Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962

Auteur : Chantal Morelle, professeur d'histoire en classes préparatoires..

C'est parce que le provisoire a perduré, que les prévisions étaient trop optimistes et que la réaction du FLN et de l'ALN après l'indépendance étaient imprévisibles qu'on a abouti à la tragédie. Les propositions faites dès 1961 n'y ont rien fait : les pouvoirs publics français ont été constamment débordés mais la logique gaullienne du respect à la lettre des accords d'Évian l'a emporté.

Les accords d'Évian, signés le 18 mars 1962, contiennent un texte sur le cessez-le-feu et plusieurs déclarations de principes. Celles-ci sont introduites par la déclaration des garanties dont l'importance est telle qu'elle a nécessité plus d'une dizaine de rédactions. Le premier point concerne la sécurité des personnes : " Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné ni faire l'objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison d'actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu[1] . " Ce texte, comme l'ensemble des accords, a été paraphé et signé par les chefs des deux délégations, Louis Joxe qui a conduit celle du gouvernement français, Belkacem Krim, celle du FLN. Il a été approuvé, par référendum, le 8 avril 1962 en métropole, et le 1er juillet en Algérie. Ainsi tous les musulmans qui ont servi la France, que l'on appelle communément les harkis [2] quel que soit leur statut, devaient être couverts par ce document officiel qui avait valeur de loi.

Pourtant, les reproches faits aux autorités françaises et singulièrement au ministre d'État chargé des Affaires algériennes, Louis Joxe, de n'avoir su ni prévoir les besoins, ni protéger les harkis, ont été nombreux et persistent quarante ans plus tard[3] . En effet, en 1962 la France est submergée par les retours d'Algérie de Français de souche européenne, les pieds noirs, alors qu'ils n'étaient pas prévus dans de telles proportions. S'y ajoutent les demandes massives d'accueil de harkis, qui subissent alors vexations et mauvais traitements ou, pire, qui sont massacrés. Elles sont incomprises et, du coup, mal prises en compte. Les " rapatriements " effectués au cours du second semestre de 1962 et l'année suivante se sont déroulés dans des conditions de panique telle qu'ils ont laissé une image des plus négative des pouvoirs publics français. Les métropolitains entendent, parfois avec incompréhension, les récits terrifiants des traitements infligés par le FLN puis l'ALN aux populations musulmanes ayant servi la France, aussi bien que le désarroi des pieds noirs ; autant de foules immenses qui se massent aux abords des ports. Dans ces circonstances, on peut alors se demander si le jugement critique, voire négatif, porté sur les membres du gouvernement français est justifié : ont-ils fait preuve d'angélisme ou d'indifférence ? Sont-ils coupables de n'avoir pas su prévoir le drame ou de l'avoir occulté [4] ? Il ne s'agit pas ici de faire le décompte des demandes de protection et de rapatriement de harkis ; cela resterait d'ailleurs approximatif, tant les données chiffrées sont fluctuantes sinon contradictoires selon les sources [5] . L'objet de cette étude vise à voir comment, en France ou en Algérie, les responsables politiques, les autorités militaires ont réagi face à cette tragédie des harkis[6] qui renvoie à des responsabilités multiples et collégiales.

Déjà plus d'un an avant la conclusion des accords, parallèlement aux premiers contacts, l'avenir des " musulmans fidèles à la France " est l'objet de plusieurs études soumises au ministère d'État chargé des Affaires algériennes. Entre le 18 mars et le 1er juillet 1962, le gouvernement organise les retours, mais l'indépendance de l'Algérie n'y met pas fin et les ministres concernés [7] continuent, au moins jusqu'à la fin de l'année 1962, à rechercher des solutions qui concilient impératifs politiques et ordre public avec les préoccupations humaines ; la vision politique du général de Gaulle n'est pas accordée à la réalité sur le terrain tant en France qu'en Algérie.

Prévisions et réflexions préalables

Au moment où les premiers contacts secrets se nouent, en février 1961, les priorités portent davantage sur les modalités de l'autodétermination que sur les hommes. Pourtant, avant la première rencontre d'Évian en mai-juin 1961 la délégation française n'est pas sans idée et les dossiers des négociateurs comptent un certain nombre de réflexions, le plus souvent issues d'une mission d'études animée par des membres du Conseil d'État et du club Jean Moulin [8] .
Dès le début, on va le constater, le dilemme est grand. L'alternative est : protection sur place ou rapatriement. Ainsi en janvier 1961 Gilles de Wailly, inspecteur général des Finances, transmet un rapport au ministre d'État [9] , qui porte sur des points très divers, notamment sur la protection des musulmans engagés avec la France et sur leur accueil, avec les implications financières, scolaires ou de logement que cela entraînera inévitablement. L'avenir des harkis est bien perçu dans sa complexité [10] . S'il apparaît utile de partir des précédents indochinois, tunisien et marocain, c'est pour noter que le nombre nettement plus élevé de personnes concernées et la spécificité du problème ne permettront pas de suivre la même procédure. En effet, le niveau intellectuel et économique des harkis est un handicap. Ils seront inévitablement en concurrence avec les Algériens installés en métropole depuis plus longtemps, mieux adaptés, bénéficiant déjà d'un statut de minorité reconnaissant leurs particularismes et notamment leur statut coranique, et appelés à jouir, sans doute, d'une convention après l'indépendance. Les nouveaux arrivants se heurteront aussi sur le marché du travail aux Français de souche mieux adaptés. En conclusion, les perspectives ne laissent pas beaucoup d'espoir : " L'installation définitive en France de nombreux Musulmans n'est ni à prévoir, ni à souhaiter, encore moins à encourager. Le problème le plus difficile est donc bien celui de la protection en Algérie [11] des Musulmans susceptibles d'être victimes de discriminations en raison de leur attitude depuis 1954. " Toutefois, une note un peu postérieure propose de prévoir une organisation spéciale pour accueillir, reclasser, loger les musulmans fidèles et aider les inadaptés [12] .

