par écarts de 7 % des électeurs inscrits, sont moins destinées à permettre une recherche détaillée des caractéristiques géographiques des bastions du oui et du non qu'à donner l'impression
visuelle de la différence d'intensité entre les uns et les autres. Les besoins d'une analyse plus approfondie conduiront en effet à adopter ensuite des échelles différentes pour les cartes de l'abstention, du vote nul, du oui et du non, ainsi que de leur évolution, ce qui risquerait de donner une impression inexacte des résultats globaux du référendum. C'est pourquoi les deux premières cartes sont établies selon la même échelle, sous cette réserve que la différence d'intensité est si grande que l'échelon intermédiaire (correspondant aux pourcentages situés entre 29 et 35,9 % des électeurs inscrits), n'est utilisé pour aucune d'entre elles. Autrement dit, le vote oui l'a emporté sur le vote non dans tous les départements métropolitains.
D'autre part l'analogie d'ensemble entre cette carte des oui et les cartes traditionnelles des partis de tendance modérée ou conservatrice : les uns comme les autres possèdent en effet des bastions dans la France de l'Ouest et dans celle de l'Est, au Sud du Massif Central et à l'Ouest des Pyrénées.
Toutefois la zone de forte prédominance du oui déborde les limites du domaine habituel de la droite : elle s'étend à la France du Nord (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne et Ardennes) ainsi qu'à un département du Sud-Ouest, les Landes, qui ne peuvent être considérés comme votant habituellement à droite.
Quant à la carte 2, celle des votes non, elle ne fait pas seulement ressortir la faiblesse générale de l'opposition, particulièrement marquée dans les zones de force habituelles de la droite, mais aussi l'analogie entre les zones où cette opposition est moins faible qu'ailleurs - entre 22 et 29 % des inscrits - et la plus grande partie des zones de force qui ont été celles du Parti Communiste à toutes les élections générales de 1945 à 1956 : France du Nord - où cependant le non s'étend moins largement que ne le fait habituellement un vote communiste notablement supérieur à la moyenne nationale ; France du Centre, ou plus exactement départements des bordures Nord et Ouest du Massif Central - où l'on note un certain glissement vers le Sud du Massif Central, par rapport aux bastions habituels du Parti Communiste ; enfin, France méditerranéenne, des Pyrénées-Orientales aux Alpes-Maritimes, avec les seules exceptions de l'Aude et de la Corse.
Après cette première impression d'ensemble, il convient de procéder à une étude plus détaillée de la géographie du scrutin.
Géographie des abstentions et des votes nuls.
La carte 3 fait ressortir ce qu'il existe de constant dans la répartition territoriale de l'abstentionnisme. Sans doute s'est-on plus abstenu le 8 janvier 1961 que le 28 septembre 1958, date à laquelle la participation avait été exceptionnellement élevée.
Mais la comparaison de cette carte avec celle des abstentions le 2 janvier 1956 (1) ou le 28 septembre 1958 (2) ferait ressortir la constance géographique, sinon numérique, du phénomène de l'abstentionnisme dans la France contemporaine : il comporte en effet, du
Massif Central au Sud de la Bourgogne et aux Alpes, ainsi qu'àl'Est des Pyrénées et au cœur du Sud-Ouest, des bastions traditionnels, que l'on retrouve toujours d'une élection à l'autre. Inversement, la France de l'Ouest, celle du Nord et celle de l'Est - exception faite dans certains cas d'un département alsacien, le Bas-Rhin - se distinguent toujours par une participation électorale supérieure à la moyenne.
Il n'en reste pas moins que les abstentions de janvier 1961, quoique à peine supérieures à celles des élections législatives du 23 novembre 1958 (23,51 % contre 22,9 %), ont été sensiblement plus nombreuses que celles du 28 septembre 1958. Il y a donc lieu d'examiner les différences régionales de leur évolution : c'est l'objet de la carte 4, dressée d'après l'indice départemental d'évolution de l'abstentionnisme d'un référendum à l'autre, c'est-à-dire d'après le rapport arithmétique du pourcentage de 1961 à celui de septembre 1958.
