Au Muy, depuis près de 50 ans, les harkis, ces eternels oubliés

Ils se sentent abandonnés, alors que d'autres communautés suscitent des élans de solidarité

Ailleurs, on entend les enfants qui jouent, les jeunes qui discutent, écoutent de la musique. Quoi de plus normal pour un dimanche. Ici, rien. Une pesante atmosphère d'ennui éteint tout bruit. "Quarante ans que les harkis sont tenus dans le silence ! ", s'exclame Aline Carabetta, militante associative, l'une de leurs seules voix. Mais quand il s'agit de parler de l'isolement dans lequel vit la quarantaine de familles harkis du camp du Muy, alors le silence se rompt. Et les exemples affluents. "Personne ne vient jamais nous voir, ni les élus, ni les organismes sociaux, sauf pendant les campagnes électorales !", répètent les uns et les autres. Il y a quatre mois, très exactement, le Var se retrouvait sous les eaux. "Quand la Nartuby a débordé, on nous a laissés a l'abandon. Plus de deux jours sans eau et sans électricité. Ils ont mis une semaine à venir jusqu'à nous pour tout nettoyer. Nous avons été les derniers. Nos jeunes, eux, n'ont pas attendu pour aller porter secours a des personnes en contrebas. "
Ali Djellak, 93 ans - le doyen- est habitué à cet abandon. Il ne se l'explique toujours pas lui qui a "combattu pour la France". Il se souvient très bien de ce camion bâché qui l'a emmené jusqu'au camp du Muy après être passé par ceux de Rivesaltes et Saint-André-les-Alpes.
" Ici, il n'y avait rien que des baraques. Elles ont été rasées en 1979. " Avec sa femme et ses trois enfants, ils ont été installés dans la maison qu'il habite aujourd'hui. Pendant des années, devenu forestier, il a payé un loyer. Puis l'office HLM lui a vendu la maison. "Dans les 20 millions d'anciens francs ", se souvient sa fille. Une villa ? Un repaire d'humidité qui ronge peu à peu les murs des chambres, de la cuisine, de la salle de bains. Comment Ali pourrait faire les réparations avec ses 900 euros de pension ? Il y a bien eu les 30 000 euros d'indemnisation décrochés de haute lutte plus de quarante ans après le départ d'Algérie. Mais ils ont été vite engloutis. "Le plus souvent, les jeunes sans travail n'ont pas les moyens de vivre seuls. Les plus anciens les aident", explique Aline Carabetta. Autour des maisons plus ou moins bien entretenues, de la broussaille, deux malheureux bancs et tout en haut ce qui devait servir de terrain de foot. "Il ne reste plus qu'une cage. Un jour, ils ont enlevé la deuxième", raconte Mohamed Messaoudi. "Regardez. Il n'y a aucun espace vert, même pas des containers. La route non plus n'est pas entretenue. Pourtant, on paye nos impôts", déplore-t-il tout en revendiquant son appartenance à l'UMP.

"On ne peut aller nulle part, il n'y a pas de bus"

Assises derrière un muret, trois adolescentes tuent le temps. "On ne peut aller nulle part, il n'y a pas de bus." Pas d'association non plus pour proposer des activités. "Ici, c'est pas comme dans les autres quartiers", disent elles. "Dans les cités, il y a des cours de soutien scolaire, une aide aux devoirs, ici rien ! Vivement que je me marie et que je parte" confie l'une d'elle qui rêve de devenir "citadine". Même la salle, à l'entrée du camp, construite en 2002 ou les jeunes pouvaient se réunir, ou l'on fêtait les mariages, est menacée de destruction. "Elle nous était réservée. Aujourd 'hui la mairie la loue à n'importe qui." Contraints de vivre dans un "ghetto" et dépossédés de tout, c'est le sentiment des jeunes comme des plus anciens. Ils ont même change le nom de la rue. Sans rien nous dire. Maintenant, elle s'appelle Bachaga Boualem. Allez trouver du travail quand vous donnez cette adresse ! "
Dominique ARNOULT - Dimanche 17 octobre 2010 - La Provence
darnouIt@Iaprovence-presse.fr

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Mis en ligne le 18 oct 2010