Oran, ville moderne (1)

La civilisation européenne moderne, civilisation urbaine, introduite depuis un peu plus d'un siècle dans le Maghreb, a créé ou développé des villes, là où n'existaient que quelques rares grosses bourgades.
Notre but est de compléter l'excellente étude " d'histoire et de géographie urbaines " de Lespès sur Oran, parue en 1938 (2)

LE SITE D'ORAN

Au fond d'une baie semi-circulaire, se développant de la pointe de Mers-el-Kébir à celle de l'Aiguille, se rencontrent : la mer, la montagne, des ravins, des plateaux étages. 150 kilomètres de mer séparent Oran des côtes espagnoles les plus proches, de Carthagène.

Au pied de la montagne, une petite plage n'est abritée des vents qu'un tiers de l'année. Depuis les Phéniciens jusqu'en 1848, le port reste à Mers-el-Kébir, le " Port divin " des Grecs et des pirates barbaresques et des Espagnols d'Oran des XVI -XVIIIe siècles.
Entre le pic de l'Aidour et les falaises de Gambetta, un plateau de 60 à 100 mètres d'altitude est entaillé par cinq torrents côtiers. Le principal, à l'ouest, le ravin Ras-el-Aïn de la Source a fourni, pendant des siècles, eau d'alimentation pour les habitants et d'irrigation pour des jardins potagers, des carrières de pierre à bâtir, à chaux, à plâtre et de terre à briques.
Le plateau d'Oran s'étage, du nord vers le sud, en trois paliers : l'un de 50-60 mètres (site de la Blança espagnole, entre la montagne et le grand ravin, Château-Neuf entre celui-ci et l'Ain Rouina, (quartier de la Vieille Mosquée depuis 1865), le second de 70-80 mètres (quartier israélite de 1792, place Foch et cathédrale centre de la ville actuelle), le troisième de 110-115 mètres (Village Nègre de 1845, Hôpital civil, gare, anciens faubourgs Saint-Eugène et Delmonte).
Là, il y avait place pour une vaste agglomération urbaine, étagée en amphithéâtre comme la plupart des villes méditerranéennes. Ce site l'emporte, dès le Xe siècle, sur celui de Mers-el-Kébir dont l'excellente position portuaire est compromise par le manque d'eau potable et de voie de pénétration vers l'intérieur (3).

LE DÉVELOPPEMENT URBAIN D'ORAN, DE 903 A 1831

De la masse actuelle des maisons blanches à étages, de hauteurs différentes, se détachent les raies des artères rayonnantes, les courbes des boulevards circulaires, les taches des faubourgs, les forteresses espagnoles et turques, les minarets des mosquées, les clochers et dômes des églises, le tout dominant les bassins du port.

Oran berbère
En 903, la petite plage attire les marins andalous qui, après entente avec les tribus berbères locales, créent Ouahran, probablement à l'emplacement de la future Blança. A la fin du Xe siècle, la place forte possède eaux courantes, moulins à eau, jardins, mosquée-cathédrale.
Oran arabe
Au XIIe siècle, son commerce florissant attire grands bazars, ateliers, quartier de marchands marseillais, narbonnais et montpelliérains.
Aux XII-XIVes siècles, par la grande cité de Tlemcen et le port de Mers-el-Kébir, fréquenté par les marins espagnols, vénitiens et génois, Oran est la porte maritime du Sahara occidental et du Niger par le Tafilalet.
A son apogée, au début du XVIe siècle, elle groupe 25 000 habitants ce qui est beaucoup pour l'époque, médersas, hôpitaux, bains maures, hôtelleries, mosquées, enceinte de pisé, citadelle de la Casbah surveillant l'intérieur, Ras-el-Cacer la Tête de la Forteresse (notre Château-Neuf) dominant la mer depuis 1347. Des exilés d'Espagne : Juifs en 1391 et 1492, Maures andalous au XVe siècle y arrivent.
Oran espagnol
Préside espagnol, dès 1509 position fortifiée, comptoir maritime et bagne elle compte, en 1510, 1 600 habitants chrétiens mâles, marchands juifs et Maures. Un groupe de forteresses complète la défense.
En 1669, les Juifs sont expulsés ; en 1708, les Espagnols perdent la position.
Au point de vue urbanisme, Oran groupe peu de choses : églises, couvents, conduit royal pour l'écoulement des eaux, casernes, magasins militaires.
Oran turc
Occupée de 1708 à 1732 par les Turcs, la ville, avec ses 2 000 habitants, possède le beau palais maure de la Casbah le Castillo Viejo ou Château Vieux deux mosquées, une citadelle, mais les rues en pente sont étroites et mal pavées.
Oran, espagnol à nouveau
Repris par les Espagnols, de 1732 à 1791, jusqu'au tremblement de terre qui entraîne leur départ définitif, Oran a 9 000 habitants en 1738, dont 1 600 déportés, 800 alliés maures, 5 500 soldats. En 1785, ils sont 12 000 ; quelques seigneurs exilés possèdent de riches demeures dans la Casbah. Pestes et disettes se succèdent.
L'enceinte est coupée de trois portes : de Tlemcen, avec la route remontant le ravin, du Santon (1754) d'où part le chemin de Mers-el-Kébir, de Canastel (1734-1738), face au pont franchissant le ravin (place Kléber actuelle). Le faubourg de la Marine, situé hors des murs, en contre bas, groupe, construits de 1732 à 1746, casernes, chapelle, tuilerie du roi, glacière, magasin pour à Kargentah et dans le ravin Ras-el-Aln, tous deux occupés par les tribus soumises.
Quelques tentatives d'urbanisme : aménagement d'une place d'armes avec maison administrative à arcades, alimentation en eau, jardins de légumes et fruits, marché aux Herbes, poissonnerie, boucheries royales et entrepôt des tabacs, conduit royal. Les rues sont étroites et raides, mais pavées; une seule est praticable aux voitures. Pas de port : la petite jetée, commencée en 1726, est enlevée par une tempête en 1728.