À la veille de la première rencontre d'Évian, les modalités ne sont pas encore arrêtées, même si les grandes lignes sont fixées : il faut aider les musulmans qui ont servi la France mais leur intégration en métropole sera si difficile qu'il est déconseillé de les faire venir ; il faut alors s'orienter vers une solution négociée avec le FLN, afin qu'ils puissent rester sans risque en Algérie après l'indépendance. Après l'échec de cette première rencontre officielle en juin, puis de celle de Lugrin en juillet, les contacts reprennent au cours de l'automne. À la fin de l'année 1961, à la veille d'entretiens secrets entre Louis Joxe et Saad Dahlab, la question des harkis a fait, à nouveau, l'objet de plusieurs notes. Deux aspects s'y mêlent et sont parfois en contradiction : celui de la protection et celui de la double nationalité des musulmans. Paris défend encore le principe de la double nationalité, considérant qu'il serait " ingrat " de demander aux Musulmans fidèles de faire un acte positif pour garder la nationalité française. En outre, si des notes font preuve d'une certaine générosité, d'autres mettent en avant les risques qu'il y aurait à laisser les flux s'organiser sans contrôle : certains donnent la priorité à la nécessité de protéger les Français musulmans en danger par leur accueil en métropole [13] , d'autres mettent en garde contre cette posture généreuse en pointant les préoccupations économiques et de maintien de l'ordre [14] . D'ailleurs, pour freiner les migrations familiales, Louis Joxe et Roger Frey ont déjà donné des instructions visant à exiger un titre de voyage aller-retour pour ceux qui prétendent venir pour des raisons de santé, d'affaires ou de tourisme, afin de mieux surveiller les migrations de travail [15] .
La question des harkis est donc bien posée et débattue assez tôt et il est faux de dire qu'on n'y avait pas pensé. Les discussions au sein du comité des Affaires algériennes et au Conseil des ministres montrent qu'on la prend en compte : leur statut est modifié dès l'été 1961 et leur reconversion éventuelle préparée [16] . Toutefois, les enjeux et les préoccupations sont divers et parfois peu conciliables. La nécessité d'une protection est certes reconnue, mais on mise plutôt sur le maintien en Algérie, tant pour éviter des problèmes en métropole que pour maintenir des cadres dans le nouvel État algérien [17] . Les accords d'Évian, signés le 18 mars 1962, donnent enfin un contenu juridique à des négociations qui ont duré plus d'un an. La déclaration générale comme la déclaration des garanties assurent la sécurité de toutes les populations. Aussitôt, un décret paru au Journal Officiel le 21 mars 1962 indique les solutions offertes aux harkis : engagement dans l'armée, retour à la vie civile avec prime de licenciement ou de recasement, contrat de six mois pour servir dans l'armée. Il n'est toutefois pas question de refuser l'accueil des personnes qui se sentiraient menacées. Une nouvelle phase s'ouvre alors, celle de l'Exécutif provisoire, qui doit durer jusqu'à l'indépendance en juillet, dans une atmosphère encore confiante tant les propos iréniques sont nombreux de tous côtés [18]

L'organisation des retours, optimiste ou inconsciente ?