Il en ressort que l'accroissement de l'abstentionnisme, quoique général, a été inférieur à la moyenne en Bretagne, en Alsace et dans la plus grande partie du Sud-Ouest. Il a été au contraire particulièrement fort en Languedoc (où les associations viticoles avaient donné un mot d'ordre de non-participation au scrutin), dans une partie du Massif Central et des Alpes (où la saison était peu favorable à une forte participation), ainsi que dans l'Ouest intérieur, la région de la Loire moyenne, la Bourgogne et la Seine (où il a sans doute eu une signification politique plus marquée qu'ailleurs, car il y correspond en général à un recul assez sensible du vote oui).
Le phénomène le plus frappant consiste dans l'existence dans le quart Sud-Ouest de la France d'une vaste zone où l'abstentionnisme - sans être faible en valeur absolue, puisqu'il y dépasse partout 22,5 %, sauf dans le Tarn, et qu'il dépasse même 32,5 % dans le Gers - a du moins faiblement augmenté.
La carte 5 est celle de l'indice d'évolution de l'abstentionnisme par rapport aux élections législatives du 23 novembre 1958. Le contraste est ici entre le tiers Nord de la France, où l'on a en général participé sensiblement plus au dernier référendum qu'aux élections législatives antérieures, et les deux tiers Sud, auxquels est due la légère augmentation globale de l'abstentionnisme. Il n'est pas surprenant, pour des raisons d'ordre géographique et climatologique, que le Massif Central et, à un moindre degré, les Alpes et les Pyrénées, soient les zones où l'abstentionnisme a le plus augmenté de novembre 1958 à janvier 1961. Ce n'est guère sans doute que dans l'Aude et en Haute-Saône que l'augmentation du taux d'abstention entre ces deux scrutins a une signification politique : dans le premier cas, elle a traduit le mécontentement des viticulteurs, dans le second la perplexité d'une fraction du corps électoral habituel du radicalisme, devant la campagne l'incitant à voter non faite par un parlementaire influent du département, M. Maroselli.
La carte 6 est celle des votes blancs et nuls. Il est difficilement contestable que leur sensible augmentation - ils ont presque doublé d'un référendum à l'autre - revête une signification politique. D'après divers sondages dans les bureaux de dépouillement des votes, la plus grande proportion de votes nuls a résulté de l'apposition sur les bulletins d'adjonctions manuscrites du type de " oui à la première question " ou " oui à la négociation ", encore qu'on ait également signalé des " oui à de Gaulle " et des " non à l'abandon". Il est curieux de constater que la zone la plus homogène de votes nuls relativement nombreux - plus de 3 % des inscrits, et même plus de 4 % dans le Tarn-et-Garonne et l'Aveyron, plus de 5 % dans le Tarn - corresponde d'assez près à la zone de diffusion du grand journal radical-socialiste du Sud-Ouest, La Dépêche du Midi. En Vaucluse une influence radicale d'opposition, celle de M. Daladier, a pu agir dans le même sens que les prises de position de La Dépêche. Dans la Loire et la Vendée, la campagne de parlementaires influents en faveur du non a peut-être contribué à conduire quelques-uns de leurs électeurs à annuler leur bulletin, à titre de moyen terme entre la consigne donnée par leurs élus et leur répugnance personnelle à voter comme l'extrême-gauche.
Simple hypothèse, peut-être plus fragile que celle relative à l'influence de La Dépêche dans la région toulousaine.
La carte 7 est celle du vote oui, dressée selon une échelle assez nuancée, puisqu'elle comporte des gradations correspondant à 4 % des inscrits, le blanc étant cependant employé pour les pourcentages allant de 41 à 46 % (sauf pour la Corse, où il n'est que de 37,5 %, ce qui s'explique par un taux d'abstentionnisme très élevé (50 % ) qui correspond au fait que les listes électorales comprennent dans ce département un très grand nombre d'électeurs qui n'y
résident pas).
Cette carte permet de nuancer et de préciser l'impression donnée par la carte 1 : les bastions du vote oui dans la France de l'Ouest et dans la France de l'Est, régions traditionnellement modérées, apparaissent en effet sensiblement plus élevés que celui de la France du Nord.
La région modérée du Massif Central ne ressort pas sur la carte, en raison du grand nombre des abstentions, dues certainement pour l'essentiel à des raisons d'ordre géographique.
