Les colons d'Algérie
Quand les socialistes glorifiaient les colons et faisaient de la propagande pour la colonisation

Il n'y a guère en France que les partisans de la royauté et les ultra-socialistes qui affectent l'indifférence sur ce qui est relatif à la colonisation de l'Algérie. Les uns, parce qu'elle est l'œuvre exclusive de la République et un de ses beaux titres de gloire, les autres, parce qu'en enlevant à la capitale un grand nombre d'ouvriers sans occupation on a retiré des soldats à une insurrection possible.

Mais tous ceux qui aiment la patrie et la République, tous ceux qui sont véritablement sympathiques aux souffrances que la misère fait endurer, tous ceux-là suivent d'un œil avide le travail de la colonisation car de ce côté la France grandit en chassant la barbarie devant elle et des milliers d'hommes que le besoin décimait dans nos villes trouvent là un bien-être honorablement acquis. Ce double but patriotique et humanitaire serait plus que suffisant pour expliquer l'intérêt qui s'attache à l'œuvre en elle-même mais pour la population parisienne il y autre chose encore ; ce sont les liens de famille ou d'amitié qui unissent chacun de nous aux colons et qui contribuent puissamment à nous intéresser au sort de la colonie.

Nous recueillons avec soin toutes les correspondances qui nous sont envoyées ou qu'on veut bien nous communiquer, et dans toutes nous y avons trouvé l'expression d'une véritable satisfaction. Ainsi nous lisons ce passage d'une lettre qu'un colon de la commune de Fleurus adresse à ses parents.

" Celui qui n'aura rien, c'est qu'il ne voudra pas, et je puis dire que la Commission est aux petits soins pour nous tous les matins, le médecin passe dans les chambres pour savoir si quelqu'un est malade, heureusement tout le monde s'est bien porté jusqu'ici. "

C'est à peu près le langage de tous. Voici maintenant un extrait d'une autre lettre plus explicite d'un de nos amis, colon de la commune de Montenotte, et qui résume la situation générale de la colonie.

" En arrivant à Montenotte on nous installa dans des baraques en planches, puis quelques instants après nous fûmes agréablement surpris de voir arriver tous les Arabes des environs qui venaient nous offrir une fantazia ; ils étaient chargés de vases pleins de couscous, de viandes et de volailles rôties tout cela était proprement accommodé et fort bon, cela nous fit un plaisir infini, d'abord parce que nous avions grand'faim, et puis nous vîmes que les Arabes sont bien moins à craindre qu'on ne le croit en France.
Notre directeur nous mit immédiatement à l'œuvre il nous fit faire un canal en commun pour avoir de l'eau pour arroser nos jardins qu'il nous distribua trois semaines après notre installation. J'en ai un fort beau et à proximité du village ; il a près de 200 mètres carrés. J'y ai déjà ensemencé des légumes de toute espèce et planté plus de arbres fruitiers de toutes sortes ; je fais en ce moment des fossés pour planter 400 pieds de vigne qu'on me donnera demain.
On ne nous donne pas nos terres cet hiver, ce sont cent trente Arabes qui les ont cette année en fermage. ils les cultivent pour une partie de la récolte, et nous en toucherons le reste. Cela est infiniment plus avantageux pour nous, parce que nous n'aurions pas pu les cultiver cette année; nous avons presque assez du travail de nos jardins.
Nous sommes très contents de notre directeur M. Lapasset, capitaine d'état-major et chef du bureau arabe à Tenes. Etant chef des Arabes, il nous fait don d'une multitude.de plants ; dernièrement il a fait recueillir dans différentes tribus 66,000 pieds de vigne et un très-grand nombre d'arbres à fruits, ainsi que beaucoup d'autres choses ; il est jeune et actif, il encourage les bons travailleurs par des dons et des louanges de toutes sortes, et il fait la guerre aux paresseux, qui sont heureusement en très-petit nombre.
Nos terres sont de première qualité, nous n'avons pas une grande plaine, mais nous avons beaucoup de petits vallons qui sont très-fertiles l'Oued-Alala traverse en zig-zag tout le territoire de la commune; nous avons contre le village une bien jolie fontaine d'eau de source, l'Aïn-Defla, nom que la commune avait donné primitivement à notre village ; cela signifie en arabe Fontaine ornée de lauriers-roses; l'eau en est très bonne. Nous avons aussi du bois autant que nous en voulons et de très-bonne qualité à cinquante pas, du village. Depuis dix-sept jours seulement nos baraques sont couvertes en tuiles et elles ont des fenêtres ; avant cela, lorsqu'il pleuvait nous étions inondés; nous avons presque tous une jolie cour que nous avons faite avec des lauriers-roses. Nos rues sont larges et très-propres, on y a mis du sable, elles ont des trottoirs de chaque côté; enfin le village, quoique en planches, a un aspect très-gai. On va commencer à bâtir les maisons en pierres cette semaine.
Il s'est formé quatre associations pour exploiter les carrières de pierres, ça marche très-bien je pense qu'il s'en formera d'autres pour cultiver les terres, car il serait impossible un colon seul de bien cultiver ses terres.
Nous avons la même nourriture que les soldats; elle est mauvaise et insuffisante pour un homme qui travaille aux champs toute la journée. Nous ne sommes pas heureux de ce côté. "

Ce reproche, le seul un peu grave que nous ayons pu constater, nous le retrouvons dans d'autres lettres, particulièrement dans celle d'un colon du village de Bou-Ismaël, qui écrit :

" Nous devrions avoir la nourriture de campagne du soldat et nous sommes moins bien nourris que lui. Ceux qui, comme nous, n'ont point d'argent, sont à plaindre sous ce rapport. "
Nous sommes certains que ce fait cessera en arrivant à la connaissance de la Commission.

