Kairouan se caractérisait par sa coque élégante, toute blanche, la
richesse de sa décoration intérieure, le confort, voir le luxe de ses
installations. Sa vitesse, supérieure à 24 noeuds, lui permettait de relier
Marseille à Alger en moins de 18 heures ou Port-Vendres à Oran en
19 heures ce qui lui avait valu le surnom de " paquebot d'une nuit. "
Il appartenait à la Compagnie de Navigation Mixte.
Les 5 paquebots de cette Compagnie (Kairouan, El Djezaïr,
Président de Cazalet, El Mansour, Djebel Dira) se partageaient en
part à peu près égale 93% du trafic passagers entre la France
métropolitaine et le territoire algérien, qui tournait autour de 800.000
passagers, avec les 5 paquebots de la " Transat " dont les célèbres
" Ville "
Le Sidi Bel Abbes de la SGTM transportait la part restante.
Un phénomène important de cette époque mérite d'être souligné car il
explique en partie le dévouement dont firent preuve les équipages des
navires de commerce de ces compagnies et les responsabilités que
prirent leurs commandants lors des opérations de rapatriement.
Chaque compagnie, chaque paquebot avait une clientèle fidélisée. Les
passagers étaient attachés à tel ou tel navire. Les horaires publiés par
la Mixte indiquaient non seulement le nom du bateau mais également
celui du Commandant, ce qui impliquait, d'ailleurs, par voie de
conséquence ceux du Second Capitaine, Commissaire et Maîtres
d'hôtel, car le Commandant naviguait avec son " équipe ".
Le plus souvent les candidats au voyage en déterminaient les dates
pour embarquer sur leur navire préféré, avec le Commandant de leur
choix.
Des relations confiantes, cordiales, parfois amicales se nouaient donc
entre Etat- Major, membres d'équipage et les passagers habitués du
navire dont une majorité était pied-noir, de tous âges, professions. Ils
nous confiaient leurs espoirs, craintes, projets, etc.
Les prémices du rapatriement
Dès l'été 1961 nous percevions les signes avant-coureurs de ce qui un
an plus tard allait devenir l'exode de la population européenne, mais
nous n'osions l'imaginer.
En effet si au cours des traversées estivales nous retrouvions nos
passagers, l'ambiance n'était plus comme les années précédentes à la
fête. Les soirées dansantes qui auparavant se poursuivaient fort tard
dans la nuit s'étaient transformées en veillées au cours desquelles les
conversations portaient sur les événements tragiques qui plongeaient
dans l'inquiétude nos passagers.
Nombreux étaient partagés entre le secret espoir que l'OAS allait les
protéger et la douleur de voir blessés et morts s'accumuler.
Les militaires, quant à eux restaient silencieux. Ils se livraient que très
rarement et lorsque, exceptionnellement, certains le faisaient, c'était
pour exprimer leur désarroi.
Comme on le sait le printemps 61, puis l'été, avaient vu un nombre
croissant d'attentats, massacres, plasticages tant de la part du FLN que
de l'OAS.
Oh !, bien sûr, les mots " départ définitif " et encore moins
" rapatriement " n'étaient jamais prononcés, mais les évocations
" d'installations provisoires pour cette année en métropole ",
" d'études universitaires ou même scolaires à Paris, Lyon, Marseille
ou Toulouse pour qu'elles ne soient pas troublées par l'environnement
actuel de l'Algérie ", et enfin, ce qui ne trompait personne, le trafic
passagers Nord/ Sud inférieur à celui du Sud/ Nord, laissaient
apparaître les premiers signes d'un exode que personne ne voulait
envisager.
Puis au cours de l'automne et ensuite l'hiver 61/62 l'ambiance
s'alourdit encore. A l'exception des militaires nous ne transportions
plus beaucoup de passagers. En janvier 1962 un paquebot de la Cie
Mixte, le "Djebel Dira" fut plastiqué à Bône. Les dégâts importants
obligèrent le remorquage du navire, désemparé, jusqu'à Marseille.
Un climat étrange s'était emparé de nos clients habituels que nous
retrouvions au cours de nos escales de nuit à Alger ou Oran. Ils
venaient y passer des soirées de détentes, oublier pour quelques heures
leurs angoisses en dînant et dansant puis dormant à bord, le couvre feu
alors instauré ne leur permettant de quitter le navire que le matin.
Au début du printemps 62 la situation continua à se dégrader. On ne
pouvait plus espérer un accord entre les deux communautés après tant
d'attentats, massacres, destructions de bâtiments.