Quant aux zones de faiblesse, où le vote oui n'a pas réuni la moitié des électeurs inscrits (tout en obtenant toujours une forte majorité des votants), celle du Centre comme celle du Languedoc correspondent à des régions où les tendances modérées et conservatrices sont depuis longtemps toujours nettement minoritaires.
Dans le Languedoc, la consigne d'abstention des associations viticoles contribue aussi à expliquer la faiblesse du oui.
Tout compte fait, l'enseignement que comporte cette carte des votes oui paraît être essentiellement que la géographie du oui correspond à celle des partis modérés, mais à un niveau d'intensité très différent, et beaucoup plus élevé. Tel avait déjà été le cas en septembre 1958, et de ce point de vue le second référendum ne se distingue guère du premier.
Ce qui est vrai dans l'ensemble ne l'est pas moins dans le détail : on retrouve presque toujours en effet entre départements voisins une hiérarchie des pourcentages de votes oui qui correspond à la hiérarchie habituelle des votes modérés : c'est le cas par exemple pour les Basses-Pyrénées, les Hautes-Pyrénées et le Gers, le Morbihan, le Finistère et les
Côtes-du-Nord, la Haute-Savoie, la Savoie et l'Isère, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Haute-Vienne, la Mayenne et la Sarthe.
Dans chacun de ces départements, le vote oui est bien plus fort que ne le sont en général les tendances modérées, mais les différences entre eux correspondent à ce qu'on constate habituellement en ce qui concerne les votes modérés.
La carte 8 est celle des indices départementaux d'évolution du vote oui, c'est-à-dire qu'elle montre les différences départementales existant dans le rapport entre le pourcentage des votes oui de janvier 1961 et celui de septembre 1958. Pour la France entière, ce rapport est de 84 %. La plupart des départements où l'indice d'évolution est supérieur à la moyenne se trouvent dans la moitié Nord de la France : c'est en Bretagne, dans une partie de la Normandie, et dans la France du Nord, du Nord-Est et de l'Est que le vote oui a le moins reculé.
Dans la moitié Sud du pays, c'est seulement dans des départements isolés - Deux-Sèvres, Corrèze, Basses-Pyrénées et Haute- Savoie - que le vote oui a reculé moins que dans l'ensemble.
Il est assez frappant de constater que, du Pas-de-Calais au Doubs, la zone des indices d'évolution élevés du vote oui correspond à une importante fraction de la France économiquement modernisée et industrialisée, de ce qu'on a pu appeler la France dynamique, alors qu'au contraire les départements dont l'économie a peine à s'adapter à notre époque, et dont la population diminue, sont souvent parmi ceux où le vote oui a le plus reculé.
Quelques cas particuliers méritent un commentaire : le Loiret est le seul des départements de la vallée moyenne de la Loire où le vote oui ait relativement peu reculé ; il se peut que cela tienne au fait que le quotidien départemental La République du Centre avait catégoriquement pris parti en faveur du vote oui par un article de son directeur, alors que beaucoup d'autres quotidiens régionaux n'avaient pas pris aussi nettement position. Le fait que l'indice soit particulièrement fort dans la zone de diffusion d'Ouest-France, journal également partisan déclaré du oui, donne une certaine vraisemblance à cette hypothèse.
Dans les Basses-Pyrénées, le vote oui a peu reculé, bien que le non y ait été préconisé à la fois par un sénateur indépendant,
M. Guy Petit, et par le député qui l'avait emporté sur lui en novembre 1958, le colonel Thomazo.
En Corrèze, le faible recul du oui coïncide avec un recul moyen des abstentions et un recul assez sensible du non, ce qui paraît impliquer certains transferts de voix du vote non, en septembre 1958, au vote oui, en janvier 1961.
L'étude des zones de faiblesse de l'indice d'évolution comporte aussi certains commentaires. Dans la Sarthe, cette faiblesse peut s'expliquer à la fois par le malaise dû aux licenciements intervenus au Mans dans l'industrie automobile, et par la position hostile au vote oui prise par deux députés élus comme U.N.R. En Haute- Saône, on retrouve, comme sur la carte de l'évolution des abstentions, l'influence de la prise de position négative de M. Maroselli.