Dès la signature des accords, l'Exécutif provisoire est mis en place sous la présidence d'Abderrahmane Farès. Un haut commissaire français, Christian Fouchet, s'installe aussitôt à Rocher-Noir, cité administrative construite à l'écart d'Alger. Parmi ses tâches, le représentant français doit mettre en œuvre le départ des pieds noirs et des harkis de telle façon qu'en métropole on puisse organiser leur accueil. Les premières instructions du ministre des Affaires algériennes sont conformes aux perspectives dessinées depuis plusieurs mois : des départs limités, faciles à prévoir et à canaliser. Trois lettres essentielles du ministre d'État [19] donnent ou rappellent les instructions du gouvernement pour organiser le rapatriement des populations d'Algérie.
Une aide aux personnels musulmans, civils et militaires, est prévue et relève, pour les premiers, du secrétariat d'État aux Rapatriés, pour les seconds du ministère des Armées, comme le signalent les instructions de Louis Joxe à Christian Fouchet :
" Objet : situation de personnes engagées en Algérie aux côtés de l'Administration ou de l'Armée. Il est possible que dans les semaines ou les mois à venir, un certain nombre de personnes engagées en Algérie aux côtés de l'Administration ou de l'Armée se trouvent particulièrement menacées et demandent notre assistance pour la protection tant de leurs personnes et celles de leurs familles que de leurs biens.
I/ En ce qui concerne les harkis, les moghaznis et les engagés, les textes pris permettent de maintenir ou d'établir certains liens entre les intéressés et l'Armée. On peut, dès lors, escompter que la situation de ces personnes sera suivie particulièrement par l'Armée. Il conviendrait d'y veiller et je vous serais obligé de me tenir informé des dispositions prises. On ne devra pas hésiter à regrouper et à protéger ceux qui se trouveraient effectivement menacés, et le cas échéant, en cas de nécessité, les acheminer vers la métropole.
II/ Il importe, d'autre part, de voir quelle assistance appropriée nous serions en mesure de fournir à certains élus, fonctionnaires et particuliers qui, en raison des positions qu'ils auront prises dans le passé, pourront courir des risques accrus, nonobstant l'intervention des accords avec l'adversaire.
Sans doute, disposons-nous à leur égard des possibilités de repli et de reclassement en métropole qui sont offertes par la loi Boulin, désormais applicables à l'Algérie. Ces possibilités peuvent d'ailleurs bénéficier, tant aux Français de statut local, qu'à ceux de souche européenne.
Le secrétaire d'État aux Rapatriés devra faire son affaire du règlement des situations qui se présenteront.
Mais il importe avant tout et dans l'immédiat, d'organiser et d'assurer l'assistance et la protection en premier ressort et en Algérie même, des personnes en cause, au moyen de dispositions appropriées, celles-ci pouvant être à la limite, le retrait des intéressés du territoire algérien et leur installation en métropole.
Ces problèmes ne vous ont certainement pas échappé et je vous serais, par suite, obligé de bien vouloir me faire connaître les instructions que vous auriez diffusées ou que vous envisageriez de diffuser aux autorités d'Algérie, notamment aux préfets et sous-préfets, pour répondre à ces préoccupations et afin que les personnes dont il pourra s'agir ne s'adressent pas vainement à nous pour obtenir, le cas échéant, l'assistance et la protection qu'ils pourront légitimement nous demander. "
Signé : Louis Joxe [20]
Cette attention aux harkis est réitérée quelques jours plus tard quand Louis Joxe demande à Christian Fouchet de faire connaître assez rapidement et " le plus exactement possible " les dispositions qu'il a prises pour leur reclassement en Algérie ou leur retour en métropole. Dans la mesure où un plan d'ensemble doit être élaboré, " il importe maintenant que soient prises, sans retard, en Algérie même, les dispositions permettant de connaître, le plus exactement possible, les données du problème et de préparer le rapatriement des engagés, harkis et moghaznis se trouvant dans l'obligation de quitter le territoire [21] ". Louis Joxe attend alors des informations précises sur le nombre de personnes qui doivent absolument venir en France avant le scrutin d'autodétermination. Mais, après avoir envisagé toutes les possibilités pour les laisser sur place :
" Comme suite à mes instructions citées en référence, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir me faire connaître les effectifs des personnes engagées aux côtés des Forces de l'ordre ou de l'Armée qui ont été regroupées par mesure de sécurité, et pour lesquelles vous estimeriez qu'elles doivent, en tout état de cause, être rapatriées en métropole avant la date du scrutin d'autodétermination.
Cette liste ne devra être établie qu'après avoir épuisé toutes les possibilités de reclassement des intéressés en Algérie même, dans des conditions décentes et compatibles avec leur sécurité.
En toute hypothèse, il conviendra de veiller à ce qu'aucun retour ne soit effectué sans avoir mon accord préalable afin que l'accueil en métropole soit assuré dans des conditions satisfaisantes. "
Signé Louis Joxe [22]
Ainsi, rien ne doit être fait en dehors du plan établi sans l'accord du ministre d'État. Ces trois instructions des 7, 11 et 18 avril vont dans le même sens : il faut maintenir sur place le maximum de personnes, mais ne pas hésiter à aider au départ de celles qui sont en danger, établir une liste pour planifier les retours, ce qui n'exclut pas d'agir avec célérité en cas de nécessité.

À ce moment, dans la première quinzaine d'avril, l'état d'esprit est encore à l'optimisme, c'est-à-dire qu'on compte toujours sur le respect par le FLN des engagements signés, et donc sur des départs limités. Les harkis eux-mêmes choisissent de rester en Algérie : en mars 81,2 % d'entre eux optent pour le licenciement avec primes, et en avril un tiers de ceux qui avaient demandé à s'installer en France y renoncent [23]. D'ailleurs, lors des Conseils des ministres de cette période, les communications concernant l'Algérie portent sur l'organisation des nouveaux pouvoirs (Haut-commissariat et Exécutif provisoire) et sur les premières mesures à prendre pour appliquer les accords, davantage que sur les rapatriements. Les communications de Louis Joxe sont plutôt optimistes, trop sans doute : à l'entendre, les choses se déroulent assez normalement, si ce n'est que la mise en place des commissions mixtes est trop lente, et qu'il faut veiller davantage au calme à Oran contrôlée par l'OAS. Ce sont de plus en plus souvent Pierre Messmer, Robert Boulin, Roger Frey qui prennent la parole, illustrant ainsi la responsabilité collective du gouvernement dans l'organisation des rapatriements.

