L'exil, la mémoire et l'intégration culturelle : les Pieds-Noirs
d'Argentine, des Argentins avant la lettre ?
La sauvegarde de l'identité pied-noire procède d'un certain type de rapports vis-à-vis de la France, que l'émigration en Argentine permit à beaucoup de conserver. La comparaison avec les Pieds-Noirs de la métropole est parlante : leurs compatriotes d'Argentine estiment être restés " plus français qu'eux ", c'est-à-dire plus aisément, sans devoir rendre compte ni de leur appartenance à la communauté française, ni s'en démarquer. En ce sens déjà, ils forment un sous-ensemble original clans la communauté pied-noire.
Mais d'autres éléments les caractérisent, qui se sont forgés au cours de leur vie en Argentine, et
qui leur donnent le sentiment d'être également " plus pied-noirs que ceux de France ". La question n'est pas de savoir si cela correspond à une illusion ou à une réalité, mais bien plutôt d'analyser ces caractéristiques, et de montrer l'évolution de cette identité dans l'environnement culturel argentin.
" Pied-noir d'abord "
Quel que soit le degré d'intégration des Pieds-noirs dans la société argentine, leur identité nationale reste déterminée par leur terre natale. Cependant, cette conscience de groupe s'est forgée assez tard, même si les habitants de l'Algérie française se distinguaient déjà nettement des " Français de France ".
Leurs rivalités internes - ethniques, régionales, sociales - l'emportaient sur le sentiment de former une communauté. Celui-ci se cristallisa au cours de la guerre d'Algérie, puis lors du rapatriement le terme même de " pied-noir ", du reste, n'existait pas avant les années 1950. Aussi, cet " être pied-noir " a de multiples visages chacun le vit à sa façon et possède ses propres critères de définition.
Néanmoins plusieurs aspects de cette identité pied-noire, complexe, mouvante et très fortement individualisée, ont été valorisées par l'installation en Argentine. Les immigrants en sont plus ou moins conscients, mais cela contribua sans doute à les ancrer profondément dans le pays.
Tout d'abord, l'Argentine leur permit de se réconcilier avec leur mère-patrie. Mais plus encore, l'émigration vers ce pays leur permit en quelque sorte de reprendre à leur compte leur histoire. Profondément, l'histoire des Pieds-Noirs est celle de la mise en valeur de l'Algérie - du moins est-ce la conscience qu'ils en ont -. Aussi, après le rapatriement en métropole, cette histoire se referma comme une parenthèse, niant leur passé et les efforts fournis au nom de la France. C'est ainsi que les Pieds-noirs eurent le choix entre deux attitudes ; soit s'assimiler à la collectivité française et à son devenir, ce qui revenait à perdre leur " originalité historique " ; soit se replier sur eux et se figer dans le temps. Ces derniers préférèrent tout conserver, histoire et identité, et se sentir exclus.
Pour eux, le parcours historique est parvenu à son terme, il se cantonne au passé et se nourrit de lui 1.
Au contraire, les Pieds-Noirs qui partirent en Argentine firent table rase du passé. Puisque la France ne reconnaissait pas leur histoire et que celle-ci les caractérisait profondément, ils allaient la revivre, mais ailleurs. C'est pourquoi ils se définissent encore aujourd'hui comme des pionniers : c'est à la fois l'hommage rendu aux ancêtres et la preuve d'une filiation originale. On peut leur appliquer sans hésitation la réflexion de Maurice Benassayag : " Ce qui permit aux Pieds-noirs de ne jamais sombrer clans le désespoir, procédait, à n'en pas douter, des récits, peuplant leur mémoire, des grands-parents, des parents partis de rien " 2.
Or l'Argentine fournit un cadre adéquat à ce désir de recommencer l'aventure : terres à défricher, conditions pénibles, ils en souffrirent mais purent en être justement fiers. Le choix de l'activité agricole fut à la fois un moyen d'oublier le passé récent et de rétablir la liaison avec un passé lointain ils redevinrent les "colons", mais au sens où l'étaient leurs ancêtres vers 1860, sans cette connotation injurieuse qu'y mettaient les métropolitains un siècle après. Ils redevinrent des défricheurs, non de la Mitidja mais de l'Entre Rios, du Rio Negro, de Formosa : même si l'histoire ne
se répéta pas, cela les réconforta, leur donna l'impression de s'être acquittés d'une dette.
D'où ce qualificatif qu'ils revendiquent avec fierté " Nous, les Pieds-noirs, nous sommes des pionniers ", disent les C, tandis que Madame M. déclare en écho : " Mon mari est un pionnier. Ce que ses parents n'ont pas dû faire en Algérie, lui l'a fait ici " 3. Pour d'autres, l'aventure argentine ne fut pas seulement celle du campo, mais celle du pays en lui-même. Rappelons les paroles d'Hervé F. " Le charme de l'Argentine, c'est qu'on peut être en faillite un jour, et tout recommencer le lendemain ". Être pionnier suppose en effet, en plus d'être entreprenant et tenace, d'avoir le goût du risque : certains de ces immigrants l'ont suffisamment pour continuer à se montrer dynamiques malgré le contexte peu sécurisant de l'Argentine.
