Abou Obéid-Allah fut le véritable fondateur de cette dynastie nouvelle, qui joua un rôle si considérable dans tout l’empire musulman. Avant de paraître sur la scène politique en Afrique, il vivait dans l’Yémen, et avait embrassé la secte des chiites. Quelques détails sont nécessaires pour faire comprendre l’influence que les croyances religieuses d’Obéid-Allah exercèrent dans la révolution qu’il accomplit en Afrique. Les chiites regardent Ali, gendre du prophète, comme son successeur légitime et immédiat ; ils ne reconnaissent point comme orthodoxes Abou-Bekr, Omar et Othman, qui ont précédé Ali dans les fonctions de khalife. L’opinion que la souveraineté spirituelle et temporelle résidait exclusivement dans les descendants d’Ali était tellement répandue en Orient, que le khalife abbasside El-Mamoun désigna Mouça, un des membres de la famille des Alides, pour son successeur, afin de faire cesser la séparation du pouvoir de fait du pouvoir de droit ; mais cet arrangement, contrarié par les autres membres de la famille des Abbassides, ne put avoir lieu. Les musulmans comptent douze imam, descendant en ligne directe d’Ali, et dont le dernier, d’après une tradition chiite adoptée par les orthodoxes eux-mêmes, a disparu à l’âge de douze ans dans une caverne où sa mère l’avait caché pour le soustraire à ses ennemis. Cet imam, nommé Mohammed-el-Mahdi, vit encore, et il doit apparaître dans le monde. avant la fin des siècles avec Jésus-christ et Élie. Ces trois pontifes réuniront tous les peuples en une seule nation, et il n’y aura plus de distinction de juifs, de musulmans et de chrétiens.

Cette croyance, chère à l’imagination mystique et amoureuse du merveilleux des Arabes, a été exploitée, à diverses époques, par des ambitieux qui ont voulu se faire passer pour l’imam El-Mahdi, afin de s’emparer du pouvoir suprême. La foi des musulmans dans cette tradition n’a pas été ébranlée par les entreprises audacieuses qui se sont répétées dans plusieurs contrées ; et aujourd’hui encore on retrouve en Algérie, dans les prophéties sur la venue du Moula Saa, dont Bou-Maza a su tirer un parti si habile, le souvenir vivant de la légende des chiites.

Ceux qui reconnaissent Obéid-Allah comme étant de la descendance d’Ali, disent qu’il sortait d’une branche collatérale. Voici comment il fut amené dans le Maghreb. Il se rendit à la Mecque à l’époque de l’arrivée des pèlerins. Là, il fit connaissance avec quelques Berbères de la tribu de Ketama, qui habitait au sud du Maghreb-el-Ouassath ; il captiva leur amitié par sa conversation animée et par ses récits sur l’histoire de la famille du prophète. Il partit de la Mecque avec ces hommes, pour aller, disait-il, étudier en Égypte, mais au moment de se séparer de lui les Berbères éprouvèrent tant de peine à le quitter, qu’ils l’engagèrent à venir avec eux dans le Maghreb. Obéid-Allah y consentit, et continua de voyager avec ses amis, sans leur rien faire connaître de ses projets. Chemin faisant, il prit d’eux toutes sortes de renseignements sur leur pays. Arrivé au terme du voyage, il s’éloigna de ses compagnons, et se retira dans un pays montagneux. Mais bientôt il commença à prêcher les doctrines des chiites ; il sut mettre à profit les renseignements qu’il avait demandés sur le caractère et les dispositions des Berbères; de tous côtés de nombreux partisans vinrent se ranger sous son obéissance. Il entra aussitôt en campagne contre les dynasties qui régnaient alors, s’empara de Tiharet, défit les troupes envoyées pour le combattre, et força le dernier prince de la dynastie des Aghlabites à se retirer en Orient en lui abandonnant toute l’Afrique orientale.

On vit ensuite Obéid-Allah entrer dans le Maghreb occidental, à la tête de deux cent mille hommes, infanterie et cavalerie. Après s’être rendu maître de Sedjelmeça, Obéid-Allah proclama son fils, El-Mahdi, et lui céda le commandement. Le nouveau souverain s’établit auprès de Kairouan ; il prit le titre de prince des croyants (émir-el-moumenin), et ordonna que la prière du vendredi se fît pour lui dans toutes les mosquées. El-Mahdi appuyait ses prétentions au rôle d’imam régénérateur sur ces paroles du Prophète : « L’an 300, le soleil se lèvera du côté de l’occident. » Or son avènement eut lieu dans les premières années du quatrième siècle de l’hégire.

