Le vote des " rapatriés "

Le vote des " rapatriés " reste relativement mal connu, puisque les travaux d'Emmanuelle Comtat, dont on trouvera une présentation dans cette livraison de Pôle Sud, constituent la première analyse systématique des comportements électoraux des Pieds-Noirs. C'est la raison pour laquelle il est apparu pertinent d'interroger M. Willy Diméglio sur ce sujet. Ancien Conseiller Général de l'Hérault, puis élu député (UDF) à Montpellier en 1986, 1988 et 1993, et aujourd'hui retraité, Willy Diméglio peut être considéré comme un informateur de premier plan. Comme ancien élu, il connaît parfaitement les liens entre élus et électeurs dans une ville qui compte une forte implantation de " rapatriés ". En tant que Pied Noir, il est l'un des témoins d'une histoire qui est toujours considérée comme un enjeu électoral, ce que les interminables débats autour de la loi du 23 février 2005 [1] ont récemment montré...

...La région, avec plusieurs villes comme Montpellier ou Port la Nouvelle, compte un certain nombre de rapatriés. Pensez-vous qu'ils aient un véritable poids électoral ?

Pour bien comprendre les rapatriés il faut avoir en tête certaines données. Le Français qui vivait en Afrique du Nord, comme le dit Camus, était parti, poussé par la pauvreté, d'Espagne, d'Italie, de France, de Malte, et avait atterri sur les côtes en face. Je pense à mon grand père qui était arrivé, sur un bateau de 6 mètres, d'Italie où il crevait de faim. En Algérie, on lui avait dit qu'il était en France, qu'il fallait partir à la guerre en 1914, qu'il fallait défendre la France en 1939. À aucun moment ces gens n'ont hésité, à aucun moment ces gens ne se sont posés de question. C'était avant tout un petit peuple, très loin de tous les problèmes institutionnels qui se posaient à Paris, et qui ne se posaient jamais en Algérie. Les problèmes institutionnels ne se posaient en Algérie que pour un petit noyau de notables, autour du Gouvernement général. C'est la raison pour laquelle ces gens ont été complètement désorientés : pour eux, l'Algérie c'était la France, c'était leur pays et brutalement ils ont découvert qu'il fallait partir.

D'où l'affolement général, le désastre, pour des gens condamnés à tout abandonner. Lorsqu'ils arrivent à Marseille, ils vont vivre un moment épouvantable, c'était effroyable, d'horribles clichés étaient diffusés " Les Pieds-Noirs à la mer ", ou encore " Vous êtes tous des colons ", ou bien " Vous avez fait suer le burnous "… De plus, rien n'avait été préparé pour l'accueil des milliers et des milliers de personnes arrivant par bateaux, par avion à Marignane, et les services administratifs étaient manifestement débordés. Des rumeurs couraient, selon lesquelles il fallait aller à Nice, à Toulon ou à Montpellier parce que les Pieds-Noirs y étaient bien reçus. Le Maire de Montpellier, François Delmas, partisan Algérie Française, était à la gare pour assurer l'accueil, disait-on. Certains sont partis à Nice parce que leur famille était italienne, d'autres se dirigeaient vers Perpignan parce que leur famille était d'origine espagnole, mais la plupart étaient complètement désorientés. Ils ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait, sinon qu'ils devaient quitter Marseille où ils étaient considérés comme indésirables. Cet épisode de Marseille, ajouté à la déchirure du départ, constituent une blessure qui ne s'est jamais refermée et qui ne se refermera jamais ; une blessure qui, bien évidemment, peut entraîner de temps en temps un peu de rancœur.