Un second aspect de l'identité pied-noire se trouva fortement accentué par l'installation en Argentine, c'est la conscience d'être un " éternel exilé ", comme se définit l'un d'eux. Le thème de la migration et de l'exil est en effet perceptible dans tous les discours. Il fait également partie du patrimoine ancestral, comme le suggère la réflexion de Maurice Benassayag. De fait, le pionnier est d'abord l'immigrant, qui part justement à la conquête d'un pays neuf pour y planter ses racines.
Or, si ce projet était celui des émigrants français d'Algérie, ils n'ont pu le réaliser pleinement pour eux-mêmes. Diverses réflexions et attitudes en témoignent, qui visent à justifier leur choix de l'exil et les limites de leur intégration : " Quand on a quitté son petit clocher, déclare Jean-Pierre B., il faut accepter de n'être plus de nulle part ; il ne reste plus qu'à tenter l'aventure ". Cette phrase suggère la dimension très relative de l'attachement à une nouvelle patrie. Christiane C. déclare pour sa part : " Je ne sais pas si je me sens vraiment pied-noire, parce que j'ai beaucoup voyagé " ; mais elle ajoute, à propos des Argentins " Je me sens bien avec ceux qui ont voyagé, comme toujours ". Or, si elle doute de son identité pied-noire, celle-ci se trouve en fait pleinement confirmée par ses propos. Non contente d'affirmer le besoin d'identité nationale qu'ont les enfants de Pieds-noirs, et de se proclamer pour sa part " absolument française ", elle avoue : " À partir du moment où j'ai été déchirée une première fois, (elle évoque évidemment l'Algérie qu'elle a quitté à l'âge de dix-neuf ans), je n'ai pas voulu m'attacher au matériel. Ce qui compte, c'est la famille ". Cette remarque définit le sentiment de beaucoup de Pieds-noirs depuis 1962 : l'incapacité de replanter véritablement ses racines, qui fait qu'on ne se sent plus qu'un migrant, à l'aise avec ses semblables, " ceux qui ont voyagé ", l'ajout du " comme toujours " révélant une conscience de groupe. D'autre part, l'importance accordée à la famille est un élément capital de cette identité de migrant ; nous y reviendrons.
Non contents d'être, comme leurs ancêtres, des pionniers et des migrants, les Pieds-noirs d'Argentine se définissent par une troisième attitude celle du refus. Le texte suivant montre qu'ils se placent par là-même dans une tradition historique qui leur est propre : "S'il fallait définir les Français d'Algérie par un seul mot, c'est celui de réfractaire qu'il faudrait choisir, parce qu'il est celui qui leur
conviendrait le mieux. Réfractaires, les super démocrates de 1848 (...), les hommes de 1851 et de 1865 (...), les Alsaciens et les Lorrains de 1871 (...). Réfractaires enfin, (...) ces Anclalous, ces Siciliens, ces Mahonnais, ces Napolitains et ces Maltais, qui ont eu l'audace de rompre avec une
société et de quitter leur terre natale pour aller courir outre-mer une aventure que leurs contemporains jugeaient déraisonnable " 4.
Leur départ en Argentine stigmatisa le refus de demeurer clans un pays qui les avait rejetés, et d'avoir à choisir entre l'assimilation forcée ou le repli sur soi. Mais ils restent réfractaires à d'autres
égards, en particulier par leur volonté systématique de se démarquer, leur refus d'être confondus
avec leurs compatriotes restés en France. La façon dont ils critiquent l'attachement de ces derniers au passé prouvent qu'eux-mêmes ont refusé de sombrer clans la nostalgie, d'être oubliés, de se retrouver " fondus clans la masse ".
De la même façon, et là encore pour préserver leur authenticité, ils évitent à tout prix qu'on les confonde avec les Argentins, même si ceux-ci les considèrent comme faisant partie des leurs d'où leur attitude de retrait par rapport à la politique et aux mœurs argentines en général. Dernière forme de refus, qui explique la précédente : confrontés aux nombreuses difficultés qui menacent leur avenir en Argentine, participant malgré eux au malaise général, à la crise de confiance que traverse le pays, ils se refusent à sombrer une seconde fois. Cela se traduit par l'attitude de repli précédemment évoquée, ou bien par la volonté de donner à leurs enfants les moyens de repartir.
C'est dans ce sens qu'il faut aussi interpréter la conservation du lien avec la France et la transmission du patrimoine culturel.