La lutte contre les Édrissites fut plus sérieuse. Ceux-ci, prêts de succomber, réclamèrent des Ommiades d’Espagne les secours qu’eux-mêmes leur avaient si souvent prêtés contre les chrétiens. Les Arabes andalous, passant le détroit, vinrent arracher aux Fathimites Fès, Tlemsen, Tiharet, l’ancienne capitale de Restamites. Mais, consommant la ruine des Édrissites qu’ils étaient venu secourir, ils proclamèrent le khalife d’Espagne dans la mosquée de Fès. Les Fathimites, héritiers de la plus grande part de la puissance des Aghlabites et des Restamites, ne furent jamais entièrement maîtres du Maghreb-el-Aksa. Il se forma dans cette portion de l’Afrique de petits États secondaires, tels que celui des Meknéça, des Zenata, des Maghraoua, des Barghouata, tribus berbères très puissantes. Les chefs de ces petits États se coalisèrent souvent avec les Ommiades d’Espagne pour résister à l’ambition envahissante des Fathimites. Malgré des succès assez importants, ceux-ci voyaient la domination de l’ouest de l’Afrique leur échapper ; et lorsque le siège de leur puissance fut transporté en Égypte, les Beni Ziri, fondateurs du petit État d’Achir, d’abord leurs alliés, et appelés par eux à gouverner le pays, se déclarèrent indépendants.

La domination des Fathimites dura deux cent soixante ans, dont cinquante-deux en Afrique et deux cent huit en Égypte ; cette dynastie compte quatorze khalifes. Le successeur d’El-Mahdi bâtit la ville de Msila, et dirigea contre la ville de Gênes une flotte qui la ravagea. Sous son règne parut un chef de secte et un rebelle de la tribu des Zenata, qui pendant trente ans sema la terreur et la dévastation dans la province de Tunis et dans une grande partie de l’Afrique. Ce fut Mouëz, quatrième prince fathimite, qui dirigea contre l’Égypte une expédition formidable, composée de Berbères et de troupes régulières. L’Égypte, la Syrie et l’Arabie reconnurent le pouvoir des Fathimites. En 361 de l’hégire, Mouëz transféra au Caire le siège de son empire. Ce prince s’était montré administrateur habile et guerrier énergique ; il avait organisé avec soin toutes les provinces de l’Afrique(1).

En partant pour l’Égypte Mouëz appela Balkin ben Ziri, de la tribu des Senhadja, qui était gouverneur de Kabès, et lui laissa le commandement de l’Afrique. Un fait remarquable ressort des événements qui s’accomplirent à cette époque dans le Maghreb. Depuis la conquête arabe, le mouvement des grandes masses armées avait toujours eu lieu de l’Orient à l’Occident. Après les premières incursions, on voit se succéder des flots de combattants et d’émigrants qui étendent, à chaque nouvel effort, la domination musulmane vers l’ouest. L’invasion franchit le détroit, soumet l’Espagne et touche la frontière méridionale de la France ; ce mouvement se, maintint jusqu’à l’avènement des Ommiades en Espagne. Alors les choses changent de face ; une réaction se produit parmi les peuples convertis à l’islamisme ; d’une part, les Arabes andalous viennent porter la guerre dans l’ouest de l’Afrique ; de l’autre, les Fathimites, élevés au pouvoir par les Berbères, partent de la province de Tunis, font pénétrer leur armées victorieuses jusqu’en Arabie. C’était le mouvement en sens inverse, de l’Occident à l’Orient. La race berbère semblait refouler les dominateurs arabes vers leur pays natal ; échappées à l’infl uence directe des conquérants, ces tribus vont prendre bientôt la suprématie dans le gouvernement et devenir les arbitres de la destinée de tout l’ouest de l’empire musulman. Cette époque marque en Occident le terme du mouvement d’expansion de l’islamisme ; elle montre aussi le commencement de la décadence du pouvoir politique des Arabes en Afrique. La foi musulmane a déjà dit son dernier mot ; elle a trahi son impuissance pour fonder un État. Les tentatives postérieures, dont les débuts paraîtront quelquefois si brillants, avorteront toutes, et indiqueront à peine un temps d’arrêt dans la chute.

(1) Voyez Univers pittoresque, ARABIE, pages 458 et suiv.
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Mis en ligne le 03 septembre 2012

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