Cette période de rejet de la politique va durer jusqu'à l'élection de Valéry Giscard d'Estaing. En effet, celui-ci bénéficie d'un gros apport du sud. Il n'est pas gaulliste, pas socialiste. On prétend qu'avec Poniatowski il a été un peu Algérie Française, il s'agit donc d'un candidat que les Pieds-Noirs peuvent soutenir. Mais la crise économique va rapidement casser l'élan de Giscard et renvoyer chacun à ses problèmes particuliers, c'est-à-dire les problèmes du quotidien, des commerçants, des ouvriers, des retraités etc. À partir de là, les Pieds-Noirs rejoignent leurs catégories sociales et professionnelles, comme c'était le cas auparavant, en Algérie, et l'on va en retrouver au Parti Communiste, au Parti socialiste, à l'UDF, certains rejoindront même le RPR. La vie politique a repris un cours tout à fait normal. Quand j'allais dans la rue pendant les élections, je rencontrais des Pieds-Noirs communistes, socialistes, des verts. Et ce n'est pas parce que j'étais Pied-Noir qu'ils votaient pour moi. Ils étaient redevenus des citoyens, comme des Aveyronnais ou des Lozériens. Chacun vote en fonction de ses préoccupations et de ses problèmes personnels. Il se peut qu'à la marge, quand on a affaire à un candidat qui appartient à la communauté avec laquelle tous les dimanches on partage le repas de l'amitié et les souvenirs, là, les clivages classiques s'effacent ou se déplacent un peu, mais cela reste très marginal. D'ailleurs l'idée d'un vote Pied-Noir a été largement surexploitée, elle repose sur l'idée fausse selon laquelle les Pieds-Noirs seraient des individus au fonctionnement un peu simpliste, moutonnier. Là, on se trompe totalement, mais c'est probablement en raison de certains épisodes un peu particuliers, comme celui du Recours.

C'est-à-dire ?

C'est aussi pendant la crise économique que naît le mouvement du Recours. Un mouvement qui fait grief à Giscard de ne pas avoir payé assez vite l'indemnisation et qui décide de montrer son poids politique en faisant un exemple, en choisissant de faire tomber Delmas, le maire de Montpellier, qui s'était rallié à Giscard depuis 1975. Il n'est d'ailleurs pas certain que ce soient les Pieds-Noirs qui aient fait battre Delmas à Montpellier. Les Pieds-Noirs ne sont que l'une des composantes de l'électorat, et l'action du Recours n'a peut-être eu qu'un effet marginal, 1 ou 2 % des voix, mais ce sont des voix qui ont pu changer le résultat d'une élection. De plus, dans les quartiers populaires, la présence du leader du Recours, Jacques Roseau, a probablement eu un effet important. Il faut quand même savoir que Georges Frêche avait réussi cet exploit " remarquable " - c'est un véritable exploit politique ! - de mettre sur une même liste des partisans de la Ligue Communiste Révolutionnaire et un ancien membre de l'OAS, Guy Montera. Ce dernier a fait une campagne très forte, avec Roseau, contre Delmas. II n'y a qu'à Montpellier que de telles alliances peuvent exister, avec un ex-membre de l'OAS déguisé en socialiste figurant sur la même liste qu'un ex-LCR.

Certains historiens rappellent justement que des villes comme Alger ou Oran étaient des villes " de gauche ". Après 1974, les Pieds-Noirs seraient-ils revenus à leurs premières amours ?

À leurs premières amours, mais il y a aussi un brassage social. Certains, qui étaient très pauvres en Algérie, ont monté ici des commerces, et sont devenus des bourgeois. D'autres, petits commerçants aisés en Algérie, se sont trouvés complètement ruinés pour avoir fait une mauvaise affaire et ont sombré. Dans la mesure où ils ont évolué socialement, leur vote a changé. Mais c'est vrai qu'en Algérie, le petit peuple que j'ai décrit au départ, était un petit peuple de gauche. Oran était un fief de gauche. Moi j'étais de Philippeville. Et celui qui était à droite votait radical ! Le point d'équilibre se situait au centre gauche.

Vous ne diriez donc pas qu'il existe un vote Pied-Noir…

Dire qu'il existe un vote Pied-Noir a sans doute paru utile à certains, ils continuent d'entretenir ce mythe en pensant qu'au mois de janvier, payer la Mouna, faire la fête avec les Pieds-Noirs, va ainsi leur assurer 2000 ou 3000 voix. Et cela existe quels que soient les partis. Mais dans le secret de l'isoloir, les Pieds-Noirs sont comme tout le monde. Lorsqu'ils ont des fins de mois difficiles, ils votent pour améliorer l'ordinaire, et lorsqu'ils sont assujettis à l'I.S.F, ils votent pour ne plus le payer…

En 1976, vous ne vous ressentiez pas " leader Pied-Noir ", ou même d'élu Pied-Noir. Mais vous dites en même temps à propos du Recours, qu'il a une attitude extrêmement personnalisée avec les maires, qui marque la défense d'une communauté. C'est quand vous êtes député, par contre, que vous vous êtes senti investi. Est-ce uniquement parce qu'ici il y avait un dossier ?