On le voit donc, l'œuvre de la colonisation se prépare sous d'heureux aspects. Pour nous, il est évident que si des républicains hommes d'Etat avaient voulu faire connaitre et aimer l'Algérie, il n'y avait pas un meilleur moyen de le faire. Les innombrables correspondances entretenues avec les colons ont déjà fait plus dans ce sens que les dix-huit années d'occupation et les noms glorieux de nos villages africains, Arcole, Fleurus, Lodi, Montenotte, etc., rappelleront le souvenir de nos deux Républiques en les symbolisant. La première, brillant éclair de gloire dont il ne reste qu'un souvenir, grand comme elle, il est vrai la seconde, fondation généreuse et puissante que l'avenir se chargera de développer.


Départ des colons pour l'Algérie. 5 novembre 1848

Amis,
Je quitte des yeux ces maisons flottantes qui emportent loin de nous les colons algériens. Je vous écris ceci à la hâte, encore plein de ce que je viens de voir et d'entendre. Grâce à la protection d'un représentant de nos amis, j'ai pu visiter l'intérieur des bateaux et assister à la cérémonie touchante qui a précédé le départ.

Comme aux sept premiers convois, celui-ci est composé de cinq grands bateaux plats attachés les uns aux autres et pouvant contenir chacun cent cinquante personnes, hommes, femmes, enfants. Chaque bateau est séparé par le milieu, et deux larges bancs avec places numérotées sont fixés sur chacun des côtés pour recevoir les voyageurs. Au-dessus de leur tête, un emplacement est réservé pour y déposer les matelas et les quelques petites choses que le colon peut emporter. Des fenêtres sont percées de loin en loin pour donner de l'air et du jour. Puis sur tout cela une double toiture en planche recouverte d'une toile cirée : voilà pour une huitaine de jours l'habitation des émigrants.

Quant au personnel de ce convoi, qui est, m'a-t-on dit, à peu près le même que celui des précédents, il se compose presque entièrement d'ouvriers de Paris de toutes sortes de professions, de quelques hommes de la campagne et d'un petit nombre d'anciens commerçants et d'artistes. Un fait remarquable, c'est le nombre considérable d'enfants de tout âge emmené par les émigrants. Ce fait se comprend, au reste, car, pour la plupart des colons, la cause du départ c'est la misère, et c'est sur les familles nombreuses d'ouvriers qu'elle se fait naturellement le plus rudement sentir. A dix heures, quand tous les colons ont été embarqués, le président de la commission pour la colonisation, M. Trélat, a prononcé quelques bonnes et dignes paroles d'adieu et d'encouragement ensuite le prêtre les a bénis en leur rappelant que la devise de la république était aussi une devise chrétienne ; puis la musique militaire a fait entendre les airs patriotiques, et le convoi s'en est allé aux cris mille et mille fois répétés : de Vive la France ! Vive la République ! En ce moment il y avait des larmes dans tous les yeux et un sourire sur toutes les bouches ; les larmes, c'était l'adieu, non pas à la patrie, comme le disait un des colons, car nous ne la quittons pas, nous l'agrandissons, mais adieu au sol natal, à la famille, aux amitiés qu'on laisse. Le sourire, c'était l'expression de l'espoir dans un avenir plus heureux. Et cet avenir se réalisera, nos frères vous allez porter la civilisation et l'abondance sur une terre barbare et inculte c'est une belle œuvre que vous allez réaliser.

Cette année aura vu s'accomplir deux grands actes, l'avènement de la République, et la colonisation de l'Algérie qui en est la conséquence. La monarchie ne voulait pas de la colonisation par la crainte de mécontenter l'Angleterre et par indifférence pour les misères publiques. La République en agit tout différemment peu lui importe le mécontentement des Anglais l'Algérie est à jamais française.

Le gouvernement issu de la souveraineté populaire ne pouvait voir sans s'en préoccuper l'agriculture délaissée quand l'industrie regorge de bras, là-bas des richesses immenses dont personne ne profite puis ici des populations entières souffrir et mourir de misère ; non ! La France républicaine a dit : allez, enfants, partagez-vous ces terres et rendez-moi en amour les sacrifices que je fais pour vous.

Dans quelques années, l'Algérie sera une nouvelle France, riche par les produits du sol et puissante par sa population. Pour amener ce résultat il faut deux choses, courage et persévérance du côté des colons, aide et protection de la part du gouvernement. Nous sommes sûrs des premiers et nous comptons sur le second.