Au cours du mois de mai, c'est en métropole que la situation paraît plus inquiétante et Roger Frey, ministre de l'Intérieur, s'inquiète et s'impatiente : la menace permanente de désordres et de violences qui pèsent sur la France justifie à ses yeux que le gouvernement privilégie une politique d'accueil rigoureusement contrôlée tant des pieds noirs [24] que des Français musulmans, car il y a aussi urgence à lutter contre l'OAS en France même. Son autorité permet au ministre de l'Intérieur d'imposer bon nombre de ses exigences. Il en est ainsi de la gestion des arrivées des pieds noirs aussi bien que des harkis. Le 15 mai, Roger Frey fait part à ses collègues des Affaires algériennes et des Armées de son mécontentement face aux arrivées inorganisées :
" Je constate aujourd'hui que, sans tenir compte de vos instructions, et en dépit d'une lettre du ministre des Affaires algériennes du 18 avril [25] qui me précisait qu'il avait donné les ordres nécessaires pour "assurer en priorité le reclassement en Algérie même du plus grand nombre de harkis, de moghaznis et de personnes engagées et de n'accueillir en métropole que des personnes en nombre limité, particulièrement menacées et pour lesquelles les conditions de retour auront été préalablement mises au point par ses services et ceux du secrétariat d'État aux Rapatriés"[26] , des groupes de harkis arrivent ou s'apprêtent à rentrer en métropole dans des conditions assez anarchiques. " À ses yeux, les directives ne sont pas suivies et il pense même qu'on incite les harkis à venir pour des raisons politiques. Aussi demande-t-il que le ministre des Armées, Pierre Messmer, rappelle " avec vigueur " les directives et insiste pour que les initiatives individuelles cessent [27]. Roger Frey donne même le sentiment d'être au centre du dispositif - ce qui est vrai en matière de sécurité et de maintien de l'ordre en France même - et il rappelle que Louis Joxe, ministre d'État chargé des Affaires algériennes, doit être en rapport constant avec Robert Boulin, secrétaire d'État aux Rapatriés, et avec lui-même [28] .
Cette remarque n'est certainement pas la première de la part du ministre de l'Intérieur. Il a dû en adresser au moins une à Louis Joxe, quelques jours auparavant, car ce dernier a transmis à Christian Fouchet une note sévère [29]:
" Les renseignements qui me parviennent sur les rapatriements prématurés de supplétifs indiquent l'existence de véritables réseaux tissés sur l'Algérie et la métropole dont la partie algérienne a souvent pour origine un chef de SAS. Je vous envoie au fur et à mesure la documentation que je reçois à ce sujet. Vous voudrez bien faire rechercher tant dans l'armée que dans l'administration les promoteurs et les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées.
Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront en principe renvoyés en Algérie où ils devront rejoindre avant qu'il soit statué sur leur destination définitive le personnel déjà regroupé suivant les directives des 7 et 11 avril. Je n'ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d'assurer l'avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure mais ce qu'il faut surtout obtenir c'est que le gouvernement ne soit plus amené à prendre une telle décision. "
Signé : Louis Joxe [30]
Il dénonce les arrivées en dehors du plan et menace de faire renvoyer tous ceux qui seraient entrés en France sans respecter la procédure requise ; les chefs de SAS, plus proches des harkis et plus sensibles aux drames qui se nouent, utilisent leurs propres réseaux de transfert, et sont clairement dénoncés. Il est vrai que les arrivées massives de harkis ne cessent d'inquiéter, mais les évaluations contradictoires et fluctuantes montrent bien la difficulté de prévoir et de pallier les urgences et les insuffisances. De son côté, Pierre Messmer satisfait aux instances du ministre de l'Intérieur et il demande qu'on empêche l'embarquement de harkis et de leurs familles, afin d'éviter leur refoulement. C'est dire si cette menace est prise au sérieux [31] . La réunion du comité des Affaires algériennes qui suit la démarche de la place Beauvau va dans le sens de cette exigence [32] : le 23 mai, il est rappelé que le ministre des Armées et le haut commissaire ont à veiller à ce que les SAS cessent de prendre des initiatives individuelles. Le télégramme du 12 mai qui met en avant les responsabilités de Louis Joxe n'est donc que le résultat d'une volonté commune [33] .
Le gouvernement rappelle que les candidats au départ doivent être inscrits sur des listes par les services de Christian Fouchet ; qu'en métropole les préfets et les sous-préfets doivent de leur côté signaler au ministère de l'Intérieur et au secrétariat d'État toute arrivée irrégulière de Français musulmans dans leur département [34] . Le ministère des Affaires algériennes donne des instructions pour que la protection et le repli éventuel des musulmans soient assurés dans des conditions convenables, mais, prenant en compte les préoccupations du ministre de l'Intérieur, il précise que les départs désordonnés risquent de favoriser l'arrivée en France d'éléments " indésirables [35] ". L'accroissement des demandes de départ aboutit au renforcement des décisions antérieures [36] . Pourtant, le 29 mai, le climat de terreur qui règne en Algérie et le début des exactions sont tels que le haut commissaire simplifie les démarches et supprime certaines formalités, pour doubler la cadence des départs par bateau et par avion, afin d'aider non plus 3 500 personnes mais 7 300 [37].

Les menaces, les violences et les tortures, la disparition de pieds noirs et de harkis dont sont responsables l'OAS et le FLN justifient les départs, mais leur ampleur submerge les pouvoirs publics : leurs prévisions, sans aucun doute trop optimistes, ont été établies depuis plusieurs semaines ; elles sont maintenues jusqu'à la fin mai malgré les réticences que l'on a vues. En outre, les instructions sont d'une froideur qui marque bien le décalage qui existe entre la réalité du terrain en Algérie la perception et la nécessité de maintenir l'ordre en métropole. On espère encore que la proclamation de l'indépendance diminuera le flot, à défaut de le tarir.