Dans la Loire, l'opposition ouverte de M. Georges Bidault, et le silence, généralement interprété comme hostile, de M. Antoine Pinay ont certainement contribué au fort recul du oui, de même que l'opposition de M. Soustelle dans le Rhône, celle de MM. Caillemer et de Maupéou en Vendée, celle de M. Duchet en Côte-d'Or.
En Meurthe-et-Moselle, par contre, l'attitude prise par M. François-Valentin ne paraît pas avoir eu la même influence - d'ailleurs toujours faible en valeur absolue, même lorsque le calcul de l'indice permet de la déceler.
Quant à l'influence des partis, c'est sans doute surtout dans le Nord et le Pas-de-Calais que la carte en porte la trace, en ce qui concerne la S.F.I.O., l'attitude du M.R.P., favorable au oui, ayant également produit ses effets en Bretagne, dans les Deux-Sèvres, en Haute-Savoie, en Moselle et dans le Bas-Rhin.
Géographie du vote non.
La carte 9, comme la carte 7, consacrée aux votes oui, est dressée par écarts de 4 % des inscrits, mais la même teinte correspond, en valeur absolue, à des taux beaucoup plus faibles
- inférieurs dans chaque cas de 42 points : les deux cartes ne sont donc pas destinées à être comparées.
Le taux maximum des non en janvier 1961 a été constaté dans la banlieue de Paris, où il a atteint 27,5 % des inscrits, alors qu'en septembre 1958, il avait été le fait de la Corrèze, avec 29,9 %.
Quant au minimum, il a été cette fois-ci de 6,6 %, dans le Bas-Rhin, alors qu'en 1958 il était de 5,9 %, dans la Manche : c'est dire que l'écart entre minimum et maximum départementaux est tombé de 24 points à un peu moins de 21. La carte 9 montre très clairement la grande faiblesse du vote non dans les bastions traditionnels des partis modérés : Ouest, Est, Massif Central ; mais il faut souligner que, dans chaque cas, la zone de faiblesse du non s'étend, un peu moins marquée, au delà des limites des régions conservatrices : la zone de l'Ouest rejoint ainsi celle de l'Est, qui s'étend vers le Nord. L'une et l'autre se prolongent, la première vers le Sud-Ouest, la seconde vers le Sud-Est, où elle rejoint le Massif Central, sans atteindre cependant la Méditerranée.
L'analogie des zones de force du vote non avec les bastions traditionnels du Parti Communiste depuis 1945 est grande, mais elle n'est pas absolue : celui de la France du Nord ne se retrouve pas tout entier sur la carte, il est amputé des départements du Nord, des Ardennes, de l'Aisne et de la Seine-Maritime. Celui du Centre, au contraire, rejoint par le Languedoc la zone méditerranéenne, dont il est habituellement séparé par le Tarn-et-Garonne et le Tarn, et il s'étend plus au Sud (Gers, Haute-Garonne). Il apparaît donc à la fois que toutes les zones de force communistes ne sont pas, au même degré, des zones de force du vote non, et que toutes les zones de force du vote non ne sont pas des zones de force communiste, l'analogie entre les unes et les autres étant tout compte fait moins grande qu'en 1958 (3).
Il convient donc d'étudier attentivement les modifications intervenues d'un référendum à l'autre dans la répartition des votes non. Dans l'ensemble, ils se sont accrus de façon insignifiante, puisque leur pourcentage ne progresse pas tout à fait d'un point. Mais, géographiquement, des changements appréciables se sont produits.
Pour analyser ces changements, une carte des indices d'évolution n'apparaît pas comme le meilleur instrument parce que, là où le pourcentage des non était très faible en 1958, elle donnerait trop d'importance apparente à une progression limitée en valeur absolue : si, par exemple, le non passe de 6 à 9 %, l'indice sera de 150 pour un progrès correspondant seulement à 3 % du corps électoral. C'est pourquoi il vaut mieux analyser les modifications survenues dans la répartition des votes négatifs au moyen de cartes indiquant simplement la progression ou le recul des pourcentages.