Enfin les Harkis vivaient un autre drame, largement aussi douloureux
que celui des européens mais nous n'en avons jamais vu à bord.
Dès le début mai 62 nous commencions à embarquer les européens
qui abandonnant tout, émigraient dans de terribles conditions. La peur
les avait envahis.
Leurs récits des exactions commises un peu partout sur le territoire
algérien, leurs difficultés à se procurer un billet de bateau et leur
soulagement apparent d'être à bord ôtèrent les dernières illusions des
équipages des paquebots: c'était le rapatriement en masse
Kairouan appareillait d'Alger ou d'Oran complet en passagers, les
bagages empilés dans les cales, surchargé de voitures sur les ponts
extérieurs pour les plus chanceux. Il repartait de Marseille ou Port-
Vendres complètement vide. La noria des voyages du rapatriement
était enclenchée. La Compagnie accéléra les rotations de ses
paquebots sur l'Algérie, un peu au détriment de sa ligne de Tunisie.
Kairouan, profitant de sa vitesse et en programmant quelques escales
à Port-Vendres allait effectuer sans interruption pendant deux mois et
demi, trois voyages par semaine sur Alger ou Oran.
La capacité réglementaire du navire était de 1.374 passagers et 126
membres d'équipage, soit 1500 personnes et l'armement de sécurité
(brassières, embarcations et radeaux) correspondait à ce chiffre.
Les passagers étaient répartis en trois classes : 120 en 1er., 33O en
" touriste ", ces 450 passagers tous installés en cabines typent mono,
double ou quadruple, dont nombreuses avec sanitaires privés ce qui à
cette époque était remarquable, bénéficiant de salons, bars, salles à
manger et enfin 924 passagers en 4ème classe répartis dans une salle
abri- vitrée et des entreponts, sur chaises- longues, sans couchettes,
ces locaux disposant de sanitaires, bars et kiosques de sandwicherie.
Jusqu'aux tous premiers jours de juin les passagers purent prendre leur billet auprès des agences de la compagnie avant de descendre à quai. A bord nous entendions parler de queues interminables devant ces agences,
parfois de passe-droits. Il était clair que la distribution des billets s'effectuait dans des conditions pénibles.
Les agences de terre avaient la responsabilité de la répartition des
passagers en fonction des capacités des navires. A l'embarquement les
marins retiraient un coupon du billet ce qui nous permettait de
connaître avant l'appareillage le nombre de personnes embarquées. En
temps normal aucun dépassement était toléré.
Toutefois dès la deuxième quinzaine de mai nous constations des
dépassements de capacité, d'abord légers, puis de plus en plus
importants. Bien entendu il ne pouvait être question de débarquer les
personnes en surcapacité. D'ailleurs sur quel critère les choisir ?
Le télégramme rituel de départ envoyé par le paquebot à la Direction
de la Compagnie informant de son heure d'appareillage et du nombre
de passagers indiquait pudiquement et laconiquement : " Complet ".
L'Armement, en accord avec le Commandant, pris immédiatement les
mesures qui s'imposaient en augmentant, sans attendre l'autorisation
de l'Inscription Maritime d'alors, le nombre de brassières et de
radeaux de sauvetage et en déposant une demande de dérogation de la
drome de sauvetage pour la porter successivement à 1 800 puis 2 200
personnes. (nous avions embarqué 3 000 brassières !).
Je dois là souligner l'attitude particulièrement courageuse du
commandant du Kairouan, le Commandant Miaille
qui sans attendre
une dérogation officielle qui ne venait pas, prit sur lui seul, en toute
lucidité, en fonction des conditions météos et de l'évolution
dramatique des événements à terre la lourde responsabilité de recevoir
à chaque départ un nombre de passagers supérieur à 2 000.
Lorsque nous accostions à Alger ou Oran une foule impressionnante
nous attendait dans les gares maritimes ou sur les quais, au milieu
d'un empilement de bagages, sacs, valises, cantines ainsi que voitures.
Normalement l'accès au navire s'effectuait par des passerelles qui
reliaient les ponts supérieurs aux étages les plus élevés des gares
maritimes. Mais lorsque nous avons commencé à accepter
ouvertement plus de monde que la capacité d'origine le permettait les
différentes classes ne furent plus séparées, la circulation intérieure
totalement libre.
La séparation des classes n'avait plus de sens et tous ceux qui
n'avaient pas la chance de disposer d'une cabine se plaçaient où ils le
pouvaient dans les salons, bars, abris vitrés, coursives, entreponts, etc.
