Rapport établi à la demande du Premier Ministre Par Michel DIEFENBACHER
Député de Lot-et-Garonne Septembre 2003 (extrait)
1. L'ACCUEIL ET LA REINSTALLATION
Le dispositif créé par le décret du 10 mars 1962 pris pour l'application de la loi
du 26 décembre 1961 comportait trois principaux types de prestation :
- les prestations d'accueil : elles comprenaient une allocation de départ et une
indemnité forfaitaire de déménagement variable selon la situation de la famille. Etaient
également versées pendant un an des allocations mensuelles de subsistance modulées en
fonction de l'âge et de la situation de famille. Un célibataire en attente d'emploi percevait
une allocation de subsistance de 350 F mensuels, montant supérieur à celui du SMIG de
l'époque qui était de 313 F mensuels sur la base de 40 heures par semaine ;
- des prestations sociales : subventions d'installation accordées sous condition de
ressources (500 à 7 500 F), indemnités particulières aux personnes de plus de 55 ans qui
étaient propriétaires de biens immobiliers outre-mer (10 000 à 40 000 F selon les ressources
du bénéficiaire), aide de l'Etat pour le rachat des cotisations d'assurance vieillesse.
Indépendamment de ces prestations, des secours financiers pouvaient être accordés pour
répondre aux situations d'urgence ;
- des aides au reclassement : elles prenaient la forme de prêts ou de subventions :
prêts de réinstallation de 200 000 F et subvention complémentaire de reclassement de
30 000 F au maximum pour les non-salariés outre-mer choisissant de se réinstaller dans une
activité indépendante, capital de reconversion de 8 000 à 18 000 F pour les non salariés
outre-mer reclassés dans une activité salariée en métropole, subventions d'installation de
4 500 F maximum pour les salariés outre-mer qui reprenaient une activité salariée en
métropole.
Ces prestations ont été complétées par diverses mesures telles que la création de
contingents supplémentaires de logements sociaux, des facilités d'accès aux professions
réglementées, des procédures dérogatoires pour l'inscription des enfants dans les
établissements scolaires, l'aménagement des prêts consentis avant la mise en place de prêts
de réinstallation, l'extension de ces mesures aux étrangers ayant rendu des services
exceptionnels à la France.
L'effort financier ainsi consenti et la mobilisation des moyens administratifs
nécessaires, aussi bien par les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale que
par l'Etat ont été considérables. Les prestations d'accueil ont été accordées à 360 000
familles, soit plus de 80 % des familles rapatriées. En tenant compte de la dépréciation
monétaire et de la création de l'Euro, le coût de l'ensemble de ces mesures s'élève à
14,5 Md€, dont 4,5 Md€ pour la seule année 1963 qui a été la plus lourde et pour laquelle
les dépenses consacrées à l'accueil et à la réinstallation des rapatriés ont représenté 5 % du
budget de l'Etat.
Même si l'effort de solidarité a été important, la réalité quotidienne vécue par les
rapatriés est restée incontestablement très douloureuse. Les démarches qu'il a fallu faire
auprès des collectivités et des organismes étaient nombreuses et complexes. Le traitement
administratif des dossiers ne prenait pas toujours en compte le malheur des familles. En
concurrence avec leurs concitoyens de métropole pour l'accès aux logements, aux emplois,
aux écoles, les rapatriés n'étaient pas toujours bien accueillis. Ils se sont souvent sentis
incompris voire rejetés, d'autant que les fractures générées dans l'opinion publique à
l'occasion de la guerre d'Algérie dressaient contre eux une partie de leurs concitoyens. Ils ne
pouvaient pas accepter d'être considérés comme les responsables d'une situation dont ils
étaient en réalité les premières victimes. Aux difficultés du présent s'ajoutaient les regrets
du passé et l'incertitude de l'avenir. Tout cela explique que, si l'effort du pays a été réel, la
douleur et l'insatisfaction des rapatriés sont restées singulièrement vives.
Plus concrètement le système d'accueil et de réinstallation ne correspondait pas
aux besoins de trois catégories de rapatriés :
- les propriétaires de biens qui, surtout lorsqu'ils ne pouvaient pas se réinstaller,
attendaient une réelle indemnisation,
- les réinstallés bénéficiaires de prêts (agriculteurs et commerçants) dont le poids
de l'endettement grevait la gestion de leur nouvelle exploitation,
- les harkis, surtout lorsqu'ils étaient cantonnés dans des camps souvent vétustes,
où toutes les conditions d'une exclusion économique et sociale étaient réunies.