Ces différents aspects de l'identité pied-noire se sont trouvés accentués du fait de l'émigration ; ils
se rapportent tous à une tradition historique qui caractérise fortement les Français d'Algérie. Quant
aux autres éléments qui constituent leur patrimoine culturel, ils ont été conservés à des degrés divers et sous différents aspects, qui permettent néanmoins de caractériser d'un autre point de vue le devenir des Pieds-noirs en Argentine.
Une " anti-communauté "
L'identité d'un groupe se perpétue normalement lorsque sont maintenus des liens communautaires.
C'est ce que l'on constate généralement au sein des minorités nationales. Or, les Pieds-noirs d'Argentine n'ont pas adopté ce modèle la caractéristique principale de leur communauté est justement la dispersion.
La première partie de cette étude décrivait le processus par lequel l'organisation collective de l'émigration avait abouti à un éclatement des différents groupes constitués ; ceci en raison, principalement, de leur hétérogénéité. Par la suite, nous avons observé que l'intégration des immigrants s'opéra de manière individuelle ou familiale, c'est à dire en dehors de tout cadre collectif ou communautaire. Ces constatations vont à l'encontre d'une vision globale des Pieds-noirs d'Argentine et, de fait, chacun adopte de ce point de vue une attitude particulière. Pourtant, des similitudes existent - en particulier clans leurs discours sur leur pays d'accueil - qui permettent de les considérer comme une communauté spécifique.
Tout se complique lorsqu'il s'agit de définir cette communauté, car le moindre de ses paradoxes est que les contacts entre les individus sont extrêmement réduits, voire inexistants dans certains cas.
Autrement dit, la particularité de la communauté pied-noire d'Argentine est qu'elle n'existe pas en tant que telle, mais se révèle sous des formes diffuses. C'est pourtant clans ce contexte que se perpétuent certaines attitudes propres à leur culture, et que se définit la spécificité de ce groupe.
Il faut dès lors nous pencher sur les caractéristiques particulières de cette communauté, et tenter de les expliquer. En premier lieu, la dispersion des individus sur le territoire argentin a évidemment condamné toute perspective de rassemblement communautaire. L'immensité du pays et les difficultés de communication ont peu à peu découragé les projets de réunion, même par petits noyaux.
Toutefois, les relations n'existent pas davantage au niveau régional. D'une part, les relations entre les Pieds-Noirs se sont distendues, du fait des conflits de personnes qui ont provoqué l'éclatement des coopératives certaines oppositions sont demeurées irréductibles et empêchent les regroupements.
Par ailleurs, l'insertion clans le milieu argentin a peu à peu pallié les besoins de sociabilité. Enfin et surtout, le besoin de se rassembler entre eux ne s'est pas fait sentir chez les Pieds-noirs d'Argentine. Ils tiennent à se définir d'une manière individuelle et non en tant que communauté. Cette attitude se remarque clans les propos qu'ils tiennent sur leurs compatriotes de France, desquels ils tiennent à se démarquer : " Nous sommes restés très Pied-noirs, dit Monsieur G., mais pas comme les Pieds-Noirs de France. Ici, nous n'avons pas de réunions, pas d'associations pour parler du passé. En France, ils n'ont pas dépassé le problème ".
L'originalité des Pieds-noirs d'Argentine tient justement à ce refus d'une exclusion trop poussée : leur identité doit être vécue au présent, sans créer artificiellement des liens qui n'existent pas en tant que tels. Cela passe par un désir d'effacer ce que leur passé a pu avoir de douloureux, et de s'intégrer, clans la plupart des cas, à la communauté qui les a accueillis : " On se voit encore entre nous, dit
Georges P., mais maintenant on est mélangés aux Argentins et on a oublié l'Algérie, ou on essaye ".
Cette attitude a été rendue possible non seulement par la démarche des immigrants eux-mêmes, mais par la neutralité de l'entourage argentin qui les considère comme des Français, ou maintenant comme des Argentins, mais pour qui le mot argelino (algérien) ne comportait aucune connotation particulière. Comme le fait justement remarquer Madame P. : " À qui on va dire ici qu'on est Pied-noirs ? (...) la plupart, ici, ils ne savent pas ce que c'est ".
Autrement dit, rien ne leur imposait d'adopter une attitude de repli collectif et de cultiver, clans un cadre communautaire fermé, une
" algérianité " dont chacun se sent le dépositaire de manière individuelle et qui n'est en rien menacée par l'extérieur.
