L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie 1

Si l'accueil ne fut souvent pas un modèle de compassion et de fraternité, il est des municipalités qui par des décisions courageuses, firent de leur mieux pour gérer avec humanité l'exode des français d'Algérie. Il est bon de le reconnaître et de rendre hommage aux élus et aux bonnes volontés qui s'engagèrent, dans cette période confuse, pour adoucir l'indifférence voire l'hostilité à l'égard de ces exilés forcés.

« Ce n’est pas 1830 qui crée le Pieds-Noir mais 1962 (…)
Le rapatriement massif et tragique de l’été devient l’élément fondateur de la communauté en exil. »
Jean-Jacques Jordi

Quelques dates de l'histoire de l'Algérie coloniale :
- 14 juin 1830, débarquement des troupes françaises dans la rade de Sidi Ferruch,
- 22 décembre 1847, reddition de l'Émir Abd-El-Kader,
- 8 mai 1945, massacres de Sétif et de Guelma,
- 1er novembre 1954, Toussaint rouge, une quarante d'attentats commis.
- 18 mars 1962, signature des accords d'Évian et cessez-le-feu le lendemain,
- 5 juillet 1962, indépendance de l'Algérie

Une des conséquences de l'indépendance de l'Algérie a été l’exode en Métropole de la quasi-totalité de sa population « française » : un peu plus d'un million de personnes. Ces personnes ont été appelées, qualifiées et définies comme des Rapatriés. Mais ce terme n'est pas satisfaisant car ces personnes n'ont pas quitté une terre étrangère pour rentrer dans leur pays mais ont effectué un transfert entre deux départements français. Mais l'état français s'est retrouvé en difficulté car il ne trouvait pas de terme juridique pour les nommer correctement. De nos jours, nous pouvons diviser les rapatriés en deux catégories bien distinctes :
- Les Pieds-Noirs (ou Européens d'Algérie – Français citoyens). Les Pieds-Noirs sont des personnes qui sont nées en Algérie, d'origine européenne qui ont quitté l'Algérie en 1962. Nous pouvons également y rajouter les Juifs séfarades (utilisation du terme juif pied-noir) qui ont été naturalisés par le décret Crémieux en 1871. Avant ce décret, les personnes de confession juive étaient considérées comme les arabo-berbères, d'indigènes.
- Les Harkis. Personnes qui étaient des supplétifs de l'Armée française pendant la période 1954-1962, membre d'une harka. Ces personnes et leurs familles ont été classifier comme des réfugiés en 1962 pour la majorité.

En ce qui concerne la signification du mot « pied-noir », il existe plus d'une dizaine d'origines, comme les godillots noirs des premiers soldats français ou les bottes des colons alsaciens. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a aucune trace dans la littérature « indigène » de l’époque, et le vocable « pied-noir » n’est traduit en arabe dans aucun récit pendant les années de colonisation. Malgré la complexité de sa définition et le manque de source sur l’origine du vocable, c’est bel et bien ce terme qui définit les Français qui sont nés en Algérie pendant la période coloniale et qui ont quitté cette terre à partir de 1962. Nous pouvons considérer que c’est le mot « Pied-Noir » qui a construit la communauté des Français nés en Algérie en exil.

Le déracinement a largement contribué à l’éclosion d’une, conscience commune. En ce sens, la guerre d’Algérie peut être considérée comme la première étape de l’histoire des Pieds-Noirs 2.