Oran, turc à nouveau
Dans Oran, à moitié ruiné par le tremblement de terre, abandonné par les chrétiens, le Bey fait appel à des Musulmans des villes de l'Oranie et de l'Algérois, à des gens des tribus, des Juifs d'Oranie et du Maroc, et réunit 8 000 à 9 000 habitants Israélites, Maures, Koulouglis, Nègres.
La famine menace en 1793, la peste sévit en 1794, 1797 et 1817. Le Bey fait construire la mosquée du Pacha (1796) et la petite mosquée de Kargentah, le minaret de la mosquée Sidi el Haouari et la mosquée Ben Nacef (1801), notre église Saint-André.
Les ruines de l'ancienne ville espagnole ne sont pas déblayées. Les maisons mauresques, mal construites, offrent une cour intérieure entourée de portiques aux arcs outre-passés. Le nouveau quartier juif est bâti à la mauresque avec ruelles étroites et irrégulières, impasses finissant en culs-de-sacs.
La cité se compose de trois agglomérations distinctes : la Ville Basse la Blança, la Ville Haute et la Marine. La seconde est entourée d'une enceinte dominant à l'ouest le ravin Ras-el-Aïn, à l'est l'Ain Rouina. Peuplée de Juifs, elle comprend le quartier des boulangers, des bouchers, des bijoutiers et des orfèvres, encombrés d'échoppes et de masures. La spécialisation des quartiers, selon les métiers, rappelle la disposition des villes européennes au Moyen Age et de la Casbah d'Alger. Il y a des tisserands, des tanneurs, des babouchiers arabes.

ORAN, VILLE FRANÇAISE 1831-1955

En 1831, après l'arrivée des Français, la ville compte 3 000 Français et Juifs, les Arabes l'ayant abandonnée.

Oran militaire, 1831-1848

Limitée à la Basse Ville, elle déborde l'enceinte de la Blança vers la Marine et la rive droite du ravin. Dans cette cité de soldats, fonctionnaires et commerçants, " il s'agit de restauration urbaine, de logement des militaires français et de réinstallation d'une population civile " (Lespès).
La vieille Casbah est relevée de ses ruines de 1833 à 1855. En 1836, le général de Létang convertit les glacis Nord et Ouest du Château Neuf en " espace vert ". Un timide projet d'urbanisation prend corps, dès 1836, mais l'éclairage urbain n'est assuré que par " neuf " réverbères à huile.
En 1843, est créé le premier service de voirie et des bâtiments civils : mairie et gendarmerie, église Saint-Louis (Reconstruite en 1839, l'église St Louis sera la première cathédrale d'Oran jusqu'en 1930. Ndlr), tribunal civil, prison, hôpital militaire, huit marchés. En 1845, de Lamoricière recase, au Village Nègre, les Musulmans vivant en ville sous des tentes et gourbis. La voirie s'améliore par l'aménagement de la rue principale du quartier israélite et de la place d'Armes de la Ville Haute; on comble les fossés de l'enceinte de la Blança. En 1847, la ville étouffe dans ses murs devenus trop étroits.