Or les premiers embarqués occupaient tout naturellement les locaux
situés sur les ponts supérieurs, les plus agréables.
Très vite, l'entassement des bagages et des personnes rendait difficile,
si non impossible, l'accès aux entreponts inférieurs. Il s'en suivait
parfois altercations entre passagers ainsi qu'avec les marins qui
tentaient d'organiser au moins mal l'utilisation des locaux. Laisser des
locaux inoccupés alors qu'à terre il y avait tant de candidats au voyage
était inadmissible, même si ces locaux ne présentaient guère de
confort. L'important pour tous était de monter sur le navire et partir !
Les gens étaient, on le conçoit, épuisés, énervés, en pleine détresse
d'abandonner la terre de leur naissance, la plus grande partie de leur
bien, plein d'angoisse pour leurs parents ou amis qui restaient encore
un peu.
Le problème posé par cette circulation intérieure du haut vers le bas
fut tout naturellement résolu en refusant la pose des passerelles qui
aboutissaient sur les ponts supérieurs et en effectuant les
embarquements par les portières de coque situées à hauteur de quai,
c'est à dire au niveau des ponts les plus bas. Les premiers accédant au
navire montaient vers les ponts supérieurs et au fur et à mesure que
ces derniers se remplissaient, ils s'installaient sur les ponts de moins
en moins élevés. Grâce à cela nous arrivions à recevoir plus de 2.200
personnes.
Le record fut battu dans les tous derniers jours de juin au départ
d'Alger pour Marseille avec plus de 2.600 passagers, le double de ce
que Kairouan transportait normalement lorsqu'il était complet. C'était
une dizaine de jours avant l'indépendance officielle de l'Algérie et le
bateau fut véritablement pris d'assaut. L'embarquement par les
portières de coque nous permit de contenir tant bien que mal cette
foule dont la seule obsession était : monter à bord. Les bagages étaient
abandonnés sur le quai si ils rendaient incertain l'embarquement de
leur propriétaire.
La désorganisation totale régnait sur le port. Les rapatriés y accédaient
dans le plus grand désordre, sans billet.
En effet dès mi-juin les agences de la compagnie ne furent plus en
capacité de délivrer la billetterie, leur personnel suivant le mouvement
général regagnait la France.
Des employés sédentaires de différents services de la compagnie à
Marseille embarquèrent sur les paquebots pour délivrer les billets aux
rapatriés lors de leur accès à bord. A chaque portière de coque une
équipe de 4 employés, derrière une simple table, rédigeait, encaissait
les billets, plaçant l'argent dans une caisse en bois. On imagine
facilement la cohue et c'est miracle qu'aucun incident sérieux ne fut à
déplorer. Il y eut bien quelques resquilleurs mais leur nombre fut
limité car le billet était indispensable aux rapatriés pour faire valoir
leur statut auprès de l'Administration française, et obtenir des aides.
Kairouan, qui pendant tant d'années fut le paquebot de moments
heureux et bons souvenirs, était devenu celui sur lequel le drame du
rapatriement se déroulait.
Il y avait des hommes femmes et enfants partout. Pas un recoin, une
coursive n'étaient inoccupés. Les fauteuils, divans, canapés des bars et
salons, transformés en dortoir servaient de lits. Nombreux étaient sur
des chaises longues ou à même le sol dans les coursives, et pont promenades abrités. Les plus défavorisés étaient ceux des entreponts.
Plus de 1 200 personnes s'y entassaient !
Le personnel de bord dans son ensemble ne ménagea ni sa peine ni ses
efforts. Trois services en salle à manger étaient assurés par repas. Une
nurseries fut montée par le docteur avec l'aide des trois femmes de
chambre transformées en nurses et infirmières. L'entretien des
sanitaires (douches, lavabos, W.C.) fut un souci permanent pour les
" garçons " qui réalisèrent des prouesses pour gérer leurs utilisations,
les maintenir propres, bien qu'ils aient été dimensionnés pour deux
fois moins de personnes.
Les passagers inquiets de savoir si leurs bagages, autres que les valises
qu'ils gardaient avec eux, avaient pu être embarqués sollicitaient le
personnel pour obtenir des renseignements. Ces bagages en effet,
manipulés par les grues, en palanquée, étaient placés à fond de cale. A
l'arrivée ces filets étaient déchargés sur les quais et chacun tentait d'y
retrouver son bien.
