La caserne des Tagarins 2
Une autre femme, Mme Bonadé, propriétaire du magasin " Salomé ", était conduite en même temps que Mme Salasc dans le bureau du colonel Debrosse…
M. Bonadé était professeur de lettres en Italie quand ses démêlés avec le régime mussolinien l'obligèrent à s'expatrier. Il débarqua sur le sol algérien, puis s'engagea dans les Corps Francs d'Afrique et participa à la campagne de Tunisie.
Rendu à la vie civile, il enseigna sa langue maternelle à l'Université d'Alger, où il était chargé du lectorat d'italien.

Le magasin de sa femme était connu de notre état-major comme la bl 1, la première boîte aux lettres du commandement. Or, le 8 septembre, les gardes mobiles raflèrent tout le courrier du jour en fouillant les étagères de lingerie et les meubles ventrus, surmontés, je me souviens encore, par deux ou trois céramiques vertes d'Extrême-Orient.

Interrogée par le colonel Debrosse, Mme Bonadé dut résister à son tour aux affreux sévices dont on l'accabla.
Dans les moments où les bourreaux interrompaient leurs tortures, il lui était annoncé que son mari et son fils avaient perdu la vie. La scène se répétait régulièrement ; on essayait par tous les moyens de la persuader que Philippe était mort et que son mari s'était suicidé. On la menaçait de viol.
La pauvre femme éprouvait des vertiges. Un voile couvrait ses yeux, un tourniquet écrasait sa gorge et sa tête s'enténébrait. Sa raison vacillait.
Trouvant un morceau de verre dans sa cellule, elle entailla ses poignets à deux reprises. La seconde tentative faillit réussir.

Les brutes la retrouvèrent inanimée au milieu d'une mare de sang.
Il n'était plus question de la soigner sur place avec le concours de médecins complices, comme le Dr Matiben. Le colonel Debrosse dut la faire interner dans un hôpital neuro-psychiatrique où elle demeurera de longs mois sous la surveillance du Dr Porot.
Son mari fut convoqué.
On lui enjoignit de se taire et de ne rien divulguer sous peine de mort pour lui, sa femme et son enfant…


A Constantine, Jean Hourdeaux et Charles Daudet entraient à leur tour dans le jardin des supplices.
Arrêté le 10 septembre, Charles Daudet mourut le 13.
Gardes m'envoyait une lettre :

La police a aussitôt maquillé son décès, prétendant qu'il s'était suicide dans sa cellule. A la requête des parents, il y a eu un complément d'enquête. Deux traces ont été révélées sur les pieds probablement des brûlures dues aux électrodes. Par ailleurs, une ecchymose a été trouvée sur la botte crânienne. Cette affaire a fait beaucoup de bruit à Constantine. Il y aura probablement des échos à Oran où le corps arrivera jeudi.


Albert Garcin, finalement dénoncé pour avoir hébergé le général Salan, était retiré de sa cellule une semaine après son, arrestation. Interrogé par le colonel Debrosse, il était torturé dans une baignoire.
Le colonel mandait sa femme. Elle devait garder le silence ou bien son mari disparaîtrait. On faisait d'ailleurs courir le bruit de sa mort et, le mercredi 27 septembre, Godard lui-même nous assurait :

A 1 : Garcin Albert, de Birtouta, est décédé suite sévices au cours de l'interrogatoire.
II ajoutait au sujet de son agent de liaison Rodenas, capturé le 8 septembre avec Mme Salasc : XBYNOXKC (Rodenas) est toujours entre les mains de la police et a souffert (on doit attendre pour le présenter au parquet que les traces de sévices aient disparu).
Il n'a reconnu que FXR&LOBQO (hébergement) de Y08 en avril dernier et n'a donné que deux noms apparemment sans importance.
On a cessé de l'interroger. Sa famille va porter plainte pour séquestration et saisir la commission de sauvegarde.


Feuilleron de Lapasset ; Guy Marocchi, de Vialar ; Norbert Anouilh, de Bourbaki ; des dizaines de militants, des centaines de sympathisants qui étaient connus pour la vigueur de leurs opinions mais qui n'appartenaient pas à nos réseaux, indifféremment, pêle-mêle, eurent les plantes des pieds grillées.
On les suspendit par les jambes ou par les mains, des Heures durant, aux anneaux d'un plafond. On les fouetta. Des électrodes furent posées sur les parties génitales, car les sexes attiraient la prédilection des bourreaux, Les verges étaient frappées à coups de règle jusqu'à ce que les prisonniers urinent du sang.
D'autres équipes empalaient leurs victimes sur des bouteilles ou des manches de bois, provoquant d'épouvantables déchirements de l'anus.


Le 16 septembre, notre bcr nous envoyait le rapport suivant :

Un bulletin de renseignements émanant du CCI et d'un agent de Secteur, valeur B 1, signale : il y a quatre jours, onze agents de la DST de Paris sont arrivés à Alger et se sont installés à la gendarmerie des Tagarins. Les gendarmes sont complètement tenus à l'écart des activités des agents de la DST. Toutefois, ils ont vu passer des personnes arrêtées et constaté que certaines d'entre elles avaient été malmenées (ecchymoses, visages tuméfiés). Un gendarme a affirmé que des injections de pentothal (sérum de vérité) étaient administrées. Le témoin a ajouté : " C'est abominable. Jamais, nous, gendarmes, n'avons eu le courage d'appliquer de telles méthodes aux fellagha. " Un bulletin de renseignements du CRM, coté B 1, signale qu'une dame a été vue par un médecin de nos amis à la caserne des gendarmes mobiles aux Tagarins. Cette dame présentait les symptômes d'une personne droguée. Le pentothal ne serait pas administré par injections, mais par l'application de bâillons imbibés de la drogue.


Pour sa part, Noëlle Lucchetti avait été questionnée par le colonel Debrosse qui, devant ses dénégations, menaça de la livrer aux derniers outrages. Noëlle garda son sang-froid et lui répondit qu'à son âge on n'avait plus rien à redouter.

Comme le colonel lui disait :

- Alors! ma petite, on est bien seule maintenant. Où sont donc vos amis ? Hein ? Très loin. Soyez sûre qu'ils vous ont oubliée !
Une explosion de plastic se fit entendre à courte distance. Aussitôt, Noëlle répliqua :
- Non, mon colonel ! Vous entendez ? Ils sont très proches au contraire et se rappellent à moi.
Sur quoi, Noëlle fut entraînée à son tour dans une cave.

Elle ne parla pas. Ses tourmenteurs l'abandonnèrent après lui avoir arraché plusieurs touffes de cheveux.


Vidal, de Boufarik, Martinez, de Fort-de-l'Eau, arrêtés dans la Mitidja avaient subi d'épouvantables traitements.

"HISTOIRE DE L'OAS " de Jean-Jacques SUSINI - Extraits édition la table ronde paru en 1963. tome 1

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Mis en ligne le 22 février 2015

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