Oran civil, 1848-1880

En 1848, Oran est érigé en commune de plein exercice, mais l'épidémie de choléra de 1849 enlève 3 000 personnes *. L'extension de la ville est consécutive à la création d'un bassin de 5 hectares en 1848, première ébauche du port (3), et à l'achèvement du chemin de fer d'Alger à Oran. En 1866, une nouvelle enceinte militaire de 4 kilomètres enserre 75 hectares. Oran est doté de bâtiments publics : préfecture (1852), Trésor, poste, tribunal civil, mairie (1867); le centre se déplace des Bas-Quartiers vers la ville nouvelle. A cette date, la cité est irrégulière, pittoresque, même baroque, avec ses rues inachevées, ses terrains vagues, ses maisons en ruines. De nouveaux quartiers se dessinent à l'est, autour de la mosquée Kargentan, à l'emplacement de bâtiments militaires désaffectés. La population s'entasse dans des logements exigus. Dès 1853, la Compagnie des planteurs du Génie couvre la montagne du Murdjadjo d'un agréable manteau forestier aujourd'hui Parc national.

1880-1900

L'extension d'Oran fait tache d'huile. En 1880 près de la moitié des 60 000 habitants occupent le plateau et, dès 1881, des faubourgs s'ébauchent extramuros.
De nouveaux bâtiments publics s'élèvent : hôtel de ville (1887), palais de justice, hôpital civil, lycée, théâtre, gare (1900-1913).

Le Conseil municipal par parcimonie, recule devant l'expropriation de 800 000 mètres carrés qui pourraient être transformés en jardins.
Lycée de garçons et immeubles s'interposent entre la ville et la mer, parure naturelle de la jeune cité maritime. En 1881, s'installe une compagnie d'omnibus, puis, en 1899, apparaissent les premiers tramways électriques

1900-1930

L'extension de la surface bâtie dépasse toutes les prévisions ; le port, à son apogée, surclasse celui d'Alger, son concurrent ; la population double de 1900 à 1936, de 93 000 à 195 000 habitants.
On trace de nouvelles voies et aménage les anciens quartiers. Un gros effort de constructions collectives est réalisé, à partir de 1922, aux habitations à bon marché. Le programme d'urbanisme comporte la construction d'un réseau d'égouts, marchés couverts, halles centrales, boulevard circulaire de 40 mètres. La guerre de 1914-1918 retarde les réalisations.

1930-1939

La technique de l'urbanisme moderne est appliquée à Oran. On cherche à distinguer judicieusement un zoning, déterminant pour l'avenir des zones de commerce, d'habitations collectives, de petites habitations, d'industries, de cultures maraîchères, de vie rurale, de lotissements nouveaux et réglementés. Les fortifications militaires de 1866, devenues désuètes, sont déclassées officiellement et l'extension de la ville ne connaît plus d'obstacles de ce côté.
Tour à tour se succèdent développement et aménagement de la voirie urbaine, distribution de l'eau, refonte du réseau d'égouts, amélioration de l'éclairage, construction de marchés de quartier : villas et petites maisons particulières se multiplient dans quarante faubourgs ou cités dont neuf créés depuis 1919. 36 000 mètres de portions de routes, voies et chemins sont classés dans la voirie communale ; sur 90 kilomètres de voies privées, 55 sont mis en état de viabilité, de 1925 à 1936.
De nouvelles lignes de tramways et autobus sont créées. Des travaux d'édilité embellissent la cité. Des bâtiments publics sont achevés : palais des Beaux-Arts, collège de garçons, école normale d'instituteurs, Maison du colon, magasins généraux, polyclinique, recette municipale, commissariats. Un boulevard de ceinture de 40 mètres est en cours d'achèvement.

Oran prend l'allure d'une grande cité moderne européenne, conforme au développement de son port et de son commerce, à sa fonction de grande capitale régionale de l'Algérie occidentale.

L'industrie est encore peu développée, en dehors des minoteries, fabriques de pâtes alimentaires, biscuiteries, meubles, tabac, tapis, engrais, matériaux de construction, centrale électrique, usine à gaz, glacière, brasserie... La guerre de 1939-1945 arrête brutalement cette poussée d'urbanisme.