Après leur départ d'Algérie, majoritairement les Rapatriés se sont installés dans tout le Grand Sud de la France et plus particulièrement autour de la Méditerranée avec comme zones de prédilection la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et le Languedoc-Roussillon. Selon l’historien Pierre Baillet, à la fin de 1962 on pouvait dénombrer 29 840 Pieds-Noirs pour le seul Roussillon. Mais tous les Pieds-Noirs ne se sont pas tous dirigés vers la France, certains ont choisi de recommencer leur vie à l’étranger : Israël, Québec, Espagne, États-Unis, Australie, Argentine. Mais aussi des territoires d'outre-mer telles les Antilles et la Nouvelle Calédonie.
Dans les Pyrénées-Orientales, les communes de Perpignan et de Port-Vendres ont été les deux principales villes qui ont dû faire face à l’exode des Rapatriés d’Algérie. Perpignan, Préfecture du département, a accueilli le plus grand nombre de Pieds- Noirs. Port-Vendres est la municipalité qui, la première, a vu débarquer les Rapatriés d’Algérie en Roussillon. Avec l’appui des registres de délibérations municipales, nous avons pu étudier les conséquences de l'arrivée des Pieds-Noirs dans ces deux communes pour l'année 1962

L'arrivée des bateaux à Port-Vendres

Les Pyrénées-Orientales et plus particulièrement le village de Port-Vendres ont été à partir de mai 1962 confrontés à l’arrivée massive des Rapatriés d’Algérie. Pour les autorités françaises, l’arrivée de ces personnes a commencé officiellement dans les P.O le 27 mai 1962 avec l’arrivée du El Mansour en provenance de Mers-el-Kébir.

Mais ce ne sont pas les premiers Pieds-Noirs à arriver en Roussillon, puisque selon L’Indépendant,le département comptait déjà 1 000 Français originaires d’Algérie 3. Le El Mansour a droit à la première page du journal local. Sur une demie page, on peut lire « 900 Pieds-Noirs ont été reçus fraternellement 4 ». Sur le port du village se trouvaient les secours, les officiels mais aussi les habitants de Port- Vendres qui ont pu entendre « Le Chant des Africains » mais aussi la « Marseillaise ». Selon le journaliste de L'Indépendant présent, il n’y a eu aucun incident lors du débarquement entre les forces de l’ordre et les Pieds-Noirs. Dix-huit personnes âgées sont arrivées inanimées et ont été descendues par des brancardiers. Selon L’Indépendant, la France sera pour ces nouveaux arrivants : « une terre d’exil, une terre de calme ou un pays de transition. » Voici la liste des différentes organisations présentes sur le quai afin d’accueillir les Français rapatriés : des représentants de la Communauté juive, d'Anciens Combattants ou des Victimes de Guerre. Également les services administratifs des mairies de Perpignan et de Port- Vendres, les Pompiers (Perpignan, Port-Vendres), les services des PTT, de la Chambre de Commerce de Perpignan et différentes banques (le Comptoir national d’escompte, la Banque Populaire, la Société marseillaise de crédit, le Crédit Lyonnais). Mais aussi des représentants politiques : Xavier Courrèges (Délégué régional aux Rapatriés), Monsieur Dubois (Préfet des Pyrénées-Orientales), le Député-Maire de Perpignan Paul Alduy, le Maire de Port-Vendres Henri Conte, Monsieur Bernon (Commandant du Groupement de la Gendarmerie du département). Monseigneur Rhodain (Fondateur du Secours Catholique) et le Directeur départemental des Renseignements Généraux étaient également présents ce jour-là.

Lors de cette journée, juste avant l’arrivée du El Mansour, un petit chalutier le Manuel Campio est arrivé en provenance de Beni-Saf avec 30 Rapatriés dont 10 enfants (Voir en bas de la page. Ndlr). Pendant l’été 1962, la quasi totalité des pêcheurs du village portuaire de Beni-Saf ont quitté l'Algérie grâce à leurs chalutiers, c’est-à-dire à bord de leur propre bateau.

