Le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu, selon le rapport à l'O.N.U du contrôleur général aux armées Christian de Saint-Salvy, on dénombrait en Algérie, 263 000 musulmans engagés du côté français (60 000 militaires réguliers, 153 000 supplétifs, dont 60 000 harkis, et 50 000 notables francophiles) représentant, familles comprises, près de 1 500 000 personnes menacées sur 8 millions de musulmans algériens.

L'Armée française recruta également environ 3 000 anciens éléments du FLN et de l'ALN, dont certains formèrent le célèbre Commando Georges du lieutenant Georges Grillot. La plupart d'entre eux furent victimes de représailles à partir de 1962.

Selon Maurice Faivre, on comptait ainsi quatre fois plus de combattants musulmans dans le camp français que du côté du FLN. Le ministère des Armées évalue à 4 500 le nombre des soldats musulmans morts pour la France, pendant la guerre d’Algérie, et à plus de 600 les disparus. Source Wikipedia

La signature des Accords d'Evian, prévoyant une large amnistie tant pour les partisans du gouvernement et de l'armée française que du FLN et de l'ALN, scelle l'avenir des supplétifs. La question est claire tant pour le gouvernement que pour l'Etat-major des forces françaises en Algérie. N'étant pas de statut militaire, étant pour la plupart des citoyens de statut de droit local (différent de la majorité des Européens d'Algérie de statut de droit civil), considérés - politiquement parlant - comme de futurs algériens du nouvel état indépendant, ils doivent être rendus à la vie civile, désarmés et renvoyés dans leur foyer. Seule une minorité sera transféré en Métropole : les anciens supplétifs qui souhaitent s'engager dans l'armée française - et considérés comme aptes, bien entendu - et ceux - avec certains civils - considérés comme réellement menacés(7). Les militaires de carrière, fonctionnaires qui le souhaitent et certaines personnalités politiques, tels que le Bachaga Boualam, sont, quant à eux, officiellement rapatriés en France.
Ainsi, pour les harkis spécifiquement, le décret du 20 mars 1962 leur offre trois solutions qui doivent permettre de laisser la grande majorité d'entre eux en Algérie : l'engagement dans l'armée régulière pour une minorité, revenir à la vie civile avec primes de licenciement et de reclassement ou reconduire un contrat de six mois pour leur laisser un temps supplémentaire de réflexion. Les mesures financières proposées ont l'avantage pour les pouvoirs publics d'éviter un afflux massif en France : " c'est la meilleure façon d'éviter qu'une masse importante de ces personnels ne décide de venir s'installer en France avec leurs familles, posant ainsi un problème difficile à Monsieur le secrétaire d'Etat aux Rapatriés, aussi bien qu'à mes collègues de l'Intérieur, des Affaires algériennes et même des Finances "(8). Dans une note du 23 mai 1962(9), il est précisé que la procédure de transfert des " éléments harkis " vers la métropole ne concerne que les harkis réellement menacés " et cette expression devrait être prise dans un sens très restrictif ".
Cette politique préalable de limitation volontaire du nombre de transférés est liée à plusieurs considérations. Les anciens supplétifs sont considérés par le gouvernement comme un groupe globalement inadaptable à la société française, risquant ainsi de devenir une charge voire produire " des épaves " opposées aux Accords d'Evian qui pourraient même être récupérées par l'OAS qui poursuit sa guerre. De plus, leur afflux dans un contexte de probable départ de nombreux Européens d'Algérie était perçu comme un problème supplémentaire encombrant pour le secrétaire d'Etat chargé des Rapatriés. L'afflux éventuel d'une masse de réfugiés serait aussi l'aveu d'un échec de " l'esprit de coopération " des Accords d'Evian. L'objectif de ceux-ci était de permettre à tous, anciens supplétifs comme Européens d'Algérie, de demeurer massivement en Algérie, le nombre de départ devait être le fait de quelques cas isolés. Les pouvoirs publics souhaitaient aussi ne pas envenimer les relations avec le futur gouvernement algérien avec l'accueil d'anciens supplétifs susceptibles de devenir des opposants potentiels. Enfin, la perspective de représailles à l'encontre de tous ceux qui avaient servis au sein de l'armée française, dans les formations supplétives, ou dans l'administration était minorée par le gouvernement, malgré les nombreux avertissements d'officiers et sous-officiers des forces armées françaises en Algérie. Sous le prétexte d'une récupération - tout simplement exceptionnelle en réalité - des anciens supplétifs par l'OAS, des mesures coercitives sont prises par le ministère des Armées, Pierre Messmer, le ministre de l'Intérieur, Roger Frey et le ministre d'Etat Louis Joxe, en charge des affaires algériennes, pour empêcher leur installation en France par le biais de filières clandestines. Celles-ci ont mises en place par des responsables de formations supplétives (en activité ou qui ont démissionné pour ne pas contrevenir aux ordres) ; craignant pour la vie de leurs anciens " compagnons d'armes " et leurs familles, ils utilisent tous les moyens pour les exfiltrer en France.
Malgré les mesures de limitation des transferts, ce sont, à la fin du mois de juin 1962, plus de 10 000 personnes (harkis, moghaznis, groupes d'autodéfense et leurs familles) qui sont officiellement parvenues en France, plus quelques centaines d'autres qui ont pu s'installer par le biais de filières individuelles. Le flot ne se tarit cependant pas puisque des milliers d'autres, fuyant les violences de l'après-indépendance, se réfugient dans des camps de regroupement en Algérie, en instance de départ vers la France.
Ce contexte particulier de violence et d'anarchie politique, sociale et économique, surtout durant les mois de juillet à septembre 1962(10), n'entraîne pas seulement le départ des familles d'anciens supplétifs. Nombre de " messalistes ", militants du mouvement rival du FLN, le Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj, fuient aussi l'Algérie et les représailles à leur encontre, ainsi que des militants nationalistes du FLN, opposés au nouveau gouvernement mis en place en septembre 1962. Ces départs s'insèrent dans l'afflux inattendu vers la France d'environ 45.000 Algériens durant les mois de septembre, octobre et novembre 1962 quittant l'Algérie pour les raisons évoquées précédemment, mouvement démographique qui se poursuit d'ailleurs en 1963(11).
Au début de l'année 1963, ce sont ainsi environ 180 000 français qui demeurent encore en Algérie. En mars 1965, 91 276 y vivent, mais les départs continueront pour vider l'Algérie de la majorité de sa population européenne jusque la fin de la décennie des années 1960(12). En octobre 1962, il ne restait que 25 000 juifs en Algérie, dont 6.000 à Alger. En 1971, ils ne sont plus qu'environ un millier et en 1982, environ 200. Enfin, pour ceux que l'on nomme par le terme générique de " harkis ", environ 42.000 supplétifs et membres de leurs familles sont transférés en France par les autorités militaires, ainsi que 5.000 engagés. A ces derniers, s'ajoutent plus de 40 000 autres personnes qui ont pu être rapatriés clandestinement ou par leurs propres moyens(13). Le nombre de victimes des violences parmi cette population, ou parmi ceux qui n'ont pu quitter l'Algérie, entraînant leur exclusion sociale, demeure inconnu.