1948-1955

Le rythme de la désertion des campagnes et l'attirance de la grande ville, pendant la guerre, en rapport avec les besoins de main-d'œuvre et l'industrialisation, le phénomène brutal de l'émigration massive des Musulmans du bled, l'introduction de leur habitat rudimentaire en " bidonvilles ", ont répandu une véritable lèpre urbaine, en pleine ville. Un problème nouveau et aigu se pose : le transfert et le recasement de ces prolétaires.

La grande cité est actuellement en pleine transformation. L'heureuse variété de ses quartiers et de ses populations lui confère, dans les bas quartiers, l'allure d'une vieille ville ibérique, aux rues étroites et montantes, aux escaliers pittoresques, aux vieilles demeures de style hispano-mauresque.
Au contraire, les quartiers urbains et suburbains offrent un nouvel aspect, empreint d'ordre, de propreté, d'urbanisme moderne. Pour la voirie, les exigences de la circulation automobile imposent des améliorations au plan globulaire de la cité qui a conservé l'orientation de ses artères principales avec le développement radial, le long des grandes routes d'accès vers les villes principales de l'intérieur du département.

Depuis quelques années, s'achève la voie d'accès, conçue dès 1936, entre le port au nord - organe vital de la cité - le faubourg industriel au sud - centre consommateur et transformateur de matières premières, conçu en 1942, les halles - lieu de groupage et de redistribution des denrées alimentaires - l' " intérieur " - expéditeur de produits de l'agriculture et de l'élevage, consommateur d'articles manufacturés. Un double mouvement d'importation et d'exportation s'établit convergeant obligatoirement vers le centre de la ville et les bas quartiers du port.
Les premières routes d'accès de Mostaganem, Arzew, Mascara, Tlemcen, sont recoupées aujourd'hui par un boulevard périphérique de première ceinture, dit de 40 mètres, de 4 kilomètres de développement, achevé en 1950. L'accès au port comporte trois tracés, l'un à l'ouest par le ravin Ras-el-Aïn, l'autre à l'est à la limite des faubourgs extra-muros de l'enceinte de 1866, le troisième au centre de la ville actuelle, par un tunnel établi à l'emplacement d'un petit ravin côtier comblé en 1951.
Un boulevard périphérique de deuxième ceinture s'ébauche au-delà de la partie bâtie de l'agglomération, sur 8 kilomètres.

Un boulevard Front-de-Mer en encorbellement, projeté dès 1904 et réalisé en 1953, permet enfin de jouir d'une belle vue sur la mer. Un vaste réseau urbain de 150 kilomètres de longueur a été remis en état, empierré, revêtu de bitume avec élargissement des chaussées, sens uniques, sens giratoires, signaux à bulles lumineuses, règles de stationnement, parcs automobiles.
L'éclairage public s'est perfectionné : 2 300 lampes en 1948, 3 500 en 1955, parure lumineuse de la ville.
Les espaces verts restent la partie la plus négligée. C'est une grave lacune pour une ville coloniale à climat chaud et humide, où règnent l'entassement urbain et une large tension démographique. Le visiteur est choqué par la comparaison avec les beaux jardins des villes andalouses.

En dehors de la promenade de Létang, dominant le port, et du jardin municipal créé de toutes pièces, en 1941, avec lac artificiel et parc zoologique, il n'y a que quelques petits jardinets.
L'alimentation en eau a été résolue, en juillet 1952, grâce à la construction d'une conduite, de 1,10 m de diamètre et 150 kilomètres de long, posée à travers le relief tourmenté de l'Oranie occidentale, avec bassin de décantation et de filtrage près de Turenne. L'eau douce provient du barrage des Béni Bahdel sur la Tafna, au sud de Tlemcen (Oran ne disposait jusqu'alors, que d'une eau légèrement saumâtre. Beaucoup d'oranais avaient coutume d'ajouter du sel au café pour retrouver le gout d'antan. Ndlr). La quantité disponible doit être portée à 70 000 mètres cubes en 1955 pour répondre aux besoins d'Oran, de Mers-el-Kébir, de ces deux ports et des communes voisines.
L'évacuation des eaux usées et des déchets est assurée par un réseau d'égouts qui s'est étendu considérablement, ces dernières années. Depuis fin 1950, trois réseaux secondaires et un grand égoût collecteur général de trois kilomètres passent au sud des faubourgs de la périphérie. Les canalisations des rues représentent, à elles seules, 10 kilomètres et un volume de 121 000 mètres cubes.