Selon L’Indépendant, plus de 13 000 Français d’Algérie ont quitté leur terre natale pour rejoindre Port-Vendres au cours du mois de juin. Selon l’étude des listes nominatives des Français d’Algérie effectuées par les Renseignements Généraux, seulement 5 200 personnes sont arrivées par la mer. Une telle différence s’explique par le fait que la plupart des Rapatriés venus avec leur bateau personnel n’ont pas tous été comptabilisés par les R.G, car ils débarquaient dans un endroit différent dans le port de celui des paquebots, et parce que l’inscription aux services de Rapatriés n’était pas obligatoire. Ainsi les listes de bateaux ne comportent pas les lamparos ou les chalutiers de patrons pêcheurs, notamment ceux de Beni-Saf. Ensuite toutes les personnes qui effectuent le trajet ne se déclarent pas comme des Rapatriés, ainsi pour les RG ils ne font pas partie des listes « Rapatriés ». Enfin, L’Indépendant relate un nombre important d’arrivants en les considérant comme des Rapatriés alors que dans certains paquebots, il se trouvait par exemple des militaires ou des fonctionnaires. Voilà pourquoi, nous constatons une telle différence entre les deux effectifs.

En comptabilisant les arrivées à partir des informations de L’Indépendant, ce sont en juillet 8 500 Pieds-Noirs qui ont effectué le trajet entre l’Algérie et Port-Vendres. Selon les listes nominatives des R.G, le nombre s’élève à 10 600. Cet écart vient sûrement de la différence de traitement des informations de la part du média local et des RG. Moins de présence des journalistes de L'Indépendant, moins de reportages, donc moins d'articles. Mais la réalité est toute autre : à partir de la seconde semaine de ce même mois, les départs d’Algérie et surtout d’Oran se sont accélérés. Même constat pour le mois d’août. Selon L’Indépendant, un peu plus de 2 800 personnes se sont exilées vers le Roussillon. Alors que selon les RG, ce sont 6 100 Français d’Algérie qui sont arrivés à Port-Vendres. Durant le mois d’août, seulement quatre articles ont été consacrés aux débarquements de bateaux en provenance d’Algérie. À partir du mois de septembre, L’Indépendant ne donne presque plus d’informations sur les arrivées de Pieds-Noirs à Port-Vendres alors que l’exode continue. Au cours de ce même mois, la presse locale publie seulement un encart le 19 septembre sur l’arrivée du Cargo Tolba. Or selon les Renseignements Généraux, 1 800 personnes ont débarqué dans les Pyrénées-Orientales ce mois-là. Pour le mois d’octobre, selon les R.G. toujours, 1 850 arrivées sont dénombrées mais en étudiant L’Indépendant, on ne trouve la trace que de 500 personnes. Par contre le 18 octobre, la question des Français d’Algérie réapparaît. Le quotidien local titre dans une page locale que « les Rapatriés affluent toujours à Port-Vendres ». À bord du El Mansour, 283 Pieds-Noirs « affluent » sur le quai du port roussillonnais. Quand les RG notent 1 000 Rapatriés en novembre et 650 en décembre, L’Indépendant ne publie aucun article faisant état de ces différentes arrivées. Ainsi l’étude de la seule presse quotidienne ne peut pas rendre clairement compte de la réelle importance du rapatriement des Français d’Algérie.
Nous pouvons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les journalistes de L’Indépendant n’ont pas couvert l’exode jusqu’à la fin de l’année 62. Manque de journalistes ? Baisse de l’intérêt médiatique ?

Entre juin et décembre 1962, un peu moins de 29 000 Pieds-Noirs sont arrivés dans les Pyrénées-Orientales. Ceux qui ont décidé de rester dans le département se sont installés majoritairement soit à Port-Vendres, soit à Perpignan.

Nombre de Pieds-Noirs arrivés en Roussillon selon la provenance et le mois de l’année 1962 :5
Régions Port de l’Algérois Par l’Espagne Port de l’Oranie Total
Juin 1962 2.974 75 2.202 5.251
Juillet 1962 1.852 513 8.818 11.183
Août 1962 2.314 106 3.822 6.242
Septembre 1962 794 1.979 105 1.080 1.979
Octobre 1962 812 46 1.044 1.902
Novembre 1962 228 88 764 1.080
Décembre 1962 475 60 172 707
Total 9.449 993 17.902 28.344

Port-Vendres
- L'économie.