2. L'INDEMNISATION
Les bases du droit de l'indemnisation sont posées par l'article 4 (3ème alinéa) de la
loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français
d'outre-mer : "Une loi distincte fixera, en fonction des circonstances, le montant et les
modalités d'une indemnisation en cas de spoliation et de perte définitivement établies des
biens appartenant aux personnes visées au premier alinéa de l'article 1er et au premier alinéa
de l'article 3".
Mais jusqu'à la fin de la décennie 1960, la question de l'indemnisation reste en
suspens. L'ordonnance du 19 septembre 1962 crée une Agence de défense des biens et
intérêts des rapatriés (ADBIR), qui deviendra l'Agence Nationale pour l'indemnisation des
Français d'outre-mer (ANIFOM) en 1970. Les moratoires judiciaires de 1963 et 1966 ne font
pas état d'une indemnisation, pourtant de plus en plus présente dans le débat public.
C'est au cours de la campagne électorale pour l'élection présidentielle de 1969
que Georges Pompidou prend clairement position : "Si je suis élu, il y aura une
indemnisation progressive, en commençant par les plus pauvres" (Nice, 23 mai 1969). Dès
son élection, deux lois interviennent : la loi dite "du moratoire" du 6 novembre 1969 qui
contrairement aux précédentes annonce explicitement l'indemnisation, puis la loi du
15 juillet 1970 relative à une contribution nationale à l'indemnisation.
2.1. Les principes fixés par la loi de 1970
Lors des travaux préparatoires de la loi de 1970, le gouvernement avait
clairement pris position pour une indemnisation partielle : poursuivant un objectif social,
réservée aux personnes physiques, conçue comme le prolongement des mesures de
réintégration, cette indemnisation serait financée sur les ressources budgétaires ordinaires de
l'Etat. La position ainsi définie tranchait avec celle préconisée par un certain nombre de
parlementaires qui demandaient au contraire une indemnisation intégrale, ouverte aux
personnes morales comme aux personnes physiques. Le coût d'une telle mesure étant
inconnu et sa compatibilité avec les ressources ordinaires de l'Etat étant incertaine, ses
partisans proposaient qu'elle soit financée directement ou indirectement par les pays
spoliateurs (taxes sur les importations en provenance de ces pays, prélèvements sur les
dépenses de coopération…).
C'est la position du gouvernement qui a prévalu. Mais deux concessions ont été
faites aux tenants de l'indemnisation intégrale : alors que le projet de loi était "relatif à
l'indemnisation des Français…", la loi du 15 juillet 1970 institue "une contribution nationale
à l'indemnisation des Français…" et précise que cette contribution constitue "une avance sur
les créances détenues à l'encontre des Etats étrangers ou des bénéficiaires de la
dépossession".
Les principes posés par la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 sont les suivants :
- seules les personnes physiques possédant la nationalité française au 1er juin
1970 peuvent bénéficier d'une indemnisation,
- l'indemnisation est dégressive dans la limite d'un plafond initialement fixé à
260 000 F par ménage. Seule est intégralement indemnisée la tranche de patrimoine
n'excédant pas 20 000 F,
- la valeur des biens indemnisés est estimée en application d'un barème
déterminé pour chaque territoire par décret en Conseil d'Etat,
- les dépenses d'indemnisation seront réglées sur 10 ans, en commençant par les
bénéficiaires les plus âgés.
2.2. Les lois de 1978, 1982 et 1987
Elles ne remettent pas en cause les principes de la loi de 1970, mais elles en
adaptent les modalités.
La loi du 2 janvier 1978 institue un complément d'indemnisation destiné à
financer la suppression de la dégressivité et la majoration du plafond qui est porté à un
million de francs le par ménage. Dans cette limite, l'indemnisation résultant de l'application
des barèmes devient donc intégrale.
La loi du 6 janvier 1982 a alloué aux rapatriés qui justifiaient d'un revenu
inférieur au SMIC, une somme forfaitaire de 10 000 F par ménage destinée à indemniser la
perte des " meubles meublants ".