Les rapatriés emmenaient uniquement quelques affaires de valeurs ou
facilement transportables. Il y eut rapidement pénurie de valises, aussi
les objets étaient le plus souvent transportés dans des ballots de toile,
petites caisses en bois constituées à la hâte, d'une solidité douteuse.
Ils conservaient par devers eux leurs biens les plus précieux, ne les
quittaient pas des yeux pendant toute la traversée, les autres
colis étaient embarqués par les grues.
Par chance pendant toute cette période la météo fut particulièrement
clémente. Pas ou peu de vent, une mer belle, un franc soleil, rendirent
supportable la vie à bord malgré l'entassement.
Les passagers, une fois " casés " à l'abri à l'intérieur de Kairouan,
étaient étonnamment tranquilles. Etait-ce leur anxiété du lendemain ?,
ne sachant ce qu'ils allaient faire à l'arrivée, nombreux partant
complètement à l'aventure, sans repère ni point de chute, ou leur
détresse d'avoir tout laissé derrière eux ? Probablement ces deux
sentiments réunis. Toujours est-il qu'ils étaient calmes, attentifs aux
instructions que nous leur donnions pour faciliter la traversée,
solidaires entre eux. Autant lors des embarquements nous nous
trouvions en face d'hommes et femmes énervés, se bousculant, autant
une fois le navire appareillé, tous étaient calmes.
Nous n'eûmes à déplorer aucun incident sérieux pendant les voyages
du retour. Pourtant le Commandant craignant, non sans raison, des
actes de désespérés tels que saut à la mer, l'ensemble de l'équipage
assurait une veille attentive, jour et nuit, sur les ponts extérieurs.
Nous restions le minimum de temps à Marseille ou Oran, nous
approvisionnant en quelques heures pendant le débarquement des
passagers, en combustible, vivres et linges et repartions totalement
vide, mettant à profit la traversée pour faire la propreté et la remise en
état complète du navire.
Les escales les plus dramatiques eurent lieu à Oran, fin juin. Les
exactions en ville étaient permanentes, on nous rapportait des récits
d'assassinats, disparitions à peine croyables. De nombreux Européens
s'étaient réfugiés sur les quais du port de commerce en attente du
passage d'un navire qui les emporterait.
Ces quais étaient encombrés de bagages et voitures abandonnés. Les
navires étaient moins nombreux qu'à Alger et ceci accroissait le
désarroi des rapatriés qui se sentaient oubliés. Tout ce qui flottait était
utilisé et plusieurs partirent sur des chalutiers vers Port-Vendres et
Oran en longeant la côte espagnole dans des conditions qui
s'apparentaient aux " boat people ". Certains patrons de ces chalutiers
venaient nous voir pendant notre escale pour nous communiquer leur
prévision de départ en nous demandant de les surveiller lors de notre
remontée sur Port-Vendres. Ce que nous faisions bien entendu
volontiers en les contactant par radio.
Un départ d'Oran fut particulièrement pénible fin juin. Après avoir
embarqué 2.400 personnes le Commandant décida d'arrêter tant il
était évident que nous ne pourrions pas accueillir toutes les personnes
présentes à quai en les assurant que nous revenions dans 48 heures. De
retour deux jours plus tard nous avons retrouvé les passagers que nous
n'avions pas pu prendre, campant tant bien que mal au même endroit
que nous les avions laissé ! Heureusement ils ont tous pu embarquer.
Je voudrais terminer cette évocation d'événements douloureux par
deux anecdotes qui montrent que dans les situations les plus pénibles
on peut parfois trouver des raisons de sourire.
La première est celle de cette femme, boulangère-confiseur d'Alger,
d'une soixantaine d'années qui partit mi-juin avec ses deux petits-enfants
d'une dizaine d'années laissant sa fille et son gendre pour
encore quelques jours à Alger. Elle était installée sous la montée qui
donnait accès du pont des 1er classes à la coursive des logements des
officiers. A sa demande je lui avais indiqué la possibilité d'utiliser
lavabo et sanitaire des officiers situés juste en haut des escaliers
interdits aux passagers en temps normal et lui fis apporter par le
garçon de carré le lendemain matin du chocolat chaud et des tartines
de pain pour elle et ses enfants. J'avais remarqué qu'elle n'avait que
deux valises et une caisse cubique en fer, entourée d'une ficelle, d'une
trentaine de centimètres de côté marquée " Pierrot Gourmand "
Croyant que cette caisse contenait bijoux ou autres objets de valeur je
lui proposais de la mettre en sécurité dans le coffre du commissaire.
