Introduction

Suite à l'indépendance de l'Algérie en 1962, 900 000 personnes d'origine européenne vivant en Algérie, affluent en France métropolitaine. L'étude cherche à savoir si cette arrivée massive de rapatriés a eu un impact sur le marché du travail français, et plus précisément sur le chômage et les salaires des non-rapatriés.
On est ici dans le cadre d'une expérience naturelle : Le choc est indépendant des conditions économiques de la France et il n'y a pas de biais de sélection parmi les immigrants. Les données utilisées proviennent de l'enquête de l'INSEE de 1962 et 1968 et concernent 88 départements français. Il est à noter que l'enquête de 1962 a été réalisée en Mars, juste avant l'arrivée des rapatriés.
Par ailleurs, un " rapatrié d'Algérie " est défini comme suit :
personne vivant en Algérie dans l'enquête de 1962 et en France dans l'enquête de 1968, et dont le nom de famille n'est pas d'origine arabe ou berbère.

1. Caractéristiques des rapatriés

Le retour des rapatriés des anciennes colonies françaises participe à la croissance de la population de France métropolitaine entre 1954 et 1965. En 1962, le retour des rapatriés, principalement d'Algérie, contribue à plus de 60% de la croissance de la population. L'accroissement du nombre d'actifs dû aux seuls rapatriés d'Algérie de 1962 est estimé à 300 000 personnes, soit 1,6% des actifs de 1968.
En 1968, le taux de participation des rapatriés (36,7%) est inférieur à la moyenne nationale (41,1%). En moyenne, ils sont plus jeunes que la population de métropole, mais plus âgés que les autres immigrés. Ils sont surreprésentés dans les catégories professionnelles moyennes et supérieures, et sous-représentés dans les professions ouvrières.
Ils possèdent peu de capital, 5 000 francs en moyenne (à titre de comparaison, le salaire annuel moyen est de 7 300 francs en 1962). Pendant l'année suivant leur arrivée, ils peuvent bénéficier d'une aide financière durant leur recherche d'emploi, et la priorité leur est donnée pour les emplois vacants.

2. Localisation des rapatriés Une grande majorité de ces rapatriés se sont installés dans le sud de la France. L'article cherche à déterminer les facteurs ayant joué un rôle dans les décisions de localisation géographique. Il est supposé que les rapatriés arrivés entre 1962 et 1968 ont fondé leurs décisions sur des variables de 1962.
Le nombre de rapatriés en 1968 rapporté au nombre d'actifs de chaque département en 1962 est régressé sur : la part des rapatriés déjà présents en 1962 dans la population totale de chaque département, la température annuelle moyenne, le taux de chômage, le logarithme du salaire moyen, les incitations financières (0, 2 500 ou 5 000 francs selon les départements) et la structure économique du département, qui est approximée par la part des différents secteurs économiques dans l'emploi total.
Les coefficients les plus significatifs sont associés au nombre de rapatriés déjà présents en 1962 (aide à l'installation) et à la température (conditions climatiques similaires). Le signe des coefficients liés aux salaires et aux taux de chômage sont contre intuitifs (respectivement négatifs et positifs), ce qui laisse supposer qu'il existe un effet spécifique individuel, qui n'est pas pris en compte ici.

3. Impact sur le chômage

Le pourcentage de non rapatriés au chômage en 1968 est régressé sur : la proportion de travailleurs rapatriés dans les actifs (variable Rapatriés); la proportion de population ayant reçu une éducation au moins égal au baccalauréat ; la proportion de travailleurs ayant entre 15 et 24 ans ; et la structure économique du département.
La variable Rapatriés a un effet significatif et positif : une augmentation d'un point de pourcentage de la part des travailleurs rapatriés entraîne une augmentation de 0,34 point du taux de chômage. En inhibant l'existence d'un effet fixe par une régression en différence première, le coefficient reste significatif, bien qu'il soit moins élevé : 0,12.
Les salaires, les taux de participation et la concentration des immigrants étrangers n'ont pas été pris en compte car il est difficile de trouver de bons instruments pour ces variables endogènes. Leur absence peut avoir biaisé les résultats. Néanmoins, l'auteur assure qu'en utilisant différentes méthodes pour prendre en compte les effets liés au cycle économique, les résultats obtenus sont similaires.
Conclusion : une augmentation de 1,6% du nombre d'actifs a conduit à une augmentation de 0,3 points du chômage des non-rapatriés.
Ainsi, 30% de l'augmentation du chômage entre 1962 et 1968 serait dû à l'arrivée des rapatriés

4. Impact sur les salaires

Les salaires de 1967 sont régressés sur le même ensemble de variables explicatives que précédemment. Si la variable Repatriates est bien significative par la méthode des moindres carrés pondérés, elle ne l'est quasi plus en différence première ou lorsque d'autres variables explicatives telle que la température, sont introduites.
L'auteur considère néanmoins que les salaires de 1968 ont peut-être été inférieurs de 1,3% à ce qu'ils auraient été sans l'arrivée des rapatriés.

5. Impact sur les choix de décision d'autres migrants potentiels

Des équations similaires à celles de Filer (1991) sont estimées pour examiner si l'arrivée des rapatriés a découragé l'immigration provenant, soit de l'étranger, soit d'autres départements français. En effet, dans le cas où l'arrivée des rapatriés aurait découragé d'autres migrants potentiels, l'effet de cet afflux aurait pu être sous-estimé.
Le ratio des immigrés " internes " de 1968 sur le nombre d'actifs de 1962 a été régressé sur : le pourcentage de rapatriés en 1968 par rapport au nombre d'actifs de 1962, la température, les taux de chômage, le logarithme des salaires et la structure économique des départements. Le ratio des immigrés " internationaux " de 1968 sur le nombre d'actifs de 1962 est régressé sur le même ensemble de variables explicatives.
Selon les résultats obtenus, la présence des rapatriés semble ne pas avoir eu d'impact sur les décisions de migrations internes, mais a affecté positivement l'immigration provenant de l'étranger. L'augmentation d'un point de pourcentage de la proportion de rapatriés a entraîné une augmentation d'immigrants étrangers de 0,4 à 0,6 points. Mais étant donné que l'arrivée des rapatriés a augmenté le taux de chômage, qui décourage les autres immigrés, l'effet de l'arrivée des rapatriés sur l'immigration étrangère peut être considéré comme nul.

Conclusion

Selon l'étude réalisée, l'arrivée des rapatriés d'Algérie aurait augmenté le chômage et faiblement diminué les salaires, mais n'aurait pas eu d'impact sur les autres flux migratoires. On remarque néanmoins que les faibles effets observés sont peu robustes.
Sébastien Eugène

The impact of the 1962 repatriates from Algeria on the French labor market, Jennifer Hunt, Industrial and Labor Relations Review, Vol. 45, No. 3 (April 1992) Présenté par Sébastien Eugène pour le cours " Microéconomie du travail " enseigné par M. Sollogoub

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Mis en ligne le 26 mai 2013

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