Le départ des colons.
Partez pour la terre étrangère,
Vous que la foi vient de bénir,
Et sur la rive hospitalière
Conservez notre souvenir.
Allez, bercés par l'espérance,
Poser d'une nouvelle France
Les impérissables jalons.
Soyez heureux ! La route est belle,
Et la terre qui vous appelle
Abonde en riches mamelons.
Délaissant la fange des rues,
Partez, fiers enfants de Paris,
Allez fendre avec vos charrues
Un sol que nous avons conquis.
Allez des rives de la Seine
Porter à la plage africaine
Et l'industrie et les beaux-arts.
Labourez ! Que votre semence
Rende son antique abondance
Au vieux domaine des Césars.
Partez ! Vos sentiments nous gagnent,
Nos pleurs se mêlent à vos pleurs,
Et nos cœurs qui vous accompagnent
Sentent vos joies et vos douleurs.
Pour vous dire adieu, bon voyage,
Tout un peuple sur le rivage
Se mêle à ceux qui vous sont chers
Et le hurrah patriotique,
Le cri Vive la République !
S'élève immense au sein des airs.
Que ce cri parti de nos âmes
Soit le plus saint de nos adieux ;
Suivis de vos fils, de vos femmes,
Faites-le vibrer en tous lieux.
Que sa puissance vous rallie,
Qu'il vous rappelle la patrie
Et que le rivage africain,
Longtemps opprimé par le Maure,
Entende retentir encore
Le grand vivat républicain.
Allez redire cette plage
Qu'elle eut avant ses jours amers
Une Didon, une Carthage
Qui porta le sceptre des mers
Qui fut la mère du grand homme
Dont le génie étonna Rome
Allez, que le feu libéral
Réchauffe cette noble terre
Qui fera craindre à l'Angleterre
Le retour d'un autre Annibal !...
Rendez à ce pays épique
Le souvenir de sa grandeur,
Et que la flamme évangélique
Y rallume sa sainte ardeur.
Ce ciel brillant qui vous attire
Fut témoin de plus d'un martyre ;
Le Dieu qui toucha Constantin
Le rendit fertile en miracles,
Et le remplit de ses oracles
Par la voix du grand Augustin !
Partez sans crainte l'Algérie
Sous nos efforts s'agrandira
Ne laissons à la barbarie
Que les sables du Sahara.
Qu'elle apprenne ou qu'elle recule,
Et que les colonnes d'Hercule,
Lasses d'un joug avilissant,
Ne sentent plus peser son glaive.
Allez et que la croix relève
Ce qui tombe sous le croissant !
Fouillez le sol, creusez les mines,
Portez la main de toutes parts ;
Des vieilles cités en ruines
Rassemblez los débris épars.
Que sous le soc et la truelle
Tout s'éveille et se renouvelle
Allez ! L'avenir est à nous.
Partez ! Notre amour va vous suivre
Sur cette terre qu'on vous livre
Nous serons toujours avec vous


Faits divers

L'Atlas, journal d'Alger, annonce que plus de cent colons appartenant aux colonies agricoles fondées en 1848 viennent d'en être expulsés par suite d'un ordre du gouverneur général. Il y a déjà là un fait exorbitant, un abus de pouvoir condamnable, mais ce qui est incroyable, c'est que le gouverneur se soit permis d'interdire à ces colons le séjour de l'Algérie, car il n'a pas ce droit. L'arrêté du pouvoir exécutif en date du 9 décembre 1848 le lui a retiré formellement.
M. Ruilière s'occupe fort peu des affaires de l'Algérie, et il ne les comprend guère. Nous le croyons, d'ailleurs, animé de sentiments forts peu bienveillants envers les colons parisiens.

Mais il s'agit ici d'intérêts trop graves pour qu'il puisse les négliger sans encourir une lourde responsabilité. La République, à qui ses colonies ont déjà coûté 15 millions, n'entend pas les avoir dépensés en pure perte ; et l'on sait que le plus sûr moyen d'aboutir ce résultat, ce serait de laisser le gouverneur de l'Algérie, usurpant un pouvoir qui lui a été refusé, traiter les colons algériens, des citoyens français, comme des Arabes insoumis.


Nous recevons de plusieurs colons de la commune de Novi (Algérie) une lettre qui contient des réclamations très-graves sur la gestion du capitaine chargé de la direction de ce centre de colonisation. Ces plaintes ont été adressées au gouverneur général, à l'Assemblée nationale et au président de la République. Nous croyons devoir joindre nos instances à celles des colons de Novi pour qu'un examen sérieux ait lieu à ce sujet.

Il nous paraît important que l'œuvre si difficile, si patriotique de la colonisation algérienne soit remise aux mains d'hommes dont l'administration soit d'abord habile et par-dessus tout paternelle et prévoyante, à plus forte raison à l'abri de tout soupçon d'intérêt personnel ou de favoritisme.
L'Atelier : organe spécial de la classe laborieuse : 1840-1850

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6865b/f294.image

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Mis en ligne le 07 janvier 2013

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