Dans la ville actuelle, on observe une certaine spécialisation des quartiers. La Basse Ville, proche du port, est un quartier de marins, d'ouvriers, de petits commerçants. A côté des habitations désuètes et sans confort, occupées de plus en plus par des Musulmans, quelques boutiques se modernisent. Là, se groupent armateurs, acconiers, transitaires, agents en douane, shiplandlers, quincailliers en gros, travaillant pour la marine de commerce et la pêche. Sur les terre-pleins du port s'élèvent docks, douane, inscription maritime, entrepôts de charbon, hydrocarbures, chaudronniers, charpentiers de la marine, constructions métalliques (5).
Le Centre des affaires, entre les places Foch et Hoche, le quartier israélite et le Village nègre, les boulevards Clemenceau, Général-Leclerc et Gallieni, réunit, dans la Haute Ville, banques, agences de voyage, grands hôtels, avocats, avoués, agents immobiliers, magasins de nouveautés et de luxe, cinémas, grands cafés, gares routières.

A la périphérie immédiate de ce quartier, on rencontre magasins de machines agricoles, accessoires automobiles, matériel industriel, articles pour caves et chais, pompes, ateliers de petite métallurgie, constructions mécaniques, entrepôts de vin, bois, engrais, tonnellerie.

Le Village Nègre est animé par la survivance de nombreuses échoppes d'artisans, vendant eux-mêmes le fruit de leur travail : articles indigènes, broderies, couvertures, babouches, habits, laines teintes, bijoux, friperie, à côté de cafés maures, bains maures, marchands de céréales et de légumes secs, moulins de mouture indigène, grandes minoteries modernes. Le quartier israélite abrite une foule de petits artisans, portefaix, petits employés et commerçants ; sur sa marge s'installent une série de grossistes.
Le faubourg industriel groupe les industries nouvelles, à proximité de la voie ferrée Oran- Alger.
La population actuelle, de près de 300 000 habitants, fait d'Oran la cinquième ville de France, après Paris, Marseille, Lyon et Alger. Elle se répartit à peu près en 200 000 Européens et 100 000 musulmans, sur une superficie bâtie de 10 kilomètres carrés.
Le problème le plus urgent est d'assurer le logement de cette population caractérisée par un entassement urbain accentué et un surpeuplement très poussé : densité kilométrique moyenne 1948 : 61 000 dans le quartier Israélite, 80 000 dans le Village Nègre, 44 000 dans le faubourg musulman des Planteurs. Par comparaison, dans le XIe arrondissement de Paris, cette densité est de 74 000, mais avec des immeubles à nombreux étages, alors que ceux d'Oran n'ont qu'un ou deux étages, dans ces quartiers.
Ralentissement de la construction pendant la guerre, augmentation des prix des matériaux et des salaires des ouvriers du bâtiment, vétusté des immeubles, accroissement annuel de la population urbaine, de l'ordre de 10 000 individus par an, dû autant à l'excès des naissances sur les décès qu'à l'attrait de la grande ville sur les nouveaux venus, abandon des campagnes par suite du développement du machinisme agricole, appel de main-d'œuvre pour le port, l'industrialisation et les besoins de la cité, tous ces facteurs aboutissent à une véritable " hyper tension " de la population.
Sur 14 400 maisons édifiées et 71 000 logements, on compte 155 000 Européens et Israélites logés d'une manière satisfaisante, 25 000 Israélites et Musulmans médiocrement 30, 000 Européens et 28 000 Musulmans pratiquement sans logis. On est frappé de l'état de délabrement des immeubles des bas quartiers et du quartier israélite, avec leurs pièces sans air, leurs cours exiguës et malpropres, leurs plafonds menaçant ruine, les gourbis musulmans, sans air en été, ouverts à tous les vents en hiver, enfumés par les kanouns, dans les faubourgs méridionaux.
Pour les populations musulmanes (6), longtemps semi-nomades et semi-pastorales, peu exigeantes sous le rapport du confort de l'habitation, le problème était résolu temporairement sous forme de quartiers de " génération spontanée " - les bidonvilles - où les constructions sommaires n'exigent ni eau, ni égout, ni voirie. Ils abritaient très mal 40 000 habitants : plus d'un Oranais sur sept. Il en résultait une grosse menace pour l'esthétique urbaine, l'hygiène et la sécurité publique. Des Européens, de moyens très modiques ou sans profession définie, avaient trouvé asile ici, à côté d'une masse de prolétaires musulmans, algériens ou marocains; dockers, manœuvres, mendiants, prostituées et gens sans aveu. En 1954, la municipalité a supprimé deux de ces bidonvilles, mais leurs habitants ont reflué vers la cité de recasement, au petit Lac, et vers les bidonvilles périphériques.
Pour les populations européennes, le problème, resté insoluble depuis 1931, se complique de taudis avec promiscuité et cohabitation, contraires à la bonne entente, à l'hygiène et aux bonnes mœurs. Pour le résoudre, ont été construits : habitations à bon marché, à loyer modéré, à formule " castor ", trois cités de recasement, immeubles en copropriété, villas résidentielles.

