" En 1962, à l'école, les enfants ne réalisaient pas le déchirement du rapatrié d'Algérie "

" Est-ce que tu avais un chameau en Algérie ? Comment c'était de dormir par terre sous une tente ? " Les questions que Gilbert entend lors de sa rentrée scolaire en 1962 au Cours Cannois le sidèrent. Assis dans son jardin à Hyères, à 69 ans, il accepte de témoigner pour La Croix : " À 11 ans, je venais d'être rapatrié d'Algérie et je me demandais où j'étais tombé. J'ai tout de suite compris que les autres élèves ne réalisaient pas ce qu'était ma terre natale. Pour eux, c'était un pays d'Afrique, c'est tout. "

De nombreux enfants rapatriés à la même époque firent la même expérience. " À Lille, les copines voulaient savoir si des lions se promenaient dans les rues d'Alger, se souvient Marie-Paule. C'était de la curiosité, certes un peu maladroite, commente Gilbert, mais ce n'était pas des insultes. "

" Sale colon ", les insultes dans la cour de récréation

Gilbert s'avoue chanceux, durant ses premiers jours d'école à Cannes, il n'a pas eu à subir de remarques acerbes, contrairement à d'autres enfants pieds-noirs. Il se souvient juste d'un éclat de rire général lorsqu'il annonce la profession de son père. " J'ai dit qu'il était colon. Pour moi, ça voulait dire agriculteur. En Algérie, la maison des agriculteurs s'appelait la maison du colon ", se défend-il. Pour d'autres, l'accueil fut beaucoup moins cordial. " Mes camarades de classe m'appelaient le bougnoule quand bien même j'avais des yeux bleus et une peau très blanche ", se rappelle Jean-Max, scolarisé dans un collège varois après son rapatriement d'Algérie.

Danielle a également en tête une rentrée des classes difficile : " J'ai appris ce qu'était le racisme. À la sortie de l'école, la mère d'une camarade m'a dit que nous n'étions pas chez nous. On n'oublie pas les regards. J'avais 9 ans et demi ". " L'accueil qui m'a été réservé à l'école primaire est toujours une blessure en moi, renchérit Ane, 67 ans. Dans la cour de récréation à Nice, je devais tourner en rond les mains sur la tête pendant que les enfants me traitaient de "sale colon". "

" Il fallait sans cesse se justifier et expliquer qu'on n'était pas des colons, ni des petits privilégiés, raconte Dominique arrivée à 9 ans en 1962 à Vanves en Île-de-France, certains enfants pensaient qu'on avait été des milliardaires en Algérie. "

" On vous arrache à vos racines et vous ne pouvez pas le raconter "

Dans son école cannoise, Gilbert se noue rapidement d'amitié avec les enfants pieds-noirs. " Ils me comprenaient, explique-t-il, avec les autres élèves je sentais un déphasage. Comment voulez-vous leur raconter, le départ en bateau, quand je vois mon père pleurer sur le quai, la sensation quand on vous arrache à vos racines… C'était le dernier de leurs soucis. " Dominique va plus loin : " On ne pouvait pas évoquer nos sentiments avec nos professeurs, ni même avec nos parents. À cette époque, personne ne faisait parler les enfants. La phrase préférée de ma mère, c'était : "ravale tes larmes". "

Si l'école n'est pas véritablement un refuge pour ces enfants déracinés, elle reste toutefois un point d'ancrage important dans leur nouvelle vie. " Durant mes trois premières années en France, l'école était le seul cadre que j'avais, conclut Gilbert dont les parents étaient restés en Algérie. C'était essentiel car c'était mon seul repère. " Quant à Jean-Max, scolarisé dans le Var, il jubile encore en évoquant ses bons résultats scolaires : " Devinez qui a obtenu la meilleure note en composition française au premier trimestre : le bougnoule ! "

texte : Élisa Brinai ; Vidéo : Élisa Brinai et Bilkis Blanc, le 28/08/2020 à 14:05 La-croix.
https://www.la-croix.com/Famille/VIDEO-En-1962-lecole-enfants-realisaient-pas-dechirement-rapatrie-dAlgerie-2020-08-28-1201111179
Transmis par J.L Granier

Note de la rédaction :

Ecolier en 1962, j'ai également eu droit à ce genre d'amabilités.
On m'intimait de " rentrer dans mon pays ", et des petits italiens dont les parents étaient fraîchement débarqués, me déniaient le droit d'être français.
S'ajoutaient des brimades diverses et variées et des réflexions que sans doute, ils entendaient dans leur foyer familial.

A notre arrivée en métropole, nous constituions un fort pourcentage d'élèves. Je pense de 15 à 20%.
Je me souviens d'une institutrice qui nous appelait : " les ex Pieds Noirs " avec un joli sourire ironique.
Pour les jeunes de mon age, l'innocence ne nous permettait pas de riposter puisque ces réflexions nous étaient incompréhensibles. Nous n'avions pas, à cet age là, l'instinct grégaire pour former des clans protecteurs.
Mais il n'en était pas de même chez les ados qui avaient mûri prématurément et qui ne laissaient pas passer l'occasion de remettre les poings sur les " i " .

Plus tard, il me vient en mémoire des bagarres mémorables, dans la cour du lycée, pour laver, insultes et affronts, que les surveillants généraux tentaient d'apaiser par de généreuses baffes sonores et savamment administrées.

Quelques années après, des liens de camaraderie se créèrent enfin et des copains, invités à goûter, s'étonnaient encore que je mange sur une table et que mes parents parlent un français des plus corrects.
Certains étaient surpris de la propreté chez moi.

Il fallut de longues années pour arriver à nouer des liens dénués d'arrières pensées et de préjugés.
Aujourd'hui encore, de temps à autre, des allusions teintés de fausse candeur ou d'ignorance, me rappellent que la tolérance que l'on voit affichée partout, ne s'applique pas à tout le monde…

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Mis en ligne le 06 juin 2012

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