Nota : Afin d'être exhaustif, il faut rajouter le rapatriement des notables et autres fonctionnaires français musulmans. Familles comprises, ils seraient estimés à environ 55.000 personnes en 1968.

(7) Ceci en contradiction avec les déclarations d'avant les Accords d'Evian où la liberté de circulation et de choix du lieu d'installation seraient respectés tant pour les " Européens " que pour les " Musulmans ".
(8) Service historique de l'Armée de terre - SHAT 1 R 336/4. Communication du ministre des Armées sur les dispositions prévues concernant les FSNA servant sous l'uniforme, premier trimestre 1962.
(9) Centre des archives contemporaines - CAC 19910467/2. Vraisemblablement du ministère de l'Intérieur.
(10 L'Algérie est alors paralysée politiquement par la vacance du pouvoir et la guerre civile avec l'éclatement du FLN et de l'ALN en deux coalitions rivales. Et le départ massif de tous les cadres et travailleurs européens désorganise les structures socioéconomiques algériennes.
(11) Ces arrivées du dernier trimestre 1962 font suite à la période de reflux de métropole enregistrés au cours des mois de juin, juillet et août 1962, conjuguant les retours saisonniers en Algérie à la ferveur engendrée par l'indépendance algérienne, flux migratoire qui demeure le plus important depuis les dix dernières années.
(12) N'y resteront finalement que les coopérants français dans le cadre des accords bilatéraux franco-algériens ainsi que les Français d'Algérie qui pour des convictions politiques y demeureront en optant pour la nationalité algérienne, les fameux " pieds-verts ". (ou Pieds-rouges NDLR)

Violences et migration politique. Quitter l’Algérie en 1962 Publié par abderahmenmoumen

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Mis en ligne le 10 sept 2010

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