Elle me répondit que ce n'était pas la peine puisque les biens auxquels
elle tenait le plus étaient dans ses valises et que malheureusement elle
avait dû faire un choix cornélien lors du remplissage de ses deux
valises car seule avec ses deux petits elle ne pouvait se charger plus.
Peu avant l'arrivée sur Marseille elle m'interpella pour me remercier
des petits déjeuners, de la couverture pour ses enfants, et à ma grande
stupéfaction après m'avoir demandé si j'avais de jeunes enfants elle
ouvrit la boite en fer qui contenait… des sucettes Pierrot Gourmand !
et voulu m'en donner une poignée !!!! Devant mon étonnement de
voir qu'elle s'était chargée d'une confiserie au détriment d'objets plus
précieux, elle me précisa avec un ton qui me laissa sans réplique :
" Voyez-vous de tout temps, mes parents et puis moi avons vendu de
telles sucettes. J'ai voulu en emporter car elles me rappelleront ma vie
dans ma boulangerie d'Alger. "
La seconde est du même genre. Un homme, assez petit, chargé d'un
grand nombre de valises qu'il déplaçait les unes après les autres, me
demanda de bien vouloir conserver dans mon bureau de commissaire
une plante verte en pot de taille respectable car il craignait qu'elle
s'abîme au milieu des bagages empilés. Il m'expliqua que sa femme,
partie depuis plusieurs semaines lui avait fait jurer qu'il ramènerait en
France cette plante en souvenir de leur appartement de la banlieue
d'Alger. Devant son air suppliant je n'eus pas le courage de lui faire
remarquer que mon bureau était déjà fort encombrée et recueillie la
plante. Au débarquement, si les événements n'avaient pas été si
tragiques nous n'aurions que pu rire devant le spectacle de cet homme
qui faisait des allées et retour entre le bord et le quai pour charrier sa
plante verte au milieu des valises.
Ainsi Kairouan transporta dans des conditions exceptionnelles entre
mai et juin 1962 environ 54.000 rapatriés en 27 voyages.
D'avril à fin septembre ce sont environ 90.000 personnes, pour la
plupart des rapatriés, qui embarquèrent
Yves Lacoste, Lieutenant- commissaire du Kairouan
http://www.frenchlines.com/rapatriement/documents/yves_lacoste_conf_kairouan_et_le_rapatriement.pdf
Le lancement de la coque ayant été effectué en 1942 d'autres priorités vont reporter l'achèvement du Kairouan à l'année 1948. De retard en incendie, les travaux vont durer et le 20 juin 1950, le Kairouan arrive à Marseille pour achèvement définitif. Tous ses emménagements sont terminés et reçus le 15 juillet 1950.
Dès sa première arrivée à Marseille, le Kairouan fait sensation, car il est le seul paquebot affecté aux lignes d'Afrique du Nord, à être entièrement peint en blanc avec une silhouette fine.
C'est en 1951 qu'il prend son service sur les lignes d'Afrique du Nord. Il va transporter des soldats français en Tunisie et en Algérie. Pendant la guerre d'Algérie, il effectue des transports de troupes de deux mille hommes, à grande vitesse et avec un bon confort. Lors de l'évacuation de l'Algérie, il accueille les rapatriés à pleins bords et les dégage du cauchemar à un rythme accéléré.
En 1964, il assure encore la liaison Alger-Marseille et c'est sur ce navire que les hommes de la première compagnie du Groupe de Transport 535 quitte l'Algérie pour la France.
Le Kairouan effectue son dernier voyage sur l'Afrique du Nord pour le compte de la Compagnie Générale Transméditerranéenne en septembre 1973. La Compagnie de Navigation Mixte prend possession du navire, le désarme et le met en vente. "Le paquebot d'une nuit" est relégué au quai de l'oubli, à couple du "Ville de Tunis".
La Mixte décide de vendre le navire alors âgé de trente et un ans aux chantiers de démolition espagnols de Vinaros. Le Paquebot, remorqué par le Provençal IV, arrive à Vinaros le 23 décembre 1973, à huit heures du matin, où il est amarré à quai. Les travaux de démolition commencent à partir du début de l'année 1974.
Pour nombre de soldats il restera le paquebot de leurs 20 ans et souvent le paquebot des seuls voyages en mer de leur vie.
http://franc7.e-monsite.com/rubrique,les-bateaux-de-l-exode,111661.html
Mis en ligne le 10 nov 2010