La loi du 16 juillet 1987 comporte trois innovations majeures :
- elle crée une allocation forfaitaire de 60 000 F pour les harkis et les autres
anciens supplétifs,
- elle réévalue tous les barèmes et particulièrement ceux des biens non agricoles,
manifestement sous-évalués en 1970,
- elle étend l'indemnisation à certains agriculteurs rapatriés du Maroc et de
Tunisie, dans la limite d'un plafond porté (pour compenser les délais d'indemnisation) à
2 MF pour chaque patrimoine.
Par ailleurs, lors du débat parlementaire le gouvernement avait annoncé qu'une
enveloppe de 30 MdF serait réservée au financement de ces actions.
2.3. Les bénéficiaires et le coût de l'indemnisation
La loi de 1970 a permis d'indemniser 161 000 patrimoines : elle a bénéficié à
325 000 personnes, et a représenté une charge de 9,8 MdF courants, répartie sur les années
1971 à 1981. Le complément d'indemnisation alloué par la loi du 2 janvier 1978 a concerné
60 % des dossiers pris en compte en 1970 : il a bénéficié à 230 000 personnes et représenté
un coût de 18,6 MdF courants, répartis sur les années 1979 à 1991. La loi du 6 janvier 1982 a
bénéficiée à 150 000 familles, pour une charge de 1,4 MdF courants, réparties sur les années
1982 à 1985. La loi du 16 juillet 1987 a bénéficié à 440 000 personnes, pour une charge de
27 MdF courants, réparties sur les années 1988 à 1997.
La loi de 1982 ayant eu un impact beaucoup plus limité que les trois autres lois,
on parle le plus souvent des " trois lois d'indemnisation ".
Au total, la valeur actualisée et exprimée en Euros des sommes ainsi
consacrées à l'indemnisation par ces lois s'élève à 14,2 Md€.
3. L'ENDETTEMENT DES RAPATRIES REINSTALLES DANS DES ACTIVITES NON-SALARIEES
Dans les premiers temps, le passif des rapatriés était directement lié :
- aux spoliations dont ils ont été victimes et qui les ont empêchés à la fois de
rembourser les prêts contractés outre-mer et de mobiliser des ressources permettant de
réinvestir en métropole ,
- aux conditions de leur réinstallation : ayant le plus souvent tout perdu outremer,
ils ont été contraints d'emprunter des sommes importantes à leur arrivée en métropole.
C'est pour cette raison qu'ont été instaurés des prêts de réinstallation pour les
rapatriés exerçant des activités non salariées. Instaurés par la loi du 26 décembre 1961 et
organisés par le décret du 10 mars 1962, ces prêts faisaient l'objet de conventions passées
entre l'Etat et les organismes financiers (Crédit Foncier, Caisse des Dépôts et Consignations,
Comptoir des Entrepreneurs, Crédit Agricole, Caisse Centrale de Crédit Hôtelier devenu
Crédit d'Equipement des PME, Crédit Maritime…).
Au total, plus de 26 000 prêts de réinstallation ont été accordés pour un
montant de 2,58 MdF courants. Il s'y ajoutait les prêts de " droit commun " souscrits
directement auprès des banques. C'est à ce prix que les rapatriés ont pu se réinstaller. Mais
c'est ainsi qu'ils se sont rapidement retrouvés dans une situation de très grande fragilité à
l'égard de leurs créanciers.
Pour faire face à cette situation, cinq dispositifs successifs ont été mis en oeuvre :
- les moratoires
Une première mesure est intervenue très rapidement, la loi du 11 décembre 1963
ayant institué un moratoire judiciaire portant à la fois sur les obligations nées outre-mer et
sur celles contractées en France. Les juges pouvaient accorder des délais de paiement jusqu'à
10 ans, aménager les échéances et arrêter les saisies. Pénalisant lourdement les créanciers,
soulageant insuffisamment les débiteurs, cette mesure est rapidement apparue inadaptée.
Dans le cadre de la première indemnisation, deux nouveaux dispositifs ont été prévus :
- les dettes nées outre-mer lorsqu'elles étaient afférentes à des biens dont le
débiteur avait été dépossédé, ont été couvertes par le moratoire institué par l'article 49 de la
loi du 15 juillet 1970. L'exécution des obligations était suspendue. Mais les droits du
créancier subsistaient et celui-ci pouvait les faire valoir sur l'indemnisation de son débiteur,
- les dettes souscrites en France métropolitaine ont fait l'objet, en vertu de la loi
du 6 novembre 1969, d'un moratoire limité aux prêts de réinstallation. Ceux-ci étant garantis
par l'Etat, les établissements de crédit n'étaient pas lésés. Ce sont ces prêts qui ont été
déduits de l'indemnisation, en application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de
l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978.
