Le serpent mythique de l'indemnisation

"Une société qui refuse la solidarité envers ses membres est une société qui se décompose."
Valéry Giscard d'Estaing le 8 octobre 1976 (proposition de l'impot "sécheresse"

Estimation des biens laissés en Algérie 25 à 50 milliards !!?? (valeur 1962) Sources LE QUID 2000

" Le rapatrié à bénéficié d'une aide de 14 500 Francs en moyenne, dont 4500 Francs récupérables au titre de prêts remboursables, alors que le coût de la reconversion d'un mineur du Nord est 26 000 Francs. "
Pierre Baillet -Thèse de géographie 1975


Retrait des formulaires d'indemnisation

Préambule : L’Exode qui prit trop souvent des allures de fuite, laissa « vacants » des biens et des avoirs, la majorité des personnes restée après l’indépendance, fut chassée ou « incitée à partir » et le gouvernement Algérien proclama la nationalisation de tous les capitaux et possessions individuels. (Les biens étaient déclarés "vacants" au bout de deux mois.)

Certains de nos compatriotes métropolitains, trouvent indécente l’idée d’une indemnisation pour les Français d’Algérie. Par contre, ils se jugent, individuellement ou collectivement, en droit d’exiger un dédommagement substantiel en cas d'expropriation par l'état de catastrophe naturelle, de perte d'emploi, de délocalisation professionnelle, d'erreur judiciaire, d'erreur médicale, de récoltes perdues du fait d'intempéries, d’accident de la route, d’attentat, et estiment même légitime, la réactualisation de "l'emprunt Russe" souscrit par leurs grands parents.
D’autres, souvent les mêmes, crient au scandale et s’offusquent devant les « milliards touchés » par les rapatriés. D’aucun citent tel ou tel qui aurait touché deux fois une copieuse réparation. De ces réflexions simplistes naissent des légendes tenaces, analogues à celle du « verre d’eau », ou « Pieds-Noirs exploiteurs ». Aujourd'hui on parlerait d'un "AMALGAME" ignoble de STIGMATISATION intolérable...(les mots sont à la mode.)
Ceci est le fruit, en partie, d’une confusion savamment entretenue par les gouvernements successifs. L’accumulation de différentes lois mêlèrent pèle mêle les indemnités de réinstallation, les indemnisations, les prêts remboursables, les sommes payables sous cinq, dix ou quinze ans, sans réactualisation (titres). Cette ambiguïté est aggravée puisque que l’addition des dédommagements occulte le fait que les sommes réactualisées, de toutes façons d’une manière insuffisante, auraient du être payées, dix, vingt ou trente ans plus tôt. En outre figurent parmi les décomptes, les remboursements dus aux rapatriés du Maroc, d'Indochine, de Guinée, de Mayotte, des Comores et de Tunisie ce qui, bien entendu, à pour effet de rendre les subventions beaucoup plus importantes.

Loi du 26 décembre 1961 (soit 3 mois avant les accords d'Evian !!!).
Article 4 partiel :
"Une loi distincte fixera, en fonction des circonstances, le montant et les modalités d'une indemnisation en cas de spoliation et de pertes définitivement établies des personnes visées au premier alinéa de l'article premier et au premier alinéa de l'article 3".
Il est troublant qu'une loi soit promulguée avant des accords qui prévoyaient un "arrangement à l'amiable". Nous pouvons en déduire, sans faire preuve de mauvais esprit, que tout avait déja été planifié et que le gouvernement d'alors savait bien que les discussions d'Evian n'étaient que l'alibi d'un abandon programmé.

«Le Général [de Gaulle] s'est toujours refusé à envisager l'indemnisation, même partielle ou simplement dérisoire des biens perdus. Jusqu'en 1969, encouragé du reste par le ministre des Finances, il n'a cessé de récuser toute étude en ce sens... Mais il fallut attendre la candidature de Georges Pompidou à la présidence de la République pour que des engagements soient pris, qui furent tenus dans les inscriptions budgétaires, mais non dans la pratique: le ministre des Finances savait trop bien que par l'instruction des dossiers on peut retarder indéfiniment l'exécution d'une dépense. Ce qui fut fait»
Michel Jobert "mémoires d'avenir

"C'est beau, c'est grand, c'est généreux la France"
Charles de Gaulle

De 1962 à 1965, le coût global des dépenses budgétaires et des prêts financés hors budget a atteint 10358 millions dont 3476 millions de prêts remboursables. L'aide aux rapatriés s'est donc élevée à 6 882 millions, soit moins de 5 000 francs par individu.
Chiffres cités par J. Ribs, "Plaidoyer pour un million de victimes."

