De l'opposition à la collaboration

Comment des français exécrant le régime colonial autant que la guerre en viennent à prendre partie pour le F.L.N.

La guerre d'Algérie a engendré une opposition immédiate qui s'est rapidement transformée en machine politique. Presque inexistante au départ, après l'écrasement des protestations des rappelés, elle s'est développée avec le retour du général de Gaulle au pouvoir, soutenant l'initiateur des négociations avec le F.L.N. mais combattant sans répit le fondateur de la Ve République.
Hors de cette ambigüité, une petite fraction d'opposants à la guerre s'est muée, en quelques années, en groupe de soutien actif au F.L.N. Pour cette autre sorte d'activistes, le combat des Algériens semble si juste qu'ils ont même estimé de leur devoir d'aider les rebelles à combattre la France et son armée. Sur ce sujet, des discussions sans fin auront agite quelques cénacles parisiens et des rédactions d'hebdomadaires.

Les premiers à avoir manifesté leur opposition à la guerre sont les soldats rappelés de l'automne 1955. Ils sont évidemment concernés au premier chef. Cependant, si de nombreux jeunes communistes ou sympathisants du Parti se sont trouvés parmi les manifestants de la gare de l'Est ou de la gare de Lyon, on ne peut pas dire que les partis politiques (de gauche), et le P.C.F. en premier, aient vraiment soutenu ce mouvement. De même, en mars 1956, seront votés les " pouvoirs spéciaux " - (pour [ne pas] faire - la paix en Algérie ").

Bien que de nombreux partisans de l'Algérie française soient persuadés du contraire, le P.C.F. n'a jamais accepté le coup de force du 1er novembre 1954. Ses relations avec le F.L.N. demeureront très tendues jusqu'à la fin. C'est que le F.L.N. exclut toute alliance avec le satellite algérien du P.C.F. : le parti communiste algérien (P.C.A.). Il l'accuse, non sans raison, de ne pas s'être dégagé de l'esprit " impérial " (de la " plus grande France ").

Pour le F.L.N., dont plusieurs dirigeants, d'ailleurs, sont d'anciens staliniens, les communistes ne sont pas forcement des ennemis mais ils doivent, s'ils veulent rejoindre la lutte de libération, renoncer à leur appartenance et faire leurs preuves.
Ainsi mourront, après avoir, d'un point de vue français, trahi, l'aspirant Maillot, Fernand Yveton ou Maurice Laban... Quand Henri Alleg est arrêté, c'est plus un " internationaliste " qui tombe qu'un dirigeant notoire de la rébellion.
De ce point de vue, l'acharnement de l'extrême-droite algéroise ou militaire contre un " complot communiste " est un pur fantasme.

La gauche " européenne " non communiste, en Algérie, ne sera guère plus influente. Albert Camus. qui recevra le prix Nobel de littérature en 1957, ne parvient pas à convaincre ses compatriotes au-delà d'un très petit cercle " humaniste ".

Sa condamnation des attentats et son refus de prendre parti lui seront reprochés jusqu'en métropole et, notamment par les clans d'intellectuels influencés par Sartre.

En dehors des cercles politiques très restreints qui gravitent, en la fustigeant, d'ailleurs, pour son inaction, autour de la gauche institutionnelle (elle inclut également les gaullistes), les premières initiatives d'opposition à la - politique algérienne - de la France viendront de journalistes tels que Robert Barrat ou Claude Bourdet mais aussi d'écrivains aussi considérables que Francois Mauriac... A l'époque, des titres comme Témoignage Chrétien, L'express (celui de jean- jacques Servan-Schreiber et de Françoise Giroud) ou France-Observateur constituent de véritables plates-formes d'opposition à la guerre.

Des recrues intellectuelles

Cependant, les prises de position les plus radicales viendront des marges. En décembre 1955, le pas décisif est franchi par Francis et Colette Jeanson dans L'Algérie hors la loi, que publient les Editions du Seuil. Pour ces intellectuels, issus de la mouvance des Temps modernes, c'est le début d'une activité clandestine de soutien au F.L.N. qui durera sept ans et leur vaudra d'être condamnés (par contumace). C'est à leur propos que sera inventé le terme de - " porteurs de valises " - ce qui désigne, tout à la fois, l'hébergement de militants du F.L.N. et le convoyage de fonds (pour l'achat d'armes et les activités de propagande ou de politique étrangère).

Un réseau se constitue autour des Français qui partagent cette idée de leur " devoir moral " (ou de l'aventure). Il emploie les méthodes qui ont fait leurs preuves dans les milieux révolutionnaires qui, 25 ans plus tôt, escortaient le bolchevisme et son opposition. Les recrues sont des intellectuels, des militants déçus, des chrétiens progressistes...
L'autre camp (celui des " nationaux ") ajoutera, avec mépris : " … et des femmes amoureuses fascinées par le machisme des Arabes ".
Comme l'écrivent Herve Hamon et Patrick Rotman, dans le livre qu'ils ont consacre aux " porteurs de valise " (La Résistance française a la guerre d'Algérie) : " Tandis que les professionnels de l'internationalisme campaient l'arme au pied, une poignée d'amateurs se sont crus obligés de pallier leur carence [...] Ils ont agi et, qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, cette action a été palpable, efficace. "

Evidemment, ces " amateurs " tomberont les uns après les autres dans les mailles du filet tendu par la police. Le procès le plus célèbre, dit du " réseau Jeanson ", aura lieu a partir du 5 septembre 1960 - le jour même où de Gaulle parle " d'Algérie algérienne en marche ". Six Algériens et 18 Francais comparaissent devant une cour militaire réunie dans l'ancienne prison du Cherche-Midi (la même ou fut jugé Dreyfus...)
Tout un symbole pour les accusés). Pas moins de 26 avocats les défendent, dont Me Roland Dumas et jacques Verges. Francis jeanson est introuvable (il se cache en Belgique). Les années de prison pleuvront lors du verdict... mais seront amnistiées en 1966.

UNE FRANCE CONTRE L'AUTRE

Tandis que s'ouvre Ie procès du " réseau Jeanson "... et que Sartre ne réussit pas à se faire embastiller malgré une lettre provocatrice, un manifeste est lancé par 121 intellectuels, auteurs, acteurs, artistes. Ce document appelle l'attention de l'opinion sur le " droit à l'lnsoumlssion [des soldats du contingent] dans la guerre d'Algérie ".
Le gouvernement, présidé par Michel Debré, réagit vivement et propose d'extravagantes peines pour ce qui n'est, après tout, qu'une pétition de plus. C'est au point qu'un journal conservateur britannique, le Daily Mail, pourra titrer : " La France bannit ses stars "...
En France, l'hebdomadaire Carrefour (partisan de |'Algérie française) écrit : " lls (les signataires) comptent dans leurs rangs quelques Français de très fraîche date si l'on en juge à la consonance de leur nom. D'autres cachent sous un pseudonyme une ascendance étrangère qui excuse peut-être en partie leur peu d'attachement à la patrie française. "
Le 12 octobre 1960, ce même hebdomadaire, qui estime que " chaque époque a ses excréments " ..., publie un contre-manifeste signé (par " des intellectuels français (des vrais). Il rassemble à peu près autant de signatures (mais pas les mêmes…) que celui des " professeurs de trahison ". La guerre civile franco-française reprend...

Histoire des grands conflits - " Guerre d'Algérie " Volume II ; page 132,133.
Collection du Patrimoine

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Mis en ligne le 15 septembre 2014

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