Un poste de conseiller général ne permettait pas de traiter les dossiers des rapatriés. Au conseil général, lorsque j'y suis rentré, il y avait trois fonctionnaires qui y travaillaient, et le Préfet faisait tout… En 1976, au conseil général les sessions duraient un jour et demi, elles étaient largement bâclées. Et puis il y avait des conseillers municipaux Pieds-Noirs avec lesquels j'ai travaillé et qui remplissaient parfaitement leur tâche. À l'Assemblée il fallait traiter le dossier de l'indemnisation, des retraites. Là, il y avait une autre dimension par rapport à un conseiller général, par rapport à un conseiller municipal.

Est-ce que l'affaire de la loi du 23 février 2005 s'inscrit dans une stratégie de captation du vote des rapatriés ?

Je le pense, tout au moins au départ. Peut-être faudrait-il interroger sur ce point Monsieur Douste-Blazy qui, dit-on, est à l'origine du texte sur les rapatriés ?
Ses nombreux contacts avec les Pieds-Noirs de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon l'ont probablement amené à penser que s'il pouvait faire passer un texte, cela pourrait lui assurer un vote Pied Noir par la suite.
Le problème est que ce texte, au départ conçu pour les rapatriés, s'est transformé, à la suite d'un amendement, en débats et polémiques sur la colonisation, et les Pieds-Noirs se sont retrouvés au banc des accusés. Arrivés en Algérie pieds nus, ayant trimé pour survivre et donné leur sueur et leur cœur à cette terre, ils ont à nouveau été présentés par certains comme des colons ayant commis les pires méfaits. Et tout cela a dérivé vers une exploitation politique éhontée venant de tous les horizons.

À Montpellier, cela a donné lieu à trois rassemblements organisés par des personnalités politiques et ce de façon concomitante, avec discours, drapeaux et chant des Africains, pour tenter de montrer leur sympathie à l'égard des Pieds-Noirs et, bien sûr, de s'assurer, pensaient-ils, des électeurs.
Ce débat sur la colonisation reste avant tout un sujet qui concerne la France métropolitaine. Les Pieds-Noirs, dans l'œuvre de la France en Algérie, pour la très grande majorité, entrent plus dans la colonne du " positif " que du " négatif ". D'ailleurs la phrase que l'on entend le plus souvent lorsqu'un Pied-Noir retourne en Algérie est : " Pourquoi êtes-vous parti ? ".

Pensez-vous que l'on puisse avoir un débat sur la colonisation indépendamment des Pieds-Noirs ?

Bien sûr ! Le problème c'est de ne pas le poser dans un contexte passionnel et ensuite de choisir ses mots. La sémantique est importante, ce qu'a montré ce débat où il était possible de simplement dire : " La France a peut-être fait des erreurs mais, elle aussi, construit des écoles, des ports " etc. Mais avec d'autres mots cela a entraîné un dérapage incontrôlé. Laissons faire les historiens ! Ils vont fouiller, écrire, et puis on lira, on appréciera. Pourquoi ce débat ressurgit-il maintenant et pas il y a vingt ans, pendant les trente glorieuses ?

Revenons sur ces questions de vote communautaire - appelons ça comme ça - qui ne concernent pas que les Pieds-Noirs… À Montpellier, il y a d'autres communautés qui font l'objet de stratégies : les Harkis, les Gitans aussi. Est-ce plus pertinent de parler d'un vote Harki que d'un vote Pied-Noir ?

Le vote Harki a été très partagé. Au départ, les harkis étaient très favorables à Delmas, parce qu'il les avait accueillis, les avait mis dans des conditions que l'on croyait très favorables. Ils étaient installés dans des baraquements agréables, et ils étaient apparemment heureux… Mais personne n'a pensé à l'intégration des enfants, personne n'a vraiment pensé que si on ne les scolarisait pas, ils allaient rester dans le giron du papa et que ça allait mal se terminer. Ensuite, chacun a essayé d'obtenir leurs suffrages, comme Georges Frêche, en essayant de leur donner des avantages matériels. Quant aux Gitans, bien malin qui est capable de définir un vote gitan… Pendant longtemps ces derniers disaient " oui je vote pour toi… " aux candidats, mais il s'agissait de personnes qui n'avaient pas de carte d'électeur ! En 1977, un sur dix avait une carte d'électeur. Mais ils allaient voir les candidats en leur assurant qu'ils votaient pour eux, et de cette façon, ils avaient compris qu'ils pouvaient obtenir de petits avantages. Aujourd'hui, à Montpellier comme à Perpignan, ils sont sédentarisés. Georges Frêche leur a fait des bâtiments dans toute la partie Est de Montpellier. Il leur donne des avantages matériels (des baraques de fruits et légumes le long des axes routiers, par exemple). Et donc au moment du vote, la municipalité vient leur rappeler qu'il n'est pas interdit de travailler pour elle…