Si cette communauté n'existe donc pas de manière institutionnelle ni même formelle, des liens demeurent toutefois, de manière diffuse, entre les individus. Séparés parfois depuis plusieurs années, les Pieds-noirs d'Argentine entretiennent malgré tout, comme à leur corps défendant, une sorte de mémoire de groupe. Ainsi, chacun d'entre eux sait, plus ou moins, ce que sont devenus ses anciens compagnons de coopérative. L'ensemble de ces relations diffuses forme un réseau qui comporte quatre sous-ensembles régionaux le nord-est, avec La Paz et Corrientes d'une part, Formosa et le Chaco ele l'autre ; le nord-ouest avec Salta, Tucumán, et une extension vers Santiago del Estero - par lequel on rejoint Córdoba ; l'ouest patagonien avec Bariloche, Neùquen,
General Roca et Valle Azul et, enfin, une bande " côtière " qui, partant de Vieclma, remonte par Pedro Luro jusqu'à Buenos Aires.
Au sein de ces sous-ensembles, les Pieds-Noirs se connaissent, se fréquentent parfois. Même si les communications sont exceptionnelles, on se " tient au courant " : n'importe lequel d'entre eux est capable de nommer ses compatriotes vivant dans la région. D'un sous-ensemble à l'autre, les informations circulent aussi : les S., de La Paz, ont vécu quelque temps clans la province de Salta où réside encore leur fils ; ils connaissent par là même tous les Pieds-noirs de la région. Autre exemple :
à Buenos Aires vivent douze familles d'Algérie de manière indépendante ou rattachées à différents groupes ; leurs contacts, même réduits, permettent d'échanger quelques nouvelles. Ce réflexe est en
effet typique d'un esprit communautaire : un Pied-Noir ne se désintéressera jamais totalement du devenir de l'un de ses compatriotes, même si les individus en question ne se connaissent pas ou n'ont que peu d'affinités.
Cependant, les liens qui sont les plus fortement maintenus par les Pieds-noirs d'Argentine sont d'ordre traditionnel : ce sont les liens de voisinage, et surtout les liens familiaux. À observer de plus près, on en arrive à relativiser l'hétérogénéité et la dispersion de cette communauté et tout d'abord, les relations qui pouvaient exister au sein des différents groupes d'origine le groupe de Georges Thurin, en particulier, comprenait beaucoup de ses parents et de ses proches. D'autres exemples montrent que ces relations dépassent le cadre des groupes : ainsi, Jackie M., de Salta, est le gendre de Madame B., de Rosario de Lerma, et connaissait en Algérie non seulement Georges Thurin - il a émigré dans son groupe - mais aussi D., chef du groupe de Rosario, et les B. qui en faisaient aussi partie. Les familles M.d.l. et R. sont originaires du même village du Constantinois, bien que la première se soit installée en Argentine longtemps après la seconde.
Du point de vue des relations familiales, Madame G., de Cerillos, est la cousine de Claude D., dont la famille a quitté Formosa pour Buenos Aires et Madame P., de Valle Azul, est la cousine de Madame Thurin. Parfois, les relations de voisinage et de famille se complètent : ainsi, les P. et les S. de La Paz sont originaires du même village que les L. et les B. de Rosario de Lerma. Or, Monsieur B. est le beau-frère de Monsieur L., et son épouse est belle-sœur par alliance de Madame S. Enfin, le mari de celle-ci, Georges S., est le cousin de Madame G., la mère de Christiane G. de Pedro Luro...
Cette énumération peut sembler tatillonne, mais elle permet de saisir la dimension essentielle de l'entité familiale au sein de la communauté pied-noire d'Argentine. C'est celle-ci, en effet, qui constitue le lieu privilégié de la transmission de l'identité, en même temps que le noyau de base de l'insertion dans le milieu argentin. En effet, les groupes familiaux sont restés soudés ils vivent en général clans la même province et gardent des liens étroits. La seule exception notable est celle d'Antoine P. qui laissa ses deux frères à Formosa pour suivre le groupe de Valle Azul.
Le maintien des relations familiales est non seulement favorisé par le contexte argentin, mais il caractérise de manière presque absolue la survivance de l'identité pied-noire. En témoignent les raisons invoquées par les intervenants au sujet des contacts qu'ils gardent avec la France : toutes ont pour objet la famille qu'ils y ont laissée. Les femmes témoignent de ce manque plus encore que les hommes, qui l'ont peut-être transféré sur l'attachement qu'ils vouent à leurs terres. Pour certaines, c'est sur cette séparation que se cristallise le regret d'avoir émigré. Maryse B., pourtant parfaitement intégrée, déclare : " Je regrette d'être partie parce qu'il ne faut jamais s'éloigner des parents et de la famille (...). Mes parents, c'est comme s'ils nous reprochaient toujours notre départ (...). Non, il ne faut pas abandonner ses parents ". Elle le regrette d'autant plus qu'elle, son mari et ses quatre enfants forment, avec les conjoints et les petits-enfants, " une famille à la pied-noire ! " où l'on partage tout, les activités, les soucis et les joies, les rêves et les secrets.