Il en résulte diversité des styles, éparpillement de l'habitat et ébauche de quartier résidentiel rural dans le sud-ouest. Dès maintenant, les travailleurs oranais habitent, faute de logement en ville, à Mers-el-Kébir et Misserghin, ce qui pose un problème de transport.
L'éloignement du centre, le besoin de se rendre en ville pour son travail quotidien ou ses achats, sont servis par des transports en commun : 4 lignes de trolleybus sur les parcours à forte déclivité, 14 lignes d'autobus, plus deux en projet, jusqu'aux limites de la surface bâtie. En 1953, trolleybus (30 %) et autobus (70 %) ont transporté plus de 25 millions de voyageurs.

LE RAVITAILLEMENT D'ORAN

Les Halles centrales, à la périphérie sud-ouest, reçoivent produits maraîchers et fruits, venus des régions de production : ravin Ras-el-Aïn, basses plaines irriguées de Saint-Denis-du-Sig,
Sainte-Barbe-du-Tlélat, Perrégaux et Sahel d'Oran, Maroc oriental, Algérois, France (pommes de terre, artichauts ronds). Leur fonction commerciale s'est étendue à l'Algérie et à ses voisines Nord-africaines pour le transit : 26 000 tonnes de légumes (près du tiers du trafic total), fruits et 15 000 à 18 000 tonnes de pommes de terre importées de la Métropole. Le total des apports est passé de 53 000 tonnes en 1946 à 86 000 en 1953 et 91 000 en 1954 ; il atteindra bientôt 100 000 tonnes.

L'abattoir municipal, construit en 1862, agrandi en 1875, a attiré un marché aux bestiaux, sur un plateau très ventilé, proche de la mer, pour l'évacuation des déchets animaux. La consommation de viande fraîche n'a cessé de se développer, en fonction de l'accroissement de la population urbaine, de l'élévation du niveau de vie des travailleurs européens et musulmans. La consommation annuelle passe de 1 200 tonnes en 1875 à plus de 3 000 en 1931, 8 260 en 1954 avec abattage de 330 750 animaux (262 000 ovins, 28 500 bœufs, 18 000 caprins, 15 000 porcs, 6 000 chevaux et ânes). Les moutons viennent du Sud et de la région d'Aïn-Témouchent, Sidi-bel-Abbès, Tiaret et Saïda. L'exportation de 55 000 carcasses d'ovins (780 tonnes) en métropole mise à part, le marché est destiné à la consommation locale.
La poissonnerie reçoit 4 864 tonnes, dont 30 % du port de pêche d'Oran, en 1946 ; 5 617, dont 20 % du port d'Oran, en 1954, 67 % des ports oraniens de Béni-Saf, Mers-el-Kébir, Arzew, Bou-Zedjar et Nemours, 12 % des ports marocains de l'Atlantique : Agadir, Mogador et Casablanca.

La centrale laitière, édifiée en 1951, reçoit quotidiennement 18 000 à 21 000 litres de lait et vend 13 500 à 15 500 litres de lait pasteurisé. L'alimentation est assurée par les laitiers d'Oran, Pont- Albin, Misserghin, Assi-bou-Nif, de l'arrondissement de Bel-Abbès (50 à 53 %). Le marché est régularisé par la confection de yaourt, petits suisses, lait glacé en été, poudre de lait. Cette dernière est expédiée dans tout le département, à Oujda au Maroc oriental, à Colomb-Béchar, Adrar et Timimoun au Sahara. Il faut ajouter la consommation de 9 000 à 10 000 litres de lait non pasteurisé.