Le premier gouvernement de la Ve République s’est toujours opposé à adopter la moindre mesure qui eut pu discréditer la politique qui était génératrice des dommages. Il se contenta de maigres dispositions sociales d’accueil, et consentit des prêts de réinstallation à taux plus ou moins avantageux et de moratoires.

La loi du 15 juillet 1970 dite "Loi relative à une contribution nationale à l'indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France", reconnaît enfin le droit à l'indemnisation. (8 ans aprés !!)

"Cette loi n'aura pas vocation à refaire les fortunes.." M Jacques Chaban Delmas, Premier Ministre, à la tribune de l'assemblée.

Effectivement, basée d'après l'indice INSEE de 1956, l'évaluation réelle correspondant par exemple à 500 000 F en 1970, donnait droit à une indemnisation royale de 65 000 F.
Les propriétés agricoles sont évaluées à 60 à 70 % de la valeur réèlle. Les immeubles à 50 %. Les entreprises à 15 à 20 %. Ceci d'après leur valeur en 1956. En 1970 cette estimation déja nettement défavorable, ne tient pas compte de l'inflation, ce qui accroit l'injustice.
"Cette contribution a le caractère d'une avance sur les créances détenues à l'encontre des Etats étrangers ou des bénéficiaires de la dépossession. "Article 1 de la loi de 1970".
L'état français implicitement, indique (naïvement ?), que l'état "bénéficiaire" des spoliations, indemnisera, à plus ou moins long terme, les spoliés.

En résumé, avec le prix perçu pour un immeuble à Alger ou à Oran, on pouvait s'acheter, en 1970, un studio à Paris !!

La loi de 1978 réévalua le montant indemnisable de 62% et accorda un règlement sous forme de titres (sauf en dessous de 20 000 F), plafonné à 500.000 F, échelonné jusqu'en 1991 avec un intérêt de 6,5%. Or, d'après les indices officiels, la réévaluation aurait du être de 165%. De plus, les taux d'intérêts courants étaient alors, de 13 à 15%. Enfin, la perte de jouissance était ignorée.

Tous comptes faits, pour 1F en 1962, le rapatrié a perçu en 1978, 46 centimes valeur 1962, alors qu'il aurait du toucher 4,39F. 1978 est une indemnisation à 10%.

La loi de 1987 accorda un complément de 93 centimes pour 1F valeur 1962, payable sans intérêt jusqu'en 1997. De ce fait, les 93 centimes n'en faisaient plus que 42 en valeur 1987. Alors que 1 F de 1962, placé de façon banale aurait fait 10 F en 1987. 1987 est une indemnisation à 4%.

Compte tenu du manque d'intérêts perçus sur une indemnisation étalée, à ce jour(1998), sur 36 ans un rapatrié qui a laissé en 1962 des biens estimes à 60.000F aura touché 8.500 F valeur 1962...

Au titre de la "réinstallation" une somme fut allouée à chaque famille qui devait théoriquement rembourser, les frais de voyage, soit 500 F pour un chef de famille plus 200 F par personne à charge. (multiplier par 9 environ pour avoir la correspondance année 2010).
1 franc 1962 = 9 francs 2010 = 1,4 euro selon INSEE

En 1981, le versement en espèces et au comptant pour "les biens vendus à vil prix", sera accordé pour les cas sociaux et les personnes âgées (qui ne seront considérées comme âgées qu'à partir de 90 ans !!)
L'état tablera longtemps sur la disparition physique des indemnisables. De 1978 à 1987 il économisera ainsi, 1,5 Milliard de F qui n'ont plus trouvé preneur et pour cause.

Pour une indemnisation totale en quatre ans, il suffisait d'augmenter le litre d'essence, alors aux environs de 1 Franc, de 1 centime (proposé par M Viard), mais cette augmentation "aurait été mal percue par le peuple Français".

"Accords du 19 mars 1962 dits d'Evian, stipulant Chapitre 11- Paragraphe B, 2e alinéa :

"L'Algérie garantit les intérêts de la France et les droits acquis des personnes physiques ou morales dans les conditions fixées par les présentes déclarations. En contrepartie, la France accordera à l'Algérie son assistance technique et culturelle et apportera à son développement économique et social une aide financière privilégiée : 1) Pour une période de 3 ans renouvelable, l'aide de la France sera fixée dans des conditions comparables à un niveau équivalent à ceux des programmes en cours... ."
La France fournit à l'Algérie une aide équivalente au montant du coût des grands travaux prévus au Plan de Constantine, c'est-à-dire approximativement DIX MILLIONS DE FRANCS PAR JOUR, soit pour ces trois années, PLUS DE DIX MILLIARDS DE FRANCS versés à fonds perdus. Qui plus est, cette aide était apportée au pays spoliateur, malgré que celui-ci n'ait pas tenu ses propres engagements et se soit emparé, par la force, dès le 5 juillet 1962 de tous les biens et intérêts des non-maghrébins, de "tous les droits acquis par les personnes physiques ou morales" ressortissants du gouvernement français : on aidait l'état spoliateur et on laissait dans leur misère matérielle et morale un million de Français spoliés de tous leurs biens.