La famille constitue en effet un point d'ancrage, ainsi qu'un repère essentiel pour préserver son identité. Comme l'explique Joëlle Hureau, " c'est à l'intérieur de cette cellule, souvent très étendue, car la notion de parenté englobe les cousinages les plus lointains et les belles-familles, que le régionalisme peut s'épanouir " 5.
C'est dans le cadre de ces relations, familiales, amicales, ou semi-communautaires, que se perpétuent tant bien que mal les différentes traditions ou habitudes qui constituent " le Pied-Noir tel qu'en lui-même il perdure " 6. Dans les villages où restent plusieurs familles pied-noires, tels La Paz,
Valle Azul ou Rosario et Cerillos, les anciens compagnons d'émigration se retrouvent pour discuter : ils n'ont en effet perdu ni le goût de la tchatche, ni celui de l'anisette Chanis importée par les Turcos 7 (et que les Argentins boivent pure, à l'espagnole), ni l'accent ou les tournures pataouètes 8, qu'ils ont d'ailleurs transmis à leurs enfants. À noter qu'ils ne parlent plus que rarement de là-bas, mais bien plus généralement "d'ici ".
D'autres réunions ont lieu à l'occasion des fêtes, en particulier Pâques et surtout Noël, qu'ils fêtent
- été austral oblige - en bras de chemise, toujours avec quelque nostalgie. C'est dans ces occasions qu'ils renouent avec leurs traditions culinaires, la paella et le couscous, bien sûr - quoiqu'ils les préparent avec les épices et la semoule de blé dur locale - et le méchoui qui, exceptionnellement détrône l'asado national. Henri L., qui n'a gardé aucun contact avec ses compatriotes, en régale chaque jour de l'An ses amis de Salta.
La préservation de l'identité se limiterait-elle à ce maintien tenace du mouton face au bife national ?
Si le maintien de ces traditions paraît n'avoir qu'une valeur symbolique, c'est que l'environnement socio culturel dans lequel se trouvent les pieds-noirs d'Argentine leur a permis - quoiqu'en disent certains - de conserver leur identité tout en adoptant les coutumes argentines. De fait, " l'algérianité " de ces immigrants doit surtout être remarquée dans les syncrétismes qui se sont opérés entre leur culture et celle de leur pays d'adoption.
Algérie-Argentine
Les Pieds-noirs ont beau critiquer les Argentins et vouloir s'en démarquer le plus possible - en particulier en se réclamant Français, plus encore que les Pieds-noirs et les Français de France - , cette attitude prouve a contrario qu'ils ne sont pas si dissemblables. Du reste, certains le reconnaissent volontiers " Les Argentins, déclare rondement Hervé F., c'est ce qui se rapproche le plus des Pieds-noirs. C'est pour ça que je suis resté ici ".
Tous n'ont évidemment pas le même point de vue. Cependant, les ressemblances existent, entre les deux peuples plus encore qu'entre les pays, et la manière dont les Pieds-noirs cohabitent avec les Argentins n'est pas sans rappeler les modes de convivialité qui prévalaient au sein de la société française d'Algérie.
Algérie et Argentine se confondent souvent dans l'imaginaire des immigrants, parfois pour une simple question de phonétique 9. Ainsi, Marie-Thérèse T. continue à dire " Bel-Abbès " pour " Buenos Aires " et vice versa. C'est que, pour certains, les deux pays se confondent mentalement : Marie-Thérèse, dont le témoignage a montré qu'elle s'était réconciliée avec la France grâce à son séjour en Argentine, met celle-ci et l'Algérie sur un même plan, par rapport à la France qui, idéalisée, constitue à la fois le point de jonction et le sommet d'un " imaginaire pyramide".
Sans que les colons aient retrouvé exactement les paysages, les couleurs, les parfums de l'Algérie, ils connaissent, dans certaines régions, un climat et un décor assez approchants, par exemple dans
l'Entre Rios ou dans la région de Salta. Cependant, les ressemblances ne sont pas aussi exagérées que la presse a voulu le faire croire lors de leur arrivée ; il est évident qu'il s'agissait tout de même, pour eux, d'un pays étranger. Mais, dans leurs évocations, il apparaît que ce sont peut-être moins les éléments du décor que l'atmosphère en elle-même qui leur rappelle leur pays d'origine.
Ils ont le même rythme de vie, les mêmes habitudes, la même manière de travailler. Ce sont surtout les agriculteurs qui témoignent de ce bien-être un peu intemporel, de ce sentiment de tranquillité enfin retrouvée après avoir traversé les tourmentes de l'Histoire.
Outre le décor, il y a bien sûr les personnages.