INDUSTRIE LOCALE

Longtemps limitée à des usines de transformation de produits agricoles, elle s'est développée depuis la dernière guerre. Les industries nouvelles luttent difficilement contre la concurrence de la Métropole. Il s'agit de distilleries, apéritifs, fabrique de chaussures, tanneries, verrerie, un moment faïencerie, laverie, teinture, filature et tissage, bonneterie, fonderie, aciérie et laminoirs, ateliers de constructions métalliques et navales, ateliers de réparation de matériel maritime, automobile, agricole et ferroviaire, produits chimiques, engrais, couleurs et vernis, produits d'entretien...
Sur plus de 3 000 établissements industriels, occupant 15 000 ouvriers : 22 % traitent des métaux (18 % des ouvriers), 20 % travaillent pour le bâtiment et les travaux publics (35 % des ouvriers), 17 % fabriquent des textiles (2,7 % des ouvriers), 13 % façonnent le bois (9 % des ouvriers).
Les besoins industriels et privés en éclairage et force motrice ont amené la construction en 1952, sur les quais, de la grande centrale électrique du Ravin blanc et de la nouvelle usine à gaz de Saint-Hubert.

COMMERCE

Le port et l'industrie attirent une grande activité commerciale. Le commerce de gros et de demi-gros groupe 600 établissements et fait vivre 3 800 employés. Il représente les transactions sur les produits agricoles d'exportation : vins (40 négociants), céréales (blé, orge, farines), fruits et légumes frais, bétail, laine, poissons séchés, alfa et crin végétal. Des importateurs reçoivent et distribuent, dans le département, matières premières : charbon (100 000 tonnes de Kénadza pour la centrale électrique), hydrocarbures (32 % des importations d'Algérie), matériaux de construction fers, bois et bitumes. Une cinquantaine de grossistes, groupés près du quartier israélite, assurent importation, groupage et répartition des produits alimentaires, produits coloniaux (sucre, thé, café), tissus dits indigènes, droguerie et quincaillerie, consommés par la population urbaine et rurale.
Les débouchés commerciaux de la place d'Oran sont servis par de nombreux établissements financiers, l'extension de l'agriculture intensive irriguée, le développement des moyens de transport, mais ils ont été réduits par la substitution du mazout au charbon, la prise de conscience commerciale de l'Algérois et du Maroc. Les relations extérieures de la ville avec le port et l'intérieur du département sont assurées par le chemin de fer, aboutissant à la gare Kargentah et à la gare maritime, par autocars pour les voyageurs, par camions pour les marchandises, par avions par la gare aérienne de La Sénia, par mer (paquebots et cargos). Le parc automobile utilitaire compte 20 000 véhicules dont 250 camions citernes de 16 tonnes en moyenne.
L'activité économique de l'Oranie et la vitalité de la ville d'Oran sont illustrées par l'importance de la Foire-exposition annuelle qui reçoit 200 000 visiteurs et 450 exposants.
Oran, capitale économique et administrative d'un tout géographique - l'Oranie (1) - correspondant en superficie à 13 départements métropolitains - étend son action par ondes concentriques sur un rayon de 15 kilomètres.

Cette région oranaise tend à absorber : Mers-el-Kébir, base navale atomique, arsenal, relâche maritime, port commercial annexe, Aïn-el-Turck, Bouisseville, Trouville, Clairefontaine et Falcon, stations balnéaires, Canastel, casino et lotissement de plaisance, Pont- Albin, résidence rurale, Arcole, Sidi-Chami, Valmy, Mangin, Bou-Sfer, Misserghin et Assi-bou-Nif, productions maraîchères et fruitières, La Sénia, gare de triage de marchandises et aéroport. C'est la préfiguration de la future agglomération urbaine d'Oran, actuellement ville sans banlieue immédiate.
Oran est une plaque tournante maritime, ferroviaire, routière et aérienne ; elle deviendra probablement le terminus d'une voie transsaharienne et transafricaine. Elle concentre déjà, à elle seule, un septième de la population totale et la moitié des Européens du département.

CONCLUSION

Oran, une des " têtes de pont " rattachant la métropole à l'Algérie, se trouve également sur la route maritime reliant l'Atlantique au Proche-Orient par Gibraltar et Suez. Douée d'une âme et d'une mentalité originales, c'est un " centre de gravité de la civilisation moderne " (Siegfried).
Des points noirs apparaissent dans le développement futur d'Oran : amenuisement du trafic de son port, création envisagée de trois préfectures nouvelles ayant pour chefs-lieux Tlemcen, Mostaganem et Tiaret, hinterland commercial menacé par les ports voisins de Mostaganem (fruits et légumes), Nemours et Beni-Saf (produits miniers), création d'un combinat industriel charbon minerais non ferreux, projeté à Colomb-Béchar. Au contraire, sa fonction intellectuelle ne cesse de prendre de l'importance.

