Le 26 décembre 1961, le Parlement votait une première loi sur la réinstallation des rapatriés en y posant dans son article 41e principe d'une indemnisation en cas de spoliation. A cette époque, l'Algérie n'était pas encore indépendante mais, déjà, refluaient de Tunisie et du Maroc, indépendants depuis quelques années, des Français spoliés de leurs biens.
Apres que les accords d'Evian ayant mis fin à la guerre d'Algérie eurent été signés en mars 1962 entre le F.L.N. et la France, et avant que ne fût proclamée l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, les tracts et brochures édités par le Haut-Commissariat en Algérie s'attachaient à donner aux Français d'Algérie des apaisements.
Et on pouvait parler de légèreté gouvernementale dès lors que l'on savait parfaitement que Ben Bella, dès son élargissement après les accords d'Évian, s'était opposé fermement aux négociateurs jusqu'à les faire mettre en minorité au Congrès historique du F.L.N. de Tripoli, où fut élaborée la charte de l'Algérie socialiste établissant un plan très précis de récupération des richesses nationales de l'Algérie.
Le gouvernement français de l'époque, qui voudra toujours occulter son erreur de jugement ou sa manière hâtive de se défaire d'un problème épineux, s'attachera à maintenir une fiction d'accords d'Évian que l'Algérie (qui, juridiquement, n'était pas liée par eux, puisque inexistante comme Etat en mars 1962) ne ratifiera jamais et ignorera superbement. De là découlera le refus par le gouvernement français de tout droit des spoliés à indemnisation jusqu'en 1978.
HUMILIATION ET SPOLIATION
Contrairement à ce qui vient d'être récemment écrit par certains journaux habituellement sérieux, au 1er juillet 1962, 250 000 Européens d'Algérie, peu confiants dans les promesses qui leur étaient faites, avaient franchi la mer, mais 750 000 étaient encore sur place, prêts à faire confiance aux assurances de leur gouvernement. Spécialement tous ceux qui, ayant des responsabilités administratives ou économiques, étaient à leur poste lorsque s'est levé le rideau de l'indépendance algérienne.
Ce fut alors l'horrible massacre d'Oran, le 5 juillet 1962, où 1100 Français ont été abattus par des éléments incontrôlés. Ne parlons même pas des horribles représailles subies à la même époque par les supplétifs que l'armée française avait pris la responsabilité de lever et connus sous le nom de harkis.
Les pieds-noirs commencent à fuir et lorsque leurs responsabilités ne leur permettent pas de partir, ils tentent au moins de mettre leur famille à l'abri. Au début d'août 1962, 500 000 pieds-noirs sur un million avaient passé la mer. A Oran, il n'en restait plus que 40 000 sur 200 000.
Et pendant ce temps, le gouvernement d'Algérie, présidé par Ahmed ben Bella, confirmait et poursuivait méthodiquement " l'effeuillage de la marguerite " des biens français annoncé à Tripoli. Les expulsions d'appartement se succédaient.
Le 18 mars 1963 est promulgué le statut des biens vacants actualisant ces spoliations immobilières. Au printemps de 1963, commencent les premières saisies des domaines agricoles.
En septembre de la même année, les journaux français d'Algérie sont saisis par le gouvernement algérien. Le 1 er octobre est annoncée la nationalisation de toutes les terres agricoles françaises. Et à partir de novembre 1964, les industries françaises sont nationalisées sans faire, malgré les promesses, l'objet d'une réelle indemnisation, exception faite, bien sûr, des affaires dépendant des puissants groupes capitalistes métropolitains.
Le gouvernement français, en présence de ces violations évidentes et radicales des accords d'Évian, ne prononcera pas un mot de protestation.
Finalement, sur les 1 026 000 Européens d'Algérie, 938 000 se réfugieront en France, certains partiront vers l'étranger, qui était parfois leur patrie d'origine. Après cet exode massif, il ne restera en Algérie, compte tenu des coopérants, que 75 000 Français environ (45000 aujourd'hui).
A l'heure actuelle, la question du transfert en France des misérables avoirs des quelque 3000 vieux pieds-noirs restant en Algérie, condamnés à mourir sur cette terre dans la déchéance, coupés définitivement des leurs et de la France, n'est toujours pas réglée. Pratiquement, plus aucun avoir français ne subsiste sur la terre d'Algérie, qui avait été française pendant cent trente ans.
L'essentiel des biens laissés par ceux qui s'enfuyaient et saisis par l'Algérie consistait en logements modes- tes acquis par les économies d'une vie. Selon les chiffres cités par René Pleven, les pertes touchant la propriété bâtie s'élèveront à 30 milliards de francs 1962 et celles concernant les propriétés agricoles à 8 milliards seulement. La moyenne des pertes déclarées à l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer a été de 100 000 F par dossier.
LA RÉINSTALLATION CONTRE L'INDEMNISATION
Ces gens de condition modeste, frappés par cette exceptionnelle tourmente historique, débarquaient sur un sol métropolitain où, pour la plupart, ils ne connaissaient personne. Comment allaient-ils être accueillis ? Au plan des pouvoirs publics, indiscutablement très mal ! Car malgré la loi du 26 décembre 1961, véritable loi cadre de l'accueil des éventuels rapatriés, toutes les décisions sur la réinstallation seront prises en dehors de ce texte sous forme d'ordonnances fondées sur l'article 2 de la loi référendaire du 13 avril 1962. (Il sera créé, le 24 août 1962, un secrétariat d'État aux Rapatriés devenu ministère le 11 septembre 1962.)