Malgré leurs critiques, les Pieds-noirs admettent que les Argentins sont en quelque sorte leurs cousins d'Amérique, surtout si eux-mêmes ont une ascendance méditerranéenne. Marie-Thérèse
estime que l'Argentin " a beaucoup des qualités et des défauts du Pied-noir " : comme lui, il est " accueillant, chaleureux, doté d'un fort esprit de famille "; il est également loquace, volontiers hâbleur, " en représentation ". Mais elle souligne une différence, l'attitude envers le travail : à côté du Pied-Noir qui " prend son destin en main ", l'Argentin, estime-t-elle, " se laisse aller en attendant que tout lui tombe du ciel ". Remarquons que ces propos ne diffèrent en rien des clichés habituels que livrent les Français sur la communauté argentine.
Marie-Pierre F. de P. livre un témoignage encore plus complet sur ces ressemblances, puisqu'elle se situe véritablement à la charnière entre les deux identités. Très intégrée, elle possède pourtant une forte conscience d'être pied-noire " Je suis d'abord pied-noire, ensuite argentine, et puis, clans le fond, il faut bien que je sois française ", avoue-t-elle.
Mais elle insiste sur la convergence entre les deux premières identités : " J'ai changé de terre, j'ai changé de langue, j'ai changé quelques habitudes, mais j'évolue clans un milieu très similaire chaleureux, où la famille a une importance énorme... ".
C'est justement cela qu'elle garde de plus profondément ancré en elle, de son enfance algérienne, et qu'elle continue à vivre en Argentine " En France, le dimanche en famille n'a plus aucune importance. Chez nous c'était le couscous, ici c'est les pâtes... Mais chaque famille argentine s'assoit le dimanche midi autour de la table, sans exception ".
L'affectivité compte plus que tout dans les relations, et la convivialité méditerranéenne suit le modèle familial " II y a l'amitié aussi (...), une chose très concrète : c'est vraiment la vie pour l'ami, et ça existe ici aussi ". Après cela, il y a le côté débrouillard, bohème, dans le travail, l'aspect de pays neuf, et Marie-Pierre de conclure par cette profession de foi " Je n'arrive pas à voir les grandes différences entre le fait d'être pied-noir ou pas, parce que je continue d'évoluer dans un milieu beaucoup trop semblable ".
Ces témoignages révèlent que le syncrétisme entre les cultures en présence dépend profondément du caractère méditerranéen de l'une et de l'autre, qui régit les attitudes les plus fondamentales et les plus significatives. Mais un autre aspect de l'Argentine se révèle capital pour les Pieds-noirs : c'est le fait que ses habitants soient eux-mêmes d'anciens immigrants. Cela leur confère des réactions très semblables à celle des Pieds noirs, en particulier vis-à-vis de leur patrie d'origine : les uns et les autres " descendent du bateau ", comme on le dit ordinairement des Argentins, et conservent un lien particulier avec la vieille Europe, qu'ils plaignent autant qu'ils l'admirent. C'est bien cela qui a permis aux Pieds-noirs de rester français à leur convenance, c'est également cela qui a fait de leurs enfants des Argentins à part entière.
Par ailleurs, ces anciens migrants témoignent d'un rapport particulier au temps et à l'espace : déracinés, le pays où ils habitent n'a pour eux qu'une importance relative, comme en témoigne
Henri L. lorsqu'il dit : " Moi, mon pays, c'est celui où je vis, où je mange (...). L'Argentine, je m'y suis plu, je me sens bien, je me sens chez moi et puis c'est tout (...). Avant, l'Argentine c'était là-bas, et la France c'était ici. Bon, et bien maintenant, c'est l'inverse, c'est tout ". De cette attitude par rapport à la patrie - ou plutôt à l'absence de patrie réelle - découle un détachement par rapport au cours des événements : c'est ce que semble exprimer l'écrivain argentin Murena lorsqu'il écrit :
" Nous sommes les parias du monde. Nous sommes des dépossédés, parce qu'en quittant l'Europe ou l'Asie, nous avons quitté l'Histoire 10". Or, ce sentiment d'être " sortis de l'histoire " est exactement celui des Pieds-noirs : ils se sentent dépouillés de la leur et répugnent à s'impliquer dans un autre destin national. Du moins, c'est ce que semble révéler au moment de l'étude (1988) leur position attentiste par rapport à tout ce qui se passe en Argentine.
Plus exactement, les Pieds-noirs ont une façon particulière de ressentir les événements de la communauté où ils vivent : ils les imprègnent de leur propre histoire, parce qu'ils ont le sentiment d'en avoir été les victimes. Plusieurs exemples le montrent dans leurs discours sur l'Argentine. Ainsi,
Marie-Pierre F. a vécu l'époque de la guerilla du début des années 1970 en Argentine avec toute la résonance de la guerre d'Algérie. Les A. témoignent également de la même appréhension devant les rassemblements de masse, du même rejet inconscient de la police, de l'ordre public, de l'uniforme.
Par ailleurs, l'anti-péronisme que manifeste la grande majorité des intervenants ne peut s'expliquer uniquement par leur intégration clans une certaine couche de la société argentine, traditionnellement anti-péroniste. Il est certain que cela joue, mais le péronisme est une sensibilité politique qui dépasse largement la simple notion d'ancrage social, puisque la sociologie du péronisme forme justement un éventail relativement ouvert.