Nota : Des problèmes concernant l'indemnisation se sont posés dans d'autres pays. Certains d'entre eux ont pris des mesures d'équité. Ainsi, la Grande-Bretagne a indemnisé la totalité de ses "nationaux" à 100 %, ajoutant parfois une somme complémentaire de 25 %, représentant le "pretium doloris".
(Renseignements fournis par la Confédération Européenne des Rapatriés et Spoliés).

Une indemnisation légitime

Lors du débat sur la loi d'indemnisation de juillet 1970, Paul Cermolacce, pour le Parti communiste, dira: «Des travailleurs, des retraités ont perdu la maison ou l'appartement, fruits des économies d'une vie entière. Des artisans, petits commerçants ou petits industriels, qui se sont endettés pour monter une affaire nouvelle grâce aux prêts d'installation, complétés par d'onéreux prêts privés, sont à la merci de leurs créanciers. L'indemnité qu'ils attendaient pour la perte de leurs entreprises n'étant pas venue, ils n'ont pu desserrer l'étau des emprunts contractés à leur retour. Le fisc, M. le ministre de l'Économie et des Finances, l'URSSAF, le crédit hôtelier les poursuivent.
Il en est de même pour les agriculteurs, exploitants familiaux qui se sont réinstallés dans des exploitations dont la rentabilité n'est pas immédiate ou suffisante, et qui ne peuvent faire face aux échéances des prêts d'investissements que les caisses de Crédit agricole leur ont consentis. "Il est donc nécessaire et équitable de procéder sans plus tarder à l'indemnisation des rapatriés de la perte de leurs biens.»

Pour le groupe socialiste, Pierre Bayou plaide de son côté: «... Rendez-vous bien compte que nos compatriotes d'Algérie ont bu la coupe jusqu'à la lie. Ils ont été obligés de quitter le pays natal, qu'on leur a dit ne plus être le leur. Nous avons été témoins de leur arrivée en France, de leur immense misère et de leur courage étonnant. Ils ont connu le chômage, parfois la faim, souvent le froid dans des logements de fortune qu'ils ont occupés trop longtemps. Aux douleurs de l'exil se sont ajoutés les soucis d'argent qui ont poussé au suicide trop de vieilles gens ou de malheureux qui n'ont pu surmonter leurs tourments ou leur angoisse du lendemain. Plus d'un million de nos compatriotes ont été transformés du jour au lendemain en un peuple de pauvres, victimes sans compensation de la politique étrangère de la France.
Mesdames, messieurs, vous sentez bien que cette situation désastreuse n'a que trop duré. Il faut que cesse le scandale national que constitue l'abandon des spoliés d'Algérie et d'ailleurs... »

Une indemnisation au rabais

M. François Liberti (Député Communistes et Républicains - Hérault) attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants sur le douloureux problème de la réparation des préjudices matériels et moraux consécutifs au tragique exode subi par l'ensemble de la communauté rapatriée (harkis et pieds noirs) il y a plus de quarante ans. La dette de l'Etat découle non seulement des principes constitutionnels fondamentaux de la République, mais aussi directement des engagements unilatéraux du 18 mars 1962, avalisés par le référendum du 8 avril 1962, consacrés par la loi référendaire du 13 avril 1962, laquelle a créé de véritables obligations de droit interne en matière de réparation. Certes sporadiquement, différents textes de loi, entre autres la loi du 26 décembre 1961, sur l'accueil et la réinstallation, les lois de contribution à l'indemnisation des 15 juillet et 21 janvier 1978 et du 5 juillet 1987 ont permis à l'Etat de remplir certaines de ses obligations, mais de façon tout à fait partielle. Ainsi, notamment les préjudices matériels et moraux liés directement au déracinement ont été jusqu'ici occultés, la compensation financière de la perte ou la spoliation des biens matériels ne s'est pour sa part élevée qu'à hauteur de 22 % de la valeur 1962, la réhabilitation des harkis n'est toujours pas acquise... C'est la raison pour laquelle il lui demande que le problème de la réparation des préjudices subis par les rapatriés soit enfin réglé, en tenant compte de sa qualité liée aux victimes de guerre et qu'une loi de réparation, soit désormais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Question publiée au JO le : 12/05/2003 page : 3608

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Mis en ligne le 10 sept 2010
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