La carte 10 est celle des progrès du vote non. Les départements où celui-ci a reculé y apparaissent en blanc, ceux où il est demeuré étale comportent simplement le signe =. La carte est établie par échelons correspondant à 1 % des inscrits, la progression la plus forte, dans le Lot-et-Garonne, n'atteignant pas 6 % an corps électoral.
L'examen de cette carte fait d'abord ressortir un contraste frappant, non plus entre la moitié Nord et la moitié Sud de la France, mais entre la moitié Ouest et la moitié Est. Il est curieux de rappeler que, depuis plus d'un demi-siècle, un tel contraste méridien n'est jamais apparu dans les cartes électorales françaises, alors qu'il les caractérisait au contraire constamment de 1871 à 1885. Il n'y a peut-être là qu'une coïncidence, mais elle mérite d'être soulignée, car il
est intéressant que le vote non ait progressé surtout, quoique non exclusivement, dans des régions qui constituaient en France, il y a un peu moins d'un siècle, les bastions du conservatisme. Il semble qu'on puisse, en gros, distinguer trois zones de progression du vote non : celle de l'Ouest intérieur avec une prolongation dans le Bassin Parisien, celle du Sud-Ouest, celle du littoral méditerranéen, à l'Est du Rhône. A ces régions s'ajoute un départe mentis olé, la Haute-Saône, pour les raisons déjà mentionnées. Dans l'Ouest intérieur, la progression des votes non se produit pour la plus grande part dans les départements où l'abstentionnisme a augmenté sensiblement plus que dans l'ensemble du pays. Dans le Sud-Ouest, au contraire, l'augmentation du taux des votes négatifs coïncide presque partout avec une très faible augmentation de celui des abstentions. Il est sans doute permis de penser que, dans l'Ouest intérieur, l'augmentation de l'abstentionnisme a été en grande partie le fait d'électeurs peu favorables à la politique algérienne que devait sanctionner le référendum, mais dont l'opposition n'allait pas jusqu'à les faire voter comme l'extrême-gauche, alors que de tels scrupules ne se sont pas produits dans le Sud-Ouest. L'accroissement des votes non dans l'Ouest intérieur paraît imputable à peu près exclusivement à des électeurs de tendance conservatrice, alors que dans le Sud-Ouest - où cet accroissement est en général plus important par rapport aux inscrits - la situation est plus complexe : dans cette région, où, sauf en Gironde, la prépondérance des partis de la gauche traditionnelle - socialistes et radicaux - est un fait habituel, mais où les Français rapatriés d'Afrique du Nord sont assez nombreux, et qui a été un des bastions de l'activisme en mai 1958, l'accroissement du non paraît avoir une double origine : il provient pour partie d'électeurs de gauche, hostiles à la personnalisation du pouvoir et au déclin du parlementarisme traditionnel, mais aussi d'électeurs de droite, partisans d'une politique d'intégration en Algérie.
Quant à la troisième région d'accroissement sensible des votes non (plus de 2 % des inscrits) - celle du littoral méditerranéen et de la Corse - le même phénomène que dans le Sud-Ouest a pu s'y produire, notamment en Vaucluse, où le radicalisme traditionnel est présent, mais il est probable que la proximité géographique de l'Algérie et les liens qui existent entre populations métropolitaines et Européens d'Afrique du Nord ont contribué à l'accroissement du vote non. Ce phénomène a dû être particulièrement sensible en Corse.
La carte 11 est celle des reculs du vote non, établie, comme la précédente, en pourcentage des inscrits, avec écarts de 1 %. En Bretagne, ce recul correspond à un faible accroissement des abstentions, et sa signification est évidemment celle d'une fidélité particulièrement forte envers le général de Gaulle, fidélité qui se manifeste en dépit des difficultés que connaît l'agriculture bretonne :
il y a là un contraste intéressant avec l'attitude des viticulteurs du Languedoc.
Dans une partie de la France du Nord et de l'Est, le pourcentage des non recule également, alors que les abstentions s'accroissent peu : on ne voit pas comment il pourrait en être ainsi si une partie des opposants de 1958 n'avaient renoncé à leur attitude antérieure, soit pour s'abstenir, soit même, en ce qui concerne certains d'entre eux, pour voter oui.