Un accueil en métropole compliqué

La procédure d'accueil est parfaitement prévue sur le papier. En Algérie, le haut commissaire organise les départs et fournit les listes de musulmans qui ont demandé le rapatriement ; les préfets et sous-préfets ont des instructions précises ; une antenne du secrétariat aux Rapatriés est installée à Alger, d'autres sont prévues dans les principales villes d'accueil ; enfin, les forces armées sont chargées de la sécurité des lieux d'embarquement et des moyens de transports. En métropole, les préfets doivent prendre en charge les arrivées et signaler au ministre de l'Intérieur le nom des personnes qui n'ont pas été régulièrement inscrites [38] . L'hébergement est assuré par le ministère des Armées pendant trois mois, dans des camps militaires qui ne seront réutilisés qu'à l'automne pour les manœuvres. Le 2 juin, Pierre Messmer fait savoir que l'organisation du transfert des harkis au camp du Larzac est quasiment achevée : il attend le feu vert de Christian Fouchet pour commencer et prévoit que le mouvement s'étendra entre le 12 juin et la fin du mois de juillet. Aussitôt, Louis Joxe donne des instructions dans ce sens au haut commissaire [39] .
Un camp est donc ouvert au Larzac, en Lozère, mais les capacités d'accueil sont vite atteintes et Pierre Messmer doit très vite libérer un autre camp dans le Puy De Dôme, à Bourg-Lastic [40] . Au début tout paraît assez simple : les demandes des pieds-noirs sont plus nombreuses que prévu, ce qui n'est pas le cas pour les musulmans. À la mi-juin, Robert Boulin, secrétaire d'État aux Rapatriés, évalue les demandes à 1 500 personnes auxquelles il faut ajouter les familles [41] . Pourtant, les évaluations chiffrées qu'il apporte par la suite montrent que les arrivées ont doublé par rapport aux estimations initiales ; la charge matérielle est alourdie pour le ministère des Armées, et Pierre Messmer prévient qu'il sera difficile de maintenir son effort budgétaire, et qu'en tout cas il ne pourrait être accentué [42] . Pierre Racine (qui était le directeur de cabinet de Michel Debré lorsque celui-ci était Premier ministre), préside une Commission de coordination pour la réinstallation des Français d'Outremer ; il constate lui aussi cette inflation des demandes et s'en inquiète. Près de 9 000 personnes sont hébergées dans les deux camps du Larzac et de Bourg-Lastic, dont de nombreux enfants et nourrissons ; l'encadrement social est insuffisant (seuls quelques instituteurs du contingent font des cours), aussi les directeurs départementaux du ministère de la Santé sont-ils sollicités pour envoyer des assistantes sociales et on installe des antennes administratives dans les camps pour aider à la constitution des dossiers, étudier les questions de reclassement et déterminer les droits précis de chacun[43] . Enfin, des offres d'emplois sont centralisées par le secrétariat d'État aux Rapatriés et une sélection professionnelle effectuée par le personnel du ministère du Travail. La mobilisation est réelle mais elle reste insuffisante car les flux ne tarissent pas après la proclamation de l'indépendance. Une première alarme avait sonné dans la seconde quinzaine de mai, mais c'est à la fin juin que les pouvoirs publics prennent la mesure des retours ou plutôt de leur dépassement : il faut faire face au nombre, à la désorganisation accentuée par la panique et la terreur exercée en Algérie par l'ALN notamment [44] . Les échanges de notes entre les responsables au cours de l'été montrent qu'on est loin du relatif angélisme du printemps mais qu'on oscille entre la fermeté et l'ouverture.

La proclamation de l'indépendance de l'Algérie, le 3 juillet, libère les passions. À la mi-juillet les propos de vengeance contre les " anciens supplétifs et collaborateurs [45] ", les violences s'accroissent et les demandes de secours de la part des Français musulmans ne cessent pas. Pierre Messmer s'inquiète des arrivées massives et désordonnées : il demande à Louis Joxe davantage de fermeté, et que " soit vérifiée soigneusement la justification du départ sollicité et que soient déjouées toutes manœuvres, conscientes ou mal intentionnées pour maintenir le courant des départs." C'est dans ce sens que je me permets de vous demander une intervention rapide et ferme, de votre part, auprès de notre représentant en Algérie [46] . " La fermeté de cette note datée du 19 juillet rappelle celle que Joxe avait envoyée le 12 mai à Christian Fouchet. Elle montre l'inefficacité d'une politique trop rigide dans ces circonstances : le gouvernement est dépassé et chacun de ses membres est préoccupé par les impératifs de son propre département ministériel qui ne concordent pas nécessairement avec ceux des autres. En même temps, les militaires en Algérie continuent de demander que l'on facilite le départ des personnes regroupées qui risquent d'être victimes d'une épuration menée par l'ALN [47] . Fin août, après plusieurs demandes du général de Brébisson, commandant supérieur des forces françaises en Algérie, Pierre Messmer lâche du lest et accepte que l'on rapatrie 900 ex-harkis avec leurs familles dans le mois [48] , puis il en avise Louis Joxe [49] .

Jean-Marcel Jeanneney, nommé ambassadeur et haut représentant français en Algérie dès le 3 juillet proteste auprès des autorités algériennes contre les menaces et les violences perpétrées en dépit des accords d'Évian [50]. Si Farès y est sensible, Ben Bella, alors vice-président du GPRA, n'évoque que des " dépassements " et il considère que le peuple algérien est " sage et juste " en la circonstance [51] : c'est dire si sa détermination à faire cesser les exactions est faible. L'accueil des populations menacées se poursuit, comme l'écrit le ministre des Affaires algériennes à Pierre Messmer : " Cependant le problème posé par les Musulmans qui ont déjà trouvé refuge auprès de l'armée demeure. Leur abandon est difficile à envisager ; par ailleurs, leur maintien en Algérie accroît les risques d'incidents avec l'ALN, tout en étant de nature à affecter le moral de notre armée. (Certains centres vont être fermés en Algérie)… Nous ne pouvons, à mon avis, nous soustraire à l'obligation morale de replier, sans plus attendre, ces musulmans sur la métropole [52]. " Les protestations auprès des autorités algériennes, les interventions de Louis Joxe auprès du CICR permettent pourtant de poursuivre avec plus ou moins de succès la protection de harkis menacés [53] ; il met aussi en jeu la signature des protocoles de coopération. Tout cela est loin d'être efficace : le massacre des harkis et les demandes d'aide se poursuivent et, fin octobre, Pierre Messmer indique que plus de 8 000 personnes ont été recueillies par des unités de l'armée, 6 000 sont en attente de transfert en métropole [54]. Ce n'est donc pas au début d'août que le rapatriement des ex-supplétifs menacés aurait été suspendu [55].
Les réflexions sur le rapatriement des harkis sont donc antérieures aux accords. Au cours de l'année 1961, les conclusions qui prévalent sont les suivantes : pas d'encouragement au départ mais pas d'abandon. Cependant, l'hypothèse de retours massifs, tant des Français de souche européenne que des Français musulmans n'a jamais été imaginée dans les proportions qui seront avérées à partir de mai 1962. Du coup, rien n'a vraiment été fait dans le sens d'un accueil massif et les pouvoirs publics ont été débordés. Les instructions émanant du ministre des Affaires algériennes, Louis Joxe, et du ministre des Armées, Pierre Messmer, montrent un accord d'ensemble sur les buts de leur mission : sauver le maximum de harkis, tout en faisant face aux impératifs de sécurité intérieure défendus par Roger Frey qui, soutenu par le général de Gaulle, va, à la fin du mois d'août, jusqu'à émettre la possibilité de disperser les rapatriés sous prétexte d'ordre public [56].