En ce qui concerne les Pieds-noirs, on peut émettre l'hypothèse suivante : le profil de "chef charismatique " que possédait Perón, à l'époque de son premier gouvernement (1946-1955), sa doctrine qui se voulait au-dessus des partis, son projet de rendre à l'Argentine sa puissance, qui passait par une nationalisation des principaux secteurs de production, tout cela évoque trop le personnage de De Gaulle pour que les Pieds-noirs n'aient pas opéré de transfert plus ou moins conscient. Aussi évoquent-ils moins De Gaulle que leurs compatriotes de France, mais ils remplacent celui-ci par son alter ego argentin.
Par ailleurs, une référence revient clans leurs discours de manière quasi obsessionnelle : celle du " fameux " voyage que le général de Gaulle effectua en Amérique latine en 1964. Si aucun n'a pu le dater avec précision, c'est que chacun en fait une référence personnelle : certains Pieds-noirs de
Saucesito le font coïncider avec leur occupation de l'Ambassade de France, ce que d'autres démentent ; un intervenant de Rosario de Lerma le met en rapport avec son propre départ, etc. La seule coïncidence réelle entre la tournée latino-américaine de De Gaulle et les Pieds-noirs d'Argentine est que la première eut lieu à peu près à l'époque où furent signés les accords franco-argentins sur l'émigration des seconds. Toujours est-il qu'à l'occasion de l'arrivée du Général à Buenos Aires, les partisans de Perón, exilé à Madrid, manifestèrent aux cris de " De Gaulle, Perón, un solo corazón " ("de Gaulle, Perón, un seul cœur"). Si ces deux hommes, pour l'occasion, n'en faisaient qu'un pour les péronistes, cela pourrait expliquer pourquoi, a contrario, les Pieds-noirs se sont d'emblée situés dans le camp opposé.
De la même façon, ils raillent unanimement la guerre des Malouines et la prétention des Argentins à considérer ces îles comme les leurs cela leur apparaît comme une nouvelle version burlesque et pourtant grinçante de " leur " guerre.
D'une certaine façon, et le cas des Malouines l'illustre bien, tout se passe comme si les Argentins n'étaient pas pris au sérieux par les Pied-noirs, faute d'avoir souffert. C'est pourquoi le portrait caricatural que les Pieds-noirs en font doit surtout être interprété comme le négatif de l'image qu'ils veulent donner d'eux-mêmes : celles de travailleurs honnêtes, sérieux et dignes de confiance.
D'une certaine façon, ils en veulent à leurs lointains cousins d'avoir pu demeurer dans leur pays d'accueil, d'avoir été, pour les plus enracinés d'entre eux, les bénéficiaires de l'Indépendance, et d'avoir pu rompre les liens avec l'Espagne. C'est ce qu'on peut déduire, par exemple, de certaines réflexions amères telles que " Eux, ils les ont bien massacrés, leurs Indiens... Alors qu'ils ne viennent pas nous faire la leçon à nous ! ".
L'ensemble de cette population formait là-bas une mosaïque colorée de gens simples et travailleurs. Pionniers aimant la vie, durs à l'ouvrage, prompts à prendre des initiatives, produits d'une sélection naturelle opérée au sein de populations européennes et méditerranéennes transplantées qui avaient dû survivre aux famines et aux terribles épidémies du XIXe siècle; habiles artisans ou petits négociants juifs réfugiés depuis des siècles au cœur des villes; Kabyles, Chaouias, Kroumirs, Arabes et Berbères, ne ménageant jamais leur fatigue et n'hésitant pas à s'expatrier mais restant viscéralement attachés au piton familial, autant par la nostalgie que par les mandats-poste qu'ils y expédiaient ponctuellement; militaires, petits fonctionnaires, agents de ces services publics efficaces qu'étaient les Ponts et Chaussées, Electricité et Gaz d'Algérie, la Poste, le Service de l'Hydraulique, les Chemins de Fer Algériens (CFA), la Compagnie des chemins de fer tunisiens (CFT) etc., coopérant, main dans la main, sans trop s'embarrasser de différences religieuses ou de contrastes folkloriques. Ce peuple patchwork, laborieux, ensoleillé, blagueur et bigarré, n'a jamais été dorloté.
Il y a quarante cinq ans, la roue implacable de l'Histoire a voulu le broyer. Le rétablissement qu'il a opéré de ce côté-ci de la Méditerranée est à coup sûr le meilleur gage de l'authenticité des valeurs dont il était porteur. Les enfants de Harkis, les descendants de Pieds-Noirs, peuvent sereinement assumer leurs racines !