Et ce rapport distancié, voir même d'hostilité des Pieds-Noirs à l'égard de la politique, au moins au départ, est-ce qu'aujourd'hui, on peut encore en voir des effets ? Par exemple des comportements électoraux tabous, comme continuer à ne pas voter pour celui qui se réclame un peu trop fort du général de Gaulle, par exemple…

Non… des Pieds-Noirs ont voté Chirac.

Du côté du système politique, est-ce que vous diriez que les Pieds - Noirs ont plutôt eu tendance à s'engager dans la politique, ou alors plutôt dans la vie associative, ou ni l'un ni l'autre ?

Au départ, il en fallait quelques-uns sur chaque liste électorale, mais les portes n'étaient pas complètement ouvertes. Combien y a-t-il d'élus Pieds-Noirs à l'Assemblée nationale ? On parle de quotas aujourd'hui, mais il y a combien de députés Pieds-Noirs ? Il y a eu des difficultés d'intégration politique, parce que les places ne sont pas faciles à prendre. De plus, les Pieds-Noirs arrivaient avec une attitude d'hostilité à l'égard de la politique, et il est difficile de pénétrer un système politique lorsque l'on est contre. Les Pieds-Noirs ont préféré se réfugier au sein d'associations, d'amicales et de cercles où ils ont trouvé chaleur, amitié et soutien.

Est-ce qu'il y a des endroits à Montpellier - je pense par exemple aux élections cantonales - où il faut présenter un candidat Pied Noir ?

Oh ! Tout ça, ça fait partie du mythe.

Un certain nombre de Pieds-Noirs sont proches du Front national. Pensez-vous que c'est une partie importante d'entre eux ?

Comme beaucoup de Français, ils votent Front national parce qu'ils votent contre quelque chose. Ils ne votent pas pour le Front national. Ce ne sont pas des votes d'adhésion, ce sont des refus de vote pour les autres candidats. Des votes qui semblent dire : " J'ai mal donc je vais vous faire mal. Je vais vous faire mal comment ? En votant Front national parce qu'il va casser la baraque ".

Est-ce que chez les Pieds-Noirs il peut y avoir des raisons, liées à leur histoire particulière, de voter Front national ?

Pourquoi dans l'est et dans le nord de la France, trouve-t-on des pourcentages de vote FN égaux et même supérieurs à ceux que l'on rencontre dans le sud ? Si le Front national était le parti des Pieds-Noirs, dans notre région les scores seraient alors de 40 % en sa faveur. Être Pied-Noir, peut donner une raison supplémentaire, mais ce n'est pas comme cela qu'il faut le présenter. Il faut comprendre qu'il y a des gens qui pensent : " Je suis employé, je perds de plus en plus de pouvoir d'achat, d'avantages, ou encore je suis au chômage et quand je vois tout ce que l'État français distribue sans venir à mon secours, j'ai un sentiment de révolte ". Tant que la situation économique et sociale était en progrès, l'exaspération n'a pas été un motif de vote. Quant au vote en fonction des immigrés, les Pieds-Noirs se déterminent comme les autres français.

Ce qui dérègle tout, ce sont les deux chocs pétroliers, qui font que la société d'un seul coup arrête de monter en puissance. Les situations deviennent progressivement intenables. En 1965, je me trouvais dans un immeuble où il n'y avait que des Pieds-Noirs, une " barre " comme on dit maintenant dans la bourgeoisie montpelliéraine. J'étais très heureux dans cette " barre ", d'avoir du soleil, d'avoir une salle de bains, d'avoir du confort moderne. C'était la joie de vivre dans cet immeuble, parce que chacun avait du travail, les uns projetaient d'acheter un appartement, les autres songeaient à faire construire un petit pavillon. Autrement dit, tous ceux qui étaient " en troisième classe " n'avaient qu'une idée, monter en seconde, ceux qui étaient en deuxième classe n'avaient qu'une idée, c'était de monter en première classe. À partir du deuxième choc pétrolier, le raisonnement s'inverse, les gens craignent de chuter socialement, leurs situations se dégradent, donc ils se crispent. Et, dès lors, leurs votes traduisent leurs préoccupations sociales, les souffrances. C'est la raison pour laquelle va apparaître une catégorie de gens qui se disent : " Ça ne va plus, rien ne va plus, maintenant je casse ".