Car, au-dessus des ministres, le chef de l'État impose sa politique : faire cesser la guerre et en aucun cas ne risquer de la rallumer. Pour lui, seuls comptent les accords d'Évian et leur application :" la France a un devoir de protection pendant quelques semaines encore, jusqu'à l'indépendance, puis les accords de coopération seront appliqués. Pour cela il faut que les fonctionnaires " déserteurs [57] ", ceux qui ne veulent pas rejoindre leur poste après les vacances d'été en métropole, retournent en Algérie, pour l'encadrement prévu. " Alors que les exactions perpétrées contre les harkis se multiplient, Pierre Messmer souhaite faire intervenir l'armée avec l'espoir de sauver des vies [58]. Alors qu'il faut faire face à des arrivées massives de populations et que le flot ne tarit pas en juillet contrairement à ce qu'on escomptait, de Gaulle entend mettre un frein aux arrivées. À ses yeux, on ne peut parler de " rapatriement " pour les harkis puisque la France n'est pas - ou plus - leur terre : ce sont des " réfugiés " à qui on peut ouvrir nos portes, s'ils courent les plus grands dangers [59], mais sans plus [60]. En outre, c'est l'ensemble des arrivées massives de toutes les populations, quelles qu'elles soient, pieds noirs ou harkis, qui provoquent l'exaspération et l'intransigeance du chef de l'État.
Si l'on parle de responsabilités, il est difficile de les départager : le général de Gaulle décide de la politique à mener et elle est appliquée par l'ensemble des ministres ; la responsabilité est collective. Après les négociations, Louis Joxe fait le lien entre tous les ministères et le haut commissaire en Algérie, mais il n'est plus en première ligne : sa mission consiste à tenter de donner une réalité aux accords d'Évian et à négocier des protocoles de coopération. Il n'écarte pas pour autant ce grave souci et ne cesse de rappeler lui-même à Farès ou de transmettre au haut représentant français, Jean-Marcel Jeanneney, des protestations qui dépassent la démarche formelle. Certes, les perspectives d'accueil sont sous-estimées, mais le souhait des harkis n'est pas a priori de venir en France, plutôt de retourner dans leurs douars ; les démarches, légitimes, en vue d'une protection de l'ancienne métropole sont venues après que les structures d'accueil ont été mises en place. Les conditions économiques mises en avant depuis de nombreux mois expliquent, sans pour autant les justifier, les réticences et les résistances face aux flux inattendus dans ces proportions. En définitive, l'hésitation des premiers mois de 1961 quant à la politique à suivre a persisté ; les logiques étaient sans doute trop contraires pour que des mesures nettes soient prises en faveur des harkis. Mais c'est sans doute parce que cette situation qui avait tout du provisoire a perduré qu'elle est devenue une tragédie pour les harkis et un problème de conscience collectif dont on cherche à se défausser.
Chantal Morelle * http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=VING_083_0109&AJOUTBIBLIO=VING_083_0109