Dans le Centre et le Sud-Est, enfin, le recul du non correspond sans doute le plus souvent à un passage d'anciens opposants à l'abstention, sauf en Haute-Savoie où certains d'entre eux ont dû voter oui.
Il peut être intéressant d'analyser statistiquement l'attitude d'ensemble des 22 départements où le pourcentage des votes non a diminué de septembre 1958 à janvier 1961. Les listes communistes y avaient obtenu, en janvier 1956, 22,1 % des suffrages exprimés, c'est-à-dire 1,5 % de plus que la moyenne nationale, qui était de 20,6 % et 2 % de plus que les 68 autres départements, qui n'avaient donné que 20,1 % des suffrages de leurs inscrits au Parti Communiste. Or, en janvier 1961, ces 22 départements n'ont donné au non que 17,6% des suffrages des inscrits, contre 18,3% dans l'ensemble du pays, et 18,6 % dans les 68 autres départements.
Ces écarts ne sont pas très élevés, mais ils n'en sont pas moins significatifs d'une des caractéristiques du référendum de janvier 1961, où l'opposition habituelle d'extrême-gauche a certainement été plus entamée - au bénéfice de l'abstention ou même du vote oui - que ce n'avait été le cas en septembre 1958.
L'analyse géographique, faite sur le plan départemental, permet en somme de conclure que la progression très modeste des votes non par rapport à septembre 1958 correspond en réalité à deux mouvements de sens inverse, qui se sont dans une assez grande mesure masqués réciproquement : d'une part un accroissement des votes négatifs provenant des secteurs de l'opinion publique qui votent habituellement à droite, d'autre part une diminution de ceux provenant de l'extrême-gauche.
Seule une analyse faite à l'échelon des cantons ou même des communes permettra d'apprécier l'importance relative de ces deux mouvements.
Mais il est possible de donner, d'ores et déjà, les résultats de certaines études de détail. Le cas de Paris est, à cet égard, assez significatif, comme le font ressortir les cartes 12 à 15. La carte 12 (4) est celle des suffrages communistes, par arrondissements, en juin 1951 ; les cartes 13 et 14 celles des votes non, respectivement en septembre 1958 et janvier 1961. La répartition territoriale des uns et des autres est très analogue, mais la juxtaposition des deux cartes 13 et 14 suffît à montrer que le vote négatif a diminué dans les bastions de l'extrême-gauche (5) et augmenté dans les arrondissements " bourgeois " du Centre et de l'Ouest, ainsi que dans le XIIe arrondissement, qui a toujours été le plus modéré de ceux de l'Est.
La carte 15, celle de l'indice d'évolution des votes non de septembre 1958 à janvier 1961, est exactement inverse de la carte 13, et elle montre mieux encore que les non ont reculé (parfois sensiblement, puisque ce recul atteint 8,5 % dans le XIIIe arrondissement par)tout où les électeurs communistes sont nombreux, et qu'ils ont au contraire progressé, parfois très fortement (70 % dans le VIIIe arrondissement), partout où les électeurs communistes sont rares.
Un état de choses analogue a été constaté notamment à Saint-Etienne et à Bordeaux : le vote non a reculé dans l'une et l'autre de ces villes, dans les bureaux de vote habituellement caractérisés par de nombreux votes communistes, il a progressé au contraire dans les bureaux de vote où l'extrême-gauche est faible.
Dans un département rural comme la Haute-Vienne, dominé depuis longtemps par le Parti Socialiste et où les communistes possèdent depuis 1920 certains bastions très solides, une analyse statistique d'ensemble montre que le vote non a évolué en raison inverse de l'importance de l'électorat communiste. Dans les 4 cantons où le P.C. avait obtenu en janvier 1956 les suffrages de plus de 30 % des électeurs inscrits, le recul du non atteint 4 %. Dans les 4 cantons où le pourcentage d'électeurs communistes dépassait 4 0 %, le recul du non dépasse 7 %. Mais dans les 15 autres cantons, le non progresse au contraire de 4,2 % ! La comparaison de la carte 16 (suffrages communistes en 1956)
et de la carte 17 (votes non en janvier 1961) montre clairement que la masse des opposants actuels continue à se recruter parmi les milieux qui votent habituellement à l'extrême-gauche. Mais la carte 18, dressée d'après les indices d'évolution cantonaux du vote non de septembre 1958 à janvier 1961, indique non moins clairement que, dans la plupart des cas, les indices inférieurs à l'unité correspondent aux cantons où le Parti Communiste est très fort, les indices supérieurs à ceux où son influence est moins grande.