Ce sont des facteurs du vote Front national en général ? Mais les Pieds-Noirs ?

Oui, tout à fait, c'est le soubassement général. Et les Pieds-Noirs sont exactement comme les autres ! C'est la crise, la grisaille, la dégringolade qui expliquent le vote de certains d'entre eux.

À cette époque-là, les années 1960, il y a 1965, l'élection présidentielle, avec Tixier-Vignancourt qui se présente…

Qu'est ce qu'il fait Tixier Un score modeste [2]. Et les Pieds-Noirs ne votent pas à cette époque, ils sont politiquement hors circuit, encore sous le choc.
Tixier-Vignancourt, ce n'est pas une affaire qui concerne les Pieds-Noirs…

Même ceux qui soutenaient activement l'OAS ?

Ceux qui viennent de l'OAS, pour la plupart, sont partis en Espagne, il y en a très peu. Il faut revenir à 1962, à la période du chaos qui a suivi, ça a été un choc énorme. Cette arrivée à Marseille, cette situation de panique totale, il faut l'avoir vécue pour savoir ce que c'est. Ces gens qui ne savent pas où aller, et qui choisissent dans l'urgence leur destination parce qu'il faut quitter Marseille où l'on ne veut pas d'eux. Les Pieds-Noirs n'ont jamais oublié ça, et, en 1965, ils étaient encore sous le choc vécu au moment des rapatriements, et, encore une fois, Tixier Vignancourt, ce n'est pas leur problème.

J'ai interrogé un certain nombre de Pieds-Noirs sur le vote. Quelques-uns avaient voté Front national. En écoutant leur histoire, on se rend compte que beaucoup ont encore en tête certaines séquences traumatisantes. Au moment des émeutes urbaines, certains ont dit avoir éprouvé comme un sentiment de déjà-vu. C'est la raison pour laquelle je me demandais s'il y avait des raisons propres à des rapatriés de voter Front national…

Ce qui a pesé, c'est la conjonction, dans les années 1974-1975, de la crise du pétrole et du regroupement familial. Parce que là, il y a une nouvelle donne… Après avoir parlé de regroupement familial, après s'être demandé quel était le périmètre de la famille, après avoir dit : " Est-ce que la famille c'est le père, la mère et les enfants ? ", ou encore " Est-ce que la famille c'est le père, la mère, le grand-père, la grand-mère ", il y a des questions qui se posent chez les Pieds-Noirs, certains considérant que s'il n'y a pas d'argent pour payer l'indemnisation, il ne saurait y avoir d'argent pour le regroupement familial, de l'argent pour scolariser, loger, soigner… Il est évident que ces questions peuvent entraîner des réactions.

De même, les images peuvent entraîner des réactions, et il sera intéressant de voir, aux prochaines élections, comment la question des banlieues peut se traduire dans les urnes. Parce que ces émeutes urbaines, avec les médias qui mettent en relief un certain nombre d'images, cela peut peser sur certains choix électoraux des Pieds-Noirs. Maintenant est-ce que cela va se traduire par des votes en faveur de Nicolas, Philippe, Lionel, Jean-Marie, Olivier… nul ne peut le dire aujourd'hui et bien malin même qui pourra l'affirmer après 2007 !

Emmanuel Négrier et Éric Savarese " Entretien avec Willy Diméglio ", Pôle Sud 1/ 2006 (n° 24), p. 89-96.
- Extrait-.
www.cairn.info/revue-pole-sud-2006-1-page-89.htm.
Willy Diméglio : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/trombinoscope/Vrepublique/Legis08/dimeglio-willy-03051934.asp

1) La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a engendré une forte polémique en France après sa promulgation. En janvier 2006, le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, a requalifié de réglementaire la partie incriminée de la loi, qui sera donc modifiée par décret.
2) Le vote Tixier-Vignancourt (extrême droite) atteint 5,19 % des voix lors du premier tour de l'élection présidentielle de 1965.

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Mis en ligne le 15 février 2014

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