Notes [1] Cf. le texte des accords d'Évian dans Vers la paix en Algérie. Les négociations d'Évian dans les archives diplomatiques françaises 15 janvier 1961-29 juin 1962, Bruxelles, Bruylant, 2003. Déclaration des garanties, dispositions générales, 1° de la sécurité des personnes, p. 412.
[2] Pour les différents statuts des supplétifs, cf. Charles-Robert Ageron, " Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie ", Vingtième siècle. Revue d'histoire, n° 48, octobre-décembre 1995, p. 3-20.
[3] Les publications diverses et leur accueil médiatique montrent bien les passions que suscite cette question. Cf. aussi la communication de Guy Pervillé, " Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux politiques en France ", in Les usages politiques de l'histoire de la France contemporaine, des années 1970 à nos jours, colloque de Paris 1, 2003, actes à paraître.
[4] Il est vrai que la lecture des archives donne l'impression d'un problème purement administratif dont la résolution ne peut être que du même ordre. Cependant des sources multiples, la presse notamment, se faisaient l'écho quotidien des exactions et des horreurs perpétrées en Algérie : les responsables politiques les connaissaient donc et ne pouvaient y rester insensibles ; c'est la logique du respect des accords d'Évian et de l'ordre qui a dominé.
[5] Charles-Robert Ageron fait le point dans son article " Le "drame des harkis", mémoire ou histoire ? ", Vingtième siècle, Revue d'histoire, n° 68, octobre-décembre 2000, p. 3-15 ; cf. aussi Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p. 250.
[6] Pour reprendre le titre d'un article de Guy Pervillé dans L'Histoire, n° 231, avril 1999, p. 64-67. Le rôle joué, sur place, par les SAS n'est pas traité ici.
[7] Il s'agit bien entendu du ministre des Affaires algériennes, Louis Joxe, qui coordonne le tout, du ministre des Armées, Pierre Messmer, du secrétaire d'État aux Rapatriés, Robert Boulin. Mais le rôle de Roger Frey, ministre de l'Intérieur, moins direct sans doute, est très important.
[8] Cf. Claire Andrieu, Pour l'amour de la République. Le Club Jean Moulin 1958-1970, Paris, Fayard, 2002, p. 394-398.
[9] MAE, c 103, papiers Chayet, note de Gilles de Wailly (6 février 1961) sur une étude faite par François Gazier, secrétaire général du Conseil d'État, remise au ministre des Affaires algériennes le 20 janvier.
[10] MAE, ibid., papiers Chayet, note non signée du 17 mars 1961, " Garanties à négocier en faveur des musulmans fidèles à notre cause ".
[11] Souligné par l'auteur de la note.
[12] MAE, c 97, note d'Henri Manière à Bernard Tricot, 18 mars 1961. L'auteur évalue à plus de 35 000 le total des personnes concernées, y compris les harkis et GMS (Groupes mobiles de sécurité).
[13] MAE, ibid., note du 12 décembre 1961, sans signature.
[14] MAE, ibid., note du 11 décembre 1961, sans signature. Les questions sanitaires - accroissement des bidonvilles et des problèmes d'hygiène - sont mises en avant mais, à court terme, les immigrants ibériques ont la préférence ; ce n'est qu'à long terme qu'on envisage de faire appel aux travailleurs algériens.
[15] MAE, c 38, comité des Affaires algériennes, 16 novembre 1961.
[16] Le statut des harkis a été arrêté par des décrets adoptés au Conseil des ministres du 9 juillet 1961. La décision de les intégrer dans la gendarmerie pose problème du fait de leur nombre, mais aussi de leur niveau, et cela entraînerait un coût très élevé (cf. MAE, ibid., comité des Affaires algériennes du 23 août 1961).
[17] SHAT 1 H 2464-1, note de Pierre Messmer aux chefs de corps des armées TAM, à diffusion restreinte, 8 mars 1962.
[18] Dans son article déjà cité, Charles-Robert Ageron rappelle que les ordres donnés à l'ALN dans les premiers mois allaient dans le sens de la modération et du pardon, cf. " le "drame des harkis"… ", art. cité, p. 6.
[19] Louis Joxe à Christian Fouchet, lettres 395 API/ POL du 7 avril, 443 API / POL du 11 avril, et du 18 avril 1962, MAE, c 47.
[20] MAE, c 47, comité des Affaires algériennes, instructions de Louis Joxe à Christian Fouchet, 7 avril 1962. [21] MAE, ibid., instructions du 11 avril 1962
[22] MAE, ibid., lettre du 18 avril 1962, réf lettres 395 API/ POL du 7 avril 1962 et 443 API/POL du 11 avril 1962.
[23] Charles-Robert Ageron, " le "drame des harkis"… ", art. cité, p. 4.
[24] Guy Pervillé note que 800 000 Français d'Algérie sont arrivés en France au cours de l'année 1962 (Pour une histoire de la guerre d'Algérie, op. cit., p. 251).
[25] Citée ci-dessus.
[26] Souligné par Roger Frey.
[27] SHAT, 1 K 744, papiers Messmer, lettre de Roger Frey à Pierre Libaud, chef de cabinet de Pierre Messmer, 15 mai 1962. Cette attitude est confirmée par une lettre du ministre de l'Intérieur au Premier ministre, le 21 mai, cité dans général Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algériennes, 1958-1962, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 347.
[28] Contrairement à ce qu'écrit Michèle Cointet qui semble laisser porter au ministre des Affaires algériennes toute la responsabilité des décisions, cf. Michèle Cointet, De Gaulle et l'Algérie française 1958-1962, Paris, Perrin, p. 283-284.
[29] SHAT, 1 H 1260-2, télégramme de Louis Joxe à Christian Fouchet, 12 mai 1962.
[ 30] 1825/12/05. Message transmis au général commandant supérieur des forces en Algérie et au colonel inspecteur des Affaires algériennes par le cabinet militaire du haut commissaire, le 16 mai.
[31] SHAT, 1 H 1260-2, télégramme de Pierre Messmer à Génésuper, 16 mai 1962, après l'annonce de l'arrivée de 400 personnes : " En vous rappelant prescriptions mon télégramme n° 1334 du 12 mai et afin éviter application décision refoulement, je vous prie prendre en liaison avec haut commissaire dispositions pour empêcher cet embarquement s'il est effectivement envisagé. " En marge il est indiqué que l'embarquement n'aura pas lieu.
[32] MAE, c 39, comité des Affaires algériennes du 23 mai 1962.