La carte 19, concernant l'évolution comparée des abstentions, montre que ce n'est pas en raison d'une différence de participation au scrutin, surtout dans les cantons du Sud-Ouest du départe ment, que le vote négatif a reculé dans les cantons communistes.
Néanmoins, il faut le souligner, dans la Haute- Vienne comme à Paris et comme dans l'ensemble de la France, la répartition géographique des votes non du 8 janvier 1961 n'en demeure pas moins, de même que pour ceux du 28 septembre 1958, analogue à celle habituellement constatée pour les suffrages communistes. Cette constatation paraît difficilement conciliable avec l'hypothèse d'après laquelle le Parti Communiste, tout en feignant de faire campagne pour le vote négatif, aurait secrètement invité les électeurs qui lui font confiance à voter oui. Car l'abandon du vote non par des électeurs d'extrême-gauche est un phénomène manifestement marginal, pour intéressant qu'il soit à constater.
Son existence, démontrée par l'analyse géographique, conduit
en effet à constater que le mouvement inverse, celui qui a conduit des électeurs modérés ou conservateurs, ayant voté oui en septembre 1958, à se prononcer pour le non le 8 janvier 1961, a présenté une ampleur sensiblement plus grande que les résultats globaux du référendum n'auraient pu le faire penser. Néanmoins, il s'agit ici encore, d'un phénomène marginal, qui ne peut intéresser au maximum que 4 à 5 % du corps électoral. La grande majorité des électeurs d'orientation modérée - en entendant par ce terme ceux qui votent habituellement pour les indépendants, les gaullistes ou les républicains populaires - ont certainement voté oui, encore qu'une certaine proportion d'entre eux se soit abstenue et qu'une fraction non négligeable ait voté non. Le vote des électeurs de gauche - radicaux et socialistes - n'a dû différer de celui des modérés que par une moindre proportion de votes négatifs et un plus grand nombre de votes nuls, notamment dans le Sud-Ouest. Quant aux électeurs communistes, ils ont certainement constitué la plus grande proportion de ceux qui ont voté non, mais une part notable d'entre eux s'est abstenue et quelques-uns ont sans doute voté oui. Il est enfin très probable que les nouveaux abstentionnistes comportent, pour le plus grand nombre, des électeurs dont la participation au référendum du 28 septembre 1958 avait eu un caractère tout à fait exceptionnel, ainsi que des personnes qui ont été matériellement empêchées de voter en raison de la date de la consultation et de difficultés d'ordre géographique ou météorologique.
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Telles sont, semble-t-il, les conclusions qu'on peut légitimement tirer de l'analyse du scrutin du 8 janvier 1961 dans le cadre d'une étude comparative entre départements. La comparaison à l'échelon cantonal, à laquelle va procéder un groupe d'études de la Fondation nationale des sciences politiques, permettra de les soumettre à vérification en même temps que de les préciser et de les nuancer. |
François Goguel. Géographie du référendum du 8 janvier 1961 dans la France métropolitaine. In: Revue française de science politique, 11e année, n°1, 1961. pp. 5-28.
doi : 10.3406/rfsp.1961.392606
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1961_num_11_1_392606
1. Voir Les élections du 2 janvier 1956, Paris, A. Colin, 1957, p. 475, carte 4. (Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques. 82.)
2. Voir Le référendum de septembre et les élections de novembre 1958, Paris, A. Colin, 1960, p. 284, carte 1. (Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques. 109.)
3. Voir dans Le référendum de septembre et les élections de novembre 1958, op. cit., p. 287, la carte 4.
4. Déjà publiée dans la Revue en 1951, p. 331.
5. Le XIIIe arrondissement, où le P.C. avait son bastion le plus puissant en 1951, lui avait donné 38,3 % des voix des inscrits ; il a donné au non 25,8 % en 195S et 23,6 % en 1961.
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