La commune de Port-Vendres s'est engagée à trouver des logements d'urgence pour les pêcheurs rapatriés et leurs familles, qui ont voulu rester et travailler à Port- Vendres. La relance de l'économie et le logement ont été les deux thèmes abordés dans les séances des différents conseils municipaux durant l'année 1962. La question des Rapatriés est abordée lors du Conseil Municipal du 19 juin 1962. Le Maire évoque les conséquences pour l’économie locale de l’arrivée de chalutiers de Rapatriés :

L’arrivée de nombreux chalutiers en provenance d’Algérie (Beni-Saf, Nemours, Arzew) permet d’espérer, par leur fixation à Port-Vendres, une évolution de la pêche susceptible d’engager un nouvel essor économique de la ville, profitable également au département et à la région 6.

Le 21 août lors du Conseil, le Maire de Port-Vendres, Henri Conte, affirme :

" [Nous devons] venir en aide à des familles qui ont dû sous la pression des évènements, quitter précipitamment leur foyer algérien, pour se réfugier en France dans des conditions souvent épouvantables 7."
Puis il ajoute :
" Les Rapatriés retenus à Port-Vendres [sont] un capital humain représentant des familles de pêcheurs équipant les chalutiers qui se sont réfugiés dans le port. L’essor donné à la pêche peut transformer totalement l’économie. "

Dès 1962, le Maire de Port-Vendres voit dans l’installation des pêcheurs piedsnoirs une chance pour l’économie de son village. Le bilan économique grâce à l’arrivée de 47 chalutiers et lamparos, lui donnera raison. A Port-Vendres, les Rapatriés ont ainsi fait basculer la pêche du stade artisanal au stade industriel. Les patrons pêcheurs d’origine pied-noire inciteront les marins catalans à se lancer dans la pêche au thon, très rémunératrice. La reprise du dynamisme de Port-Vendres dans les années soixante leur doit beaucoup.

- Logement

Outre la question économique, dès juin 1962, le problème du logement fait partie des préoccupations de la municipalité de Port-Vendres. Le 19 juin, ce sujet est abordé par le Conseil Municipal :

" Le problème immédiat le plus grave qui se pose est celui du logement. Le Conseil municipal a décidé pour assurer un logement (…) de la mise à la disposition des familles de rapatriés de tentes et de bungalows acquis par la ville, à cet effet 8."

Une mesure de première urgence puisque le Conseil considère que cette « situation ne saurait s’admettre au-delà de l’automne et il importe de donner à ces familles démunies, des locaux convenables pour passer l’hiver. » En conséquence, sur le terrain municipal du « Val de Pines », on décide de construire une cinquantaine de logements pour permettre à quelques familles de s’y loger pendant la période hivernale.

Des habitants de Port-Vendres se font connaître et mettent des logements à la disposition de la Mairie comme Monsieur N. qui propose un immeuble :

" Cet immeuble qui est mis en vente actuellement par son propriétaire actuel, comprend deux étages sur rez-de-chaussée, soit quatre logements. Monsieur N. ne veut pas avoir à traiter avec les familles 9. "
Le propriétaire recevra 500 francs et la municipalité louera 600 francs à ces familles. Le supplément servira pour les charges et les assurances. Ce qui finalement arrange tout le monde. Tentes, bungalows, immeubles réquisitionnés, tout est mis en oeuvre pour résoudre ce problème crucial du logement.

La construction des cinquante logements sera le dossier le plus important de la Mairie. Le 21 Août 1962, en Conseil Municipal, le Maire explique qu’il y aura quatre blocs de 12 logements, soit au total 48 petits pavillons :

" Ces 48 logements d’urgence ont une nécessité absolue pour les familles de pêcheurs rapatriés d’Algérie. Il serait inhumain de laisser ces familles sous des tentes durant la saison hivernale 10. "

Mais l’existence de ces 12 blocs ne sera effective qu’au printemps 1963. Appel d’offres, obtention de crédits, autorisation de la Préfecture, le projet a pris du retard. Ainsi, certaines familles de pêcheurs rapatriés ont dû passés cet hiver-là sous des tentes ou dans des habitations sans confort.