Au mépris des promesses sans l'ambiguïté de l'article 4 de la loi du 4 décembre 1961 et ses débats préparatoires et de celles des déclarations gouvernementales unilatérales françaises du 19 mars 1962 appelées Accords d'Évian, qui posaient le principe de l'indemnisation des biens spoliés, le gouvernement français, avec un parfait cynisme, reniant sa parole, affirma choisir " la réinstallation et non l'indemnisation ".
Car, parler d'indemnisation à la nation française, en faisant appel à la solidarité nationale dès cette époque, aurait été reconnaître la faillite immédiate de la politique les accords d'Évian, base de l'indépendance, accordée à l'Algérie par référendum, et selon la loi référendaire aux conditions des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962" (c'est-à-dire des accords d'Évian). Mais 1 500 000 rapatriés, dont 938 000 l'Algérie, étaient là, témoins vivants lu drame. L'illusion politique butait sur cette réalité humaine.
L'accueil en France, malgré d'extraordinaires bonnes volontés, donna l'image d'une confusion comparable à celle de l'exode de 1940. Rien n'avait été prévu par le gouvernement, envisageant 300 000 rapatriés au maximum échelonnés sur quelques années et recevant en un an environ 938 000 personnes.
En août 1962, 150 000 rapatriés se sont abattus sur Marseille seulement, ville de 800 000 habitants, qui n'a pu leur offrir dans l'immédiat que 800 emplois. Par la suite, une politique efficace de G. Defferre a su résoudre au mieux ce problème, enrichissant Marseille de 100 000 personnes actives et courageuses.
Cette réinstallation basée sur la non indemnisation a été menée dans des conditions financières indignes.
Dès qu'un emploi était trouvé, une prime de réinstallation de 1 500 F pour un célibataire et de 3000 F par chef de famille était versée, somme avec laquelle devait être reconstitué tout ce lui était nécessaire à la vie d'un foyer dépourvu de tout ! Le gouvernement est même allé jusqu'à menacer les rapatriés de les priver de ces secours s'ils ne trouvaient pas d'emploi dans certaines zones définies à l'avance.
Quant aux non-salariés, c'est-à-dire ceux appartenant au commerce, à l'artisanat et aux professions libérales, ils devaient se faire inscrire sur les listes professionnelles correspondant à leur activité outre-mer. Cette inscription était là aussi acceptée ou rejetée par l'administration. Ils avaient alors le choix: poursuivre leur ancienne activité, ou bien y renoncer et prendre la qualité de salariés. Dans ce cas, ils pouvaient prétendre à un capital de reconversion. L'emploi salarié devait être effectivement tenu et cela avant soixante ans révolus; le montant du capital de reconversion était fixé à 28 000 F, 25 000 F ou 18 000 F selon que l'emploi était occupé trois mois, six mois ou neuf mois après le rapatriement. Le résultat ne se fit pas attendre puisque, sur 31500 inscrits sur les listes professionnelles d'indépendants, 25 000 se sont reconvertis au salariat. Mais le capital de reconversion ne pouvait se cumuler avec aucune aide au reclassement. Dans l'hypothèse où le rapatrié non salarié entendait poursuivre l'activité correspondant à la liste professionnelle sur laquelle il était inscrit, il pouvait bénéficier de priorité pour autorisation et licence d'exploitation dans les professions réglementées. Mais il pouvait surtout bénéficier de prêts et de subventions de reclassement. Le plafond des prêts était fixé à 200 000 F, ne pouvant dépasser 60 % du montant total des dépenses d'investissement avec un intérêt de 3 % et une durée maximale de 20 ans dont cinq ans au plus d'amortissement différé.
Des subventions de reclassement pouvaient être envisagées pour les rapatriés ne disposant pas du financement laissé à leur charge mais sans pouvoir dépasser 30 000 F. L'investissement total ne devait pas en ce cas dépasser 200 000F. C'était cantonner les rapatriés dans des entreprises indépendantes d'importance très restreinte, donc les plus fragiles de notre économie moderne, et laisser à des gens dépourvus de tous moyens la charge de 40 % du financement, ne pouvant donc être couverte que par un crédit complémentaire très difficile à trouver dans de telles conditions, et, dans tous les cas, grevant très lourdement l'opération. Ces affaires, trop petites, achetées dans de mauvaises conditions, se révéleront dans l'en- semble catastrophiques. Il aurait fallu prévoir, tout au contraire, une aide personnalisée au projet, permettant d'utiliser au maximum les qualités d'efficacité et de dynamisme du peuple pied-noir.
Là encore, les frais de réinstallation ne pouvaient être cumulés avec aucune autre aide de reclassement. Le bénéficiaire du prêt ou de la subvention devait lui-même diriger son exploitation, sous peine de remboursement immédiat de ces sommes. Le décret et l'arrêté du 16 juin 1968 ont ajouté des conditions exorbitantes de droit commun, imposant le remboursement des prêts et subventions, en cas de vente ou de cessation d'exploitation dans un délai de cinq ans.
Les agriculteurs inscrits sur les listes professionnelles ont connu un statut particulier. S'ils acceptaient de s'installer dans un département dit d'accueil, ils touchaient une subvention de reclassement dont le mon- tant allait de 20000 à 50 000 F selon les départements et bénéficiaient d'un prêt de 170 000 F au maximum sur 30 ans, à 2 % d'intérêt, avec un différé d'amortissement inférieur à cinq ans.