En apurant les dettes des rapatriés, l'indemnisation aurait dû régler définitivement
la question de leur passif. Il n'en a rien été. Il a donc fallu mettre en oeuvre d'autres
dispositifs.
- Les remises
A partir de 1977, les mesures se multiplient et les sommes remises augmentent :
- décret du 26 septembre 1977 : 62 MF de dettes de réinstallation effacées
(900 dossiers),
- loi du 6 janvier 1982 : 474 MF (3 500 dossiers),
- loi de finances rectificative du 30 décembre 1986 : 807 MF (10 000 dossiers)
- La consolidation
La loi du 16 juillet 1987 a créé des prêts de consolidation à taux bonifiés. Ces
prêts étaient proposés par les commissions départementales d'examen du passif des rapatriés
(CODEPRA) chargées de conduire de véritables audits et de proposer des abandons de
créances.
- Les plans d'apurement
Elaborés d'abord au niveau départemental (commissions départementales d'aide
aux rapatriés installés - CODAIR - instaurées en 1994) puis au niveau national (commission
nationale de désendettement des rapatriés installés dans une profession non salariée -
CNAIR - depuis 1999) les plans d'apurement peuvent comporter une aide de l'Etat allant
jusqu'à 77 000 € par dossier et couvrant jusqu'à 50 % du passif, ces limites pouvant être
dépassées dans certaines conditions.
- La suspension des poursuites
La longueur des procédures d'instruction des dossiers nécessitait que, dans
l'attente de la décision, les poursuites soient suspendues. Et la suspension des poursuites ne
pouvait qu'inciter les familles en difficulté à déposer un dossier. La multiplication des
dossiers et l'allongement des délais d'instruction entraînaient un alourdissement des
procédures et une augmentation de la dette… L'énumération des mesures de suspension est
en elle-même très révélatrice de ce processus :
- La loi du 6 janvier 1982 a suspendu de plein droit les poursuites pour les prêts
susceptibles d'être effacés jusqu'à la décision de la commission,
- La loi de finances rectificative pour 1986 a prolongé les dispositions de la loi de
1982 pour les demandes de remise et les demandes de prêts de consolidation,
- La loi du 16 juillet 1987 a prolongé la suspension des poursuites pour les
demandeurs de remise de prêt de consolidation,
- La loi du 13 janvier 1989 a accordé une suspension des poursuites de plein droit
jusqu'au 31 décembre 1989 avec une possibilité de demander une prolongation au président
du tribunal de grande instance,
- La loi du 31 décembre 1989 a prorogé les mesures de suspension jusqu'au
31 décembre 1990,
- La loi du 18 janvier 1991 a prolongé la suspension jusqu'au 31 décembre 1991
pour les demandes de prêt de consolidation demeurées sans décision,
- La loi du 31 décembre 1991 a prorogé jusqu'au 30 juin 1993 les mesures de
suspension pour les demandes de prêts de consolidation,
- La loi du 27 janvier 1993 a étendu cette protection jusqu'au 31 décembre 1993,
- La loi du 31 décembre 1993 a prorogé la suspension au 31 décembre 1995 pour
les demandes de prêts de consolidation et pour les demandes de remises non encore
examinées,
- La loi du 14 février 1996 a prorogé les mesures de protection jusqu'au
31 décembre 1996,
- L'article 100 de la loi de finances pour 1998 modifiée par l'article 76 de la loi
du 2 juillet 1998 et l'article 25 de la loi de finances rectificative pour 1998 a disposé que tout
dossier déposé devant une CODAIR puis devant la CNAIR bénéficiait de la suspension
provisoire des poursuites jusqu'à la décision de la commission et en cas de recours
contentieux, jusqu'à la décision de l'instance juridictionnelle définitive compétente,
- L'article 21 de la loi de finances pour 1999 a accordé un sursis de paiement
pour l'ensemble des dettes fiscales émises avant le 31 juillet 1999 à toute personne ayant
saisi la commission nationale jusqu'à la décision de cette dernière.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000593/0000.pdf