[33] Il est évident que Louis Joxe a signé cette instruction, mais les archives montrent que la décision ne relève pas de lui seul. Le témoignage que Claude Chayet, Vincent Labouret et Bruno de Leusse, membres du cabinet du ministre des Affaires algériennes, Bernard Tricot, représentant de l'Élysée à la délégation du gouvernement au moment des négociations et Étienne Burin des Roziers, secrétaire général à la présidence de la République, ont apporté à l'auteur, est unanime pour dire que le ministre n'a pu donner un tel ordre de sa propre initiative.
[34] Chaque rapatrié doit avoir une fiche établie par le haut commissaire et transmise au ministère de l'Intérieur, MAE, ibid., comité des Affaires algériennes du 23 mai 1962.
[35] Selon le mot de Louis Joxe, cf. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, t. 1, Paris, De Fallois-Fayard, 1994, Conseil des ministres du 24 mai 1962, p. 136.
[36] Le 23 mai, on estime encore l'arrivée des supplétifs en métropole à 1 500 familles. La veille, une autre estimation a révélé que les musulmans menacés, environ 1 000 civils, 1 500 moghaznis et 5 000 harkis avec leurs familles, sont la plupart regroupés dans des camps et prêts à partir, SHAT, 1 H 1397-8, note du 22 mai 1962 ; MAE, c 39, comité des Affaires algériennes du 23 mai.
[37] SHAT, 1 H 1397-8, note du 29 mai 1962 ; il est précisé que les retours quotidiens pourraient atteindre 5 000 personnes. [38] Une fiche est établie pour chaque personne candidate au départ, et transmise par le haut commissaire au ministre de l'Intérieur au moment du transfert, MAE, c 39, comité des Affaires algériennes du 23 mai.
[39] SHAT, 1 K 744, papiers de Pierre Messmer, lettre de Pierre Messmer à Louis Joxe le 2 juin 1962, réponse datée du 4 juin.
[40] SHAT, 1 H 1260-2, lettre de Pierre Mesmer à Louis Joxe, 21 juin, mentionnée dans une autre, datée du 19 juillet 1962.
[41] Au Conseil des ministres du 13 juin, il compte 1 100 harkis et 300 moghzanis, auxquels il faut ajouter les familles, AN, F 60 2757. Mais au 31 juillet, il insiste sur la précarité des conditions d'hébergement et signale que son secrétariat les prendra en charge car il faudra libérer les camps militaires, AN, F 60 2758, Conseil des ministres du 31 juillet 1962.
[42] Le secrétariat d'État aux Rapatriés est responsable du recasement et des charges financières de transfert et d'hébergement dont la rue Saint-Dominique a fait l'avance. D'après les chiffres donnés par le ministre des Armées, le 19 juillet on évalue les arrivées à 11 486 personnes (en comptant les familles des supplétifs), dont 5 894 au Larzac et 5 592 à Bourg-Lastic.
[43] MAE, c 47, compte rendu de la réunion du 30 juin 1962.
[44] Charles-Robert Ageron, " Le "drame des harkis"… ", art. cité, p. 6-7.
[45] " On ne fait pas une révolution sans quelques égorgements ", cité par Charles-Robert Ageron, ibid. p. 6.
[46] SHAT, 1 H 1260-2, lettre de Pierre Mesmer à Louis Joxe, 19 juillet 1962.
[47] SHAT, 1 K 744, papiers Pierre Messmer, message de la Réghaia, 24 juillet 1962, entre autres informations.
[48] SHAT, ibid., réponse manuscrite de Pierre Messmer, le 23 août, sur la demande du général de Brébisson datée du 20 août. " J'accepte en outre, sans limitation, l'envoi sur la France d'ex-harkis auxquels un contrat de travail aura été accordé. "
[49] SHAT, ibid., lettre de Pierre Messmer à Louis Joxe, 21 août 1962.
[50] L'ambassadeur a un entretien avec Farès le 15 août, puis il a fait une protestation écrite le 25 au président de l'Exécutif provisoire, cf. Éric Kocher-Marbœuf, Une décennie d'actions au service de la France gaullienne Jean-Marcel Jeanneney, 1959-1969, thèse de doctorat, Paris, IEP, 1996, vol. 2, p. 502.
[51] DDF, 1962, t. 2, doc. 50, télégramme n° 162, Jean-Marcel Jeanneney à Maurice Couve de Murville, 17 août 1962.
[52] SHAT, 1 K 744, papiers Pierre Messmer, Louis Joxe à Jean-Marcel Jeanneney, 3 septembre 1962.
[53] SHAT, ibid., dans une lettre du 12 novembre 1962, Pierre Messmer remercie Louis Joxe de ses démarches auprès du CICR et des autorités algériennes.
[54] SHAT, ibid., lettre de Pierre Messmer à Louis Joxe, 31 octobre 1962.
[55] Comme l'écrit le général Maurice Faivre, op. cit., p. 199 : " Le 6 août, le directeur de cabinet du ministre des Armées suspend le rapatriement des ex-supplétifs menacés. "
[56] Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, op. cit., p. 205, Conseil des ministres du 22 août 1962.
[57] Ibid., p. 195, Conseil des ministres du 25 juillet 1962.
[58] Pierre Messmer, Ma part de France, Paris, François-Xavier de Guibert, 2003, p. 119
[59] Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, op. cit., p. 196, Conseil des ministres du 25 juillet 1962. Le ministre des Armées demande que le gouvernement prenne une position de principe à l'égard des harkis et des fonctionnaires menacés, pour que les autorités civiles et militaires soient en accord. Le chef de l'État répond : " On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme tels, que s'ils couraient des dangers ! "
[60] Les propos du Général rapportés par Alain Peyrefitte sont nombreux et éloquents. Déjà en 1959, au moment où certains misaient sur l'intégration, de Gaulle évoquait le problème démographique et l'intégration impossible en refusant d'imaginer " Colombey-les-Deux-Mosquées ", ibid., p. 52. En dépit de leur désarroi et de la précarité de leur situation dans les camps de Bourg-Lastic et du Larzac, de Gaulle exige qu'on les " mette en demeure de travailler, ou de repartir " ; Alain Peyrefitte note que la gêne est palpable autour de la table, ibid. p. 196.
[*] Chantal Morelle est professeur d'histoire en classes préparatoires aux grandes écoles à Paris et l'auteur, avec Pierre Jakob, d'une biographie, Henri Laugier, un esprit sans frontières (Bruxelles, Bruylant, 1997). Elle prépare une thèse sur Louis Joxe.

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Mis en ligne le 10 sept 2010
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