Perpignan.
- Les aides.

Le Conseil municipal de Perpignan aborde le « sujet » des Français d’Algérie pour la première fois fin mai 1962, soit quelques jours avant l’arrivée massive dans le département. Le Député-Maire de Perpignan, Paul Alduy souhaite que sa commune s’engage financièrement :

L’ouverture d’un crédit de 5 000 francs destiné à couvrir certains dépannages qui interviendront pour la réception des Rapatriés d’Algérie (…) Les arrivées de Rapatriés ne vont pas manquer de devenir très importantes au cours des jours prochains 11.

Après un débat entre les élus, le Conseil Municipal vote à l’unanimité un crédit de 20.000 francs. Voici l’exposé final de Paul Alduy :

Mes chers collègues, désireux de témoigner notre solidarité agissante à l’égard de nos compatriotes Rapatriés d’Afrique du Nord, la ville a pris diverses mesures afin que ces derniers et notamment les vieillards et les enfants trouvent, dès leur débarquement de Port-Vendres, le réconfort moral et matériel auquel ils ont droit. Aussi, proposons nous de décider l’ouverture par autorisation spéciale en dépense d’un premier crédit exceptionnel de 20 000 NF., au Chapitre 26, Article 13 : « Rapatriés d’Afrique du Nord – Secours et dépenses diverses 12.

En septembre pour la rentrée des classes, le Conseil Municipal décide de l’attribution de bourses municipales d’études de 100 francs, à plusieurs enfants pieds-noirs inscrits dans un établissement public ou privé des Enseignements secondaire ou technique.

Certaines familles de Rapatriés d’Afrique du Nord disposant de ressources très limitées, doivent faire face, à l’occasion de la rentrée des classes, à des dépenses importantes résultant de l’achat des livres scolaires pour leurs enfants. Désireux de venir en aide à ces familles nécessiteuses, nous vous proposons de décider l’attribution de bourses municipales 13.

Mais le Conseil Municipal de la commune n’est pas totalement souverain, en cette matière ; il lui faut l’accord de la Préfecture des Pyrénées-Orientales pour mettre en place ces bourses municipales. Le 25 octobre, le Préfet écrit à Paul Alduy :

« J’ai l’honneur de vous faire connaître que le principe de cette décision ne soulève pas d’objection de ma part. Je vous demande, cependant, de me soumettre la liste nominative des bénéficiaires avec, en regard, un exposé succinct de la situation de leur famille résultant de l’enquête que vous aurez fait effectuer au préalable (profession des parents, ressources, établissement fréquenté, conditions de logement, etc…) 14. »

Paul Alduy répond une dizaine de jours plus tard pour « rassurer » le Préfet sur l’enquête sur les familles mais aussi pour savoir pourquoi sa réponse a été si tardive. En effet, la rentrée scolaire a eu lieu et aucune bourse n’a encore été attribuée :

« Je tiens à préciser que ces bourses municipales d’un montant modeste, ne seront attribuées qu’après une enquête sérieuse effectuée par les services du Bureau d’Aide Sociale de notre ville. Toutes garanties ont donc été prises pour que ces bourses ne soient accordées qu’à des familles dignes d’intérêt (…) Je comprends difficilement les raisons pour lesquelles cette délibération ne m’a pas encore été retournée, revêtue de votre approbation (…) Dans ces conditions, je vous prie de vouloir bien me renvoyer d’urgence, après approbation, la délibération du 28 septembre susvisée, afin de ne pas retarder plus longtemps l’octroi aux familles intéressées du bénéfice des dispositions adoptées par le Conseil Municipal 15.

