En octobre 1962, les autorités algériennes, appuyées par les autorités françaises, demandent aux agriculteurs français de rester et de reprendre la campagne agricole 1962-63, leur garantissant la poursuite des travaux et la commercialisation à leur profit.
Malgré son profond découragement, M. D. C... accepte et contracte un prêt pour lui permettre de faire face aux frais d'exploitation et à la remise en état des propriétés. Les garanties données ne sont pas respectées, les travaux sont contrariés par la présence des bureaux politiques, les rapines, les vols d'outillage. Cependant, la récolte de 63 est de 3537,90 quintaux de raisin livrés à la cave coopérative...
Le 2 octobre 1963, le Dr R..., propriétaire des biens, et son locataire exploitant, M. D. C..., sont frappés d'expropriation avec défense de pénétrer dans les fermes...
Voyez, l'arrêté qui déclare l'exploitation " bien d'Etat ", arguant, pour ce faire, que le propriétaire ne jouit pas à la date de la nationalité algérienne, ou ne justifie pas avoir accompli les formalités légales en vue de l'acquisition de ladite nationalité. Je vous ferai remarquer qu'un délai de réflexion de trois ans avait été accordé pour le faire à ceux qui demeuraient sur le sol algérien, cela faisait partie des affirmations du gouvernement français; mais ce n'est pas mon propos... La villa de M. D. L... ne pouvait être considérée comme exploitation agricole ?
Par suite, cette organisation prit possession de tout mon matériel entreposé dans les locaux de ma villa à Ain-Témouchent, suivant inventaire nominatif et quantitatif; dressé contradictoirement par le bureau politique, l'O.N.RA.(1) et le représentant du consulat de France, dont ci-joint copie.
La suite est particulièrement intéressante, si l'on se souvient des promesses formelles garantissant le rapatriement des fonds :
Le montant des ventes de vins commercialisés par La cave coopérative de Souf-Tell, et s'élevant à 110732,47 F, ont été entièrement versés à la Caisse régionale de crédit agricole d'Ain-Témouchent.
A ce jour, et malgré la circulaire 13 CR bis du 11 août 1964, du directeur des Caisses régionales agricoles d'Alger, et l'intervention du secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes, je n'ai pu obtenir le transfert de la différence me revenant, soit 53232,47 F, (déduction faite du crédit de campagne de 1963 de 57500 F).
La valeur du matériel saisi par l'O.N.RA. lors de la nationalisation (environ 130000 F) ;
- Par l'indemnisation qui m'est due pour dommages matériels et spoliation de récoltes avant l'Indépendance, que j'estime à 140000 F.(2)
L'Agence de défense des biens et intérêts des rapatriés a été saisie des demandes suivantes :
1° Demande d'indemnisation pour dommages matériels et spoliation de récoltes en mai-juin 1962.
2° Demande d'indemnisation pour mes biens agricoles laissés en Algérie après l'expropriation du 1er octobre 1962 (Dossier n° 126550 AG).
3° Demande d'indemnisation pour ma villa sise à Ain-Témouchent (Dossier n° 122682/J.M.).
4° Demande de remboursement des frais cultureux après l'expropriation.
5° Demande à l'Agence pour intervention auprès de la Caisse régionale d'Ain-Témouchent à l'effet d'obtenir le transfert de mes fonds provenant de la vente de mes vins de 1963.
A ce jour, je n'ai pas encore eu de suite concrète aux demandes ci-dessus énumérées.
A ces chiffres viennent s'ajouter deux créances, l'une de deux mille francs, l'autre de quatorze mille francs 1. Les deux débiteurs arabes ont refusé de régler... Quelle est, alors, la situation de mon client ? Il l'exprime parfaitement en quelques lignes au bas de cette page :
Je me suis donc trouvé dans la situation suivante :
- ne pouvant être reclassé en Métropole dans mes fonctions compte tenu de mon âge (cinquante-cinq ans et six mois à l'époque),
- n'ayant pas été sollicité, ni conseillé par les autorités administratives ou militaires françaises,
- ayant été exproprié de mon activité d'agriculteur viticulteur dans la région de Tlemcen, avec confiscation de tout mon matériel agricole par le gouvernement algérien,
- ne disposant pas d'argent disponible en raison des investissements importants que j'avais engagés depuis 1958, et du blocage de ma récolte 1963 par la Caisse de crédit agricole de Témouchent,
J'ai été contraint de solliciter à cinquante-cinq ans la liquidation anticipée de ma retraite à compter du 1er janvier 1964, subissant malheureusement la réduction de trente pour cent, prévue par l'art. 15 du règlement de prévoyance.
Après avoir reçu quitus de mon conseil d'administration, j'informais par lettre le consul de France, le sous-préfet et le commissariat de police de mon départ en Métropole le 15 décembre 1963 pour un certain délai.
Je confiai à un employé musulman qui m'était toujours resté fidèle les clés de ma villa, vide de mon mobilier, en le chargeant de la surveiller et de la nettoyer extérieurement jusqu'à mon retour.
Le 10 janvier 1964, j'apprenais qu'il avait été mis dans l'obligation de remettre les clés au sous-préfet de Témouchent, lequel aurait occupé la villa avec sa famille sans autre sommation.
Cette nouvelle ne m'a pas surpris. J'ai dû cependant renoncer purement et simplement à mon retour en Algérie.
Depuis cette date, je n'ai jamais perçu de loyer.
A ce jour, et nous sommes en 1972, M. D.C... a reçu en 1964 :
1° Allocation 700,00 F
2° Remboursement voyage 231,95 F
3° Prime déménagement . . . . . . . . . . . . 2000,00 F (coût réel 15000 F)
4° Indemnité particulière, déduction faite de la subvention d'installation 32200,00 F
Claude Rivaux conclut :
- Au total, 35131,95 F. Nous sommes loin du pactole déversé en faveur des rapatriés tels que les Français l'imaginent. Alors qu'il possède en Algérie :
- Montant des vins commercialisés par la cave coopérative. . . . . .. . . .. 53232,47 F
- Matériel saisi par l'O.N.R.A 130000,00 F
Au total: 183232,47 F
J'insiste sur le fait que ces sommes sont réelles, qu'elles ne sont pas le résultat des estimations personnel1es de M. D. C... mais représentent les dettes homologuées par le gouvernement algérien, qui lui en refuse le transfert. Si le moindre agriculteur français avait été spolié de la sorte et dans les conditions où les agriculteurs pieds-noirs l'ont été, la révolution aurait éclaté... C'est peut-être un peu simpliste, mais, si le gouvernement s'occupait de faire rapatrier ces sommes, il n'aurait pas à se préoccuper d'indemniser ses ressortissants !
1. ONRA : Office National de la Réforme Agraire
2. Nouveaux francs.
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Mis en ligne le 10 sept 2010
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