Robert TINTHOIN.
L'information géographique. Volume 20 n°5, 1956. pp. 176-186.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ingeo_0020-0093_1956_num_20_5_1640

(1) Une description, purement pittoresque, paraîtra dans le volume " Dans la lumière des villes africaines ", tome I, Encyclopédie de la France d'outre-mer.
(2) René Lespès, Oran. Etude de géographie et d'histoire urbaines. Alcan, Paris. 1938, 510 p. Cartes, graphiques et photos.
(3) Robert Tinthoin, Mers-el-Kébir essai de géohistoire bi-millénaire, Oran, Heintz. 1956, 300 p. Cartes, gravures et photos.
(4) Cf. Robert Tinthoin, " Le port d'Oran ", in Cahiers de V Information géographique, 1954, n° 1, p. 45-56. Carte et graphiques.
(5) Cf. Robert Tinthoin, " Le port d'Oran " in Cahiers de l'Information géographique, 1954, n° 1, pp. 45-56. Paris. Baillière, 1954.
(6) Robert Tinthoin, " Le Peuplement musulman d'Oran ", extrait du Bulletin de la Société de géographie Io4 d'Oran. Oran. Fouque, 1954, 73 pages.

Santa Cruz
Le miracle de la pluie

Le 21 septembre1849 après un été torride, le choléra touche la ville d'Oran. Les hôpitaux seront très vite saturés et ne pourront prendre en charge tous les malades.
Autorités, armée et religieux se démènent dans des infirmeries de fortune. A partir du 14 octobre l'épidémie s'étend brusquement et touche tous les points de la ville. En quinze jours, 1172 personnes succomberont.
En désespoir de cause, tous les yeux vont se tourner vers le ciel.
Le général Pélissier, chef d'état-major de la province d'Oran, s'adresse à l'abbé Suchet, Vicaire général d'Alger : " Et alors Monsieur l'abbé ? Vous dormez ? Ne sauriez-vous plus votre métier ? ". " Le choléra ?... Nous n'y pouvons rien, ni vous, ni moi, ni personne. Vous me demandez les moyens de l'arrêter ? Je ne suis pas curé, et pourtant c'est moi, Pélissier, qui vous le dis : faites des processions... ". En désignant le " Murdjadjo " il s'écrie : " Foutez donc une vierge là-haut et elle se chargera de jeter le choléra à la mer ".
Le dimanche 4 novembre, les autorités civiles et militaires se mêlent aux citoyens et prennent par à une imposante procession, accompagnant la statue de Marie dans la cité oranaise.
Le cortège quitte l'enceinte de la ville et entreprend d'atteindre le plateau à mi hauteur de la colline. Les prières se succèdent : " Notre-Dame du Salut, ayez pitié de nous, sauvez-nous ! ". Elles demandent que tombe la pluie purificatrice qui pourrait laver et assainir la ville.
Quelques instants plus tard les quelques gouttes mouillent les processionnaires, bientôt suivies par une pluie abondante et bienfaisante. Quelques jours après, le choléra cesse ses attaques, les oranais sont sauvés.
Pélissier insistera lourdement auprès des militaires du génie pour obtenir une parcelle de terrain afin d'y construire une chapelle dédiée à Notre Dame du Salut.
Il obtiendra satisfaction et une décision du ministre de la Guerre en date du 20 janvier 1850, une parcelle de 560 m² à 400 m de hauteur est cédée et affectée au culte catholique.
Une souscription permettra d'obtenir les moyens financiers et humains Après bien des difficultés, à la fin avril 1850, la chapelle voit le jour. L'inauguration du Sanctuaire, pourtant encore inachevé, a lieu le 9 mai, jour de l'Ascension. Il s'écroulera le 8 mars 1851.
Reconstruit et fêté dès le mois de mai suivant pour l'Ascension.
En 1873 et 1874, une grande tour, surmontée d'une statue géante de la Vierge, viendra compléter le nouvel édifice. Notre Dame du Salut, deviendra Notre Dame de Santa Cruz, veillera et protégera les Oranais qui l'honoreront de réguliers pèlerinages.
61 ans plus tard, en 1945, Monseigneur Bertrand Lacaste sera en charge du diocèse d'Oran. Son affection pour les oranais, son amour pour la ville d'Oran permettront à Santa Cruz de devenir emblématique.
Voir le superbe diaporama de Josselyne Poudevigne
joss.poudevigne.free.fr/santacruz.pps

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Mis en ligne le 23 avril 2013

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