L’arrivée des Rapatriés d’Algérie en Roussillon et principalement à Perpignan a provoqué une augmentation significative du nombre d’enfants scolarisés. Les écoles de la ville de Perpignan n’ont pas pu accueillir convenablement ces nouveaux inscrits car les infrastructures ne s’y prêtaient pas. En conséquence, la Mairie demande à l'État de pouvoir acquérir des salles de classe en supplément. Le 19 octobre 1962, le Ministre de l'Éducation nationale accepte et attribue huit classes en préfabriqué à la commune :

[Ces classes sont] destinées à assurer la scolarisation des enfants rapatriés. L'État prend en compte la fourniture des classes, leur transport, leur montage et les travaux d’adaptation au terrain 16.

La municipalité de Perpignan a su gérer cet afflux de population. Durant l’année 1962, elle a consenti deux gros efforts financiers pour les Rapatriés d’Algérie. Ces aides ont permis à la communauté pied-noire de se sentir bien accueillie. Si ces différents soutiens sont significatifs de l’estime que portait le Député-Maire de Perpignan aux Pieds-Noirs, c’est la réalisation de la Cité du Moulin-à-Vent.

- Le Moulin-à-Vent, « Cité-Rapatriée » ?

En 1960, Paul Alduy, élu depuis un an à la Mairie de Perpignan, lance son grand projet : le Moulin-à-Vent. Ces appartements devaient, à l’origine, loger les enfants du baby boom 17. Paul Alduy n’a donc pas décidé de construire le Moulin à Vent spécialement pour les Rapatriés de sa ville, puisque son idée de cité HLM datait de 1960. C’est l’arrivée des Pieds-Noirs qui a engendré la « fonction » de la cité du Moulin-à-Vent de « Cité de Rapatriés ». Dans l’imaginaire perpignanais, Paul Alduy a demandé la construction de la cité du Moulin-à-Vent pour accueillir les Pieds- Noirs. En d’autres termes, il a bâti ces logements spécialement pour les Repliés d’Algérie. Même s’il est vrai que 21,5 % des appartements ont été habités par les Pieds-Noirs 18, nous ne pouvons pas dire que cette cité a été construite pour eux. Par contre, la ville de Perpignan a logé en priorité au Moulin-à-Vent, les Pieds-Noirs sollicitant un appartement.

La construction de cette cité a débuté le 12 juin 1962 en présence du député maire de Perpignan, du Préfet des Pyrénées-Orientales et des autorités du département. Le 28 juin 1963, les premiers appartements sont prêts, et ce n’est qu’à l’automne 1964 que prend fin l’édifice du Moulin-à-Vent. Lors d’une allocution de Paul Alduy au sujet du Moulin-à-Vent et de ses habitants, il remercie les Pieds-Noirs d’avoir choisi sa cité pour leur nouveau départ en France :

Je voudrais que les Rapatriés retrouvent ici la petite patrie qu’ils ont perdue làbas, qu’ils sachent que la terre catalane est très accueillante et que le Moulin-à- Vent essayera de l’être plus encore. C’est un privilège que vous ayez été les premiers à nous faire confiance 19.

En Roussillon, d’autres municipalités sont intervenues pour aider les Rapatriés. À Céret à l’initiative du Maire, un Comité d’aide aux Pieds-Noirs a été créé. Il était chargé de coordonner la solidarité cérétane : « de grouper les efforts en vue de leur apporter l’aide matérielle et le soutien moral 20 ».
Les membres en sont le Maire du village, Henri Guitard et des représentants de l'Église, des Forces de l’Ordre, de la Mairie, de la Préfecture et de l'Éducation Nationale. Une vingtaine de jours plus tard, c’est au tour de la commune de Thuir de décider la création d’un Comité d’aide aux Rapatriés d’Algérie dont « le but est apporter une aide sur plan matériel et psychologique mais aussi de faciliter l’hébergement 21. »
Ce Comité est formé du Sénateur-Maire, Léon Grégory et des membres d’associations d’Anciens Combattants, de différents corps de fonctionnaires, de centrales syndicales (CGT, CGT-FO, CFTC, FEN), d’organisations agricoles, du Culte Catholique et d’établissements hospitaliers et d’oeuvres de bienfaisance. Il définit son action comme « un devoir de solidarité au-dessus de toute préoccupation politique ».