Par René Mayer ancien directeur de l'Habitat au Gouvernement général de l'Algérie, et l'auteur de Algérie : Mémoire déracinée, Editions l'Harmattan, prix Jean Pomier décerné par le Cercle algérianiste en 2000.
Pourtant, comme nous l'avons souligné, la grande originalité des Pieds-noirs d'Argentine est d'avoir su rompre le lien avec le passé sans perdre leur identité. Cela résulte à la fois de leur volonté de " tourner la page " et de reconstruire une vie nouvelle, mais aussi parce qu'ils vivent en Argentine dans un pays jugé " sans passé ". Ceci est le dernier élément commun à l'Algérie et à l'Argentine, les réflexions de Camus à propos de l'une pourraient aisément s'appliquer à l'autre, lorsqu'il écrit " Les cités dont je parle sont des villes sans passé. Ce sont des villes sans abandon, et sans attendrissement (...). Ces villes n'offrent rien à la réflexion, et tout à la passion. (...) Et, à moins d'une vocation absolue, on ne saurait recommander à personne de s'y retirer pour toujours 11 ".
Les Pieds-noirs d'Argentine, en effet, n'ont pas cherché à nier ce passé, ni à s'y enfermer. Ils l'ont, au contraire, en partant, assumé et repris à leur compte. L'environnement argentin a permis le reste. Aucune trace de " Nostalgérie " 12 ne subsiste véritablement chez eux, car l'environnement argentin leur a permis de transposer les jalons les plus profonds de leur identité. Cela ne veut pas dire qu'ils aient oublié, loin de là, mais ils se refusent au culte du souvenir. Certains, nous l'avons vu, ont vécu la transition en assimilant peu à peu l'Argentine à l 'Algérie. D'autres s'y refusent radicalement, préservant l'intégrité de leur " terre de mémoire ".
Mais il serait vain de chercher des mobiles réellement objectifs à ces attitudes ; pour la plupart, les deux pays se rejoignent sans se confondre totalement. Pour eux, selon l'expression d'Alice K., " l'Argentine est forcément un pis-aller ".
Car, quel que soit leur degré d'insertion il leur manque tout de même leurs racines, et celles-ci prennent la forme de trois éléments sans cesse évoqués. Tout d'abord, s'ils ont le soleil, il leur manque la mer. Même s'ils ont l'occasion de se rendre parfois sur la côte, ce n'est pas " la mer ", qui est pour les Pieds-Noirs la " mère Méditerranée 13 ". Il leur manque leur maison, cadre et décor de la lignée familiale et dépositaire de la tradition. Enfin, il leur manque les Arabes, dont la présence, disent-ils, les choque pourtant lorsqu'ils retournent en France. Mais ceci ne touche naturellement que les plus âgés des immigrants, pour qui l'Algérie ne constitue pas simplement la terre des souvenirs d'enfance.
Si les souvenirs subsistent, l'attitude qu'ils adoptent par rapport à leur passé leur permet, du moins à certains, de porter sur celui-ci un autre regard.
Non sans hésitation, car ils ont conscience de se poser en faux par rapport à la communauté
pied-noire dans son ensemble lorsqu'ils déclarent, par exemple, que " finalement, l'Algérie ne pouvait pas rester française ", ou que, " finalement, de Gaulle avait raison ". Mais ces jugements ne sont que
l'expression d'un apaisement, d'un détachement par rapport au passé l'Algérie ne constitue plus désormais qu'un merveilleux souvenir, comme en témoigne Henri L. : " Moi, j'ai tourné la page. L'Algérie pour moi, c'est le passé. C'est quelque chose de très joli... superbe... Je me souviens de l'Algérie à la meilleure époque ".
La blessure s'est donc refermée, avec le temps et le passage des générations. L'acculturation argelino-argentina (algéro-argentine) s'est opérée sans trop de heurts. Les enfants des émigrants les plus âgés peuvent se sentir encore pied-noirs, surtout s'ils sont nés en Algérie ; leurs petits-enfants sont, en tout cas, franco-argentins, et l'Algérie ne représente plus rien pour eux. Certes, chaque individu représente un cas particulier et il est difficile de généraliser les réactions. Mais il est possible de mettre en rapport des façons d'être pied-noir et des degrés d'insertion dans la société argentine.
Souvent, les immigrants d'origine française ne se sont pas assimilés : ils ne se sentent pas argentins à part entière, et ce sont eux qui maintiennent le plus fortement le lien avec la France. En revanche, ceux d'origine " latine" (aussi bien de Corse que d'Espagne) sont beaucoup plus " argentinisés ", mais manifestent cependant la même volonté de préserver leur identité pied-noire c'est même en son nom qu'ils se sont intégrés et qu'ils rompent, peu à peu, les liens qui les retiennent à la France.
Ceux-d étaient, finalement, des Argentins avant la lettre. À deux consonnes près {Argelino/Argentino)...