L’accueil et le reclassement des Rapatriés ont été avant tout le travail de l'État. Les délégations régionales aux Rapatriés et les préfets se sont occupés de presque tout. Malgré cela, en étudiant les différents conseils municipaux de Perpignan et de Port-Vendres, nous pouvons comprendre l’impact qu’a eu l’installation de Pieds- Noirs dans ces deux communes. Le logement a été le dossier le plus important. Ces deux villes ont décidé de mettre à disposition de leurs nouveaux résidents, un habitat afin de leur permettre de reconstruire leur vie en Roussillon. La Mairie de Port-Vendres a décidé de mettre à la disposition des familles sans toit, dès leur arrivée, des logements en préfabriqué ou de simples tentes puis des logements décents.
Mais, derrière l’important problème du logement de ces familles de pêcheurs se cache une volonté de la part du village d’utiliser cet apport de travailleurs comme une source de relance économique. Quant à Perpignan, c’est principalement en logeant prioritairement les Pieds-Noirs dans la toute nouvelle Cité du Moulin-à- Vent, que Paul Alduy a aidé principalement cette population.

Malgré le caractère massif et soudain de l‘exode de l’été 1962, tous les Rapatriés d’Algérie n’ont pas quitté le sol algérien pendant cette période. En 1963, en 1964 et en 1965, respectivement 80 000, 30 000 et 15 000 Pieds-Noirs ont débarqué en France. Une petite partie est même restée en Algérie pour prendre la nationalité algérienne, ces personnes ont été appelées les Pieds-Verts 22. En ce qui concerne les Pyrénées-Orientales, 1 778 Rapatriés sont arrivées en 1963 par bateau à Port- Vendres ou en passant par l’Espagne 23.
PHILIPPE BOUBA

Université de Perpignan

(1) Cet article s'inspire d'un travail de recherche réalisé précédemment par le même auteur : Philippe Bouba, L'arrivée des Pieds-Noirs en Roussillon en 1962, Canet en Roussillon, Editions Trabucaire, coll. « Història », 2009, 173 p.
(2) Charles-Robert Ageron, L’Algérie des Français, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1993, p. 331.
(3) L’Indépendant, 03/04/1962.
(4) Ibid., 28/05/1962.
(5) 104W 6, accueil des Rapatriés d’Afrique du Nord, Listes nominatives, divers, note des Renseignements Généraux, 1962-1963.
(6) Délibérations du Conseil municipal de Port-Vendres, 19/06/1962.
(7) Ibid., 21/08/1962.
(8) Ibid., 19/08/1962.
(9) Idem.
(10) Idem.
(11) 1D4/24, Compte rendu.
(12) 1D1/50, Délibérations du Conseil municipal, 25/05/1962.
(13) 1D1/50, Délibérations du Conseil municipal, 28/09/1962.
(14) 2D3/237, Courrier reçu, 15/05/1961-12/07/1963.
(15) 2D3/235, Courrier départ, 20/09/1962-12/11/1962.
(16) Ibid., 15/05/1961-12/07/1963.
(17) Carine Corbi, Le Moulin-à-Vent, exemple d’une politique d’urbanisation, mémoire de maîtrise, Université de Perpignan, 1996, p. 8.
(18) Ibid., p.26.
(19) Ibid., p.8.
(20) L’Indépendant, 06/06/1962.
(21) Ibid., 26/06/1962.
(22) Vert étant la couleur de l’Islam et une des deux couleurs du drapeau algérien.
(23) 104W 6, accueil des Rapatriés d’Afrique du Nord, Listes nominatives, divers, note des Renseignements Généraux, 1962-1963.

http://www.ina.fr/video/CAF89005375/chalutier-venant-d-algerie-video.html

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Mis en ligne le 31 janvier 2014

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